« Les passions schismatiques (citations) » : différence entre les versions
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On trouvera ci-dessous des '''[[citations dans BoyWiki|citations]]''' de [[Gabriel Matzneff]] tirées de son essai '''''[[Les passions schismatiques (Gabriel Matzneff)|Les passions schismatiques]]''''', paru en [[1977]]. | |||
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== | ==Citations== | ||
=== ''Le Christ'' === | === ''Le Christ'' === | ||
{{Extrait|Dieu est au-delà de tous les noms de Dieu, au-delà de l’idée de Dieu. Pour pressentir ce que peut être l’existence de Dieu, nous n’avons que deux voies, qui d’ailleurs se confondent : l’amour et la beauté. L’amour de la créature et la beauté du monde créé sont les vitraux à travers quoi nous recevons, en transparence, la lumière du Christ, « soleil de justice ». | {{Extrait|id=8458376|Dieu est au-delà de tous les noms de Dieu, au-delà de l’idée de Dieu. Pour pressentir ce que peut être l’existence de Dieu, nous n’avons que deux voies, qui d’ailleurs se confondent : l’amour et la beauté. L’amour de la créature et la beauté du monde créé sont les vitraux à travers quoi nous recevons, en transparence, la lumière du Christ, « soleil de justice ». | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« Le Christ »|page=26}}}} | ||
{{Extrait|id=4118386|L’important n’est pas d’être un intellectuel, mais d’être un spirituel et un sensuel. La flamme d’un cierge, la chaleur d’un corps adolescent, voilà ce qui rend la vie passionnante. Les idées, les concepts, c’est très secondaire. | |||
{{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« Le Christ »|page=39}}}} | |||
{{Extrait|L’important n’est pas d’être un intellectuel, mais d’être un spirituel et un sensuel. La flamme d’un cierge, la chaleur d’un corps adolescent, voilà ce qui rend la vie passionnante. Les idées, les concepts, c’est très secondaire. | |||
{{Réf Livre| | |||
=== ''La femme'' === | === ''La femme'' === | ||
{{Extrait|Grâce aux dieux, il n’y a pas que les femmes : il y a les petits garçons. Uniquement hétérosexuel, je me serais senti coincé par les traîtresses sirènes, entièrement à leur merci ; polysexuel, j’ai une échappatoire. Les stoïciens nomment le suicide une porte de sortie ; les jeunes garçons, eux aussi, sont une porte de sortie. Peut-être est-ce pour cela qu’à un quidam qui me disait : « Au fond, quand on vous lit, on se rend compte qu’il n’y a que deux choses qui vous captivent : le suicide et les petits garçons » (ce qui est inexact), j’ai spontanément répondu : « C’est la même chose. » Les gamins, comme la pensée du suicide, sont dans ma vie un élément d’équilibre, une soupape de sûreté. | {{Extrait|id=5435813|Grâce aux dieux, il n’y a pas que les femmes : il y a les petits garçons. Uniquement hétérosexuel, je me serais senti coincé par les traîtresses sirènes, entièrement à leur merci ; polysexuel, j’ai une échappatoire. Les stoïciens nomment le suicide une porte de sortie ; les jeunes garçons, eux aussi, sont une porte de sortie. Peut-être est-ce pour cela qu’à un quidam qui me disait : « Au fond, quand on vous lit, on se rend compte qu’il n’y a que deux choses qui vous captivent : le suicide et les petits garçons » (ce qui est inexact), j’ai spontanément répondu : « C’est la même chose. » Les gamins, comme la pensée du suicide, sont dans ma vie un élément d’équilibre, une soupape de sûreté. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« La femme »|page=47}}}} | ||
{{Extrait|La question cardinale est pour moi celle-ci : la femme et l’homme peuvent-ils avoir un langage commun ou bien, murés dans leurs différences, sont-ils condamnés à être l’un pour l’autre soit des étrangers, soit des adversaires ? Ma réponse est que la complémentarité des deux sexes est une illusion platonicienne, qui exprime (comme d’ailleurs la pédophilie, mais tout différemment) cette nostalgie paradisiaque de l’androgyne qui est un des plus anciens, et plus beaux rêves de l’humanité ; noble illusion donc, mais illusion. La femme et l’homme ne sont pas faits pour s’accorder (au {{s-|XVII|e}}, ''accordé'' signifiait « qui s’est engagé par un contrat de mariage, fiancé »), mais pour se combattre et se détruire. Entre l’homme et la femme, c’est une guerre permanente, tantôt sournoise, tantôt ouverte, mais une guerre à mort. La seule langue compréhensible par l’un et l’autre sexe est celle de l’amour fou, et l’univers de la passion le seul où ils puissent, ne serait-ce que fugitivement, se retrouver. Hors de cette commune planète – où les permis de séjour ne sont jamais donnés que pour un temps très bref –, l’homme et la femme habitent des mondes ennemis, hétérogènes. | {{Extrait|id=7949514|La question cardinale est pour moi celle-ci : la femme et l’homme peuvent-ils avoir un langage commun ou bien, murés dans leurs différences, sont-ils condamnés à être l’un pour l’autre soit des étrangers, soit des adversaires ? Ma réponse est que la complémentarité des deux sexes est une illusion platonicienne, qui exprime (comme d’ailleurs la pédophilie, mais tout différemment) cette nostalgie paradisiaque de l’androgyne qui est un des plus anciens, et plus beaux rêves de l’humanité ; noble illusion donc, mais illusion. La femme et l’homme ne sont pas faits pour s’accorder (au {{s-|XVII|e}}, ''accordé'' signifiait « qui s’est engagé par un contrat de mariage, fiancé »), mais pour se combattre et se détruire. Entre l’homme et la femme, c’est une guerre permanente, tantôt sournoise, tantôt ouverte, mais une guerre à mort. La seule langue compréhensible par l’un et l’autre sexe est celle de l’amour fou, et l’univers de la passion le seul où ils puissent, ne serait-ce que fugitivement, se retrouver. Hors de cette commune planète – où les permis de séjour ne sont jamais donnés que pour un temps très bref –, l’homme et la femme habitent des mondes ennemis, hétérogènes. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« La femme »|page=48-49}}}} | ||
