Narayana (texte intégral – 0)
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Titres, avertissement de l’éditeur et présentation du texte intégral du « roman tantrique » Narayana attribué à Narayana Nair.
narayana
Roman tantrique
Traduit du tamil par Jaimouny et A. P.
jérôme martineau, éditeur
Bibliographie
Sur les Dravidiens :
G. Montandon, La Race, les Races (Paris 1933)
Jules Bloch, Sanskrit et dravidien (Paris 1924)
sur le tantrisme :
E. Burnouf, Introduction à l’étude du Bouddhisme Indien (Paris 1876)
L. de la Vallée-Poussin, Bouddhisme, Études et Matériaux (Londres 1898)
Marquès-Rivière, Le Tantrisme (Paris. Vega)
Mircea Eliade, Le Yoga (Paris 1954)
sur le zen :
D. S. Suzuki, Essais sur le Bouddhisme Zen (Paris 1945)
sur le tantrisme en Chine :
Maspéro, Journal Asiatique, 1937
Le « yogin » peut revêtir des formes innombrables, du sorcier et du fakir faiseurs de « miracles » jusqu’aux ascètes les plus nobles et aux mystiques les plus élevés, en passant par les magiciens et les cannibales et les vâmacarî extrémistes…
… le tantrisme finit par intégrer la grande et la petite magie populaire, le Yoga érotique encourage l’émersion au grand jour des cultes orgiastiques secrets et des maniaques licencieux, qui, sans le prestige du maithuna tantrique et des techniques hatayogiques auraient poursuivi leur existence obscure en marge de la société et de la vie religieuse communautaire. Comme toute gnose et toute mystique qui se diffusent et triomphent, le Yoga n’arrive pas à conjurer la dégradation en pénétrant des couches sociales de plus en plus larges et excentriques.
Je raconterai un jour l’histoire de l’amitié qui liait Jaimouny à A. P. ainsi que le cheminement de ce manuscrit jusqu’à moi. J’espère que l’édition de ce « Narayana » me permettra de servir à faire reconnaître l’œuvre personnelle de A. P.
Il me semble utile de préciser quelques points essentiels à la compréhension de ce récit.
Narayana était dravidien. Or c’est en partie de l’Inde dravidienne que s’est étendu le « mouvement tantrique », qui est la clé de ce roman, pour devenir un des grands courants de la pensée bouddhique, accepté également par toutes les religions de l’Inde, une sorte de redécouverte du mystère de l’Amour.
Le tantrisme, vu par un Occidental, peut sembler une « voie facile ». L’attitude antiascétique et le rejet de toute pratique de méditation choquent immédiatement un chrétien. Dans le Kularnava-tantra il est affirmé que l’union suprême avec Dieu ne s’obtient que par l’union des sexes. Le Guhyasamâja-tantra précise : « Personne ne réussit à obtenir la perfection moyennant des actes difficiles et ennuyeux ; mais la perfection peut s’acquérir facilement moyennant la satisfaction de tous les désirs ». Nous sommes loin des malédictions du Dieu de la Bible, loin de la culpabilisation par le péché originel, loin de la honte horrible qui étreint la conscience des hommes d’Occident dès qu’on approche des problèmes de la sexualité.
Hélas, les termes érotiques qui servaient à exprimer un état de conscience dans les textes tantriques de référence semblent effrayer les modernes docteurs au point qu’une traduction récente de la Caktisangama Tantra porte des XXX à la place des termes sexuels. Décidément, cher A. P., l’insolence de ton rire nous manque bien.
L’auteur de ce texte mourut dans les dernières années du XIXème siècle ou tout au début du XXème ; on n’en a pas la date précise. Il avait peut-être soixante-cinq ans. Il laissa pour tout bien des livres et brochures en langue tamoule et plus particulièrement un ou deux cahiers de sa main dans la même langue.
Un parent qui put assister à ses derniers moments rassembla ces papiers qu’il rapporta au village natal. Ils y demeurèrent fort longtemps dans le coffre de bois où sont rangés à l’abri des insectes et des rongeurs les vêtements qu’on met rarement, le peu d’argent que l’on possède.
