« Facéties porrettanes – Nouvelle XIII (Sabadino ; Peyrefitte) » : différence entre les versions
m |
m A protégé « Facéties porrettanes – Nouvelle XIII (Sabadino ; Peyrefitte) » ([Modifier=Autoriser uniquement les administrateurs] (infini)) |
(Aucune différence)
|
Dernière version du 8 juillet 2014 à 10:39
La Nouvelle XIII des Facéties porrettanes de Jean Sabadino des Arienti, traduite par Roger Peyrefitte, a été publiée en mars 1963 dans la revue homophile Arcadie. Précédée par une introduction du même auteur, elle accompagnait un autre conte italien de la Renaissance, la Nouvelle VI de Mathieu Bandello.
(On pourra lire également la version originale de cette nouvelle : Le Porretane, Novella XIII.)
Texte intégral
Si vous possédez des droits sur ce document
et si vous pensez qu’ils ne sont pas respectés,
veuillez le faire savoir à la direction de BoyWiki,
qui mettra fin dès que possible à tout abus avéré.
← La confession d’un Arcadien
sous la Renaissance italienne
(ainsi nommées d’après le bain de Porretta
à Bologne où on était censé les raconter)
par
JEAN SABADINO DES ARIENTI OU ARDENTI
citoyen de Bologne
dédiées à Hercule d’Este, duc de Ferrare
NOUVELLE XIII
Vos Magnificences doivent savoir que, lorsque j’allais à Paris, comme certains se le rappellent, je fis amitié près de Lyon, avec un Florentin, nommé Bazzo. C’est le plus agréable et le meilleur compagnon qui fut jamais. Il disait avoir servi dans la marine. Je le croirais volontiers, car il était de mœurs scandaleuses et de peu de conscience, comme beaucoup de marins. Notre amitié devint telle qu’à mon retour à Bologne, je le conduisis chez moi, et, grâce à la protection des Bentivoglio, je l’associai à notre très illustre communauté.
Quand vint le carême, temps de pureté dédié aux confessions générales, je voulus, en fidèle chrétien, lui faire observer ce précepte de l’Église, pour le salut de son âme que je savais chargée de péchés ; il m’avait dit, en effet, ne pas s’être confessé de longtemps, peut-être même jamais. Aussi, un jour, l’emmenai-je, non sans peine, à l’église de Saint-Paul, où officient les religieux de l’Observance de François le Séraphique. Là, je le mis entre les mains d’un frère originaire de Parme, homme de bonne doctrine et de bonnes mœurs, dans la cellule de qui je le laissai agenouillé.
Parvenu au calamiteux péché de la luxure, le confesseur lui demanda s’il l’avait commis et avec quelle sorte de femme. Bazzo répondit qu’il n’avait péché avec aucune de toute sa vie. Le moine jugea incroyable, après une confession qui le faisait apparaître fort dissolu en tant de choses, qu’il eût été si abstinent en celle-ci. « Mon fils, lui dit-il, examine avec attention si tu dis la vérité ». Bazzo de répondre : « Messire, ma mémoire est excellente et je sais bien, par conséquent, que je n’ai jamais connu de femme ». Le moine dit alors : « Ta vertu est digne de grandes louanges, car tu as gardé ta chasteté au milieu du monde, alors que d’autres auraient perdu la leur même dans un ermitage ». À quoi Bazzo rétorqua : « Messire, vous cesserez de vous en étonner, si je vous dis que les femmes me dégoûtent au point que, rien qu’à les regarder, j’aie envie de vomir ». Inquiet de ces paroles, le moine demanda : « Aurais-tu de l’attrait pour l’exécrable vice contre nature ? — Messire, répondit Bazzo, si je le pratique, ce n’est pas tant par plaisir que pour suivre le dicton florentin : « Quand tu veux te divertir, c’est un garçon qu’il faut choisir ». Et il raconta toutes les circonstances de ce péché, qui donnèrent au moine grande envie de rire. Mais, se retenant pour ne pas scandaliser le pécheur, il lui dit : « Ce péché est si honteux et si puant qu’il offense Dieu à l’extrême. Ainsi, mon fils, je ne peux t’en absoudre comme des autres. Demain tu reviendras à moi et, cet après-midi, j’irai chez le vicaire de l’évêque demander l’autorité nécessaire pour cette absolution ».
Alors Bazzo, qui était coléreux, s’écria de son air le plus courroucé : « Messire, il ne sera pas dit que je vous aie confessé mes péchés et que je n’en sois pas absous. Vous ne partirez pas d’ici sans l’avoir fait ; sinon, par la barbe de saint Pierre qui tient les clefs du ciel, je vous pèle la tonsure du crâne avec cette lame ». Ce disant, il dégaina un poignard qu’il avait au côté. Le moine ne fut pas médiocrement effrayé à la vue de ce poignard brandi par un homme robuste. Après s’être consulté dans le secret de son âme, il dit à Bazzo, en homme sage : « Mon fils, la confession exige de la patience et de l’humilité. Attends-moi donc un peu, que j’aille à la bibliothèque chercher dans le livre de pénitence la détermination des saints docteurs, et puisse t’absoudre de ce grand péché ». Bazzo s’étant apaisé à ces paroles, le moine sortit de la cellule, appela trois de ses confrères, jeunes et gaillards, et leur dit l’insolence de cet homme. Il ajouta qu’il paraissait bon de lui infliger le châtiment des ânes, et ses confrères furent du même avis. Armés de gros bâtons, ils se tinrent près de la porte de la cellule où était Bazzo. Celui-ci ayant ouvert quand on frappa, le confesseur lui dit : « Viens, car j’ai trouvé la façon de t’absoudre ». Lui, voyant les moines bâtons en mains, et devinant ce qui arriverait s’il ne filait doux, se recommanda à leur pitié, les bras en croix. Après lui avoir fait de dures admonestations et de vifs reproches, ils le chassèrent en lui disant : « Homme diabolique, les coups de bâton te conviendraient mieux comme pénitence que les Pater ».
Bazzo parti, le moine de Parme s’amusa de cette aventure, autant qu’il avait eu peur. Ensuite frère Robert, prince des sermonnaires, prêchant dans notre magnifique église de Saint-Pétrone, où il y avait une admirable assistance, parla de la confession et raconta cette histoire, qui fit rire tout le monde.
Elle fit rire aussi toute notre compagnie, mes très dignes seigneurs, et en particulier les gentilshommes florentins qui étaient là, surtout le chevalier Vespucci, splendeur de la patrie florentine, qui dit au narrateur : « Gentilhomme, vous avez indiscrètement mordu notre nation, en faisant croire qu’elle est seule éprise de très honteux égarements, sur la foi d’un faux dicton, car aujourd’hui il y a partout des Florentins ».
À cette riposte, chacun se mit à rire.
Version originale en italien : Le Porretane — Novella XIII |
Voir aussi
Source
« Facéties porrettanes. Nouvelle XIII » / Jean Sabadino des Arienti ou Ardenti, trad. Roger Peyrefitte, in Arcadie : revue littéraire et scientifique, dixième année, n° 111, mars 1963, p. 128-130. – Paris : Arcadie, 1963 (Illiers : Impr. Nouvelle). – 52 p. ; 22 × 14 cm.