« Les enfants d’abord (citations) » : différence entre les versions
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Version du 13 avril 2011 à 17:44
Les enfants d’abord est un essai politique de la romancière française Christiane Rochefort, paru pour la première fois en 1976 dans la collection Enjeux.
Cet essai se compose de quinze chapitres, de longueur inégale :
- Avertissement
- Point d’information
- Welcome
- L’Entreprise mondiale d’exploitation
- Exploitation de la condition parentale
- Les enfants : une oppression très spécifique
- Pourquoi maintenant ?
- Les chemins de la dépendance
- Rapport de forces
- Action psychologique, ou combat contre un adversaire ligoté
- Dépendance légale
- Les Corps constitués
- Dépendance économique
- L’amour filial
- Haldol
Citations
Avertissement
De tous les opprimés doués de parole, les enfants sont les plus muets.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 7 (voir la fiche de référence)
Ce sont les adultes qui parlent pour les enfants, comme les blancs parlaient pour les noirs, les hommes pour les femmes. C’est-à-dire de haut, et de dehors.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 7-8 (voir la fiche de référence)
Exploitation de la condition parentale
Le Capitalisme sépare les tranches d’âge, de revenus, de cultures, etc. Il quadrille le peuple.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 27 (voir la fiche de référence)
Étant humains et non robots, pleins de contradictions, de frustrations, croulant sous les tracas, à côté de leurs pompes comme tout le monde, et parfois même doués de conscience, ou d’intuition, les parents ne sont pas des instruments parfaits. Ils font des erreurs. Et c’est notre veine : nombre d’anciens enfants qui s’en sont à peu près tirés disent qu’ils doivent leur salut à la pagaille et à l’échec de leur éducation.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 29 (voir la fiche de référence)
En faisant une loi de la cohabitation des enfants et des parents et de la hiérarchie dans la famille, les pouvoirs jouent sur le velours : si les plus petits renâclent contre leur condition, voire contre les institutions elles-mêmes, ce sont les parents qui ont la vie impossible, pas les institutions. Les parents exercent alors leur autorité pour avoir la paix « chez eux », car ils se croient chez eux.
Ils se leurrent — ou plutôt sont leurrés. L’idée que les relations interfamiliales sont affaire privée est une illusion. Ne serait-ce d’abord que du fait que la cohabitation est obligée par la loi, aucun ne pouvant s’y soustraire : les enfants ne peuvent pas s’en aller mais les parents ne peuvent pas non plus les mettre dehors ; et ensuite, du fait que la hiérarchie est instituée également par la loi. Les structures sont données de l’extérieur, et non modifiables à volonté. Il n’y a pas là de choix personnel. Et le fonctionnement est contrôlé. La famille est censée donner d’elle une certaine image, « honorable ». Elle est vulnérable aux pressions de l’environnement, voire accessible aux interventions directes des Autorités elles-mêmes : les assistantes sociales pénètrent à l’intérieur des foyers, agissent sur les parents, font des rapports. En cas de « déviance » des mesures sont prises. Cette illusion d’un domaine privé est un piège où à peu près tout le monde se laisse prendre. Non, on n’est pas chez soi.
Ils se leurrent — ou plutôt sont leurrés. L’idée que les relations interfamiliales sont affaire privée est une illusion. Ne serait-ce d’abord que du fait que la cohabitation est obligée par la loi, aucun ne pouvant s’y soustraire : les enfants ne peuvent pas s’en aller mais les parents ne peuvent pas non plus les mettre dehors ; et ensuite, du fait que la hiérarchie est instituée également par la loi. Les structures sont données de l’extérieur, et non modifiables à volonté. Il n’y a pas là de choix personnel. Et le fonctionnement est contrôlé. La famille est censée donner d’elle une certaine image, « honorable ». Elle est vulnérable aux pressions de l’environnement, voire accessible aux interventions directes des Autorités elles-mêmes : les assistantes sociales pénètrent à l’intérieur des foyers, agissent sur les parents, font des rapports. En cas de « déviance » des mesures sont prises. Cette illusion d’un domaine privé est un piège où à peu près tout le monde se laisse prendre. Non, on n’est pas chez soi.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 31-32 (voir la fiche de référence)
Les enfants : une oppression très spécifique
L’enfance est une institution, non un fait. Comme fait, l’enfance (première partie de la vie humaine, dit prudemment le dictionnaire Robert) est un état mouvant aux limites imprécises. Comme institution, elle va de la naissance à un âge fixé par décret. On dit « enfants », « adolescents », ou « jeunes » selon les besoins de la cause. La Loi dit « mineurs », et c’est la seule expression claire.
