« L’Élu – Chapitre II » : différence entre les versions
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::Pierre traversa le mur fleuri et gravit les premières marches de l’escalier abîmé sous le soleil. Une ''ragazza'', deux ''ragazze'', trois, quatre ''ragazze'' se précipitent avec des fleurs que, très effrontées, plus effrontées que les suppliants petits ''bambini'', elles mettent dans le gilet, dans les poches et jusque dans les manches de Pierre. Pierre a eu tort d’accepter encore les offres de ces filles. Tous les ''ragazzi'' et les ''ragazze'' et les ''bambini'' accourent ainsi que, aux Tuileries, une trôlée de moineaux au-devant d’une mie de pain. Pour s’en débarrasser Pierre lance au loin quelques sous ; par quoi il s’assure que le charme de sa personne n’est pour rien dans l’accort empressement des filles et l’impertinence engageante de certains garçons. Arrivé sur le premier palier, assailli de nouveau, la netteté de son refus fait tomber l’enthousiasme des quémandeurs en retard. Il se détourne ; la dégringolade des marches au-dessous de lui le ravit. Coiffant les maisons d’en bas, déjà, de lointaines toitures découvrent la bure vétuste et rouillée de leurs tuiles. Pierre adore cette couleur, cette vieillerie, le démantèlement de quelques masures très pittoresques et, tout à ses pieds, l’or fauve des degrés, les fleurs, les filles, les jeunes hommes éblouissants de couleur et de charme lumineux et blond – et, limpide, l’eau gazouillante de la ''Barcaccia''… | ::Pierre traversa le mur fleuri et gravit les premières marches de l’escalier abîmé sous le soleil. Une ''ragazza'', deux ''ragazze'', trois, quatre ''ragazze'' se précipitent avec des fleurs que, très effrontées, plus effrontées que les suppliants petits ''bambini'', elles mettent dans le gilet, dans les poches et jusque dans les manches de Pierre. Pierre a eu tort d’accepter encore les offres de ces filles. Tous les ''ragazzi'' et les ''ragazze'' et les ''bambini'' accourent ainsi que, aux Tuileries, une trôlée de moineaux au-devant d’une mie de pain. Pour s’en débarrasser Pierre lance au loin quelques sous ; par quoi il s’assure que le charme de sa personne n’est pour rien dans l’accort empressement des filles et l’impertinence engageante de certains garçons. Arrivé sur le premier palier, assailli de nouveau, la netteté de son refus fait tomber l’enthousiasme des quémandeurs en retard. Il se détourne ; la dégringolade des marches au-dessous de lui le ravit. Coiffant les maisons d’en bas, déjà, de lointaines toitures découvrent la bure vétuste et rouillée de leurs tuiles. Pierre adore cette couleur, cette vieillerie, le démantèlement de quelques masures très pittoresques et, tout à ses pieds, l’or fauve des degrés, les fleurs, les filles, les jeunes hommes éblouissants de couleur et de charme lumineux et blond – et, limpide, l’eau gazouillante de la ''Barcaccia''… | ||
::… Si de l’amour pouvait, de tout cela, jaillir et ajouter aux ondoiements du soleil, aux fleurs embaumées, à la mutinerie délicieuse du printemps – la clarté de beaux yeux, la grâce accueillante d’un geste, et l’arôme de lèvres adolescentes épanouies dans un jeune sourire !… | ::… Si de l’amour pouvait, de tout cela, jaillir et ajouter aux ondoiements du soleil, aux fleurs embaumées, à la mutinerie délicieuse du printemps – la clarté de beaux yeux, la grâce accueillante d’un geste, et l’arôme de lèvres adolescentes épanouies dans un jeune sourire !… | ||