{{Extrait|[...] le baume que sont pour moi mes amours avec les petits garçons, l’échappatoire de la philopédie homosexuelle. | {{Extrait|id=4643723|[...] le baume que sont pour moi mes amours avec les petits garçons, l’échappatoire de la philopédie homosexuelle. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« La femme »|page=49}}}} | ||
{{Extrait|On critique volontiers le caractère fugace des amours de l’homme avec le jeune garçon. Soit, mais l’amour hétérosexuel durable est, lui aussi, une utopie. | {{Extrait|id=5261806|On critique volontiers le caractère fugace des amours de l’homme avec le jeune garçon. Soit, mais l’amour hétérosexuel durable est, lui aussi, une utopie. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« La femme »|page=50}}}} | ||
{{Extrait|Les femmes sont ainsi faites, et nous devons soit les accepter telles qu’elles sont, soit nous résoudre à ne plus aimer que les garçons. | {{Extrait|id=6402208|Les femmes sont ainsi faites, et nous devons soit les accepter telles qu’elles sont, soit nous résoudre à ne plus aimer que les garçons. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« La femme »|page=58}}}} | ||
{{Extrait|[...] les petits garçons, toujours à s’envoler, à disparaître, présences fugitives, feux-follets avec qui il est impossible de rien fonder. | {{Extrait|id=6591141|[...] les petits garçons, toujours à s’envoler, à disparaître, présences fugitives, feux-follets avec qui il est impossible de rien fonder. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« La femme »|page=70}}}} | ||
=== ''L’écriture'' === | === ''L’écriture'' === | ||
{{Extrait|Demain, il n’y aura de vie un peu noble que souterraine. | {{Extrait|id=9321835|Demain, il n’y aura de vie un peu noble que souterraine. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’écriture »|page=107}}}} | ||
{{Extrait|Dans les époques troublées la transgression est un cordial plus revigorant que le vin d’Espagne. | {{Extrait|id=7053957|Dans les époques troublées la transgression est un cordial plus revigorant que le vin d’Espagne. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’écriture »|page=108-109}}}} | ||
{{Extrait|Ma patrie profonde est l’exil. | {{Extrait|id=5773953|Ma patrie profonde est l’exil. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’écriture »|page=109}}}} | ||
{{Extrait|[...] j’ai en moi une cohue de passions fantasques et de contradictoires obsessions. Je souffre d’une absence de structure : les règles, les normes, les devoirs ne signifient rien pour moi. Le déséquilibre est ma nature propre, et la transgression. Je suis organiquement schismatique. | {{Extrait|id=2016737|[...] j’ai en moi une cohue de passions fantasques et de contradictoires obsessions. Je souffre d’une absence de structure : les règles, les normes, les devoirs ne signifient rien pour moi. Le déséquilibre est ma nature propre, et la transgression. Je suis organiquement schismatique. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’écriture »|page=119}}}} | ||
=== ''L’enfant'' === | === ''L’enfant'' === | ||
{{Extrait|Inciter l’homme à s’abandonner à ses pulsions chaotiques est l’asservir, et non le libérer. Aussi, la libération sexuelle signifie-t-elle parfois la libération de l’esclavage du sexe. La libération n’est pas un synonyme de la licence. Dans certains cas, c’est la continence qui exprime une libération sexuelle. | {{Extrait|id=8755966|Inciter l’homme à s’abandonner à ses pulsions chaotiques est l’asservir, et non le libérer. Aussi, la libération sexuelle signifie-t-elle parfois la libération de l’esclavage du sexe. La libération n’est pas un synonyme de la licence. Dans certains cas, c’est la continence qui exprime une libération sexuelle. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’enfant »|page=123}}}} | ||
{{Extrait|Le progrès social a son importance, et c’est ainsi que les pédérastes français ont raison de réclamer une réforme du code pénal qui rendrait moins chaotique et moins dangereuse leur vie privée ; qui leur permettrait d’avoir des amours plus suivies et plus harmonieuses. Cela dit, les amoureux de l’extrême jeunesse nourrissent parfois des chimères touchant les bienfaits que leur apporterait un statut légal. Qu’il soit licite ou interdit, l’amour demeure une aventure périlleuse, le saut dans l’inconnu. Ayant une double expérience de l’amour, d’une part avec de très jeunes garçons et filles, et d’autre part avec des jeunes femmes, je puis témoigner que ce ne sont pas réglément les liaisons autorisées par la société qui sont les plus heureuses, et que c’est même souvent le contraire qui est vrai. Il est vain d’attendre son bonheur, comme une alouette toute rôtie, de l’extérieur, que cet extérieur soit l’État, ou la collectivité, ou un groupe d’amis, ou je ne sais quoi encore. Par-delà l’œuvre commune, la libération de l’individu reste une aventure personnelle, et solitaire. Mon bonheur, ce n’est que dans mon propre cœur que je puis le trouver. Tel est le sens de la belle parole du Christ : « Le royaume des cieux est en vous. » Outre cela, la transgression est pour moi une nécessité macrobiotique, et d’abord que l’État m’autoriserait à opérer mes polissonneries, celles-ci me feraient moins envie : pour celui qui pense que la vie doit être royale ou ne pas être, les fruits défendus sont à la limite les seuls qui vaillent d’être cueillis. | {{Extrait|id=6038347|Le progrès social a son importance, et c’est ainsi que les pédérastes français ont raison de réclamer une réforme du code pénal qui rendrait moins chaotique et moins dangereuse leur vie privée ; qui leur permettrait d’avoir des amours plus suivies et plus harmonieuses. Cela dit, les amoureux de l’extrême jeunesse nourrissent parfois des