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Hervé (Maurice Balland) – VI |
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Dernière version du 8 juillet 2014 à 11:13
Après le dernier entretien avec Hervé, le père Albin fut à nouveau pris d’inquiétude. Manifestement, le garçon avait mené la discussion. Par ailleurs, il s’était montré fort habile pour saisir les occasions. « Il a réussi à faire boucler la porte et à s’asseoir sur mes genoux, constate le père, je me suis laissé ferrer comme un poisson ! Je n’ai pu réagir et mes résolutions se sont envolées. »
« Et voilà, pense encore le père, que sous prétexte d’être son ami, je me suis engagé à suivre n’importe laquelle de ses lubies. Où cela va-t-il me conduire ? » Il prend alors la décision de consulter le père Léger. N’est-il pas son supérieur ? C’est bien normal qu’il lui en parle. En outre, il connaît bien la famille, peut-être y verra-t-il plus clair.
Il l’aborde donc après le déjeuner :
— Ah, père Léger, permettez-moi, j’ai un conseil à vous demander. Vous connaissez les Morin, de la Cité des Peupliers. C’est au sujet d’Hervé, leur deuxième enfant, celui qui a douze ans.
Et d’expliquer comment il l’a connu et comment aussi il a eu l’occasion de voir ses parents, mais que surtout il est en relation avec le garçon.
Le père Albin sait que son supérieur est au courant, mais s’il expose tout cela en guise de préambule, c’est pour ne pas hâter l’entretien et aussi se donner le temps de lire les réactions sur le visage du père Léger. Également, il éprouve quelque réticence à parvenir trop rapidement au vif du sujet, à ce qui le préoccupe. Enfin, il demande :
— Croyez-vous que les Morin élèvent bien leurs enfants ?
— Quelle question ! Mais bien sûr que oui. Brigitte est très attentive auprès d’eux. Je reconnais qu’elle est exigeante, trop peut-être parfois, mais ce n’est pas une mauvaise chose. Je ne crois pas que ses enfants puissent le moins du monde se conduire en voyous. Pourquoi me demandez-vous cela ?
Le père Albin décrit alors l’une des scènes survenues à l’hôpital lors d’une visite à Hervé. Il exprime son étonnement :
— Songez que ce garçon fit preuve d’un certain manque de réserve. On ne provoque pas un adulte de cette façon-là.
Le père Léger s’efforce de rassurer son confrère :
— Je pense que vous dramatisez les choses. Ce ne devait être qu’un enfantillage. Les enfants n’ont pas la notion des nuances. Hervé trouvait très amusant d’être à l’hôpital. Pourquoi ? Tout simplement à cause de son opération. Il vous a montré sa cicatrice pour donner la preuve que réellement il avait été opéré. Qu’il n’ait pas pudiquement voilé ses parties ne prouve pas qu’il soit vicieux. D’ailleurs, cela m’étonnerait de la part d’un enfant de Brigitte. Rassurez-vous, cher ami.
— Vous me tranquillisez. Croyez-vous que je puisse continuer à le voir sans inconvénient ?
— Quel inconvénient ? Il n’y en aucun à recevoir un garçon bien élevé. Les garçons vicieux, d’ailleurs, ne cherchent pas à nous rencontrer. Qu’est-ce qu’un enfant vicieux ? Les enfants deviennent vicieux lorsqu’ils sont pervertis par des adultes. Jamais un enfant, croyez-moi, ne pense de lui-même à faire le mal. Il ne l’apprend que par des adultes. C’est l’adulte qui détourne l’enfant et le pousse au vice, il en abuse, justement parce que l’enfant est faible, sans défense. L’inverse ne se produit jamais. C’est impensable. Je ne vois pas comment un enfant pourrait séduire un adulte, le détourner, abuser de lui !
— Je vous remercie. Donc, selon vous, je n’ai rien à craindre à recevoir Hervé.
— Non, mais soyez prudent dans votre comportement avec lui. Évitez toute familiarité. D’ailleurs, il ne faut jamais se laisser aller avec les enfants, et surtout ne pas leur montrer de marques d’affection. C’est strictement réservé à leurs parents dont il ne faut jamais usurper la place et le rôle, eux seuls ont des droits sur eux.
