« Hervé (Maurice Balland) – I » : différence entre les versions

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m a renommé Hervé (Maurice Balland) – Chapitre I en Hervé (Maurice Balland) – I: Titre des pages plus conforme à la typographie d'origine du roman.
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Version du 11 mars 2012 à 15:06

Ce texte historique est protégé contre les modifications.



   Peu après la dernière guerre, dans une ville en grande partie détruite, au milieu des problèmes créés par les lenteurs de la reconstruction et la crise de l’industrie locale, un religieux au contact avec de nombreux enfants et adolescents découvre de multiples aspects de l’aspiration sexuelle des jeunes. Interfèrent les soucis des habitants de la ville, les besoins de découverte de ces jeunes et les questions que soulève la communauté du religieux. Des drames de conscience où la morale ordinairement reçue, les conventions sociales, les interrogations des uns et des autres se confrontent. Qui a tort, qui a raison ? Qui sera broyé ? Au lecteur de juger !…
   D’aucuns croiront voir en ce roman un récit autobiographique. Ce n’est pas certain, cependant il dénote une sérieuse expérience du comportement des jeunes et des problèmes que ceux-ci posent aux adultes.



Maurice BALLAND






H E R V É


roman






(Édition définitive)

1989







Au garçon qui m’a révélé l’amour.











Le lecteur est averti que toute ressemblance
entre les personnes présentées ici et des
personnes existantes ou ayant existé ne peut
être que pure coïncidence et le fait du hasard.





I




Hervé lit avec attention un texte écrit sur une feuille de papier qu’il tient à la main :


   Le fleuve étant resserré à cet endroit, tout simplement on passa là pour le franchir facilement, à gué d’abord, puis par un pont. Dès lors, la ville s’étendit naturellement sur les deux rives du cours d’eau. À l’origine, elle ne s’établit que sur la rive gauche où le fleuve, par un large méandre, avait laissé une vaste plaine que limitaient au sud des sortes de falaises. Ces escarpements, témoins de l’ancien rivage, isolaient l’agglomération et la protégeaient de la campagne environnante.


« Bon, ça va à peu près pour une entrée en matière », se dit le garçon assis à la table de la salle à manger dans la cabane familiale. Il a étalé des feuilles qu’il examine avant de les classer. « Voyons maintenant la suite. » Il lit :


   Depuis des temps immémoriaux, des forges furent installées dans cette plaine en raison de la présence de mines de fer dans la région. Les immenses forêts voisines fournirent le charbon de bois nécessaire au traitement du minerai. Au XVIIe siècle, on y adjoignit une manufacture d’armes pour les besoins des armées royales continuellement en guerre. La ville alors fut créée et se développa à l’ombre de cette activité.


C’est le professeur d’histoire du collège Lavoisier qui a proposé ce travail. Jeune, dynamique, un peu farfelu et féru d’histoire locale, ce qui n’est pas tellement fréquent dans le corps professoral, il demande tous les ans aux élèves de deuxième année de faire une étude sur leur ville. Tous n’étant pas intéressés par un tel travail, il se contente d’un groupe de volontaires qu’il guide dans leurs recherches de documents et d’informations ainsi que pour la rédaction finale de leur travail.

Hervé s’est entendu avec plusieurs de ses camarades et, d’accord avec eux, a pris la direction des opérations. Il rassemble ce que chacun a découvert ou rédigé déjà pour constituer un dossier qu’il présentera au professeur.

Attentionné à son travail, un pli se forme à la base de son front, à la racine du nez, ses sourcils se mettent en forme de V, signe chez lui d’une profonde réflexion l’amenant à des décisions irrévocables. De même, lorsqu’il concentre sa pensée, il resserre les coins de sa bouche ce qui en diminue la largeur et la fait presque disparaître malgré des lèvres pourtant charnues et quelque peu sensuelles.

Prenant une autre feuille, il lit :


   Comme il y avait suffisamment d’espace vers le sud, jusqu’aux coteaux, il fut possible d’aménager une vaste place qui fut le cœur de la nouvelle cité. D’un côté on édifia l’Hôtel de l’Administration des Forges et de la Manufacture, magnifique construction de la fin du XVIIe siècle, de grand style, qui fit l’orgueil des habitants. C’était en quelque sorte le château pour leur ville dépourvue d’un lointain passé, ne pouvant exhiber ni château féodal, ni remparts, ni maisons moyenâgeuses.