chimères touchant les bienfaits que leur apporterait un statut légal. Qu’il soit licite ou interdit, l’amour demeure une aventure périlleuse, le saut dans l’inconnu. Ayant une double expérience de l’amour, d’une part avec de très jeunes garçons et filles, et d’autre part avec des jeunes femmes, je puis témoigner que ce ne sont pas réglément les liaisons autorisées par la société qui sont les plus heureuses, et que c’est même souvent le contraire qui est vrai. Il est vain d’attendre son bonheur, comme une alouette toute rôtie, de l’extérieur, que cet extérieur soit l’État, ou la collectivité, ou un groupe d’amis, ou je ne sais quoi encore. Par-delà l’œuvre commune, la libération de l’individu reste une aventure personnelle, et solitaire. Mon bonheur, ce n’est que dans mon propre cœur que je puis le trouver. Tel est le sens de la belle parole du Christ : « Le royaume des cieux est en vous. » Outre cela, la transgression est pour moi une nécessité macrobiotique, et d’abord que l’État m’autoriserait à opérer mes polissonneries, celles-ci me feraient moins envie : pour celui qui pense que la vie doit être royale ou ne pas être, les fruits défendus sont à la limite les seuls qui vaillent d’être cueillis. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’enfant »|page=124-125}}}} | ||
{{Extrait|À l’encontre de ce que répètent les imbéciles, ce n’est pas la foi chrétienne qui est répressive, mais le moralisme agnostique. Une société chrétienne est une société de pécheurs, c’est-à-dire une société qui pratique le pardon. Une société athée est une société de justes, c’est-à-dire une société qui ne tolère que l’impeccabilité. Les héros du christianisme sont le larron, le publicain, la prostituée, l’enfant prodigue, et c’est à eux que dans les prières qui précèdent la communion se compare chaque chrétien orthodoxe. Les héros de l’athéisme sont des puritains haineux et glacés. | {{Extrait|id=5388707|À l’encontre de ce que répètent les imbéciles, ce n’est pas la foi chrétienne qui est répressive, mais le moralisme agnostique. Une société chrétienne est une société de pécheurs, c’est-à-dire une société qui pratique le pardon. Une société athée est une société de justes, c’est-à-dire une société qui ne tolère que l’impeccabilité. Les héros du christianisme sont le larron, le publicain, la prostituée, l’enfant prodigue, et c’est à eux que dans les prières qui précèdent la communion se compare chaque chrétien orthodoxe. Les héros de l’athéisme sont des puritains haineux et glacés. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’enfant »|page=129}}}} | ||
{{Extrait|Que les violences soient punies avec rigueur, les amoureux de l’extrême jeunesse sont les premiers à le souhaiter. Ce que nous combattons, c’est cette idée qui semble être la pierre d’angle de la présente législation, que l’éveil de l’instinct et des pratiques sexuels chez l’adolescente ou chez le jeune garçon est nécessairement nuisible et funeste à leur épanouissement. Ce n’est pas vrai. Ce qui est néfaste, c’est la continence obligatoire à l’âge de la plus grande ardeur ; ce sont les contacts sensuels mécaniques, sans tendresse, sans amour, comme ces gosses qui flirtent avec trois partenaires différents (es) au cours d’une même surprise-partie ; mais les lettres de ma maîtresse écolière publiées dans ''Les Moins de seize ans'' témoignent, me semble-t-il, qu’une relation d’amour entre un adulte et un enfant peut être pour celui-ci extrêmement féconde, et la source d’une plénitude de vie. Que l’on ait quatorze ou quarante ans, ce qui importe, c’est la qualité de la rencontre. Que l’amour soit parfois destructeur, je suis, hélas ! payé pour en être pénétré ; mais je sais aussi que l’amour est pour chacun, et singulièrement pour les plus jeunes d’entre nous, la maïeutique de l’attention à l’autre, de la générosité, du don de soi. Aimer un être, c’est l’aider à devenir celui qu’il est. Or, cette quête d’identité qui a pour but la possession et la connaissance de soi, est aussi une quête d’identité sexuelle. Une relation amoureuse, quand elle est fondée sur la confiance et la tendresse, est le grand moteur de l’éveil spirituel et physique des adolescents. Les perturbateurs des moins de seize ans ne sont pas les baisers du complice adulte ; ce sont les menaces des parents, les questions des gendarmes et l’hermine des juges. | {{Extrait|id=3542854|Que les violences soient punies avec rigueur, les amoureux de l’extrême jeunesse sont les premiers à le souhaiter. Ce que nous combattons, c’est cette idée qui semble être la pierre d’angle de la présente législation, que l’éveil de l’instinct et des pratiques sexuels chez l’adolescente ou chez le jeune garçon est nécessairement nuisible et funeste à leur épanouissement. Ce n’est pas vrai. Ce qui est néfaste, c’est la continence obligatoire à l’âge de la plus grande ardeur ; ce sont les contacts sensuels mécaniques, sans tendresse, sans amour, comme ces gosses qui flirtent avec trois partenaires différents (es) au cours d’une même surprise-partie ; mais les lettres de ma maîtresse écolière publiées dans ''Les Moins de seize ans'' témoignent, me semble-t-il, qu’une relation d’amour entre un adulte et un enfant peut être pour celui-ci extrêmement féconde, et la source d’une plénitude de vie. Que l’on ait quatorze ou quarante ans, ce qui importe, c’est la qualité de la rencontre. Que l’amour soit parfois destructeur, je suis, hélas ! payé pour en être pénétré ; mais je sais aussi que l’amour est pour chacun, et singulièrement pour les plus jeunes d’entre nous, la maïeutique de l’attention à l’autre, de la générosité, du don de soi. Aimer un être, c’est l’aider à devenir celui qu’il est. Or, cette quête d’identité qui a pour but la possession et la connaissance de soi, est aussi une quête d’identité sexuelle. Une relation amoureuse, quand elle est fondée sur la confiance et la tendresse, est le grand moteur de l’éveil spirituel et physique des adolescents. Les perturbateurs des moins de seize ans ne sont pas les baisers du complice adulte ; ce sont les menaces des parents, les questions des gendarmes et l’hermine des juges. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’enfant »|page=130-131}}}} | ||