::« Est-ce joli ! » pense en lui-même Pierre ravi dans son âme tellement accessible à toute beauté que des larmes lui viendraient aux yeux pour ce rayonnement qui l’illumine… et pour l’inutilité de ce rêve d’amour ! « Est-ce joli ! » | ::« Est-ce joli ! » pense en lui-même Pierre ravi dans son âme tellement accessible à toute beauté que des larmes lui viendraient aux yeux pour ce rayonnement qui l’illumine… et pour l’inutilité de ce rêve d’amour ! « Est-ce joli ! » | ||
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::Tandis que Pierre marchandait – il eût vidé l’or de sa bourse pour l’amour d’elles dans les petites mains d’une délicatesse inouïe qui lui offraient des fleurs – il regardait cette vision magnifique et l’invraisemblable beauté de ces yeux dans la tristesse simple de cette apparition… Il avait seize ans ; sa voix était blonde… ''elle avait seize ans aussi''. | ::Tandis que Pierre marchandait – il eût vidé l’or de sa bourse pour l’amour d’elles dans les petites mains d’une délicatesse inouïe qui lui offraient des fleurs – il regardait cette vision magnifique et l’invraisemblable beauté de ces yeux dans la tristesse simple de cette apparition… Il avait seize ans ; sa voix était blonde… ''elle avait seize ans aussi''. | ||
::— … Oh ! non, signor, ce n’est pas cher ! | ::— … Oh ! non, signor, ce n’est pas cher ! | ||
::— Et celui-ci ? | ::— Et celui-ci ? | ||
::— Un soldo aussi, signor… | ::— Un soldo aussi, signor… | ||
::— Je préfère le premier. | ::— Je préfère le premier. | ||
::— Al suo commodo, signor. | ::— Al suo commodo, signor. | ||
::— Comment appelles-tu, piccolo mio… – Et Pierre se reprenait – Comment appelez-vous ces fleurs ? | ::— Comment appelles-tu, piccolo mio… – Et Pierre se reprenait – Comment appelez-vous ces fleurs ? | ||
::L’enfant étonné regardait Pierre avec ses beaux yeux bleus, foncés comme du velours et clairs aussi comme du ciel, dans son jeune visage extrêmement pâle et mat, et d’une si troublante expression de fatigue. | ::L’enfant étonné regardait Pierre avec ses beaux yeux bleus, foncés comme du velours et clairs aussi comme du ciel, dans son jeune visage extrêmement pâle et mat, et d’une si troublante expression de fatigue. | ||
::— Mais – il dit : monsieur, cette fois – ce sont des violettes, monsieur. | ::— Mais – il dit : monsieur, cette fois – ce sont des violettes, monsieur. | ||
::— Et celles-ci ? | ::— Et celles-ci ? | ||
::— Mais celles-ci, monsieur, ce sont des pensées… Et sa voix contenait des intonations d’une grisante mélodie… Il ne comprenait pas, apparemment, qu’un jeune homme aussi distingué que Pierre pût ignorer le nom de ces fleurs communes ; et le mystère de ces interrogations le troublait un peu. Cela était visible à ses yeux inquiets et à ses lèvres… Ses lèvres étaient des conques fragiles et fraîches où tenait un océan de grâce et de jeunesse ; et Pierre les entendait bruire à ses oreilles, attentives comme bruit la plainte éternelle de la mer… | ::— Mais celles-ci, monsieur, ce sont des pensées… Et sa voix contenait des intonations d’une grisante mélodie… Il ne comprenait pas, apparemment, qu’un jeune homme aussi distingué que Pierre pût ignorer le nom de ces fleurs communes ; et le mystère de ces interrogations le troublait un peu. Cela était visible à ses yeux inquiets et à ses lèvres… Ses lèvres étaient des conques fragiles et fraîches où tenait un océan de grâce et de jeunesse ; et Pierre les entendait bruire à ses oreilles, attentives comme bruit la plainte éternelle de la mer… | ||
::— Prenez trois bouquets pour deux soldi, s’il vous plaît, monsieur… | ::— Prenez trois bouquets pour deux soldi, s’il vous plaît, monsieur… | ||
