« Hervé (Maurice Balland) – V » : différence entre les versions
Hervé (Maurice Balland) – V |
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Dernière version du 8 juillet 2014 à 11:12
Ce même soir, le père Albin fut long à trouver le sommeil. Il pensait aux agissements d’Hervé. Il s’en inquiétait, mais aussi, cela provoquait en lui un certain émoi. Se tournant d’un côté et de l’autre dans son lit, il essaya de calmer les ardeurs de son corps. Après de longues années d’efforts, il avait réussi à faire taire les désirs de ses sens. Parvenu à l’âge de quarante ans, il n’était pas mécontent du résultat malgré le léger état de tension nerveuse dans lequel il se trouvait ordinairement. Et voilà que tout cela allait se trouver réduit à néant. Par habitude, il parvint à se contenir et enfin s’endormir.
Son sommeil fut traversé de rêves insensés. Il se vit tombant dans le vide et parvenant à stopper sa chute vertigineuse en s’agrippant à une corde lancée pour le sauver. Aussitôt attrapée, celle-ci s’avéra être la verge d’un garçon qu’il tenait à pleines mains. Il rêva aussi qu’il était nu en compagnie d’un garçon au visage indécis, également à poil, qui lui tordait le sexe. Réveillé en sursaut et sentant une douleur au bas-ventre, il s’aperçut qu’il avait pris une mauvaise position durant son sommeil.
Le matin, mal reposé, il se leva la tête lourde. L’office lui parut interminable, ne pouvant y fixer convenablement son attention. Sans cesse lui revenaient à l’esprit des faits de son enfance ou de son adolescence qu’il s’était efforcé de refouler et d’enfouir dans l’oubli. Il y avait des jeux sexuels avec des camarades de son âge, pour lesquels il s’était fait une fois vertement gronder par ses parents, provoquant en lui un fort sentiment de honte ; la colonie de vacances, vers ses douze ans, où des moniteurs avaient abusé de lui sans qu’il osât rien dire sur place ou au retour à la maison. Au temps où, élève au lycée vers ses seize ans, des rencontres entre garçons et filles se soldèrent par des échecs tant ils étaient inexpérimentés ; la déception alors, lui avait laissé un amer souvenir.
En revanche, il avait gardé mémoire d’un fait heureux. C’était à des vacances d’été au bord de la mer, juste après ses treize ans. Un jour, il surprit au milieu de rochers assez inaccessibles un homme qui reposait étendu sur le dos, totalement nu, avec seulement une serviette sur la tête pour la protéger du soleil. Subjugué, il se tapit de façon à regarder sans manifester sa présence. Le lendemain, il retrouva l’homme au même endroit. Toujours caché, il le dévora des yeux comme la veille et bientôt le vit se satisfaire de la main jusqu’à provoquer une violente secousse, signe de sa jouissance. Fasciné par le spectacle, il sentit monter en lui un ardent désir et vouloir faire de même. Cependant, il n’osait pas bouger de crainte d’être remarqué quand, soudain, l’homme se dressa sur son séant et l’interpella :
— Garçon, si tu veux, tu peux venir !
On avait donc deviné sa présence et sans doute aussi son désir. Il s’approcha et se laissa faire. Combien alors cela lui parut merveilleux ! Par la suite, il retrouva plusieurs fois cet homme qu’il ne revit plus les vacances terminées.
D’autres faits remontaient du fond de sa mémoire, qu’il s’efforça de refouler. Étant engagé dans l’état religieux, et justement pour n’avoir plus à songer à tout cela, son devoir était certainement de continuer à maintenir le couvercle sur la case de son cerveau où il avait décrété de reléguer cette partie de son existence.
Voilà qu’à cause d’Hervé, cette case devenait une marmite bouillonnante dont le couvercle risquait de sauter. Une catastrophe devenait imminente. Peut-être valait-il mieux mettre le holà et couper court aux relations avec l’enfant.
Le père Albin s’abîme dans ses réflexions. Il lui semble être le jouet de subtiles contradictions dont il lui sera difficile de se déprendre. C’est comme un filet dont les mailles iront en se resserrant et dont il ne pourra échapper à moins de réagir à temps. Il tente de se convaincre dans un sens ou dans un autre, d’établir une logique dans son raisonnement. Mais, une logique est-elle possible dès que le sentiment et la raison sont en conflit ?