{{Extrait|L’univers où se meuvent les enfants (je veux dire : que leur imposent les adultes) est pour l’ordinaire d’une telle bassesse, d’une telle vulgarité, d’une telle déliquescence intellectuelle et morale, que c’est faire œuvre sainte que de leur apprendre à le mépriser et de les aider à s’en échapper : auprès de moi, c’est à une autre hauteur qu’ils respirent, ce sont d’autres horizons qu’ils découvrent. Je n’ai pas de goût pour la pédagogie, mais je crois à la fonction socratique de l’adulte. | {{Extrait|id=8072423|L’univers où se meuvent les enfants (je veux dire : que leur imposent les adultes) est pour l’ordinaire d’une telle bassesse, d’une telle vulgarité, d’une telle déliquescence intellectuelle et morale, que c’est faire œuvre sainte que de leur apprendre à le mépriser et de les aider à s’en échapper : auprès de moi, c’est à une autre hauteur qu’ils respirent, ce sont d’autres horizons qu’ils découvrent. Je n’ai pas de goût pour la pédagogie, mais je crois à la fonction socratique de l’adulte. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’enfant »|page=131-132}}}} | ||
{{Extrait|Chaque adolescent a besoin de rencontrer un aîné qui soit un éducateur, un guide. Aux mères qui agitent hystériquement contre moi l’épouvantail de la police et de la prison, je rétorque toujours, sans me démonter, que pour avoir initié leur progéniture à une sphère infiniment supérieure au marécage familial, et cela dans tous les ordres, on devrait non me punir, mais me décorer. | {{Extrait|id=5477414|Chaque adolescent a besoin de rencontrer un aîné qui soit un éducateur, un guide. Aux mères qui agitent hystériquement contre moi l’épouvantail de la police et de la prison, je rétorque toujours, sans me démonter, que pour avoir initié leur progéniture à une sphère infiniment supérieure au marécage familial, et cela dans tous les ordres, on devrait non me punir, mais me décorer. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’enfant »|page=132}}}} | ||
{{Extrait|Le désir des corps n’est pas nécessairement de l’amour, et il est des occasions où le refus de l’acte sexuel est une preuve d’amour plus grande que ne le serait un baiser. Il y a érotisme là où il y a tension : l’élan créateur de l’artiste, le combat ascétique du moine, la chasteté nuptiale d’un couple ramassent plus d’énergie sexuelle positive, plus d’érotisme cosmique que l’abandon de ceux/celles qui s’envoient en l’air avec n’importe qui. Aimer un être, c’est le découvrir comme une personne, c’est-à-dire comme quelqu’un d’unique, et respecter cette unicité. L’amour est aux antipodes de l’égoïsme vampirisateur du donjuanisme (et, souvent, de la passion) ; l’amour est oblation de soi. | {{Extrait|id=7375996|Le désir des corps n’est pas nécessairement de l’amour, et il est des occasions où le refus de l’acte sexuel est une preuve d’amour plus grande que ne le serait un baiser. Il y a érotisme là où il y a tension : l’élan créateur de l’artiste, le combat ascétique du moine, la chasteté nuptiale d’un couple ramassent plus d’énergie sexuelle positive, plus d’érotisme cosmique que l’abandon de ceux/celles qui s’envoient en l’air avec n’importe qui. Aimer un être, c’est le découvrir comme une personne, c’est-à-dire comme quelqu’un d’unique, et respecter cette unicité. L’amour est aux antipodes de l’égoïsme vampirisateur du donjuanisme (et, souvent, de la passion) ; l’amour est oblation de soi. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’enfant »|page=137}}}} | ||
{{Extrait|Les raisons que les grandes personnes avancent pour interdire aux moins de seize ans d’avoir une vie amoureuse sont semblables aux preuves de l’existence de Dieu chères à la théologie scolastique : elles ne tiennent pas debout. | {{Extrait|id=3191780|Les raisons que les grandes personnes avancent pour interdire aux moins de seize ans d’avoir une vie amoureuse sont semblables aux preuves de l’existence de Dieu chères à la théologie scolastique : elles ne tiennent pas debout. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’enfant »|page=139}}}} | ||
{{Extrait|Les adolescents ont certes besoin de s’aimer entre eux, mais ils ont aussi besoin d’être aimés par d’autres adultes que papa-maman et l’oncle Anatole ; ils ont besoin de rencontrer des adultes qui soient des vivants. Des vivants, c’est-à-dire des éveilleurs. | {{Extrait|id=9475124|Les adolescents ont certes besoin de s’aimer entre eux, mais ils ont aussi besoin d’être aimés par d’autres adultes que papa-maman et l’oncle Anatole ; ils ont besoin de rencontrer des adultes qui soient des vivants. Des vivants, c’est-à-dire des éveilleurs. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’enfant »|page=140}}}} | ||
{{Extrait|''Tout le monde est pédéraste.'' | {{Extrait|id=2072578|''Tout le monde est pédéraste.'' | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’enfant »|page=144}}}} | ||
