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Cet ouvrage se compose de sept parties :
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Les passions schismatiques

On trouvera ci-dessous des citations de Gabriel Matzneff tirées de son essai Les passions schismatiques, paru en 1977.

Cet ouvrage se compose de sept parties :

Préface
1. Le Christ
2. La femme
3. La Russie
4. L’écriture
5. L’enfant
Conclusion

Citations

Le Christ

Dieu est au-delà de tous les noms de Dieu, au-delà de l’idée de Dieu. Pour pressentir ce que peut être l’existence de Dieu, nous n’avons que deux voies, qui d’ailleurs se confondent : l’amour et la beauté. L’amour de la créature et la beauté du monde créé sont les vitraux à travers quoi nous recevons, en transparence, la lumière du Christ, « soleil de justice ».

L’important n’est pas d’être un intellectuel, mais d’être un spirituel et un sensuel. La flamme d’un cierge, la chaleur d’un corps adolescent, voilà ce qui rend la vie passionnante. Les idées, les concepts, c’est très secondaire.

La femme

Grâce aux dieux, il n’y a pas que les femmes : il y a les petits garçons. Uniquement hétérosexuel, je me serais senti coincé par les traîtresses sirènes, entièrement à leur merci ; polysexuel, j’ai une échappatoire. Les stoïciens nomment le suicide une porte de sortie ; les jeunes garçons, eux aussi, sont une porte de sortie. Peut-être est-ce pour cela qu’à un quidam qui me disait : « Au fond, quand on vous lit, on se rend compte qu’il n’y a que deux choses qui vous captivent : le suicide et les petits garçons » (ce qui est inexact), j’ai spontanément répondu : « C’est la même chose. » Les gamins, comme la pensée du suicide, sont dans ma vie un élément d’équilibre, une soupape de sûreté.

La question cardinale est pour moi celle-ci : la femme et l’homme peuvent-ils avoir un langage commun ou bien, murés dans leurs différences, sont-ils condamnés à être l’un pour l’autre soit des étrangers, soit des adversaires ? Ma réponse est que la complémentarité des deux sexes est une illusion platonicienne, qui exprime (comme d’ailleurs la pédophilie, mais tout différemment) cette nostalgie paradisiaque de l’androgyne qui est un des plus anciens, et plus beaux rêves de l’humanité ; noble illusion donc, mais illusion. La femme et l’homme ne sont pas faits pour s’accorder (au XVIIe siècle, accordé signifiait « qui s’est engagé par un contrat de mariage, fiancé »), mais pour se combattre et se détruire. Entre l’homme et la femme, c’est une guerre permanente, tantôt sournoise, tantôt ouverte, mais une guerre à mort. La seule langue compréhensible par l’un et l’autre sexe est celle de l’amour fou, et l’univers de la passion le seul où ils puissent, ne serait-ce que fugitivement, se retrouver. Hors de cette commune planète – où les permis de séjour ne sont jamais donnés que pour un temps très bref –, l’homme et la femme habitent des mondes ennemis, hétérogènes.

[...] le baume que sont pour moi mes amours avec les petits garçons, l’échappatoire de la philopédie homosexuelle.

On critique volontiers le caractère fugace des amours de l’homme avec le jeune garçon. Soit, mais l’amour hétérosexuel durable est, lui aussi, une utopie.

Les femmes sont ainsi faites, et nous devons soit les accepter telles qu’elles sont, soit nous résoudre à ne plus aimer que les garçons.

[...] les petits garçons, toujours à s’envoler, à disparaître, présences fugitives, feux-follets avec qui il est impossible de rien fonder.

L’écriture

Demain, il n’y aura de vie un peu noble que souterraine.

Dans les époques troublées la transgression est un cordial plus revigorant que le vin d’Espagne.

Ma patrie profonde est l’exil.

[...] j’ai en moi une cohue de passions fantasques et de contradictoires obsessions. Je souffre d’une absence de structure : les règles, les normes, les devoirs ne signifient rien pour moi. Le déséquilibre est ma nature propre, et la transgression. Je suis organiquement schismatique.

L’enfant

Inciter l’homme à s’abandonner à ses pulsions chaotiques est l’asservir, et non le libérer. Aussi, la libération sexuelle signifie-t-elle parfois la libération de l’esclavage du sexe. La libération n’est pas un synonyme de la licence. Dans certains cas, c’est la continence qui exprime une libération sexuelle.