Il pense : « C’est l’enfant qui désire, cela ne fait aucun doute, comme moi-même j’avais désiré m’approcher de l’homme vu dans les rochers. À ce moment-là, sans y être contraint, j’ai accepté librement de me satisfaire avec lui. Sans doute est-ce pour cela que ce souvenir reste comme l’un des meilleurs de mon adolescence ? Pourquoi alors refuser à Hervé les satisfactions qu’il attend et qui auront pour effet de colorer heureusement ses années d’enfance ? Depuis cinq mois qu’il me connaît, il a changé en mieux et paraît s’épanouir. Ça me semble évident ! D’ailleurs, ses parents en ont fait la remarque. Si donc, ils le reconnaissent, ce doit être vrai puisqu’ils le voient tous les jours. Ils sont mieux à même que moi de constater ses progrès. Il serait cruel de rompre et d’arrêter brutalement cet heureux processus. Peut-être aussi ne surmontera-t-il pas l’épreuve, avec le risque de redevenir ce qu’il a été ? »
« Par ailleurs, continue de penser le père Albin, jamais je n’oserai accomplir sur lui ce qu’il veut. J’ai bien remarqué sa manœuvre hier. Je n’ai pas été dupe. Il m’a forcé à lui toucher le sexe. La morale ne le permet pas, et puis, il y a de gros risques. Ma vie serait brisée, comme c’est arrivé à d’autres, il n’y a qu’à lire les journaux ! Que faire ? »
« Je ne ferai donc rien, mais je ne vais pas davantage le repousser. Je vais essayer de conserver sa confiance et de sublimer notre amitié. C’est le meilleur service à lui rendre. Et puis, en fin de compte, si la Providence l’a mis sur ma route, ce doit être justement pour l’aider à développer ses qualités tout en rectifiant les mauvais penchants de sa nature. Je sais qu’en éducation on obtient de bons résultats quand se noue une réelle et pure amitié entre maître et élève. »
Le père Albin prit donc une bonne résolution. Il se sentit rassuré et confiant dans l’avenir. Le couvercle de la marmite ne sautera pas !
Durant plusieurs jours, il se conforta dans son propos, réfléchissant aussi sur les moyens à prendre pour s’y tenir et aider Hervé à devenir un garçon innocent et pur, objectif des plus louables, et pria pour s’assurer l’aide du ciel.
Hervé vint la semaine suivante et le père le reçut dans son bureau. Il le fit asseoir en vis-à-vis, de l’autre côté de la table et, intentionnellement, laissa la porte ouverte pour signifier au garçon l’obligation de se maintenir sur sa réserve.
La conversation s’engagea. D’emblée Hervé posa une question qui lui tenait à cœur :
— Dites-moi la différence entre être copain et être ami.
— As-tu des copains ?
— Oui, les copains de l’école, ceux de ma classe surtout. Puis ceux de la cité ; tous ne vont pas à la même école que moi, je joue parfois avec eux.
— C’est tout à fait ça. Des copains, des camarades, les deux mots signifient la même chose, l’un d’eux seulement est plus populaire, des camarades donc ce sont des personnes avec qui on a des relations plutôt occasionnelles, valables pour le temps où l’on se trouve avec elles. Ainsi, par exemple, des camarades de jeux, camarades de classe, camarades d’atelier, camarades de régiment.
— Oui, je comprends, les camarades c’est ceux avec qui on n’est pas forcé de se trouver tout le temps.
— C’est ça ou à peu près. Maintenant, si tu as un copain avec qui tu vas plus souvent parce que tu le connais mieux, tu as les mêmes goûts que lui, ou encore tu lui demandes de te rendre des services parce que tu peux compter sur lui, et inversement, c’est un ami. N’as-tu pas un ami de cette façon-là ?
— Bien, si, Benoît Sauget. On s’entend bien tous les deux. Je vais chez lui et on joue avec son train électrique. Il vient aussi à la maison parce que je lui prête des bouquins. Je fais ça pour lui parce que je suis sûr qu’il me les rendra. Et puis, si j’ai besoin de quelque chose, je peux compter sur lui. Mes parents et les siens sont amis. Benoît est le plus chic de tous mes copains.