Le père Léger, selon son habitude, est sûr de lui, d’une logique à toute épreuve, soucieux de sauvegarder les lois morales et l’ordre social. Son aspect, d’ailleurs souligne la rigueur de son jugement : plutôt maigre, osseux, et ses mains quand il parle donnant l’impression de serrer des vis ou de triturer l’espace pour le modeler selon ses dires. Il a le front volontaire, l’œil vif et sec, le nez rectiligne, la bouche comme fendue d’un coup de sabre, les lèvres visibles seulement quand il daigne sourire. C’est un volontaire, un homme d’action !
Le père Albin, de tempérament plutôt inverse, s’étonne de pouvoir s’entendre avec son supérieur. Il est vrai qu’en communauté, engagés dans le même bateau, tous font autant que possible l’effort de s’accepter mutuellement. Toujours est-il que le père Albin ne fut pas tellement convaincu. Il lui parut que son supérieur, pétri de saine doctrine, raisonnait à partir de connaissances livresques plus que d’expérience vécue, qu’il demeurait figé sur une vue à priori des choses et que la réalité lui échappait, du moins dans le domaine pour lequel il avait sollicité son appréciation.
« Hervé, pensa donc le père Albin, n’est certainement pas un garçon vicieux. À ce que je vois, il désire être compris et attend une réponse aux questions qu’il se pose. Que faire ? Le repousser ? C’est le replier sur lui-même, le complexer peut-être, ce qui psychologiquement n’est jamais bon. Répondre à son attente ? Certainement, cela lui apportera un épanouissement, sans le traumatiser, ce qui serait à souhaiter. Après tout ! Je vais m’efforcer d’être à son écoute. Advienne que pourra ! »
Quelque temps après, Hervé vint faire une visite à son ami et lui demanda s’il avait d’autres films que ceux déjà vus. Le père ayant une petite réserve, il fut possible d’accéder à son désir. Il fallut préparer le local au grenier, mettre des couvertures aux fenêtres, installer l’écran et l’appareil. Hervé s’affaira en babillant, racontant de menus faits de la cité. Il parla aussi de son copain Benoît et comment celui-ci avait trouvé dans la décharge derrière les baraques des photos d’hommes et de femmes totalement nus et les lui avait montrées. Le père fit semblant de ne pas entendre, ce qui était fort plausible car il passait continuellement dans la rue des camions roulant bruyamment vers les chantiers voisins. Hervé poursuivit : « C’est drôle comme les femmes sont incomplètes, elles n’ont pas de queue comme les hommes. Ça m’aurait vexé d’être une fille. Les filles c’est bête, peut-être à cause de ça, il leur manque toujours quelque chose. Ainsi, ma sœur, ce qu’elle est conne parfois, et distraite ! »
Le père sursauta, et se hâta de mettre un film en place de façon à détourner le sujet et à occuper le garçon qui attend pour manipuler l’appareil. Puis, au lieu de rester près de lui, il se tint à distance appuyé contre le mur. La bobine passée, tandis qu’il cherche un autre film dans la boîte, Hervé le met au courant du dernier événement familial :
— Vous ne savez pas ? Mon petit frère Charles a eu l’appendicite, lui aussi. Il est à l’hôpital. C’est une épidémie, après moi, c’est lui maintenant.
— Oh, il ne faut pas s’en étonner. Il arrive souvent que, dans une même famille, les enfants soient atteints les uns après les autres. D’ailleurs, c’est une bonne chose que de l’avoir quand on est enfant, on supporte mieux l’opération.
— Est-ce que vous avez eu l’appendicite ?
— Non, et j’espère bien que ça ne m’arrivera pas maintenant.
— Vous n’avez jamais été opéré ?
— Si, d’une hernie, il y a très longtemps de cela.
— Vous avez une cicatrice ?
— Oui, au bas du ventre, ma hernie était très mal placée.
— Est-ce qu’on la voit encore ?
