« L’Élu – Chapitre I » : différence entre les versions

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Parmi tant d’autres, il aimait se rappeler la puérile effronterie de ce gamin très joli, impudique jusqu’à la candeur, et surpris qu’un étranger n’usât pas des grâces vigoureuses dont il offrait naïvement l’exquise floraison avec le don de tout lui-même…<br>
Parmi tant d’autres, il aimait se rappeler la puérile effronterie de ce gamin très joli, impudique jusqu’à la candeur, et surpris qu’un étranger n’usât pas des grâces vigoureuses dont il offrait naïvement l’exquise floraison avec le don de tout lui-même…<br>
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Dernière version du 13 août 2011 à 16:20

Ce texte historique est protégé contre les modifications.



ACHILLE ESSEBAC


L’Élu




L’homme appelle vices les plaisirs qui lui échappent, et vertus les infirmités qui lui arrivent.
Alphonse Karr






Au Poète
Laurent TAILHADE
ce petit livre
En témoignage de mon affectueuse admiration
et de mon respect.
A. E.






Le Souvenir s’éveille et reprend, aujourd’hui,
En sourdine, les vieux, les adorables thèmes…



Et c’est, dans ce petit livre où veulent encore, entre des larmes, sourire des choses d’Italie, le seul souvenir, en effet, qui s’éveille.

L’Aube est captieuse où, tôt, se lève le vol léger des ailes puériles d’Éros. L’enfant se meut en les splendeurs éblouissantes du jour et, devant que Midi rayonne sur son front adolescent, il se meurt en un hâtif crépuscule, sous le soleil immarcescible où splendit l’Amour étrange qui fut aux rives Ioniennes…

Rien autre. Rien.

Divine la beauté d’être jeune.

Charmante la gloire d’être aimé.

Sereine, aussitôt, la douleur de n’être plus.

Rien autre. Rien, dans la plainte monotone des mots…

A. E.


Chapitre I


Rome !…

Pierre regarda un instant, de sa fenêtre, la via Gambero et le Corso, plus loin. Puis il descendit. La tiédeur ambrée du jour le surprit après la demi-teinte froide qui l’avait enveloppé dans la pénombre blanche et glacée de l’escalier de marbre. Il longea, deux minutes, la via Gambero, rejoignit la via dei Condotti, hésita entre le Corso et la place d’Espagne… Mais dans cet avril lumineux de Rome, le clair amphithéâtre de la Trinità de’ Monti apparu devant lui, rose et ocre dans l’azur appâli du ciel, l’attira.

Des gamins passaient, descendant au Corso. Tous étaient jolis par l’étendue veloutée de leurs yeux et la matité brune de leur teint avivé sur l’incarnat de la bouche rieuse. Pierre aimait à les considérer. Et comme il s’attardait plus que de raison à fixer sur les petits Italiens ses regards charmés, quelques-uns lui sourirent, sans effronterie aucune, simplement, insouciants de la beauté que ces regards attentifs et quelque peu indiscrets saluaient en leurs frimousses éveillées.

La place d’Espagne !

À droite, se raccordant avec elle, la place Mignanelli et la colonne de l’Immaculée Conception devant la façade austère du collège de la Propagande qui ferme la perspective de ce côté. À gauche, la via del Babuino conduit vers la place du Peuple le pittoresque arrangement de ses boutiques d’antiquaires aux seuils cloisonnés de mosaïques, caparaçonnés de bas-reliefs, enluminés de fresques aux belles nuances de tapisseries parmi les joailleries des bijoux anciens, la rareté précieuse des intailles et des camées de lapis, de turquoises, d’agates, d’améthystes et d’émeraudes. Mais la gloire de cette place tient toute sur les degrés en travertin de son escalier monumental à double évolution. Et Pierre arrêta là ses regards et sa pensée.

L’aimait-il, ce coin ravissant dans cette Rome pour laquelle il ne se connaissait pas assez d’affection ! De toutes les villes traversées au cours du voyage touchant à sa fin, et qui charmèrent ses regards en intéressant son esprit, aucune ne primait l’invincible attirance de celle-ci ; et les pauvres banalités de la capitale moderne étaient impuissantes à lui gâter les joies sans nombre de la cité antique.

Elle serait le couronnement splendide à l’exode achevé qui d’abord lui fut un chagrin.