{{Extrait|Il est en vérité singulier que l’amour de la grande jeunesse, qui de toutes les inclinations du cœur humain est assurément la plus naturelle, puisse être classé aujourd’hui parmi les extravagances coupables. N’en déplaise aux psychiatres qui se penchent avec plus ou moins de bienveillance sur cette « minorité sexuelle » qu’est, paraît-il, devenue la pédophilie, ce ne sont pas ceux ou celles qui sont sensibles à la fraîcheur, à la grâce et à la vénusté des moins de seize ans qu’il convient de soigner ; c’est la société qui condamne un tel amour, et le tient pour une étrangeté, voire pour une perversion, légalement pour un crime. | {{Extrait|id=1527343|Il est en vérité singulier que l’amour de la grande jeunesse, qui de toutes les inclinations du cœur humain est assurément la plus naturelle, puisse être classé aujourd’hui parmi les extravagances coupables. N’en déplaise aux psychiatres qui se penchent avec plus ou moins de bienveillance sur cette « minorité sexuelle » qu’est, paraît-il, devenue la pédophilie, ce ne sont pas ceux ou celles qui sont sensibles à la fraîcheur, à la grâce et à la vénusté des moins de seize ans qu’il convient de soigner ; c’est la société qui condamne un tel amour, et le tient pour une étrangeté, voire pour une perversion, légalement pour un crime. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’enfant »|page=145-146}}}} | ||
{{Extrait|Certes, chaque être humain est un condamné à mort en sursis, mais l’amoureux de l’extrême jeunesse vit cette fatalité de façon plus aiguë et désespérée que quiconque. | {{Extrait|id=8034935|Certes, chaque être humain est un condamné à mort en sursis, mais l’amoureux de l’extrême jeunesse vit cette fatalité de façon plus aiguë et désespérée que quiconque. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’enfant »|page=148}}}} | ||
{{Extrait|Les adversaires de la philopédie parlent volontiers du « traumatisme » que provoque chez l’adolescent une relation sexuelle avec un adulte. À ce vilain mot de la langue médicale, je préfère celui de bouleversement. Oui, je le reconnais, découvrir les gestes de l’amour entre les bras d’un(e) aîné(e) peut être, lorsqu’on a douze ou quatorze ans, un bouleversement. Mais pourquoi donner à ce mot magnifique un sens péjoratif, négatif ? Tout événement majeur de la vie d’un être est un bouleversement. | {{Extrait|id=4865467|Les adversaires de la philopédie parlent volontiers du « traumatisme » que provoque chez l’adolescent une relation sexuelle avec un adulte. À ce vilain mot de la langue médicale, je préfère celui de bouleversement. Oui, je le reconnais, découvrir les gestes de l’amour entre les bras d’un(e) aîné(e) peut être, lorsqu’on a douze ou quatorze ans, un bouleversement. Mais pourquoi donner à ce mot magnifique un sens péjoratif, négatif ? Tout événement majeur de la vie d’un être est un bouleversement. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’enfant »|page=149}}}} | ||
{{Extrait|Pédagogues froids, mères possessives, je connais les malsaines raisons de votre jalousie et je hais vos nobles prétextes pour enfermer les enfants qui subissent votre loi derrière les barreaux d’une prison dont vous seriez les seuls à posséder la clé : ce sont eux, et non mon désir, qui figurent l’enfer. | {{Extrait|id=4852366|Pédagogues froids, mères possessives, je connais les malsaines raisons de votre jalousie et je hais vos nobles prétextes pour enfermer les enfants qui subissent votre loi derrière les barreaux d’une prison dont vous seriez les seuls à posséder la clé : ce sont eux, et non mon désir, qui figurent l’enfer. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« L’enfant »|page=150}}}} | ||
=== ''Conclusion'' === | === ''Conclusion'' === | ||
{{Extrait|Ceux qui vivent différemment, l’hérétique, le bohémien, l’artiste, ont de tous temps été mal acceptés par la masse : cela n’est pas nouveau. Mais aujourd’hui, où la planète se rétrécit, et s’uniformise, la singularité est devenue un crime, et un exploit. | {{Extrait|id=9600479|Ceux qui vivent différemment, l’hérétique, le bohémien, l’artiste, ont de tous temps été mal acceptés par la masse : cela n’est pas nouveau. Mais aujourd’hui, où la planète se rétrécit, et s’uniformise, la singularité est devenue un crime, et un exploit. | ||
{{Réf Livre| | {{Réf Livre|référence=Les passions schismatiques/Stock, 1977|section=« Conclusion »|page=156}}}} | ||
{{Extrait|Être rebelle à seize ans, c’est la banalité : chaque adolescent(e) un peu sensible l’est. Ce qui en revanche est difficile, et rare, c’est de l’être encore dans l’âge adulte. La société n’a pas besoin d’originaux, elle a besoin de citoyens dociles, et son filet est si sûrement lancé que rarissimes sont ceux/celles qui passent au travers des mailles. | {{Extrait|id=7857273|Être rebelle à seize ans, c’est la banalité : chaque adolescent(e) un peu sensible l’est. Ce qui en revanche est difficile, et rare, c’est de l’être encore dans l’âge adulte. La société n’a pas besoin d’originaux, elle a besoin de citoyens dociles, et son filet est si sûrement lancé que rarissimes sont ceux/celles qui passent au travers des mailles. | ||
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{{Extrait|Les hommes ordinaires s’outrecuident, lorsqu’ils prétendent à un style de vie d’hommes supérieurs. La marginalité ne peut être le lot que d’une poignée d’élus. Des élus qui sont également des damnés. | {{Extrait|id=2896963|Les hommes ordinaires s’outrecuident, lorsqu’ils prétendent à un style de vie d’hommes supérieurs. La marginalité ne peut être le lot que d’une poignée d’élus. Des élus qui sont également des damnés. | ||
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{{Extrait|La différence et la supériorité conjuguées se payent cher, très cher, et il serait léger de le nier. Il en a toujours été ainsi, Tacite le notait déjà dans sa ''Vie d’Agricola'', et il est chimérique de se figurer que, par un décret spécial de la providence, demain sera autre qu’hier sur ce point. | {{Extrait|id=4711450|La différence et la supériorité conjuguées se payent cher, très cher, et il serait léger de le nier. Il en a toujours été ainsi, Tacite le notait déjà dans sa ''Vie d’Agricola'', et il est chimérique de se figurer que, par un décret spécial de la providence, demain sera autre qu’hier sur ce point. | ||
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On trouvera ci-dessous des citations de Gabriel Matzneff tirées de son essai Les passions schismatiques, paru en 1977.