Le père commence à éprouver de l’inquiétude. Vraiment, ce garçon a de la suite dans les idées. C’est un tempérament opiniâtre ! Se sentant piégé, il tente de couper court :
— Le film est en place, tu peux tourner le bouton.
Mais, Hervé, rivé à son idée, poursuit :
— Comment elle est, votre cicatrice ? Elle est grande ?
— Oh, pas tellement, un peu plus longue que la tienne.
— La mienne est à droite. La vôtre aussi ?
— Non, à gauche.
— Est-ce que je pourrais la voir ?
— Sois raisonnable, voyons, ce n’est pas une chose à faire.
— Je vous ai montré la mienne, vous êtes mon ami, alors, je peux bien voir la vôtre !
Admirable logique ! Comment se dépêtrer ? « Après tout, pense le père, sa requête ne paraît pas tellement déraisonnable, il n’est question que de cicatrice. Il n’y a pas de quoi s’affoler. Si, en prenant des précautions, je la lui montre, il sera satisfait et me laissera tranquille. Après, il n’y pensera plus ! »
À l’intime de sa conscience, le religieux s’estime mettre le doigt dans un engrenage dangereux, mais il se croit assez fort dans l’illusion de pouvoir le retirer à temps avant de se trouver happé par les rouages. Provisoirement, il capitule.
— Bon, si tu y tiens !
Sous le regard attentif du garçon, il ouvre et rabat son pantalon, abaisse suffisamment le slip pour dégager la cicatrice tout en occultant la partie intime de sa personne. Gêné, ses mains tremblent et rendent la manœuvre éprouvante autant que hasardeuse. L’émoi gagne son bas-ventre… Par un effort de sa volonté, il parvient à maintenir quelque peu le calme de ses sens.
Hervé, empressé, regarde, met la main, touche, caresse, appuie sur la cicatrice, tiraille sur les poils qui débordent du vêtement. Visiblement, il ne paraît pas totalement satisfait, ce slip le gêne, d’autant qu’il perçoit sous l’étoffe un gonflement signe précurseur de la mise en déroute des farouches résolutions du père Albin. Les sourcils du garçon prennent la forme du V fatidique. Que rumine-t-il ? Soudain, il tire sur l’étoffe, arrache le slip des mains du père, et dégage totalement ce qu’il voulait voir. Il avait gagné !
Le père ne réagit pas et se laisse faire. Il n’a rien à apprendre au garçon et bientôt ressent ce qu’il se refuse depuis tant d’années. Un jaillissement surprend Hervé tout étonné :
— Qu’est-ce que c’est ?
— Ne t’inquiète pas, je t’expliquerai.
Sans plus attendre d’explication, le garçon abaisse sa culotte et découvre non plus sa cicatrice mais ce qu’il possède de plus attirant et que, déjà raidi, il offre pour recevoir un service équivalent de la main de son ami.
Il éprouve une délicieuse et forte impression, mais il ne jaillit rien de sa verge trop neuve, sa puberté commençant seulement à démarrer. Il exprime sa satisfaction :
— C’est vraiment mieux que si je fais ça tout seul !
— Ah ! Tu t’es déjà branlé ?
— Oui, depuis que vous êtes venu me voir à l’hôpital.
— Ce serait de ma faute, alors !
— Quelle faute ? C’est pas mal de faire ça ?
Abasourdi, le père est incapable de répondre. Ce qui vient de lui arriver… puis la réflexion d’Hervé ! Le couvercle de la marmite a sauté… Son univers vient de basculer !
Le garçon perçoit le trouble de son ami. Inquiet, il demande :
— Est-ce que j’ai mal fait ?… Et vous aussi ?
Comme si, déjà, il n’était plus lui-même, mais devenu un autre, le père s’entend dire :
— Non, c’est tout naturel !
— Alors, on recommencera ?
— Oui !