Les sociétés modernes ont légalisé une discrimination fondée sur une différence de force musculaire. Mineur signifie : moindre. Plus petit. Inférieur. Lesdits « enfants » sont un ensemble d’humains plus faibles au combat au corps à corps, constitué par les plus forts en catégorie, et soumis à un statut et à un traitement spéciaux.
Le statut est la privation de l’autonomie.
Le traitement, appliqué par l’autorité adulte, à laquelle les mineurs ne peuvent se soustraire, consiste à éliminer du potentiel inné les éléments indésirables, incontrôlables, ou simplement superflus, pour ne conserver et développer que ceux utiles à l’exploitation. C’est proprement une mutilation. Une mutilation corporelle, pas seulement un conditionnement mental.
Les sociétés modernes ont légalisé une discrimination fondée sur une différence de force musculaire. Mineur signifie : moindre. Plus petit. Inférieur. Lesdits « enfants » sont un ensemble d’humains plus faibles au combat au corps à corps, constitué par les plus forts en catégorie, et soumis à un statut et à un traitement spéciaux.
Le statut est la privation de l’autonomie.
Le traitement, appliqué par l’autorité adulte, à laquelle les mineurs ne peuvent se soustraire, consiste à éliminer du potentiel inné les éléments indésirables, incontrôlables, ou simplement superflus, pour ne conserver et développer que ceux utiles à l’exploitation. C’est proprement une mutilation. Une mutilation corporelle, pas seulement un conditionnement mental.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 39 (voir la fiche de référence)
L’oppression des enfants est première, et fondamentale. Elle est le moule de toutes les autres.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 41 (voir la fiche de référence)
Un enfant est en permanence sous le regard des adultes. Il n’y a que le tôlard qui en soit au même point. Lui, c’est pour le punir. Les enfants, c’est pour les « protéger ».
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 43 (voir la fiche de référence)
L’expérience des enfants est visitée comme leurs tiroirs, leur façon de ressentir est mise en question, et si non conforme à l’attente, invalidée, au besoin reconstruite, et à eux resservie comme leur seule vraie vérité propre : Tu n’aimes pas vraiment cette musique tu veux seulement faire comme tes copains, Tu affiches ces idées pour, Tu es sous l’influence de, etc. Et l’ensemble des enfants est officiellement réinterprété par les experts en enfants. La vraie jeunesse ce n’est pas, c’est.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 43-44 (voir la fiche de référence)
Les mouvements intérieurs sont également réglementés : tu n’as pas de désirs sexuels avant le moment prescrit par tes adultes, ni vers qui tu veux (sens obligatoire vers sexe opposé), sauf permissivité (blâmable et rare). Ils n’aiment pas qui ils veulent hors de la famille, Je ne veux pas que tu voies A., — et dans la famille ils aiment, cela va de soi (les parents n’étant, sur ce point, pas plus libres).
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 44 (voir la fiche de référence)
Les enfants sont définis par les adultes.
Or, les adultes ne connaissent pas les enfants, et ils ne peuvent les connaître : car ils ne les voient que sous leur regard (forcément). C’est-à-dire sous leur surveillance.
Un adulte qui observe des enfants, c’est comme regarder des animaux dans un zoo.
L’observateur modifie l’observé. Cette loi est spécialement valable en sciences humaines, et dans le cas d’une relation de pouvoir l’indétermination peut aller chercher dans les 100 %. Cela veut dire : l’observation est impossible.
On ne connaît que les enfants-des-adultes, comme on ne connut longtemps que les nègres-des-blancs. Oui missié. Tu n’es qu’une vieille bête de nègre, hein ? Oui missié. Le comportement du dominé est induit.
Or, les adultes ne connaissent pas les enfants, et ils ne peuvent les connaître : car ils ne les voient que sous leur regard (forcément). C’est-à-dire sous leur surveillance.
Un adulte qui observe des enfants, c’est comme regarder des animaux dans un zoo.
L’observateur modifie l’observé. Cette loi est spécialement valable en sciences humaines, et dans le cas d’une relation de pouvoir l’indétermination peut aller chercher dans les 100 %. Cela veut dire : l’observation est impossible.