Cet ouvrage se compose de sept parties :
- Préface
- 1. Le Christ
- 2. La femme
- 3. La Russie
- 4. L’écriture
- 5. L’enfant
- Conclusion
Citations
Le Christ
Dieu est au-delà de tous les noms de Dieu, au-delà de l’idée de Dieu. Pour pressentir ce que peut être l’existence de Dieu, nous n’avons que deux voies, qui d’ailleurs se confondent : l’amour et la beauté. L’amour de la créature et la beauté du monde créé sont les vitraux à travers quoi nous recevons, en transparence, la lumière du Christ, « soleil de justice ».
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « Le Christ », p. 26 (voir la fiche de référence)
L’important n’est pas d’être un intellectuel, mais d’être un spirituel et un sensuel. La flamme d’un cierge, la chaleur d’un corps adolescent, voilà ce qui rend la vie passionnante. Les idées, les concepts, c’est très secondaire.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « Le Christ », p. 39 (voir la fiche de référence)
La femme
Grâce aux dieux, il n’y a pas que les femmes : il y a les petits garçons. Uniquement hétérosexuel, je me serais senti coincé par les traîtresses sirènes, entièrement à leur merci ; polysexuel, j’ai une échappatoire. Les stoïciens nomment le suicide une porte de sortie ; les jeunes garçons, eux aussi, sont une porte de sortie. Peut-être est-ce pour cela qu’à un quidam qui me disait : « Au fond, quand on vous lit, on se rend compte qu’il n’y a que deux choses qui vous captivent : le suicide et les petits garçons » (ce qui est inexact), j’ai spontanément répondu : « C’est la même chose. » Les gamins, comme la pensée du suicide, sont dans ma vie un élément d’équilibre, une soupape de sûreté.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « La femme », p. 47 (voir la fiche de référence)
La question cardinale est pour moi celle-ci : la femme et l’homme peuvent-ils avoir un langage commun ou bien, murés dans leurs différences, sont-ils condamnés à être l’un pour l’autre soit des étrangers, soit des adversaires ? Ma réponse est que la complémentarité des deux sexes est une illusion platonicienne, qui exprime (comme d’ailleurs la pédophilie, mais tout différemment) cette nostalgie paradisiaque de l’androgyne qui est un des plus anciens, et plus beaux rêves de l’humanité ; noble illusion donc, mais illusion. La femme et l’homme ne sont pas faits pour s’accorder (au XVIIe siècle, accordé signifiait « qui s’est engagé par un contrat de mariage, fiancé »), mais pour se combattre et se détruire. Entre l’homme et la femme, c’est une guerre permanente, tantôt sournoise, tantôt ouverte, mais une guerre à mort. La seule langue compréhensible par l’un et l’autre sexe est celle de l’amour fou, et l’univers de la passion le seul où ils puissent, ne serait-ce que fugitivement, se retrouver. Hors de cette commune planète – où les permis de séjour ne sont jamais donnés que pour un temps très bref –, l’homme et la femme habitent des mondes ennemis, hétérogènes.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « La femme », p. 48-49 (voir la fiche de référence)
[...] le baume que sont pour moi mes amours avec les petits garçons, l’échappatoire de la philopédie homosexuelle.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « La femme », p. 49 (voir la fiche de référence)
On critique volontiers le caractère fugace des amours de l’homme avec le jeune garçon. Soit, mais l’amour hétérosexuel durable est, lui aussi, une utopie.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « La femme », p. 50 (voir la fiche de référence)
Les femmes sont ainsi faites, et nous devons soit les accepter telles qu’elles sont, soit nous résoudre à ne plus aimer que les garçons.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « La femme », p. 58 (voir la fiche de référence)
[...] les petits garçons, toujours à s’envoler, à disparaître, présences fugitives, feux-follets avec qui il est impossible de rien fonder.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « La femme », p. 70 (voir la fiche de référence)
L’écriture
Demain, il n’y aura de vie un peu noble que souterraine.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’écriture », p. 107 (voir la fiche de référence)
Dans les époques troublées la transgression est un cordial plus revigorant que le vin d’Espagne.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’écriture », p. 108-109 (voir la fiche de référence)
Ma patrie profonde est l’exil.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’écriture », p. 109 (voir la fiche de référence)
[...] j’ai en moi une cohue de passions fantasques et de contradictoires obsessions. Je souffre d’une absence de structure : les règles, les normes, les devoirs ne signifient rien pour moi. Le déséquilibre est ma nature propre, et la transgression. Je suis organiquement schismatique.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’écriture », p. 119 (voir la fiche de référence)
L’enfant
Inciter l’homme à s’abandonner à ses pulsions chaotiques est l’asservir, et non le libérer. Aussi, la libération sexuelle signifie-t-elle parfois la libération de l’esclavage du sexe. La libération n’est pas un synonyme de la licence. Dans certains cas, c’est la continence qui exprime une libération sexuelle.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’enfant », p. 123 (voir la fiche de référence)