::— Mais il m’en faut davantage, mon petit homme ! | ::— Mais il m’en faut davantage, mon petit homme ! | ||
::Et Pierre sentait que toute son âme frappait les parois fragiles de ses tempes rien qu’à voir, sur le front précieux de l’éphèbe tout neuf, des boucles de cheveux châtains frottés d’or se relever comme avec orgueil, puis se pencher d’un côté comme avec tendresse et retomber sur un de ses yeux de saphir étoilé pour répandre sur ces yeux des caresses ambrées dont il parut à Pierre que le monde se remplissait à mesure que, les regards fixés aux regards inquiets du petit mendiant, il s’immobilisait sous l’emprise de sa beauté… | ::Et Pierre sentait que toute son âme frappait les parois fragiles de ses tempes rien qu’à voir, sur le front précieux de l’éphèbe tout neuf, des boucles de cheveux châtains frottés d’or se relever comme avec orgueil, puis se pencher d’un côté comme avec tendresse et retomber sur un de ses yeux de saphir étoilé pour répandre sur ces yeux des caresses ambrées dont il parut à Pierre que le monde se remplissait à mesure que, les regards fixés aux regards inquiets du petit mendiant, il s’immobilisait sous l’emprise de sa beauté… | ||
::— Alors, monsieur, vous pouvez en prendre comme il vous plaira pour le prix que vous voudrez bien. | ::— Alors, monsieur, vous pouvez en prendre comme il vous plaira pour le prix que vous voudrez bien. | ||
::L’enfant attendait, lente à venir, la décision de Pierre. Pierre était absorbé ; il regardait non pas les fleurs qui avaient cessé d’être fleurs auprès des oreilles mignonnes du jouvenceau, mais sa chevelure autour de ces oreilles pressée qui le faisait beau comme une réincarnation de l’Éros antique… L’enfant se pencha pour choisir lui-même dans une pauvre petite corbeille posée à ses pieds, les humbles bouquets d’un soldo ; et c’était très compliqué ce choix qui mêlait ses doigts longs, blancs et fuselés aux feuillages des marguerites et des violettes, c’était très compliqué parce qu’il voulait trouver les plus beaux et que les plus beaux avaient encore un petit air bien malheureux quoique les fleurs en fussent d’une fraîcheur incontestable. Pierre se penchant à son tour se rapprochait ainsi de lui. Il vit son cou de chair souple et ferme, d’un modèle aussi pur que celui des madones de Raphaël, contenu dans la chemise trop large, de sorte que ses épaules tièdes et très pâles laissaient voir à Pierre comment elles étaient, dans leur intimité, joliment rattachées aux courbes déliées qui les unissaient au cou duveté d’or sur la nuque ambrée. De même les poignets de sa chemise étaient usés, de façon que ses bras, ainsi que deux bijoux d’ivoire, livraient très haut leur juvénile rondeur. Et le petit mendiant sentait les fleurs par tout lui. | ::L’enfant attendait, lente à venir, la décision de Pierre. Pierre était absorbé ; il regardait non pas les fleurs qui avaient cessé d’être fleurs auprès des oreilles mignonnes du jouvenceau, mais sa chevelure autour de ces oreilles pressée qui le faisait beau comme une réincarnation de l’Éros antique… L’enfant se pencha pour choisir lui-même dans une pauvre petite corbeille posée à ses pieds, les humbles bouquets d’un soldo ; et c’était très compliqué ce choix qui mêlait ses doigts longs, blancs et fuselés aux feuillages des marguerites et des violettes, c’était très compliqué parce qu’il voulait trouver les plus beaux et que les plus beaux avaient encore un petit air bien malheureux quoique les fleurs en fussent d’une fraîcheur incontestable. Pierre se penchant à son tour se rapprochait ainsi de lui. Il vit son