On ne connaît que les enfants-des-adultes, comme on ne connut longtemps que les nègres-des-blancs. Oui missié. Tu n’es qu’une vieille bête de nègre, hein ? Oui missié. Le comportement du dominé est induit.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 47 (voir la fiche de référence)
Si les enfants ne ressemblent pas à l’image accréditée, c’est eux qui se trompent. Ne se connaissent pas, sont déviants, ne sont pas des « vrais » enfants.
Le portrait de l’enfant-des-adultes est répandu partout, en images publi-propagande, en mots dans toute une littérature « pour » enfants faite par les adultes, dans une littérature initiatique pour adultes, et dans la tête d’à peu près tout le monde.
Les enfants, tels que vus dans la lumière aveuglante de l’autorité, sont des humains inachevés physiquement et mentalement. Maladroits (longtemps après que leur coordination est assurée), inattentifs, étourdis, fragiles, dispersés, changeants, pas sérieux, ne pensant qu’à jouer, incapables de se débrouiller tout seuls — donc ils ont besoin de protection et de maîtres. Ils restent comme ça inachevés et incapables jusqu’à 18 ans (sauf sur quelques points tels travailler sans salaire ou répondre de ses méfaits devant la loi), puis brusquement, ils s’achèvent. Ils sont attendrissants, adorables, charmants — jusqu’au moment où ils deviennent impossibles.
Le portrait de l’enfant-des-adultes est répandu partout, en images publi-propagande, en mots dans toute une littérature « pour » enfants faite par les adultes, dans une littérature initiatique pour adultes, et dans la tête d’à peu près tout le monde.
Les enfants, tels que vus dans la lumière aveuglante de l’autorité, sont des humains inachevés physiquement et mentalement. Maladroits (longtemps après que leur coordination est assurée), inattentifs, étourdis, fragiles, dispersés, changeants, pas sérieux, ne pensant qu’à jouer, incapables de se débrouiller tout seuls — donc ils ont besoin de protection et de maîtres. Ils restent comme ça inachevés et incapables jusqu’à 18 ans (sauf sur quelques points tels travailler sans salaire ou répondre de ses méfaits devant la loi), puis brusquement, ils s’achèvent. Ils sont attendrissants, adorables, charmants — jusqu’au moment où ils deviennent impossibles.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 48-49 (voir la fiche de référence)
L’image adulte de « l’Enfant » est si profondément imprimée que personne ne sait plus regarder ce qui est sous le nez. Pour nettoyer les yeux adultes, il faudrait prendre à peu près le contre-pied de l’idée reçue : les enfants sont plus complets, ils sont solides, héroïques (voir à quoi ils résistent !), adroits, capables, graves, profonds, leur intelligence est vaste et déliée, ils sont subtils et malins, ils savent se débrouiller, surtout seuls, etc. Cette description est-elle tellement plus fausse que l’autre ?
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 49 (voir la fiche de référence)
Ce ne sont pas les enfants qui sont différents, ce sont les adultes.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 50 (voir la fiche de référence)
Au cœur des « démocraties » modernes, les enfants vivent sous le régime de la tyrannie — avec ses variantes connues, de l’autocrate abusif au despote éclairé et même démissionnaire, qui ne modifient pas le principe.
Les enfants n’ont aucun droit, que ceux octroyés, qui peuvent donc être repris à tout instant. Ils doivent obéissance aux parents alliés maîtres et au besoin n’importe qui (adulte) a le pas sur eux.
Avantages et punitions dépendent de l’arbitraire adulte, car il n’y a pas de code (en deçà de meurtre ou dommages physiques avérés), et aucune réparation n’est prévue pour les erreurs ou dommages. Et, comme il se doit en régime de tyrannie, le juge est partie.
Les enfants n’ont aucun droit, que ceux octroyés, qui peuvent donc être repris à tout instant. Ils doivent obéissance aux parents alliés maîtres et au besoin n’importe qui (adulte) a le pas sur eux.
Avantages et punitions dépendent de l’arbitraire adulte, car il n’y a pas de code (en deçà de meurtre ou dommages physiques avérés), et aucune réparation n’est prévue pour les erreurs ou dommages. Et, comme il se doit en régime de tyrannie, le juge est partie.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 51 (voir la fiche de référence)
Les enfants sont une classe opprimée.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 52 (voir la fiche de référence)
Qui change les termes déclare la guerre.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 54 (voir la fiche de référence)
Entrer dans la vie : être inséré dans le processus d’exploitation.