Le progrès social a son importance, et c’est ainsi que les pédérastes français ont raison de réclamer une réforme du code pénal qui rendrait moins chaotique et moins dangereuse leur vie privée ; qui leur permettrait d’avoir des amours plus suivies et plus harmonieuses. Cela dit, les amoureux de l’extrême jeunesse nourrissent parfois des chimères touchant les bienfaits que leur apporterait un statut légal. Qu’il soit licite ou interdit, l’amour demeure une aventure périlleuse, le saut dans l’inconnu. Ayant une double expérience de l’amour, d’une part avec de très jeunes garçons et filles, et d’autre part avec des jeunes femmes, je puis témoigner que ce ne sont pas réglément les liaisons autorisées par la société qui sont les plus heureuses, et que c’est même souvent le contraire qui est vrai. Il est vain d’attendre son bonheur, comme une alouette toute rôtie, de l’extérieur, que cet extérieur soit l’État, ou la collectivité, ou un groupe d’amis, ou je ne sais quoi encore. Par-delà l’œuvre commune, la libération de l’individu reste une aventure personnelle, et solitaire. Mon bonheur, ce n’est que dans mon propre cœur que je puis le trouver. Tel est le sens de la belle parole du Christ : « Le royaume des cieux est en vous. » Outre cela, la transgression est pour moi une nécessité macrobiotique, et d’abord que l’État m’autoriserait à opérer mes polissonneries, celles-ci me feraient moins envie : pour celui qui pense que la vie doit être royale ou ne pas être, les fruits défendus sont à la limite les seuls qui vaillent d’être cueillis.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’enfant », p. 124-125 (voir la fiche de référence)
À l’encontre de ce que répètent les imbéciles, ce n’est pas la foi chrétienne qui est répressive, mais le moralisme agnostique. Une société chrétienne est une société de pécheurs, c’est-à-dire une société qui pratique le pardon. Une société athée est une société de justes, c’est-à-dire une société qui ne tolère que l’impeccabilité. Les héros du christianisme sont le larron, le publicain, la prostituée, l’enfant prodigue, et c’est à eux que dans les prières qui précèdent la communion se compare chaque chrétien orthodoxe. Les héros de l’athéisme sont des puritains haineux et glacés.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’enfant », p. 129 (voir la fiche de référence)
Que les violences soient punies avec rigueur, les amoureux de l’extrême jeunesse sont les premiers à le souhaiter. Ce que nous combattons, c’est cette idée qui semble être la pierre d’angle de la présente législation, que l’éveil de l’instinct et des pratiques sexuels chez l’adolescente ou chez le jeune garçon est nécessairement nuisible et funeste à leur épanouissement. Ce n’est pas vrai. Ce qui est néfaste, c’est la continence obligatoire à l’âge de la plus grande ardeur ; ce sont les contacts sensuels mécaniques, sans tendresse, sans amour, comme ces gosses qui flirtent avec trois partenaires différents (es) au cours d’une même surprise-partie ; mais les lettres de ma maîtresse écolière publiées dans Les Moins de seize ans témoignent, me semble-t-il, qu’une relation d’amour entre un adulte et un enfant peut être pour celui-ci extrêmement féconde, et la source d’une plénitude de vie. Que l’on ait quatorze ou quarante ans, ce qui importe, c’est la qualité de la rencontre. Que l’amour soit parfois destructeur, je suis, hélas ! payé pour en être pénétré ; mais je sais aussi que l’amour est pour chacun, et singulièrement pour les plus jeunes d’entre nous, la maïeutique de l’attention à l’autre, de la générosité, du don de soi. Aimer un être, c’est l’aider à devenir celui qu’il est. Or, cette quête d’identité qui a pour but la possession et la connaissance de soi, est aussi une quête d’identité sexuelle. Une relation amoureuse, quand elle est fondée sur la confiance et la tendresse, est le grand moteur de l’éveil spirituel et physique des adolescents. Les perturbateurs des moins de seize ans ne sont pas les baisers du complice adulte ; ce sont les menaces des parents, les questions des gendarmes et l’hermine des juges.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’enfant », p. 130-131 (voir la fiche de référence)
L’univers où se meuvent les enfants (je veux dire : que leur imposent les adultes) est pour l’ordinaire d’une telle bassesse, d’une telle vulgarité, d’une telle déliquescence intellectuelle et morale, que c’est faire œuvre sainte que de leur apprendre à le mépriser et de les aider à s’en échapper : auprès de moi, c’est à une autre hauteur qu’ils respirent, ce sont d’autres horizons qu’ils découvrent. Je n’ai pas de goût pour la pédagogie, mais je crois à la fonction socratique de l’adulte.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’enfant », p. 131-132 (voir la fiche de référence)
Chaque adolescent a besoin de rencontrer un aîné qui soit un éducateur, un guide. Aux mères qui agitent hystériquement contre moi l’épouvantail de la police et de la prison, je rétorque toujours, sans me démonter, que pour avoir initié leur progéniture à une sphère infiniment supérieure au marécage familial, et cela dans tous les ordres, on devrait non me punir, mais me décorer.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’enfant », p. 132 (voir la fiche de référence)