Le progrès social a son importance, et c’est ainsi que les pédérastes français ont raison de réclamer une réforme du code pénal qui rendrait moins chaotique et moins dangereuse leur vie privée ; qui leur permettrait d’avoir des amours plus suivies et plus harmonieuses. Cela dit, les amoureux de l’extrême jeunesse nourrissent parfois des chimères touchant les bienfaits que leur apporterait un statut légal. Qu’il soit licite ou interdit, l’amour demeure une aventure périlleuse, le saut dans l’inconnu. Ayant une double expérience de l’amour, d’une part avec de très jeunes garçons et filles, et d’autre part avec des jeunes femmes, je puis témoigner que ce ne sont pas réglément les liaisons autorisées par la société qui sont les plus heureuses, et que c’est même souvent le contraire qui est vrai. Il est vain d’attendre son bonheur, comme une alouette toute rôtie, de l’extérieur, que cet extérieur soit l’État, ou la collectivité, ou un groupe d’amis, ou je ne sais quoi encore. Par-delà l’œuvre commune, la libération de l’individu reste une aventure personnelle, et solitaire. Mon bonheur, ce n’est que dans mon propre cœur que je puis le trouver. Tel est le sens de la belle parole du Christ : « Le royaume des cieux est en vous. » Outre cela, la transgression est pour moi une nécessité macrobiotique, et d’abord que l’État m’autoriserait à opérer mes polissonneries, celles-ci me feraient moins envie : pour celui qui pense que la vie doit être royale ou ne pas être, les fruits défendus sont à la limite les seuls qui vaillent d’être cueillis.

À l’encontre de ce que répètent les imbéciles, ce n’est pas la foi chrétienne qui est répressive, mais le moralisme agnostique. Une société chrétienne est une société de pécheurs, c’est-à-dire une société qui pratique le pardon. Une société athée est une société de justes, c’est-à-dire une société qui ne tolère que l’impeccabilité. Les héros du christianisme sont le larron, le publicain, la prostituée, l’enfant prodigue, et c’est à eux que dans les prières qui précèdent la communion se compare chaque chrétien orthodoxe. Les héros de l’athéisme sont des puritains haineux et glacés.

Que les violences soient punies avec rigueur, les amoureux de l’extrême jeunesse sont les premiers à le souhaiter. Ce que nous combattons, c’est cette idée qui semble être la pierre d’angle de la présente législation, que l’éveil de l’instinct et des pratiques sexuels chez l’adolescente ou chez le jeune garçon est nécessairement nuisible et funeste à leur épanouissement. Ce n’est pas vrai. Ce qui est néfaste, c’est la continence obligatoire à l’âge de la plus grande ardeur ; ce sont les contacts sensuels mécaniques, sans tendresse, sans amour, comme ces gosses qui flirtent avec trois partenaires différents (es) au cours d’une même surprise-partie ; mais les lettres de ma maîtresse écolière publiées dans Les Moins de seize ans témoignent, me semble-t-il, qu’une relation d’amour entre un adulte et un enfant peut être pour celui-ci extrêmement féconde, et la source d’une plénitude de vie. Que l’on ait quatorze ou quarante ans, ce qui importe, c’est la qualité de la rencontre. Que l’amour soit parfois destructeur, je suis, hélas ! payé pour en être pénétré ; mais je sais aussi que l’amour est pour chacun, et singulièrement pour les plus jeunes d’entre nous, la maïeutique de l’attention à l’autre, de la générosité, du don de soi. Aimer un être, c’est l’aider à devenir celui qu’il est. Or, cette quête d’identité qui a pour but la possession et la connaissance de soi, est aussi une quête d’identité sexuelle. Une relation amoureuse, quand elle est fondée sur la confiance et la tendresse, est le grand moteur de l’éveil spirituel et physique des adolescents. Les perturbateurs des moins de seize ans ne sont pas les baisers du complice adulte ; ce sont les menaces des parents, les questions des gendarmes et l’hermine des juges.

L’univers où se meuvent les enfants (je veux dire : que leur imposent les adultes) est pour l’ordinaire d’une telle bassesse, d’une telle vulgarité, d’une telle déliquescence intellectuelle et morale, que c’est faire œuvre sainte que de leur apprendre à le mépriser et de les aider à s’en échapper : auprès de moi, c’est à une autre hauteur qu’ils respirent, ce sont d’autres horizons qu’ils découvrent. Je n’ai pas de goût pour la pédagogie, mais je crois à la fonction socratique de l’adulte.

