Wakashudō
Le wakashudō 若衆道 ou « voie des garçons » est la forme traditionnelle de la pédérastie dans le Japon ancien, au moins depuis le VIIIe siècle. On utilise dans le même sens les formes elliptiques shudō 衆道 et nyakudō 若道, ou encore les termes nanshoku 男色 et bidō 美道.
Ce lien social, affectif et sexuel entre un homme adulte et un jeune garçon fut pratiqué à l’origine par les moines bouddhistes, puis par les samouraïs. Encore très vivace au XIXe siècle, c’est l’institution pédérastique la plus durablement attestée dans l’histoire de l’humanité.
Vocabulaire
La pédérastie peut être désignée en japonais par des termes assez différents, qui comportent des nuances importantes.
Le wakashudō
Le mot wakashudō 若衆道 est celui dont la signification pédérastique est la plus évidente. Il se compose de trois éléments répartis ainsi :
- Le caractère final dō 道 est le même que le dào ou tao chinois, désignant la voie le long de laquelle on progresse, l’art moral de faire quelque chose en s’améliorant personnellement.
- Le mot wakashū 若衆 signifie « jeune personne », ou plus exactement « garçon » : on n’utilise en effet jamais ce terme pour une fille. Il réunit deux caractères :[1]
- waka 若 « jeune »
- shū 衆 « personne »
Le wakashudō est donc clairement la « voie des garçons ».
Ce mot apparu au XVIIe siècle est très utilisé dans les œuvres anciennes. On le rencontre souvent sous les formes abrégées shudō 衆道, qui retient les deux derniers caractères et dont il existe des témoignages dès 1485, ou nyakudō 若道, qui réunit le premier et le dernier caractère (若 peut aussi se prononcer nyaku).
Le nanshoku
Le mot nanshoku 男色 (qui se lit également danshoku) reprend les caractères chinois nán 男 « homme » et sè 色 « couleur », dont la réunion signifie littéralement « couleurs masculines ».
Le caractère 色 « couleur » évoque plus particulièrement la couleur rouge du visage, donc l’excitation. Par dérivation, il signifie au Japon comme en Chine le plaisir sexuel.
Le terme nanshoku peut ainsi être compris comme désignant la « lascivité virile » ou « lubricité entre mâles ». Il était très utilisé dans la période pré-moderne pour nommer les relations sexuelles pédérastiques, ou éventuellement homosexuelles.
Le bidō
On trouve aussi dans un sens voisin le mot bidō 美道, la « belle voie », qui unit le caractère bi 美 « beau » à dō 道 « voie ». C’est en quelque sorte la « voie des beaux » — un bishōnen 美少年 est un « beau garçon ».
Pour résumer, nanshoku évoque plutôt le plaisir, la passion, la virilité ; alors que wakashudō et ses dérivés désignent un choix philosophique et une recherche de la sagesse axée sur les jeunes garçons.
Âge du garçon
Dans le Japon pré-moderne, on considére un garçon comme disponible pour des relations pédérastiques uniquement pendant le temps où il est wakashū. Cette période commence à l’âge où la tête doit être partiellement rasée (maegami), entre cinq et dix ans : le garçon quitte alors l’enfance et peut commencer des études, un apprentissage, ou prendre un emploi hors du domicile familial. Le statut de wakashū prend fin à la cérémonie de la majorité (genpuku), qui marque la transition vers l’âge adulte : elle a lieu normalement au cours de l’adolescence.
Durant toute cette période, le wakashū arbore un style de coiffure distinctif, avec une petite partie de son crâne rasée et des cheveux au-dessus du front et sur les côtés. De plus, il porte en général un kimono avec des manches ouvertes. Après la cérémonie de la majorité, au contraire, le sommet du crâne est rasé, ce qui donne un style adulte (chonmage), et le jeune homme doit porter le kimono pour adulte avec des manches arrondies.
À l’origine le genpuku prenait place entre onze et dix-sept ans. Mais petit à petit cette limite fut repoussée entre quinze et vingt ans. Il pouvait même arriver que la cérémonie soit retardée au-delà des limites socialement acceptables, pour maintenir la possibilité d’un lien de type wakashudō, ou, dans le cas des jeunes prostitués, pour prolonger leur disponibilité. Ces excès menèrent en 1685 à l’adoption d’une loi imposant que tous les wakashū passent par cette cérémonie au plus tard à l’âge de vingt-cinq ans.
Bien que les jeunes fussent ainsi clairement répartis en trois catégories — enfant, wakashū et adulte —, les âges délimitant le passage de l’une à l’autre ont toujours été relativement flexibles, ce qui permettait de s’adapter au développement réel, tant physique que psychologique, du garçon.
Dans un traité du XVIIe siècle, Ishikawa no Soshi[2] affirme que le partenaire passif du wakashudō a généralement entre sept et vingt-cinq ans — soit un âge moyen de seize ans, qui semble avoir été le plus apprécié.
On peut penser qu’un jeune Japonais d’autrefois, en raison de ses caractéristiques ethniques et d’une nutrition moins abondante qu’aujourd’hui, gardait un aspect juvénile plus longtemps qu’un jeune Européen actuel. D’autre part, une sorte de cour platonique de plusieurs années — cinq ou six ans — était souvent recommandée avant de « consommer » l’union, pour s’assurer du bon choix du partenaire et de la solidité du lien : le petit garçon de sept ans pouvait parfois attendre jusqu’à douze ou treize ans avant de franchir ce pas décisif.