cou de chair souple et ferme, d’un modèle aussi pur que celui des madones de Raphaël, contenu dans la chemise trop large, de sorte que ses épaules tièdes et très pâles laissaient voir à Pierre comment elles étaient, dans leur intimité, joliment rattachées aux courbes déliées qui les unissaient au cou duveté d’or sur la nuque ambrée. De même les poignets de sa chemise étaient usés, de façon que ses bras, ainsi que deux bijoux d’ivoire, livraient très haut leur juvénile rondeur. Et le petit mendiant sentait les fleurs par tout lui. | ||
::— Alors vous en prenez cinq, monsieur ? – Et comme on n’avait jamais acheté cinq bouquets d’un seul coup au joli gamin, il ne put contenir un très naïf et très étonné et presque honteux ; c’est beaucoup ! – craignant de voir qu’ainsi on voulût lui faire l’aumône… | ::— Alors vous en prenez cinq, monsieur ? – Et comme on n’avait jamais acheté cinq bouquets d’un seul coup au joli gamin, il ne put contenir un très naïf et très étonné et presque honteux ; c’est beaucoup ! – craignant de voir qu’ainsi on voulût lui faire l’aumône… | ||
::Ses yeux adolescents scrutaient Pierre et lui versaient dans les yeux tout le ciel d’un beau soir d’été, tout le ciel avec les étoiles. Et le tour adorable de ses yeux puérils et fatigués, un peu seulement – pour qu’ils en soient plus beaux – était, à la naissance des joues charmantes, nacré comme un clair de lune qui pâlit ; son menton clair achevait l’ovale innocent, pas très innocent – et fier de son visage dans un sourire où Pierre vit tant de sympathie prête à s’avouer et se contenir soudain dans une telle attitude de tristesse résignée que le regard douloureux de l’adolescent lui meurtrit le cœur, en se croisant avec le sien. | ::Ses yeux adolescents scrutaient Pierre et lui versaient dans les yeux tout le ciel d’un beau soir d’été, tout le ciel avec les étoiles. Et le tour adorable de ses yeux puérils et fatigués, un peu seulement – pour qu’ils en soient plus beaux – était, à la naissance des joues charmantes, nacré comme un clair de lune qui pâlit ; son menton clair achevait l’ovale innocent, pas très innocent – et fier de son visage dans un sourire où Pierre vit tant de sympathie prête à s’avouer et se contenir soudain dans une telle attitude de tristesse résignée que le regard douloureux de l’adolescent lui meurtrit le cœur, en se croisant avec le sien. | ||
::— … Oui, je prends cinq bouquets. Combien cela fait-il ? | ::— … Oui, je prends cinq bouquets. Combien cela fait-il ? | ||
::— Eh bien ! ce sera quatre soldi, monsieur. | ::— Eh bien ! ce sera quatre soldi, monsieur. | ||
::L’enfant voyant l’hésitation de son client ajouta pour l’engager, tremblant qu’il réduisît encore son maigre bénéfice, et s’efforçant de lui sourire : | ::L’enfant voyant l’hésitation de son client ajouta pour l’engager, tremblant qu’il réduisît encore son maigre bénéfice, et s’efforçant de lui sourire : | ||
::— … Mais les fleurs sont bien jolies, monsieur, ce n’est pas cher… je vous assure… | ::— … Mais les fleurs sont bien jolies, monsieur, ce n’est pas cher… je vous assure… | ||
::De ses minces doigts élégants il fourrageait les pétales des bouquets déjà en train de se faner au soleil, pour leur rendre l’éclat qui allait se mourant. | ::De ses minces doigts élégants il fourrageait les pétales des bouquets déjà en train de se faner au soleil, pour leur rendre l’éclat qui allait se mourant. | ||