Pierre Pélissier n’avait pas, sans remords, quitté Paris, puis Meiras en Savoie, abandonnant au château du vieil oncle Anthelme-Gilbert de Meiras sa petite sœur Gilberte ! Il lui avait fallu oublier, dans une radicale transformation de son existence, la peine tenace de n’avoir pas obtenu en mariage celle qu’il désirait, plus qu’il ne l’aimait sincèrement sans doute : Céline Delhostel, la fille du père Delhostel, le richissime entrepreneur de terrassements. Elle avait préféré à sa douceur de presque gamin – à vingt-deux ans Pierre paraissait sortir du collège – la robustesse brutale et fanfaronne d’Yves Le Hel. Ce mariage était plutôt l’œuvre du terrassier séduit par la hâblerie conquérante et le brio de ce dernier que le choix étudié de Céline. Mais le terrible bonhomme écrasait de sa pesante autorité le vouloir indécis déjà de sa fille. Elle avait ployé comme son père avait accepté le joug de Le Hel accoutumé, lui aussi, à ne rencontrer aucune résistance devant ses désirs, qu’ils fussent, ces désirs, même et surtout ceux de l’instinct éveillé par l’attrait du plaisir exclusivement sensuel. Yves, avec sa lourdeur de Breton sec et têtu, ne ressentait pas. Il éprouvait, par curiosité malsaine, la résistance possible à ses caprices ; et pour le malheur de ses victimes, le bonheur lui souriait de ne rencontrer pas beaucoup cette résistance.

… Mais les regrets de Pierre s’enfuyaient, dissolvant en les paysages chauds et lumineux de la Méditerranée les dernières larmes de ses yeux sensibles aux belles visions de toutes choses.

À son retour ce seraient les fiançailles définitives de petite sœur Gilberte avec le jeune comte Marc de Bricey, un des plus grands noms du Paris aristocratique.

Marc, l’ami de collège de Pierre et le compagnon aussi de Le Hel à ce même collège, se souciait peu de partager son nom avec une Juive opulente ou une Américaine vicieuse. Il avait dès longtemps apprécié Gilberte Pélissier quand elle venait avec son père, l’illustre professeur de gynécologie, apporter des friandises à Pierre, au parloir. Il arrivait souvent que Marc se mêlât à leurs réunions parce qu’il avait perdu ses parents et restait seul avec la fortune colossale qui devait lui revenir à sa majorité. Or Pierre aimait beaucoup Marc ; ou, mieux, Pierre étant adoré de tous ses condisciples, l’amitié affectueuse de Marc s’expliquait de soi-même comme aussi l’attachement de Jean Bérille, le jeune musicien que Pierre allait retrouver à la Villa Médicis, l’un de deux et l’autre de trois ans plus âgés que lui.

Marc était devenu par son élégance fortunée un des maîtres de la haute société parisienne, au moins son enfant gâté. Aucunes fêtes, aucunes premières, aucuns dîners sans que son affabilité spirituelle et captivante ne les vint rehausser. Il n’éprouvait pas les femmes, il les aimait pour leur charme et se contentait le plus souvent de se sentir aimé à son tour parce qu’on le lui laissait voir en des flirts charmants auxquels il refusait une possible consécration abandonnée toujours à sa discrète volonté. Il aimait les femmes, et son amour était fait d’une haute dignité de soi comme d’un impertinent et galant respect de leur faiblesse. Elles l’adoraient et se fiaient à lui. Le connaissant ainsi, elles s’étaient montrées peu jalouses d’une liaison affichée avec Albine de Miromesnil, coquine tirée par la mode des bas-fonds où pataugeait sa beauté glaciale et merveilleuse d’automate. De la part de Marc, caprice de millionnaire dont lui-même se souciait peu quant aux bénéfices… immédiats.

Pierre ne s’en inquiétait pas non plus pour petite sœur Gilberte. Il croyait avoir deviné à ce sujet une intention délicate de Marc vis-à-vis de Céline mise ainsi en garde contre les malfaisances de la courtisane effrontée et cruelle que Le Hel avait un moment convoitée.

Dans ce chaud rayonnement des bonnes amitiés de collège et du collège même situé à l’entrée du Bois de Boulogne, Pierre s’était toujours plu à vivre. Il avait, pour cela, engagé son père, peu de temps avant que la mort ne le lui enlevât, à acquérir rue Raynouard le petit hôtel en terrasse sur la Seine où, tôt, les deux enfants, Gilberte avec Pierre, demeurèrent seuls après que leur mère eût succombé, déjà malade, à l’insupportable chagrin d’avoir perdu son mari.

Justin et Victoire, une manière de ménage Noël de la Joie fait peur, leur restait dévoué et continuait de les servir en veillant dévotieusement autour des dix-huit ans fragiles de Gilberte.

C’est là, dans cet hôtel plaisant dont la solitude reposait tant le professeur Pélissier, que Pierre avait commencé de s’adonner à ses goûts de travail sollicités par la beauté, sous forme de buires, de coupes aux formes délicates, de vases parés d’émaux précieux qui sortaient des fours d’un atelier dont les clairs vitraux avançaient sur le jardin. Du quai de Passy on les voyait scintiller sous les marronniers, et le soir on devinait aux clartés chaudes qui les pénétraient la douce veillée familiale sous les lampes, en un coin retiré.