Normal : adapté au même.
Adulte : intégré volontaire ou aveuglé.
Enfance : apprentissage de l’exploitation.
Enfants : classe privée d’autonomie.
Adolescents : se dit quand « enfants » devient trop ridicule à dire.
Éducation : réduction aux normes imposées par l’Entreprise.
Bonheur des enfants : réduction sans douleur.
Sexualité : mot. Sert à neutraliser l’énergie sexuelle.
Éducation sexuelle : détournement de cette énergie vers la reproduction.
Libération sexuelle : création d’un nouveau marché.
Culpabilité : peur d’être puni.
Complexe d’Œdipe : forfait d’Abraham menant son fils au sacrifice.
Famille : unité de production contrôlée par l’Entreprise.
Mariage : oui au pouvoir sur les enfants.
Amour : huile pour permettre le jeu de l’institution familiale.
Normal : adapté au même.
Adulte : intégré volontaire ou aveuglé.
Enfance : apprentissage de l’exploitation.
Enfants : classe privée d’autonomie.
Adolescents : se dit quand « enfants » devient trop ridicule à dire.
Éducation : réduction aux normes imposées par l’Entreprise.
Bonheur des enfants : réduction sans douleur.
Sexualité : mot. Sert à neutraliser l’énergie sexuelle.
Éducation sexuelle : détournement de cette énergie vers la reproduction.
Libération sexuelle : création d’un nouveau marché.
Culpabilité : peur d’être puni.
Complexe d’Œdipe : forfait d’Abraham menant son fils au sacrifice.
Famille : unité de production contrôlée par l’Entreprise.
Mariage : oui au pouvoir sur les enfants.
Amour : huile pour permettre le jeu de l’institution familiale.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 56 (voir la fiche de référence)
Pourquoi maintenant ?
Partout en sociétés industrialisées on observe ce glissement dangereux du jugement au diagnostic, de la peine au traitement.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 62 (voir la fiche de référence)
C’est un temps à dépasser la peur, la peur d’être punis et plus aimés qui a paralysé la première vague des révoltes au bord des profonds bouleversements salvateurs — ô motivations secrètes du militantisme armé-casqué, ô goût caché du pouvoir, ô petit chef, ô actions désespérées suicidaires accomplies pour échouer-expier, ô instinct de mort politique, oh papa, oh maman, au secours ! ô impuissances solitudes essentielles oh merde.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 68 (voir la fiche de référence)
Si les chenilles avaient des analystes elles ne deviendraient jamais des papillons.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 69 (voir la fiche de référence)
C’est un temps à ne pas se sentir coupable : car on n’est pas coupable, quand on est en état de légitime défense.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 69 (voir la fiche de référence)
Rapport de forces
Les désirs ils viennent n’importe quand. Voire, sur le riche terrain des frustrations, de préférence quand il ne « faut » pas. Ils ont bien des chances d’être « de trop » les malheureux, même lorsque la bonne volonté ne fait pas défaut.
Alors si en plus il y a la morale !
Il y a, et presque toujours, et même c’est plus pesant que le reste. Insidieuse ou criarde, inconsciente aussi bien. Machinale. Une énorme trouille du désir enfantin. Du désir. Trouille qui dit non par réflexe. Pour la morale, tous les désirs, hormis besoins légitimés, sont en trop.
Alors si en plus il y a la morale !
Il y a, et presque toujours, et même c’est plus pesant que le reste. Insidieuse ou criarde, inconsciente aussi bien. Machinale. Une énorme trouille du désir enfantin. Du désir. Trouille qui dit non par réflexe. Pour la morale, tous les désirs, hormis besoins légitimés, sont en trop.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 85 (voir la fiche de référence)
On ne parlerait pas de l’inceste parents-enfants, car il n’est qu’un cas particulier de la relation adulte-enfant qui est l’une des plus riches lorsqu’elle est vraiment réciproque, on n’en parlerait pas, n’était ce sacré rapport de forces. Il gâte tout. Comment démêler désir de soumission ou crainte ? ou intimidation, ou forme tacite de chantage ? ou autorité naturelle… ?
Si, version mère-fils, pouvoir parental et pouvoir mâle vont en sens contraire, version père-fille ils s’additionnent. Il faut voir là la raison d’une plus grande fréquence du dernier cas, et, donc, l’importance du facteur pouvoir dans l’affaire.
