« L’Élu – Chapitre III » : différence entre les versions
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::Jean Bérille était venu ouvrir lui-même et, quoique prévenu, s’exclama : | ::Jean Bérille était venu ouvrir lui-même et, quoique prévenu, s’exclama : | ||
::— … Pierre !… mais se reprenant, affectueux, presque câlin en retenant dans ses mains les mains tendues de son ami : – mon Pierre ! | ::— … Pierre !… mais se reprenant, affectueux, presque câlin en retenant dans ses mains les mains tendues de son ami : – mon Pierre ! | ||
::— Toujours aimable, Jean… Sais-tu qu’une des grandes joies de ma tournée aux pays du soleil fut la perspective de te revoir, ici surtout, monsieur le Prix de Rome, dans cette Villa Médicis qui, tout jeune, t’hypnotisait déjà – et, dans cette Villa, au milieu de ton ''home'' un peu voilé comme de nuages bleus d’où va percer le jeune rayonnement de ta célébrité. | ::— Toujours aimable, Jean… Sais-tu qu’une des grandes joies de ma tournée aux pays du soleil fut la perspective de te revoir, ici surtout, monsieur le Prix de Rome, dans cette Villa Médicis qui, tout jeune, t’hypnotisait déjà – et, dans cette Villa, au milieu de ton ''home'' un peu voilé comme de nuages bleus d’où va percer le jeune rayonnement de ta célébrité. | ||
::— … Ce Pierre ! toujours gentil… et dénicheur de doux propos… toujours occupé à bercer quelque histoire d’amour… | ::— … Ce Pierre ! toujours gentil… et dénicheur de doux propos… toujours occupé à bercer quelque histoire d’amour… | ||
::— … qui persiste à dormir… | ::— … qui persiste à dormir… | ||
::— … d’amitié au moins. | ::— … d’amitié au moins. | ||
::— D’amitié. Tu dis juste, puisque nous ignorions, au collège, qu’elle pût être d’amour… | ::— D’amitié. Tu dis juste, puisque nous ignorions, au collège, qu’elle pût être d’amour… | ||
::— Sais-tu que tu es ravissant, Pierre ? | ::— Sais-tu que tu es ravissant, Pierre ? | ||
::— Non. | ::— Non. | ||
::— Gentil comme tout… | ::— Gentil comme tout… | ||
::— Non. | ::— Non. | ||
::— Et que tu sais plaire autant que jadis ? | ::— Et que tu sais plaire autant que jadis ? | ||
::— Mais tu me fais des compliments comme à une femme, grand gosse ! | ::— Mais tu me fais des compliments comme à une femme, grand gosse ! | ||
::— C’est vrai, pourtant ! J’étais bien à cent lieues de mesurer la forme que je donnais au plaisir de revoir mon petit Pélissier… Dis donc, si tu t’asseyais là… non… là, plutôt, près de la fenêtre de ma cellule… Regarde, Pierre, admire, mon grand… Vois tout ça ! Est-ce joli !… Est-ce épatant !… Vois-tu Rome ?… Est-ce… Dis donc, c’est vrai ; je t’ai fait des compliments comme à une femme !… Je suis un peu fou, tu sais ; je l’étais dans le temps, du reste, et ça n’a fait qu’empirer… Te rappelles-tu ce que je me suis fait enlever par le P. Thomas quand il m’a chipé à mettre en musique des vers de ce pauvre Thellier ?… Non, on n’a pas idée de ça… Et ce que je me suis fait aubader par ma famille !… Non !… Ce qu’il y a de mieux c’est ce rossard de Thomas nous faisant venir à la chapelle, après le savon paternel et les larmes maternelles, André Dalio pour chanter ma musique, moi pour accompagner ce joli gosse – tiens, j’en ai trouvé un presque pareil ici, tu verras – et Thellier pour nous écouter… Ah ! le rossard ! On ne s’embêtait pas avec lui. Sacré Thomas, va !… Je comprends qu’''ils'' soient obligés de f… des types comme ça à la porte pour avoir leurs élèves. Si ''ils'' s’y prenaient honnêtement bien sûr qu’''ils'' ne leur en enlèveraient pas beaucoup… Tu le vois nous disant : « Mes amis, nos règlements s’opposent à toutes vos petites manigances ; vous êtes ici pour faire des ''maths'' exclusivement ; pris en défaut : pincés ! Mais comme je trouve, moi, que Thellier a raison de faire de jolis vers, Bérille de s’esquinter à les mettre en musique et Dédé de les bien chanter, si je suis obligé de les ''coller'', en classe, dans leur temps libre ils peuvent compter sur moi. » Ah ! les mufles ! Je comprends qu’il leur faille des gendarmes pour empêcher les P. Thomas de faire du tort au recrutement de leurs bahuts !… Tu as vu : ''Stanislas'' exclu du Concours général… Quels cochons ! | ::— C’est vrai, pourtant ! J’étais bien à cent lieues de mesurer la forme que je donnais au plaisir de revoir mon petit Pélissier… Dis donc, si tu t’asseyais là… non… là, plutôt, près de la fenêtre de ma cellule… Regarde, Pierre, admire, mon grand… Vois tout ça ! Est-ce joli !… Est-ce épatant !… Vois-tu Rome ?… Est-ce… Dis donc, c’est vrai ; je t’ai fait des compliments comme à une femme !… Je suis un peu fou, tu sais ; je l’étais dans le temps, du reste, et ça n’a fait qu’empirer… Te rappelles-tu ce que je me suis fait enlever par le P. Thomas quand il m’a chipé à mettre en musique des vers de ce pauvre Thellier ?… Non, on n’a pas idée de ça… Et ce que je me suis fait aubader par ma famille !