Hervé se souvient que ce ne fut pas une mince affaire pour décrire l’aspect de la ville autrefois car la plupart des édifices ont disparu au cours de la dernière guerre. Avec ses camarades, il a fouiné à la bibliothèque municipale où ils trouvèrent des renseignements intéressants.

Il poursuit sa lecture :


   Face à l’Hôtel des Forges, et au meilleur emplacement, comme pour ordonner l’ensemble architectural de la place, se dressait l’église principale. Dédiée à saint Louis, comme le furent bon nombre d’édifices religieux construits au plus haut de la gloire du Roi-Soleil, elle eut aussi le style de l’époque. Classique, avec une façade à colonnes, elle avait grande allure. Flanquée d’une tour carrée, elle commandait ainsi la perspective, ce qui donnait grand caractère à la Place d’Armes que traverse, sous le nom de rue Grande, la route allant vers le pont sur la rivière.


Hervé est assez satisfait de la rédaction de son copain Louis Perrot. Pour la suite, il avait demandé le concours de camarades de la Cité des Peupliers où il habite et dont certains sont élèves à l’école des frères. Ce sont ces renseignements introuvables à la bibliothèque municipale et transmis par Benoît Sauget qu’il examine maintenant :


   C’est sur la Place d’Armes que vibrait le cœur de la ville. Chaque année, au mois d’août, à la Saint-Louis, la fête patronale y battait son plein. Jusqu’à la Révolution, celle-ci commençait par une procession solennelle qui, sortant de l’église, faisait le tour de la place avant que n’éclate la liesse populaire. Après la tourmente révolutionnaire, la fête perdit d’abord son caractère religieux, puis devint une simple foire locale agrémentée de manèges et de stands forains.


« C’est comme maintenant, songe Hervé, on s’amuse bien quand viennent les manèges, mais ils sont installés sur la place de la Gare puisqu’il n’y a plus moyen de les monter sur la Place d’Armes encombrée de baraques. »

Pour la suite de leur travail, les garçons furent heureux de dénicher de vieux journaux d’où ils extrayirent quelques articles. Hervé lit ce qui a été colligé :


   La révolution industrielle qui éclata au XIXe siècle amena un regain et une diversification des activités. En plus des forges, il se créa d’autres industries attirant une main d’œuvre puisée dans les réserves rurales de la région. La population s’accrut. L’agglomération s’étendit vers l’ouest et sur les coteaux.
   L’établissement du chemin de fer accéléra ce développement. À cause de la configuration du terrain et pour des raisons d’économie, la ligne ne contourna pas la ville mais, après avoir franchi le fleuve, elle le suivit sur la rive sud. La gare fut alors placée près du pont, au bord de la route. Dès lors, le faubourg de la Madeleine situé sur la rive nord put se développer et, en outre, il se forma entre la ville et la ligne de chemin de fer, le long de la route en prolongement de la rue Grande, un quartier neuf appelé quartier de la Gare. La route prit le nom de boulevard de la Gare. Toutes ces extensions donnèrent plus d’importance à la ville qui devint un centre actif de cette partie de la Bretagne.


« Très intéressant tout ça » pense le garçon, tellement occupé qu’il en oublie de prendre son goûter. Il est seul à la maison, sa mère n’est pas là pour le lui rappeler. Heureusement, son petit frère Charles rentre de l’école et le ramène à la réalité. Il va donc à la cuisine préparer un chocolat au lait.

Pour ses quinze ans bientôt, Hervé n’est pas tellement grand, cependant, étant plutôt mince, il paraît élancé dans ses vêtements légers. Un pull sur une chemise à col ouvert lui moule le torse et un pantalon, ajusté sans pourtant le serrer, lui gaine le reste du corps. Le tout, de même couleur, vert foncé presque noir, le silhouette, ce qui le rend fier et il l’apprécie d’autant plus que cela plaît à son ami. La couleur sombre accentue la blancheur de sa peau encore fine et rend aussi plus clairs ses cheveux châtains entourant sa tête ronde et qui retombent sur le front en mèche rejetée sur le côté. Ils ne recouvrent pas ses oreilles qu’il a petites, très ourlées. Son nez légèrement retroussé lui donne un air mutin, mais ses sourcils nettement tracés dénotent un tempérament volontaire, de même que le front bombé.