À ce moment de la conversation, un visiteur se présente. Il faut le recevoir. Le père fait signe au garçon que ce ne sera pas long et l’envoie dans l’antichambre. L’affaire expédiée, il le rappelle. Hervé manifeste un peu de contrariété :
— On va souvent être dérangés comme ça ? Il n’y aurait pas moyen d’empêcher les gens de venir ?
— Si, je vais mettre cet écriteau à la porte.
Sitôt dit, sitôt fait. Le père accroche à l’extérieur de la porte donnant sur la rue un carton portant l’inscription :
et ferme la porte à clef.
Sur ces entrefaites, étant allé tapoter sur les touches de la machine à écrire, Hervé se trouva du côté de la table où se tient habituellement le père. Au retour de celui-ci, il resta là, debout, continuant à pianoter sur le clavier. Le père étant de nouveau assis sur sa chaise, soudain, le garçon prit place sur ses genoux et lui passa un bras autour du cou pour maintenir son équilibre puis, faisant preuve de suite dans les idées, il reprit la conversation où elle avait été interrompue :
— Oui, Benoît, c’est un vrai copain. Mais je ne pense pas qu’il soit réellement un ami. Pour moi, un ami, c’est plus que ça.
— Ah, explique-toi !
— Eh bien ! Benoît, j’aime être avec lui, on s’entend bien. Mais s’il déménage, ou que nous on s’en va, je ne le verrai plus, alors il faudra que je cherche un autre copain aussi chic. C’est pas des vrais amis tout ça.
— Tu as tort. Je t’ai dit tout à l’heure que l’on peut perdre des camarades, on peut également perdre des amis. Il n’empêche qu’un ami, c’est plus qu’un copain.
— Oui, bien sûr, mais je crois que ce n’est pas encore tout à fait ça.
Le père écoute, fort perplexe, ne sachant trop quelle contenance prendre avec un garçon sur ses genoux. Ayant, au cours de la conversation et sans y prêter tellement attention, posé la main sur une cuisse d’Hervé, près du pli de l’aine, machinalement, il se mit à tapoter de ses doigts comme il aurait fait sur le bord de la table dans un moment de nervosité.
Hervé est agréablement surpris. Cet attouchement apporte une sensation nouvelle et provoque un certain émoi en ses parties intimes. Tandis qu’il parle tout en cherchant à préciser sa pensée sans y parvenir, voilà que le geste du père agit comme un révélateur. Un déclic se fait dans son esprit, et alors il lance :
— Un ami, c’est quelqu’un comme vous !
— Ah, comment cela ? Explique-toi.
— Un ami, c’est quelqu’un avec qui on est heureux, avec qui on voudrait toujours rester.
— Peut-être, mais il n’est pas facile d’être toujours ensemble. Je ne te vois pas rester avec moi : nous n’avons pas les mêmes occupations. Et puis, je suis un adulte et tu n’es qu’un enfant.
— Qu’est-ce que ça peut faire ? Je suis content d’être avec vous. Un ami, c’est quelqu’un à qui on peut parler, en qui on a confiance, avec qui on a tout ce qu’on veut.
— Sans doute, mais crois-moi, les choses ne sont pas si simples. On ne peut tout avoir dans la vie. Enfin tu as un peu raison, il est précieux d’avoir un véritable ami à qui l’on pense et sur qui on peut compter pour surmonter les difficultés de l’existence.
Hervé apprécie la réponse du père et conclut de façon péremptoire, les sourcils en forme de V :
— Moi, je pense souvent à vous durant la journée. Le soir, avant de m’endormir, si j’ai bien pensé à vous, je suis sûr que je dormirai bien et que je ferai de beaux rêves.
Le père interloqué ne sait que répondre. Il mesure l’ampleur de l’attachement que lui porte l’enfant, et le trouve même excessif. Il serait pourtant bien cruel de le contrarier et n’ose donc aller contre son sentiment. Leurs visages étant proches, il l’étreint, l’embrasse et promet :
— D’accord, nous sommes amis, mais sois sage avec moi. Je te fais confiance. Je compte sur toi. Tu pourras aussi compter sur moi.
Il l’embrasse à nouveau. Puis, l’heure étant avancée, il le prie de retourner à la maison.
Ce soir-là, Hervé couché sur le dos songe à son ami. Il se caresse la cuisse à l’endroit que celui-ci a tapoté. Le sexe bientôt gonflé, il s’endort avec la certitude de faire de beaux rêves.