Enthousiaste, Hervé l’embrasse et, toutes choses remises en place, le plus naturellement du monde va vers l’appareil et tourne le bouton…
Durant la projection, toute résolution balayée, le père Albin se tient derrière l’enfant, l’enserre de ses bras pour maintenir un contact, humer l’odeur de ses cheveux, sentir la chaleur de son corps, détecter ses frémissements. Il songe : « Au dire du père Léger, voilà un garçon bien élevé qui normalement n’aurait pas dû penser de lui-même à faire le mal ! Le Mal ! Quel mal, en fin de compte ? Sapristi, ce n’est pas moi qui l’ai détourné, c’est lui qui… Mais, c’est un détournement de majeur qui vient de se produire et il a abusé de moi !
Quelques semaines plus tard, Hervé amena son petit frère Charles après que celui-ci eût terminé sa convalescence. C’est un charmant enfant de neuf ans maintenant qui lui ressemble beaucoup, rappelant son visage joufflu d’avant les vacances. Au père étonné de le voir, car il ne l’attendait pas, il explique :
— On m’a demandé de le sortir, et il aimerait voir vos films, j’ai pensé que ça ne vous gênerait pas. Ne vous inquiétez pas, il est bien calme.
L’installation au grenier étant restée en l’état, la projection commença sans tarder. Le petit Charles prit place sur un tabouret proche de l’écran. Hervé manipula l’appareil selon son habitude, le père le tenant comme la fois précédente. Le garçon est heureux de sentir son ami contre lui. Mais cela ne suffit pas. C’est autre chose qu’il attend. Ne tenant plus, il souffle à l’oreille du père :
— Allez-y, vous pouvez me branler, on est dans le noir, mon frère ne verra rien.
Devenu obéissant, le père fourrage donc dans la braguette du garçon, en sort l’objet du désir et parvient à faire aboutir Hervé qui murmure de satisfaction :
— Vous êtes vraiment chic, je vous aime bien !
La projection terminée, il propose de montrer la cicatrice de Charles, appelle son frère et lui ordonne de baisser sa culotte.
— Regardez !
Puis, titillant la verge du petit et la faisant raidir, il fait constater :
— Il est déjà bien monté, hein ! Qu’en pensez-vous ?
Le père ne sait plus trop que penser. Entraîné dans l’engrenage, il ne songe plus à mal. Exprimant son admiration, il éveille la fierté du petit Charles qui, rougissant légèrement, les yeux brillants, se cambre des reins de façon à mettre bien en évidence l’objet d’un si bel éloge. Le père redoute d’être sollicité d’y mettre la main. Il n’en est rien, ce qui le soulage profondément.
Dès que les deux frères l’eurent quitté, désirant un peu de calme pour retrouver ses esprits, le père se précipita dans sa chambre. Après ce qui venait de se passer, il lui fallait faire le point… « Je réagis de moins en moins et de plus en plus accepte comme normal le comportement d’Hervé. Ce garçon ne voit aucune malice à porter attention aux parties honteuses. Ce que tant de parents et d’éducateurs tiennent en suspicion, pour lui est digne d’intérêt, voire d’admiration. Qui a raison ? Les tenants de la morale reçue ou l’enfant ? »
Il poursuit sa réflexion : « Faut-il considérer comme des enfantillages cette attention portée au sexe et ce besoin de connaître le plaisir qu’il apporte, de jouir ? Depuis que je connais Hervé, j’ai eu loisir de l’observer. Il me paraît un garçon équilibré, développant harmonieusement les qualités d’intelligence et de cœur dont il est pourvu. Il travaille de mieux en mieux en classe. Ses conversations sont de plus en plus variées, et dénotent un esprit profond et sérieux. Il est épanoui, à la différence de tant d’adolescents et d’adultes dont j’ai reçu les confidences toutes ces dernières années et qui m’ont apparu empêtrés dans d’inextricables problèmes de conscience, victimes de refoulements, triste résultat d’une certaine éducation traditionnelle encombrée de tabous. »
La vérité sort de la bouche des enfants, est-il dit quelque part. Le père Albin estima donc qu’Hervé était le plus raisonnable. Seulement, il y avait un inconvénient majeur qui ne lui échappa nullement : le garçon et lui entreprenaient de ramer à contre-courant, ce qui est bien difficile et parfois dangereux !