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::Le petit marchand de fleurs donna ses bouquets – les tiges en étaient tièdes de la tiédeur de ses doigts – et attendit que Pierre eût trouvé de l’argent dans sa poche pour tendre sa main. Il avança cette main merveilleuse dont Pierre avait tout de suite admiré la finesse. Sa première pensée avait été de la remplir d’or, de quelques pièces d’or, d’une pièce d’or au moins, mais il craignait d’être inconvenant. Le jeune garçon paraissait dans une situation si exceptionnelle et mystérieuse qu’il eût craint de le blesser ; et d’ailleurs en ces quelques minutes de marchandages Pierre se sentait incapable d’aucune suite dans les idées. Il pensa seulement que le petit malheureux n’ayant pas encore étrenné, se trouverait dans l’impossibilité de lui rendre aucune monnaie, mais que toutefois la pièce offerte ne pouvait avoir une trop grande valeur sans risquer de la voir refuser. Il tendit au jouvenceau une pièce de deux ''lire'' : | ::Le petit marchand de fleurs donna ses bouquets – les tiges en étaient tièdes de la tiédeur de ses doigts – et attendit que Pierre eût trouvé de l’argent dans sa poche pour tendre sa main. Il avança cette main merveilleuse dont Pierre avait tout de suite admiré la finesse. Sa première pensée avait été de la remplir d’or, de quelques pièces d’or, d’une pièce d’or au moins, mais il craignait d’être inconvenant. Le jeune garçon paraissait dans une situation si exceptionnelle et mystérieuse qu’il eût craint de le blesser ; et d’ailleurs en ces quelques minutes de marchandages Pierre se sentait incapable d’aucune suite dans les idées. Il pensa seulement que le petit malheureux n’ayant pas encore étrenné, se trouverait dans l’impossibilité de lui rendre aucune monnaie, mais que toutefois la pièce offerte ne pouvait avoir une trop grande valeur sans risquer de la voir refuser. Il tendit au jouvenceau une pièce de deux ''lire'' : | ||
::— Hé ! monsieur, je ne peux pas vous rendre de monnaie. | ::— Hé ! monsieur, je ne peux pas vous rendre de monnaie. | ||
::L’enfant voyait déjà ses cinq petits bouquets à quatre sous lui rester pour compte… Ses yeux admirables se fermèrent douloureusement comme pour écarter de lui cette appréhension terrible. Mais Pierre : | ::L’enfant voyait déjà ses cinq petits bouquets à quatre sous lui rester pour compte… Ses yeux admirables se fermèrent douloureusement comme pour écarter de lui cette appréhension terrible. Mais Pierre : | ||
::— C’est bien, mon petit, tout est pour vous. | ::— C’est bien, mon petit, tout est pour vous. | ||
::« Mon petit » ressentit une joie visible corrigée de quelque honte. Pierre s’en aperçut, et, très gentiment : | ::« Mon petit » ressentit une joie visible corrigée de quelque honte. Pierre s’en aperçut, et, très gentiment : | ||
::— … Je vous prendrai des fleurs un autre jour en passant, n’est-ce pas ? | ::— … Je vous prendrai des fleurs un autre jour en passant, n’est-ce pas ? | ||
::Et ses bons yeux, à Pierre, suivirent, en s’éloignant à regret, la vision ravissante du mendiant si joli… Il venait de faire à peine quelques pas qu’une sorte d’invincible force le repoussa vers le gamin. Comme s’il n’avait pas eu son cœur prêt à se rompre d’abandonner là, sur les pavés hostiles aux malheureux, cet adolescent très charmant et très fin, avec une négligence qui | ::Et ses bons yeux, à Pierre, suivirent, en s’éloignant à regret, la vision ravissante du mendiant si joli… Il venait de faire à peine quelques pas qu’une sorte d’invincible force le repoussa vers le gamin. Comme s’il n’avait pas eu son cœur prêt à se rompre d’abandonner là, sur les pavés hostiles aux malheureux, cet adolescent très charmant et très fin, avec une négligence qui refoulait mal son inquiétude il l’interrogea : | ||