Manifeste ou non, le rapport de pouvoir est là, dès lors l’inceste est du viol. Dommage.
Si, version mère-fils, pouvoir parental et pouvoir mâle vont en sens contraire, version père-fille ils s’additionnent. Il faut voir là la raison d’une plus grande fréquence du dernier cas, et, donc, l’importance du facteur pouvoir dans l’affaire.
Manifeste ou non, le rapport de pouvoir est là, dès lors l’inceste est du viol. Dommage.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 88 (voir la fiche de référence)
L’angoisse est le compagnon silencieux de l’enfance mais qui s’en doute ?
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 89 (voir la fiche de référence)
Action psychologique ou combat contre un adversaire ligoté
Un seul oncle farfelu de passage réussit sans y penser à foutre par terre tout un édifice d’abêtissement édifié à grands efforts — disons que l’oncle a dû mettre en résonance des gènes qui ne demandaient qu’à sauter dans l’action, car du potentiel c’est toujours prêt à sauter. L’oncle peut être une rencontre de vacances, d’autres enfants, le ciné, une chanson, la rue, les événements socio-politiques. Les enfants sont sensibles aux événements socio-politiques, et très tôt ils les perçoivent à leur façon, qui n’est pas forcément stupide, comparée à celle des adultes. Réduire leur univers, comme le font en particulier les freudiens, à papa-maman, c’est les voir — et tâcher de les faire voir — comme des sortes d’appendices sans yeux ni oreilles ni intelligence ; c’est une vision oppressive. « L’oncle » donc peut être partout et n’importe quoi, tout fait ventre. On n’a pas encore trouvé le moyen de l’éviter à coup sûr et c’est notre veine.
La famille est la courroie de transmission de l’idéologie dominante, mais qu’il passe un papillon tout est à refaire.
La famille est la courroie de transmission de l’idéologie dominante, mais qu’il passe un papillon tout est à refaire.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 97 (voir la fiche de référence)
Dépendance légale
Les enfants sont « irresponsables » mais peuvent néanmoins être jugés, pour délits de droit « commun », et en plus pour des délits propres à eux, qui n’en seraient pas si commis par des adultes (activités sexuelles « précoces », actes de rébellion, cela variant selon les pays). Aux fins de leur « protection » ils relèvent de tribunaux à part, de juges spéciaux, et, en fonction du degré de paternalisme et non de textes précis, ils peuvent se voir condamnés pour de longues années (jusqu’à la majorité) à détention dans des établissements conçus pour les sauver et rééduquer.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 103 (voir la fiche de référence)
Les délits et crimes commis contre les enfants sont définis par les adultes, non par les enfants qui les ont subis. Ainsi, avec meurtre et sévices, on trouve : « attentat ou offense à la pudeur » — non sa pudeur, mais l’idée que les adultes ont de la pudeur, et « détournement de mineur », le mineur fût-il consentant. En cas de relation d’amour ou de plaisir réciproques entre un adulte et un mineur, l’adulte, considéré instigateur (les enfants sont « irresponsables ») risque de lourdes peines, l’enfant peut être envoyé dans une institution, subir des châtiments familiaux (bien qu’il soit irresponsable, il, et elle, est tout de même coupable). Sommet : deux mineurs se « détournant » l’un l’autre sont en faute.
L’avis des enfants sur le principe même du « tort » qu’ils souffriraient n’est ni requis ni reçu. Quant aux dommages dont eux pourraient se plaindre, ils ne figurent pas dans les textes. Tels : abus de pouvoir, abus de confiance, chantage, cruauté mentale ; privation de liberté, mutilations invisibles, corporelles et mentales, refus d’assistance, exploitation. Et détournement de mineur, justement, lorsqu’eux-mêmes s’estimeraient détournés, par l’endoctrinement scolaire ou des media, l’orientation professionnelle contraire aux désirs. Et incitation à la débauche, donc ! puisque toute la société bourgeoise : compétition, écrasement du faible, violence, profit comme religion, incontinence consommatrice, agressivité, moi d’abord, hypocrisie payante, exploitation, séduction intéressée, combine, on en oublie, toute la société bourgeoise n’est qu’une vaste incitation à la débauche. Mais pas gaie.