Revenu à la table de la salle à manger, il jette un coup d’œil sur le tas de papiers. « Que faut-il mettre à la suite ? Ah, ce doit être ça. » Il continue :


   Si l’on crut bien faire en choisissant la solution la moins onéreuse pour construire le chemin de fer, il s’avéra par la suite qu’elle ne fut pas la plus commode, car la ligne coupait la ville en deux et surtout le boulevard de la Gare qui la franchissait par un passage à niveau : situation devenant insupportable à mesure de la progression du trafic tant ferroviaire que routier. Étant donné la disposition des lieux, il était impossible d’y remédier sans occasionner de gros frais ni démolir un bon nombre d’immeubles du boulevard de la Gare. Tout le monde en était conscient mais, régulièrement, ce problème alimentait des polémiques que les partis politiques entretenaient pour les besoins de leur cause.


« C’est toujours la même chose, remarque Hervé, les gens rouspètent tout le temps. Il n’est plus nécessaire maintenant d’aller par le passage à niveau puisqu’on a enfin établi une déviation, et les gens ne sont pas encore contents de ce qui a été fait… Que les grandes personnes sont stupides ! Oh, non, pas toutes, pas mon ami, je peux avoir confiance en lui. » L’évocation de son ami avive une flamme dans les yeux du garçon. À lui aussi, il a demandé des renseignements pour ce devoir. Ensemble, ils ont parfois discuté pour le choix des éléments à retenir ou à éliminer. Hervé est tenace quand il soutient son point de vue. Il a l’esprit vif, souligné par des yeux bruns pétillants de malice qui vous scrutent quand il cherche à percer le fond de votre pensée ou attend une réponse à ses questions. Alors, il tend en avant son petit menton rond volontaire, prêt à la riposte au cas où l’on tenterait de le contrarier.

Il continue son travail : « Bon ! Que faut-il mettre après ? Tiens, ce sont les renseignements trouvés avec papa. Il lui a été facile de me les donner puisqu’il est au syndicat. » Il lit en effet :


   Étant industrielle, notre ville connut les mouvements et conflits sociaux qui jalonnèrent l’histoire à partir du milieu du XIXe siècle. Les prétextes de conflits ne manquèrent pas, alimentés surtout par la situation des forges dont l’exploitation posa d’énormes problèmes par suite de l’épuisement des mines de fer locales et de l’utilisation de la houille en place du charbon de bois. Pour maintenir en activité la Manufacture d’Armes, il fut nécessaire de faire venir de loin le minerai et le charbon. La production de l’acier devint onéreuse. Les forges furent de moins en moins rentables, et périodiquement il fut question de les supprimer, d’où les luttes pour le maintien de cette industrie dans une ville où d’ailleurs les partis politiques se livraient à des compétitions électorales. C’était à qui l’emporterait pour obtenir le contrôle de la municipalité, l’enjeu étant la mairie construite vers 1900 en style composite dans le quartier de la Gare par un maire radical dans l’intention de déplacer le centre d’intérêt de la ville. La Place d’Armes perdit de son importance, de même que la vieille cité blottie autour d’elle avec ses immeubles cossus où demeuraient la plupart des familles bourgeoises.
   Telle donc se présentait la ville à la veille de la guerre de 1939-1945, avant les événements dont elle fut tragiquement la victime.


Hervé met de côté les documents qu’il vient de lire et cherche la suite. Cela devient un peu compliqué, il a maintenant trop de papiers et doit faire un tri. C’est que, pour continuer leur travail, le garçon et ses camarades trouvèrent d’amples renseignements auprès de leurs parents qui avaient vécu la période de la guerre. « Ah, voilà ce que Paul Boulard m’a donné. »

Hervé regarde le papier :


   Très vite, dès leur pénétration en France après notre défaite de 1940, les Allemands s’installèrent dans notre ville en raison de la présence de la Manufacture d’Armes qu’ils exploitèrent à leur compte, sans oublier aussi les vastes casernes puisque la ville était également le siège d’une garnison. Le commandement allemand y établit une importante base militaire qui fut le centre vital de leurs forces en Bretagne.
   À leur corps défendant, les habitants se virent soumis au vainqueur et contraints de travailler pour l’occupant. Rapidement se constitua une résistance et de nombreux patriotes se dévouèrent pour des sabotages afin d’entraver le fonctionnement des forges et de la base militaire. Opérations insuffisantes que les Alliés remplacèrent par de violents bombardements aériens.