::— Comment vous appelez-vous, mon petit ami ? | ::— Comment vous appelez-vous, mon petit ami ? | ||
::L’enfant intéressé d’abord parut craindre beaucoup cette intrusion d’un étranger dans sa pauvre existence navrée. Pourtant il répondit : | ::L’enfant intéressé d’abord parut craindre beaucoup cette intrusion d’un étranger dans sa pauvre existence navrée. Pourtant il répondit : | ||
::— Luigi, monsieur. | ::— Luigi, monsieur. | ||
::— Mais, petit Luigi… votre autre nom ! | ::— Mais, petit Luigi… votre autre nom ! | ||
::— … | ::— … | ||
::— … Le nom de votre papa ? | ::— … Le nom de votre papa ? | ||
::— J’aime mieux ne pas le dire, monsieur. | ::— J’aime mieux ne pas le dire, monsieur. | ||
::— … De quel pays êtes-vous ? | ::— … De quel pays êtes-vous ? | ||
::— De Palerme, monsieur. | ::— De Palerme, monsieur. | ||
::Puis, comme s’il eût voulu corriger sa réserve, sa méfiance vis-à-vis d’un jeune homme aussi gentil et distingué que Pierre dont la bienveillance affable et confuse un peu, par cela plus délicate, ne lui avait pas échappé, le page florentin continua : | ::Puis, comme s’il eût voulu corriger sa réserve, sa méfiance vis-à-vis d’un jeune homme aussi gentil et distingué que Pierre dont la bienveillance affable et confuse un peu, par cela plus délicate, ne lui avait pas échappé, le page florentin continua : | ||
::— Vous êtes Français, monsieur ? | ::— Vous êtes Français, monsieur ? | ||
::— Pourquoi le supposez-vous, joli petit Sicilien ? | ::— Pourquoi le supposez-vous, joli petit Sicilien ? | ||
::Le « joli petit Sicilien » hésita une seconde, puis, très bas, regrettant cette affirmation qu’il lui fallait expliquer mieux que par l’emploi d’une langue communément en usage chez un grand nombre d’étrangers, en laissant monter à ses joues ravissantes une buée rose tôt évanouie, il expliqua, bien intimidé : | ::Le « joli petit Sicilien » hésita une seconde, puis, très bas, regrettant cette affirmation qu’il lui fallait expliquer mieux que par l’emploi d’une langue communément en usage chez un grand nombre d’étrangers, en laissant monter à ses joues ravissantes une buée rose tôt évanouie, il expliqua, bien intimidé : | ||
::— … Parce que les Français ne sont pas comme les autres… | ::— … Parce que les Français ne sont pas comme les autres… | ||
::Pierre comprit sur-le-champ, et que cette statuette fragile d’éphèbe au seuil candide encore de l’adolescence avait reçu de lévites sacrilèges un encens qu’il n’agréait pas. Le jeune homme n’en voulut rien laisser paraître et offrit deux lire encore pour ce compliment ; le petit marchand de fleurs refusa, mais avec un regard et un geste qui faillirent arracher à Pierre les sanglots demeurés suspendus à ses yeux ; l’adolescent lui tendit en souriant un autre bouquet… Pierre le reçut, serra les doigts du jeune garçon et se sauva rapidement vers la Villa Médicis. | ::Pierre comprit sur-le-champ, et que cette statuette fragile d’éphèbe au seuil candide encore de l’adolescence avait reçu de lévites sacrilèges un encens qu’il n’agréait pas. Le jeune homme n’en voulut rien laisser paraître et offrit deux lire encore pour ce compliment ; le petit marchand de fleurs refusa, mais avec un regard et un geste qui faillirent arracher à Pierre les sanglots demeurés suspendus à ses yeux ; l’adolescent lui tendit en souriant un autre bouquet… Pierre le reçut, serra les doigts du jeune garçon et se sauva rapidement vers la Villa Médicis. |
Version du 8 décembre 2008 à 18:35
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