L’avis des enfants sur le principe même du « tort » qu’ils souffriraient n’est ni requis ni reçu. Quant aux dommages dont eux pourraient se plaindre, ils ne figurent pas dans les textes. Tels : abus de pouvoir, abus de confiance, chantage, cruauté mentale ; privation de liberté, mutilations invisibles, corporelles et mentales, refus d’assistance, exploitation. Et détournement de mineur, justement, lorsqu’eux-mêmes s’estimeraient détournés, par l’endoctrinement scolaire ou des media, l’orientation professionnelle contraire aux désirs. Et incitation à la débauche, donc ! puisque toute la société bourgeoise : compétition, écrasement du faible, violence, profit comme religion, incontinence consommatrice, agressivité, moi d’abord, hypocrisie payante, exploitation, séduction intéressée, combine, on en oublie, toute la société bourgeoise n’est qu’une vaste incitation à la débauche. Mais pas gaie.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 104-105 (voir la fiche de référence)
Les enfants sont exclus du minimum de garanties démocratiques, qui n’est pas grand-chose, mais c’est pire sans.
Il n’est pas vrai que, ainsi qu’il est écrit dans la fameuse Déclaration des Droits de l’Homme à propos de laquelle en classe on tente d’éveiller notre enthousiasme, « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Entre autres violations (les femmes), le mot « naissent » n’est pas appliqué. Le statut de mineur est anticonstitutionnel.
Il n’est pas vrai que, ainsi qu’il est écrit dans la fameuse Déclaration des Droits de l’Homme à propos de laquelle en classe on tente d’éveiller notre enthousiasme, « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Entre autres violations (les femmes), le mot « naissent » n’est pas appliqué. Le statut de mineur est anticonstitutionnel.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 107 (voir la fiche de référence)
Le besoin de protection attribué aux faibles et aux ignorants a toujours légitimé les mesures de coercition de l’État. L’u.r.s.s. des moujiks, la France des veaux, le peuple de partout.
La protection imposée par un protecteur est un contrôle.
Il n’y aurait de protection qui mérite ce terme que celle qui serait demandée par une personne (de tout âge, sexe, etc.) en difficulté, et qui n’irait pas au-delà de cette demande.
La protection imposée par un protecteur est un contrôle.
Il n’y aurait de protection qui mérite ce terme que celle qui serait demandée par une personne (de tout âge, sexe, etc.) en difficulté, et qui n’irait pas au-delà de cette demande.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 109 (voir la fiche de référence)
Les corps constitués
Les enfants sont d’extraordinaires pêcheurs, les meilleures têtes chercheuses créées à ce jour. Ayant une intuition au moins globale du sort qui les attend, ils sont, sans même y penser, à l’affût des coups de bol. Le coup de bol peut être n’importe quoi. Il n’a rien à voir avec enfance heureuse ou malheureuse. Heureusement. Il n’est pas nécessairement un événement important — au sens où l’entendent les grandes personnes qui n’y entendent rien en importance de toute façon et heureusement. Bien que, un événement important peut aussi faire l’affaire. N’importe quoi.
Au premier rang des coups de bol : l’amour. La rencontre. De quelqu’un, de quelque chose, ou bête, ou image. Et ça peut même arriver à l’école, venir même d’un/une prof. Toute connaissance est une histoire d’amour.
Au premier rang des coups de bol : l’amour. La rencontre. De quelqu’un, de quelque chose, ou bête, ou image. Et ça peut même arriver à l’école, venir même d’un/une prof. Toute connaissance est une histoire d’amour.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 117 (voir la fiche de référence)
Après les notions de délinquant, prédélinquant, caractériel, débile, inadapté, personnalité psychopathique, voici la dénomination de « déviant », qui a le mérite d’être claire : il y a donc une Ligne ; et l’avantage qu’on peut mettre dedans ce qu’on veut : le vol de mob la fugue la désobéissance l’homosexualité (c’est-à-dire tout le monde qui a le malheur de se faire prendre) la sexualité solitaire l’hétéroprécocité le mauvais esprit la tête de lard l’insoumission précoce la manif la brebis noire le fille manqué la garçon manquée la haine des maths le génie hors programme l’insolence la liberté l’irrespect le bombage de murs les mauvaises lectures la grève les cheveux le pied le marcheur sur pelouse le rouleur d’herbe le promeneur trop loin la lumière trop tard le pas aimant le mal aimé le suicidaire le ras le bol la liberté la vie, tout ce qui dit pas papamaman quand on appuie sur le ventre. Tout est médicalisable et tout se traite.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 137-138 (voir la fiche de référence)
Dépendance économique
Il y a des gens dans le monde qui non seulement n’ont pas de ressources, mais n’ont pas le droit de s’en procurer, ni de disposer de celles qu’ils possèdent, par héritage par exemple. Ce sont les enfants de la société moderne — où, manque de pot, tout repose sur l’argent. Même s’ils travaillent, ce qui peut leur arriver dès 13 ans et demi, ils ne reçoivent pas un salaire entier ; ils risquent de ne pas en recevoir du tout. Ils ne peuvent se suffire à eux-mêmes avant 18 ans, voire 20. Il leur faut donc être à la charge d’adultes. Et pas n’importe lesquels, qu’ils choisiraient ou qui les choisiraient — il ferait beau voir qu’un adulte entretienne un mineur ou une parce qu’il l’aime bien ! ce serait du détournement. Expressément ses parents, ou son tuteur.