Dans Wakashū no haru (« Le printemps des garçons »), on trouve ce dicton qui restreint l’éventail désirable — mais l’âge médian reste à seize ans :
« | De onze à quatorze ans le garçon est une fleur bourgeonnante ; de quatorze à dix-huit il est une fleur florissante ; et de dix-neuf à vingt-deux il est une fleur tombante. | » |
Wakashudō japonais et pédérastie grecque
Les points communs entre le wakashudō et la pédérastie grecque sont nombreux :
- Les relations amoureuses s’inscrivent dans le cadre d’une éducation élitiste.
- Elles sont structurées selon une différence d’âge et de statut.
- L’homme seul est sexuellement actif.
- En général les rapports sexuels cessent une fois le cadet devenu adulte.
- Ces relations pédérastiques n’excluent ni les liaisons hétérosexuelles ni le mariage.
Des différences importantes existent cependant entre l’institution japonaise et son équivalent grec :
- Historiquement, le wakashudō a commencé par concerner les moines et leurs novices, avant de passer chez les samouraïs ; à l’inverse, la pédérastie grecque a été d’abord une initiation guerrière, reprise ensuite par les mythes religieux et dans les milieux philosophiques.
- L’initiative en Grèce était toujours le fait de l’adulte, au contraire des apprentis samouraïs qui se proposent à leur futur maître-amant.
- Lorsqu’il y a échange de serments, la relation wakashudō est en principe monogame, ce qui n’est pas forcément le cas en Grèce (en particulier en Crète, où un garçon était honoré d’avoir plusieurs amants).
- La relation homme-garçon au Japon est très ouvertement sexuelle, alors que les Grecs restaient souvent plus discrets, voire moins approbateurs sur ce point.
- La pénétration anale est tout à fait admise à l’égard du jeune Japonais, à la différence des Grecs qui se contentaient en général du coït intercrural.
- Enfin, dans le Japon traditionnel les concepts de pédérastie et d’homosexualité sont certes proches, mais nettement distincts ; en Grèce, au contraire, l’homosexualité entre adultes était perçue comme une variante de la pédérastie.
Littérature
- Ihara Saikaku[3] 井原 西鶴 ou Saikaku (1642 – 1693) : Nanshoku ōkagami 男色大鏡 (Le grand miroir de l’amour mâle), 1689.
Voir aussi
Bibliographie
- « Nanshoku : male-male eroticism in Japan », in Koinos Magazine, nr 40 (April 2003) and nr 41 (January 2004/).
- Pflugfelder, Gregory M. Cartographies of desire : male-male sexuality in Japanese discourse, 1600-1950. – Berkerley : University of California Press, 2000.
- [Ihara Saikaku] Saïkakou Ebara. Contes d’amour des samouraïs / trad. Ken Sato ; dessins de Patrick Raynaud. – Jacques Damase, 1981.7 histoires de samouraïs et 4 histoires d’acteurs, tirées des Histoires glorieuses de pédérastie, des Histoires de l’esprit samouraï, des Histoires des devoirs des samouraïs et des Histoires en lettres.
- Ihara Saikaku. Amours des samouraïs / trad. du japonais et présenté par Gérard Siary ; avec la collab. de Mieko Nakajima-Siary. – Arles : Philippe Picquier, 1999 (Aubenas : Impr. Lienhart). – 250 p. : ill., couv. ill. en coul. ; 21 cm. – (Le grand miroir de l’amour mâle : la coutume de l’amour garçon dans notre pays ; 1) (Le pavillon des corps curieux, ISSN 1274-9508).Trad. de la 1e partie de : Nanshoku ōkagami. – Bibliogr. p. 59-65. – ISBN 2-87730-451-5 (br.)
- Ihara Saikaku. Amours des acteurs / trad. du japonais et présenté par Gérard Siary ; avec la collab. de Mieko Nakajima-Siary. – Arles : Philippe Picquier, 2000 (Gémenos : Impr. Robert). – 217 p. : carte, couv. ill. en coul. ; 21 cm. – (Le grand miroir de l’amour mâle : la coutume de l’amour garçon dans notre pays ; 2) (Le pavillon des corps curieux, ISSN 1274-9508).Trad. de la 2e partie de : Nanshoku ōkagami. – Glossaire. – ISBN 2-87730-469-8 (br.)
- Watanabe Tsuneo, Iwata Jun’ichi. La voie des éphèbes : histoire et histoires des homosexualités au Japon. – Éd. Trismégiste, 1987. – (Sexualité orientale).ISBN 2-86509-024-8
Articles connexes
- Bishōnen
- Ihara Saikaku
- Japon
- Kūkai
- Nanshoku ōkagami (Ihara Saikaku) (Le grand miroir de l’amour mâle)
- Samouraï
- Wakashū
Liens externes
- Conférence de Manfred Lesgourgues à l’occasion de la Semaine japonaise de l’École normale supérieure, enregistrée par France-Culture le 28 avril 2011 : « Nanshoku : la pédérastie des samouraïs ».
Notes et références
- ↑ Ne pas confondre le mot wakashū 若衆 « jeune personne, garçon », en deux caractères, avec wakashū 和歌集 « recueil de poèmes japonais », qui en comporte trois : wa 和 « de style japonais » + ka 歌 « poème » + shū 集 « regroupement, recueil ». Ce terme figure dans le titre de plusieurs anthologies classiques.
- ↑ À vérifier.
- ↑ Parfois transcrit Saïkakou Ebara.