Le désir des corps n’est pas nécessairement de l’amour, et il est des occasions où le refus de l’acte sexuel est une preuve d’amour plus grande que ne le serait un baiser. Il y a érotisme là où il y a tension : l’élan créateur de l’artiste, le combat ascétique du moine, la chasteté nuptiale d’un couple ramassent plus d’énergie sexuelle positive, plus d’érotisme cosmique que l’abandon de ceux/celles qui s’envoient en l’air avec n’importe qui. Aimer un être, c’est le découvrir comme une personne, c’est-à-dire comme quelqu’un d’unique, et respecter cette unicité. L’amour est aux antipodes de l’égoïsme vampirisateur du donjuanisme (et, souvent, de la passion) ; l’amour est oblation de soi.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’enfant », p. 137 (voir la fiche de référence)
Les raisons que les grandes personnes avancent pour interdire aux moins de seize ans d’avoir une vie amoureuse sont semblables aux preuves de l’existence de Dieu chères à la théologie scolastique : elles ne tiennent pas debout.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’enfant », p. 139 (voir la fiche de référence)
Les adolescents ont certes besoin de s’aimer entre eux, mais ils ont aussi besoin d’être aimés par d’autres adultes que papa-maman et l’oncle Anatole ; ils ont besoin de rencontrer des adultes qui soient des vivants. Des vivants, c’est-à-dire des éveilleurs.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’enfant », p. 140 (voir la fiche de référence)
Tout le monde est pédéraste.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’enfant », p. 144 (voir la fiche de référence)
Il est en vérité singulier que l’amour de la grande jeunesse, qui de toutes les inclinations du cœur humain est assurément la plus naturelle, puisse être classé aujourd’hui parmi les extravagances coupables. N’en déplaise aux psychiatres qui se penchent avec plus ou moins de bienveillance sur cette « minorité sexuelle » qu’est, paraît-il, devenue la pédophilie, ce ne sont pas ceux ou celles qui sont sensibles à la fraîcheur, à la grâce et à la vénusté des moins de seize ans qu’il convient de soigner ; c’est la société qui condamne un tel amour, et le tient pour une étrangeté, voire pour une perversion, légalement pour un crime.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’enfant », p. 145-146 (voir la fiche de référence)
Certes, chaque être humain est un condamné à mort en sursis, mais l’amoureux de l’extrême jeunesse vit cette fatalité de façon plus aiguë et désespérée que quiconque.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’enfant », p. 148 (voir la fiche de référence)
Les adversaires de la philopédie parlent volontiers du « traumatisme » que provoque chez l’adolescent une relation sexuelle avec un adulte. À ce vilain mot de la langue médicale, je préfère celui de bouleversement. Oui, je le reconnais, découvrir les gestes de l’amour entre les bras d’un(e) aîné(e) peut être, lorsqu’on a douze ou quatorze ans, un bouleversement. Mais pourquoi donner à ce mot magnifique un sens péjoratif, négatif ? Tout événement majeur de la vie d’un être est un bouleversement.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’enfant », p. 149 (voir la fiche de référence)
Pédagogues froids, mères possessives, je connais les malsaines raisons de votre jalousie et je hais vos nobles prétextes pour enfermer les enfants qui subissent votre loi derrière les barreaux d’une prison dont vous seriez les seuls à posséder la clé : ce sont eux, et non mon désir, qui figurent l’enfer.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « L’enfant », p. 150 (voir la fiche de référence)
Conclusion
Ceux qui vivent différemment, l’hérétique, le bohémien, l’artiste, ont de tous temps été mal acceptés par la masse : cela n’est pas nouveau. Mais aujourd’hui, où la planète se rétrécit, et s’uniformise, la singularité est devenue un crime, et un exploit.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « Conclusion », p. 156 (voir la fiche de référence)
Être rebelle à seize ans, c’est la banalité : chaque adolescent(e) un peu sensible l’est. Ce qui en revanche est difficile, et rare, c’est de l’être encore dans l’âge adulte. La société n’a pas besoin d’originaux, elle a besoin de citoyens dociles, et son filet est si sûrement lancé que rarissimes sont ceux/celles qui passent au travers des mailles.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « Conclusion », p. 156-157 (voir la fiche de référence)
Les hommes ordinaires s’outrecuident, lorsqu’ils prétendent à un style de vie d’hommes supérieurs. La marginalité ne peut être le lot que d’une poignée d’élus. Des élus qui sont également des damnés.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « Conclusion », p. 157-158 (voir la fiche de référence)
La différence et la supériorité conjuguées se payent cher, très cher, et il serait léger de le nier. Il en a toujours été ainsi, Tacite le notait déjà dans sa Vie d’Agricola, et il est chimérique de se figurer que, par un décret spécial de la providence, demain sera autre qu’hier sur ce point.
- Gabriel Matzneff, Les passions schismatiques, Paris, Éd. Stock (Le monde ouvert), 1977, « Conclusion », p. 158 (voir la fiche de référence)
Voir aussi
Bibliographie
Édition utilisée
- Les passions schismatiques / Gabriel Matzneff. – Paris : Éd. Stock, 1977 (Évreux : Impr. Hérissey, 22 septembre 1977). – 168 p. ; 20 × 12 cm. – (Le monde ouvert). (fr)ISBN 2-234-00771-2 (broché)