… Non !… Ce qu’il y a de mieux c’est ce rossard de Thomas nous faisant venir à la chapelle, après le savon paternel et les larmes maternelles, André Dalio pour chanter ma musique, moi pour accompagner ce joli gosse – tiens, j’en ai trouvé un presque pareil ici, tu verras – et Thellier pour nous écouter… Ah ! le rossard ! On ne s’embêtait pas avec lui. Sacré Thomas, va !… Je comprends qu’''ils'' soient obligés de f… des types comme ça à la porte pour avoir leurs élèves. Si ''ils'' s’y prenaient honnêtement bien sûr qu’''ils'' ne leur en enlèveraient pas beaucoup… Tu le vois nous disant : « Mes amis, nos règlements s’opposent à toutes vos petites manigances ; vous êtes ici pour faire des ''maths'' exclusivement ; pris en défaut : pincés ! Mais comme je trouve, moi, que Thellier a raison de faire de jolis vers, Bérille de s’esquinter à les mettre en musique et Dédé de les bien chanter, si je suis obligé de les ''coller'', en classe, dans leur temps libre ils peuvent compter sur moi. » Ah ! les mufles ! Je comprends qu’il leur faille des gendarmes pour empêcher les P. Thomas de faire du tort au recrutement de leurs bahuts !… Tu as vu : ''Stanislas'' exclu du Concours général… Quels cochons ! | ||
::Et Pierre souriait de l’exubérance un peu débraillée du Jean Bérille d’autrefois devenu vigoureux et fort avec de beaux traits sévères et virils, câlins aussi un peu quand ses bons yeux marrons dans son visage brun et mat, riaient au petit gosse de jadis. | ::Et Pierre souriait de l’exubérance un peu débraillée du Jean Bérille d’autrefois devenu vigoureux et fort avec de beaux traits sévères et virils, câlins aussi un peu quand ses bons yeux marrons dans son visage brun et mat, riaient au petit gosse de jadis. | ||
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::Jean avait bien raison. Son ami restait avec tout le charme d’une adolescence sans afféterie et d’une robustesse sans brutalité. Et Jean le regardait, curieusement éclairé d’un côté par le jet lumineux lancé par la baie ouverte au-dessus des chênes-verts taillés à plat, en quinconce devant la Villa. | ::Jean avait bien raison. Son ami restait avec tout le charme d’une adolescence sans afféterie et d’une robustesse sans brutalité. Et Jean le regardait, curieusement éclairé d’un côté par le jet lumineux lancé par la baie ouverte au-dessus des chênes-verts taillés à plat, en quinconce devant la Villa. | ||
::— … Comme à une femme… c’est vrai… Eh bien ! « mon Pierre » comme disait de Bricey après Thellier, tu es un de ces êtres pour qui la sympathie que l’on porte en soi, brûlant de s’offrir, semble avoir toujours été et demeure pareille au temps où, insensiblement, elle trouva dans notre cœur la place qu’elle ne veut plus abandonner. Je t’assure, je t’assure, Pierre, que l’on continue à voir ces êtres-là qui vous ont un jour charmé de je ne sais quelle façon, tels qu’on les a connus et aimés. Ils restent. Leur figure sourit à travers l’existence, qui fuit vers l’avenir en laissant voir, à chaque minute du présent, qu’elle se souvient… Ils ont ce charme – je me répète, je crois – ce charme, cette jeunesse amicale. Enfin ils sont comme toi, mon Pierre, très gentils, très affectueux, très simples, très bons. Je n’ose pas dire très beaux, tu te fâcherais. | ::— … Comme à une femme… c’est vrai… Eh bien ! « mon Pierre » comme disait de Bricey après Thellier, tu es un de ces êtres pour qui la sympathie que l’on porte en soi, brûlant de s’offrir, semble avoir toujours été et demeure pareille au temps où, insensiblement, elle trouva dans notre cœur la place qu’elle ne veut plus abandonner. Je t’assure, je t’assure, Pierre, que l’on continue à voir ces êtres-là qui vous ont un jour charmé de je ne sais quelle façon, tels qu’on les a connus et aimés. Ils restent. Leur figure sourit à travers l’existence, qui fuit vers l’avenir en laissant voir, à chaque minute du présent, qu’elle se souvient… Ils ont ce charme – je me répète, je crois – ce charme, cette jeunesse amicale. Enfin ils sont comme toi, mon Pierre, très gentils, très affectueux, très simples, très bons. Je n’ose pas dire très beaux, tu te fâcherais. | ||
::— Tu as fini ? | ::— Tu as fini ? | ||
::— Non ; mais je continue en moi pour ne pas que tu entendes. | ::— Non ; mais je continue en moi pour ne pas que tu entendes. | ||
::Si Pierre n’eût été mordu du souvenir de Luigi il se fût uni à la gaîté affable de Jean, heureux comme au collège parce que un peu de ce collège gracieux vivait auprès de lui avec son ami Bérille. | ::Si Pierre n’eût été mordu du souvenir de Luigi il se fût uni à la gaîté affable de Jean, heureux comme au collège parce que un peu de ce collège gracieux vivait auprès de lui avec son ami Bérille. |
Version du 8 décembre 2008 à 18:42
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