Pierre ne voulait plus se marier. L’indépendance acquise dans ce long voyage qui s’achevait à Rome l’avait grisé. Et puis il avait bien le temps en vérité.

Mais le foyer désert lui serait navrant quand Gilberte ne serait plus auprès de lui…

Il se cherchait ainsi des raisons, et les trouvait, de s’assurer, en outre des amitiés qui lui étaient chères, une étroite affection dans laquelle il pût enfermer le malaise harcelant d’aimer, d’aimer plus une âme qu’un corps dont les formes ne seraient que le rayonnement palpable de cette âme.

Avec sa taille virile et décidée Pierre conservait du collège l’empreinte d’une jeunesse qui paraissait indéfectible. Elle se montrait à travers la mélancolie préoccupée de ses beaux yeux couleur mousse des bois dont la délicatesse nuançait d’une distinction affable tout son visage. Ses lèvres appétissantes contenaient, sous le trait délié d’une moustache de gamin précoce, ce sourire étonné qui fait, avec la curiosité vive des clairs regards, presque la grâce entière de l’adolescence. Il avait, de cet âge charmant, gardé toutes les délicatesses qu’exacerbait contre sa mâle allure le contraste d’un teint plus mat, plus averti de sensations voluptueuses. L’ovale parfait du menton et le juste dessin du front accentuaient encore la note gracile, délicieusement conservée sous les apparences d’homme, de jeune homme avide de mieux goûter les joies dont l’enfant a déjà tressailli. Il se coiffait comme un collégien, sans mièvrerie ; et ses beaux cheveux châtains, séparés à gauche par une raie tracée avec une feinte négligence, chassaient sur son front et ses tempes un léger tourbillon de soyeuse lumière. Pierre pouvait n’être pas absolument un beau garçon ; l’agrément de sa personne tenait plutôt dans le mot « gentil » pour ce que ce mot renferme de douceur compatissante, de joliesse sans apprêt, d’élégance qui s’ignore et d’affection toute prête à se livrer…

Il n’était pas neuf heures. Pierre voulut prendre le temps de flâner un peu avant de rejoindre Jean à la Villa Médicis. Ses pensées, un instant vacillantes entre les mille sollicitations des êtres et des choses, se recueillirent. Il s’accouda contre la Barcaccia du Bernin. Reportant son souvenir vers Paris, il rendit grâces à la jeune fille qui, même si doucement, lui avait refusé sa main pour ce que par sa volonté il se trouvait là, dans Rome, après le charme inépuisé d’un voyage en Grèce ; point heureux, certes ! mais libre et comme au bord d’un monde nouveau qui depuis son départ se dévoilait à lui.

L’étrangeté de ses séjours à Olympie, à Delphes, à Athènes lui revenait à l’esprit en réminiscences plaisantes…

Il se rappelait l’audace de ce gamin de quinze ans, d’une souveraine beauté, qui, dans un cloître fleuri d’Alyssos, ville blanche assise sur les moires violettes du golfe de Patras, l’était venu frôler de son petit corps agile et sensuel. L’enfant avait, sans que Pierre l’en eût sollicité, tranquillement ouvert, devant lui, sa tunique complaisante, sorte de longue chemise orangée en vieille étoffe pareille aux soieries mourantes étendues sur les saints tombeaux des mosquées. Son jeune corps luisait, sous ce voile, des reflets safranés d’une lumière diaphane, et ses formes parfaites en faisaient, debout dans un massif de lauriers-roses, l’adorable statue vivante d’un jeune dieu oublié en le giron d’Hellas, matrice de beauté. À ses pieds menus d’énormes pivoines abaissaient lourdement sur le sol brûlé leurs pétales roses gonflés de sèves ; plus loin un cyprès farouche coupait de sa lame noire et flexible la coupole blonde de l’église byzantine, les arcades blanches du cloître et le bleu scintillant du ciel… Et dans l’air de cristal où perlait un jet d’eau fraîche sur une vasque de Paros, l’adolescent se montrait, s’offrait, ainsi que la plus belle de toutes les fleurs, sous le soleil dont les rayons pénétraient de caresses intimes sa nudité claire et voluptueuse…

Pierre avait ressenti là, dans une minute inoubliée, les affres de la volonté qui se débat contre la violence de la raison et refuse au charme captivant de l’évidence le sacrifice des préjugés… Mais depuis il les avait tous oubliés, tous ! Il gardait même, à travers sa joie de s’en être enfin libéré, le remords de n’avoir pas au moins baisé l’audacieuse menotte d’enfant tendue vers lui, dans laquelle il mit en s’enfuyant une drachme d’argent…

Parmi tant d’autres, il aimait se rappeler la puérile effronterie de ce gamin très joli, impudique jusqu’à la candeur, et surpris qu’un étranger n’usât pas des grâces vigoureuses dont il offrait naïvement l’exquise floraison avec le don de tout lui-même…



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