Chaque adolescent a besoin de rencontrer un aîné qui soit un éducateur, un guide. Aux mères qui agitent hystériquement contre moi l’épouvantail de la police et de la prison, je rétorque toujours, sans me démonter, que pour avoir initié leur progéniture à une sphère infiniment supérieure au marécage familial, et cela dans tous les ordres, on devrait non me punir, mais me décorer.

Le désir des corps n’est pas nécessairement de l’amour, et il est des occasions où le refus de l’acte sexuel est une preuve d’amour plus grande que ne le serait un baiser. Il y a érotisme là où il y a tension : l’élan créateur de l’artiste, le combat ascétique du moine, la chasteté nuptiale d’un couple ramassent plus d’énergie sexuelle positive, plus d’érotisme cosmique que l’abandon de ceux/celles qui s’envoient en l’air avec n’importe qui. Aimer un être, c’est le découvrir comme une personne, c’est-à-dire comme quelqu’un d’unique, et respecter cette unicité. L’amour est aux antipodes de l’égoïsme vampirisateur du donjuanisme (et, souvent, de la passion) ; l’amour est oblation de soi.

Les raisons que les grandes personnes avancent pour interdire aux moins de seize ans d’avoir une vie amoureuse sont semblables aux preuves de l’existence de Dieu chères à la théologie scolastique : elles ne tiennent pas debout.

Les adolescents ont certes besoin de s’aimer entre eux, mais ils ont aussi besoin d’être aimés par d’autres adultes que papa-maman et l’oncle Anatole ; ils ont besoin de rencontrer des adultes qui soient des vivants. Des vivants, c’est-à-dire des éveilleurs.

Tout le monde est pédéraste.

Il est en vérité singulier que l’amour de la grande jeunesse, qui de toutes les inclinations du cœur humain est assurément la plus naturelle, puisse être classé aujourd’hui parmi les extravagances coupables. N’en déplaise aux psychiatres qui se penchent avec plus ou moins de bienveillance sur cette « minorité sexuelle » qu’est, paraît-il, devenue la pédophilie, ce ne sont pas ceux ou celles qui sont sensibles à la fraîcheur, à la grâce et à la vénusté des moins de seize ans qu’il convient de soigner ; c’est la société qui condamne un tel amour, et le tient pour une étrangeté, voire pour une perversion, légalement pour un crime.

Certes, chaque être humain est un condamné à mort en sursis, mais l’amoureux de l’extrême jeunesse vit cette fatalité de façon plus aiguë et désespérée que quiconque.

Les adversaires de la philopédie parlent volontiers du « traumatisme » que provoque chez l’adolescent une relation sexuelle avec un adulte. À ce vilain mot de la langue médicale, je préfère celui de bouleversement. Oui, je le reconnais, découvrir les gestes de l’amour entre les bras d’un(e) aîné(e) peut être, lorsqu’on a douze ou quatorze ans, un bouleversement. Mais pourquoi donner à ce mot magnifique un sens péjoratif, négatif ? Tout événement majeur de la vie d’un être est un bouleversement.

Pédagogues froids, mères possessives, je connais les malsaines raisons de votre jalousie et je hais vos nobles prétextes pour enfermer les enfants qui subissent votre loi derrière les barreaux d’une prison dont vous seriez les seuls à posséder la clé : ce sont eux, et non mon désir, qui figurent l’enfer.

Conclusion

Ceux qui vivent différemment, l’hérétique, le bohémien, l’artiste, ont de tous temps été mal acceptés par la masse : cela n’est pas nouveau. Mais aujourd’hui, où la planète se rétrécit, et s’uniformise, la singularité est devenue un crime, et un exploit.

Être rebelle à seize ans, c’est la banalité : chaque adolescent(e) un peu sensible l’est. Ce qui en revanche est difficile, et rare, c’est de l’être encore dans l’âge adulte. La société n’a pas besoin d’originaux, elle a besoin de citoyens dociles, et son filet est si sûrement lancé que rarissimes sont ceux/celles qui passent au travers des mailles.

Les hommes ordinaires s’outrecuident, lorsqu’ils prétendent à un style de vie d’hommes supérieurs. La marginalité ne peut être le lot que d’une poignée d’élus. Des élus qui sont également des damnés.

La différence et la supériorité conjuguées se payent cher, très cher, et il serait léger de le nier. Il en a toujours été ainsi, Tacite le notait déjà dans sa Vie d’Agricola, et il est chimérique de se figurer que, par un décret spécial de la providence, demain sera autre qu’hier sur ce point.

Voir aussi

Bibliographie

Édition utilisée

Articles connexes