Cela fait de l’enfant de société avancée un attardé, qui reste aux graines de sa famille dans les dix ans de plus que son frère « primitif » ou médiéval. Un bébé longue-durée.
Cela fait de l’enfant de société avancée un attardé, qui reste aux graines de sa famille dans les dix ans de plus que son frère « primitif » ou médiéval. Un bébé longue-durée.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 141 (voir la fiche de référence)
Étant donné les conditions, spéciales, faites aux jeunes sur le marché du travail — sans parler du marché du chômage où on ne peut entrer du reste que si on a déjà assez travaillé pour ça — les seuls débouchés sont : les casses (où les jeunes se font exploiter par les receleurs, aux environs de 10 % de la valeur des vols) ; et la prostitution, en expansion parmi les enfants de familles pauvres, aussi bien pour les garçons que pour les filles (clientèle mâle pour les deux) ; s’ils se débrouillent pour ne pas se faire « protéger » (exploiter) par des professionnels, ils se trouvent là du moins à égalité d’exploitation avec les adultes, voire un peu plus cotés, vu leur fraîcheur. C’est le clair résultat obtenu par une réglementation « protectrice » dans une société fondée sur l’exploitation.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 152 (voir la fiche de référence)
L’amour filial
L’amour des enfants lucides est difficile à garder.
Ou alors il faut être suffisamment estimable.
Ou alors il faut être suffisamment estimable.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 173 (voir la fiche de référence)
Les adultes ont peur. La « peur panique » soi-même.
Le plaisir, c’est dangereux. Rougeur subite de la jeune mère qui, la première fois qu’elle donne le sein, se met à jouir, personne ne l’avait prévenue et elle sent bien que c’est mal. Et ces nourrices autrefois qui baisaient les petits enfants au sexe tandis qu’elles les allaitaient. Ça devait faire des repas un moment assez riche. Et ces petits qui se caressent, devant le monde les innocents, le monde se détourne gêné, et la maman retire la main en disant que c’est pour son bien. Au petit, oh les hypocrites, c’est eux qui sont troublés. Les adultes se glacent devant les enfants parce qu’ils ont peur pour eux-mêmes et leur vertu si chèrement acquise.
Le plaisir, c’est dangereux. Rougeur subite de la jeune mère qui, la première fois qu’elle donne le sein, se met à jouir, personne ne l’avait prévenue et elle sent bien que c’est mal. Et ces nourrices autrefois qui baisaient les petits enfants au sexe tandis qu’elles les allaitaient. Ça devait faire des repas un moment assez riche. Et ces petits qui se caressent, devant le monde les innocents, le monde se détourne gêné, et la maman retire la main en disant que c’est pour son bien. Au petit, oh les hypocrites, c’est eux qui sont troublés. Les adultes se glacent devant les enfants parce qu’ils ont peur pour eux-mêmes et leur vertu si chèrement acquise.
- Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Paris, Bernard Grasset (Enjeux), 1976, p. 185 (voir la fiche de référence)
Voir aussi
Bibliographie
Édition utilisée
- Les enfants d’abord / Christiane Rochefort. – Paris : Bernard Grasset, 1976 (Saint-Amand : Impr. Bussière). – 192 p. ; 21 × 12 cm. – (Enjeux). (fr)La couv. porte en plus : « De tous les opprimés doués de parole, les enfants sont les plus muets ». – Bibliogr. p. 189. – ISBN 2-246-00304-0 (broché)