Hervé avait souvent entendu son père lui raconter de ces exploits de la Résistance auxquels il avait participé. Il est fier d’avoir un papa qui fut si courageux.

Il poursuit sa lecture. « Tiens, ça c’est l’écriture de Bernard Landry, il m’a bien aidé » :


   Des avions de la R.A.F. firent des raids en piqué, s’efforçant de n’atteindre strictement que les objectifs militaires, mais sans succès en raison de l’abondante couverture de D.C.A. établie par les Allemands et qui s’avéra très efficace. Les Américains se chargèrent de la besogne au moyen de leurs forteresses volantes. C’est alors que commença le martyre de la cité. Les avions américains volant très haut dans le ciel arrosèrent autant, sinon plus, la ville que les objectifs militaires. Ce fut un déluge de fer et de feu plusieurs fois répété qui réduisit la ville en cendres, fit de nombreuses victimes et laissa les rescapés totalement démunis. Le pire de tout advint lors du Débarquement quand, pour entraver le mouvement des troupes allemandes, les Alliés visèrent les voies de communication. La route et le pont, de grande importance stratégique, furent particulièrement visés ainsi que le pont du chemin de fer.


Hervé avait bien souvent entendu sa mère raconter ces journées tragiques. Il savait qu’il l’avait échappé belle. Quand il avait à peine un an, il se trouva une fois séparée d’elle au cours d’une fuite éperdue pendant une alerte. Par chance, des voisins l’avaient emmené et, rapidement, elle le récupéra sain et sauf. En son cœur, le garçon remercie ses parents, ses voisins et le ciel d’avoir préservé sa petite vie d’alors pour lui permettre de faire un jour ce travail intéressant. Avant de le présenter au professeur de Lavoisier il le montrera à son ami : celui-ci le mérite bien en raison de l’aide que lui aussi a apportée. Oui ! Son ami est toujours prêt à l’aider dans son travail.

Il achève :


   Bref, après tous ces bombardements et les incendies qui suivirent, la ville fut quasiment anéantie. Il ne subsista pratiquement rien de l’ancien centre. Sur la place d’Armes ne restaient debout que la tour de l’église et l’Hôtel des Forges très abîmé. Les casernes furent également très touchées et le quartier environnant anéanti de même le quartier de la Gare où la mairie n’existait plus. Les Forges avaient subi d’importants dégâts. Par contre, malgré de nombreux raids, les ponts ne furent jamais atteints, ce qui préserva le faubourg de la Madeleine, de l’autre côté du fleuve.
   C’est donc dans une ville en ruines, presque rayée de la carte, que les habitants rescapés vécurent les heures de la Libération.


Hervé pose la dernière feuille. Le travail devait se terminer là. Il met le tout dans une chemise en carton sur laquelle il trace en lettres dessinées :


Histoire de notre ville




Le professeur fut satisfait de l’effort fourni par l’équipe de garçons. Il leur fit comprendre l’intérêt présenté par l’étude qu’il avait proposé de faire. Il ne put cependant se déprendre d’un certain ton moralisateur qui lui était habituel mais que lui pardonnaient volontiers ses élèves car il savait capter leur attention en classe et les intéresser à son enseignement.

— Voyez-vous, il est bon de connaître l’histoire de la cité où l’on est enraciné, c’est notre petite patrie. Plus encore, dans le cas de notre ville qui n’est plus ce qu’elle a été, j’ai voulu vous faire prendre conscience comment le présent est tributaire du passé. Ce passé, quel qu’il soit, émerge continuellement, et vous le remarquerez en prêtant attention aux difficultés rencontrées chaque jour dans la reconstruction de notre ville.


Ce discours n’intéresse pas Hervé qui pense à son ami qui déjà a lu ce travail car il a voulu, pour lui faire plaisir, le lui communiquer en priorité : son ami est vraiment chic et apprécie tout ce qu’il entreprend. Les deux amis se comprennent sans besoin de discours.



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