Un frère cadet du défunt, ayant quelque instruction, avait émigré à l’Île Maurice. Il y travailla comme pointeur dans une exploitation sucrière où, comme partout à l’Île Maurice, la main d’œuvre est hindoue. Il monta en grade et se maria avec une femme tamoule de même caste mais qui ne savait ni lire ni écrire.
Ses patrons reconnaissant ses services lui accordèrent un congé. Les économies qu’il avait réalisées permirent le voyage au pays natal où il se rendit avec sa jeune femme. Une fois dans le Sud-Est de l’Inde, celle-ci mit au monde un enfant du sexe féminin. La petite famille revint à l’Île Maurice après quelques mois, le père emportant les livres et papiers du frère aîné disparu et qui, de droit, lui revenaient. Il pensait vaguement pouvoir les utiliser pour instruire son enfant.
Plus tard naquit un garçon qui fut appelé Jaimouny.
Le père quitta la sucrière pour entrer comme surveillant dans le Service Forestier de l’Île Maurice. Sa femme mourut quelques années plus tard et c’est alors qu’il résolut de quitter le service, de prendre une retraite prématurée, et de faire du commerce. La jeune fille serait bientôt en âge de se marier, il resterait donc seul avec Jaimouny. Ce dernier montrait de réelles dispositions ; il parlait couramment le tamoul, en connaissait les 450 lettres ou caractères, et avait déjà un bon fonds d’anglais et de français, les deux langues officielles de l’Île Maurice.
Jaimouny et son père se trouvèrent donc un jour à Madagascar. Le commerce des pommes de terre des Hauts Plateaux avec les importations de l’Île Maurice s’annonçait profitable. Jaimouny poursuivait ses études au lycée Gallieni de Tananarive. Quelques semaines avant de passer l’épreuve du baccalauréat, alors qu’il avait dix-sept ans, son père mourut du diabète.
Jaimouny dut se résoudre à abandonner ses études pour gagner sa vie. Il entra comme employé chez des commerçants hindous mais qui n’étaient pas de sa race. Sa sœur lui fit alors parvenir ce qu’elle ne pouvait, selon la coutume, garder par devers elle, c’est-à-dire ce qui avait appartenu à feu son père. Il y avait un paquet de brochures et papiers qu’il mit précieusement de côté sans avoir la curiosité d’y jeter les yeux, croyant qu’il s’agissait de papiers de famille que l’on se transmettait ainsi.
Je faisais parfois des achats dans le magasin où Jaimouny travaillait. Une étiquette sur un colis venant d’Angleterre me permit de découvrir qu’il savait fort bien l’anglais. Je lui adressai donc la parole dans cette langue, à son grand étonnement. Il ne dissimula pas sa joie à pouvoir s’entretenir en anglais ; je lui proposai donc de venir prendre le thé de temps en temps chez moi pour bavarder en anglais. Il ne s’attendait nullement à pareille proposition et je dus insister à plusieurs reprises pour qu’il acceptât.
C’est alors qu’il me narra son histoire et son isolement à Madagascar où il se trouvait être le seul Tamoul. De peau noire, en dépit de fort beaux traits, il était méprisé par les autres Hindous, à peau claire, du Nord ou du Centre de l’Inde. Ne parlons pas des musulmans qu’il ne fréquentait pas plus que les autres brahmanistes comme lui, à quelque secte qu’ils appartinssent.
Nos relations devinrent peu à peu plus étroites, du fait qu’il vit en moi quelqu’un bien au fait de sa propre religion, ayant même voyagé dans le Sud de l’Inde et ayant fréquenté des Tamouls comme lui. Je les préfère du reste de beaucoup aux Hindous que je rencontrais à Madagascar.
Un soir, il me confia qu’il ne pouvait plus souffrir d’être l’homme à tout faire, le souffre-douleur aussi, de ses patrons hindous, pour gagner une maigre pitance un peu comme si on lui accordait là une charité. Il m’adjura de lui trouver un emploi. Un heureux hasard fit presque aussitôt après cette demande que des correspondants à Tamatave me priaient de leur trouver quelqu’un. Je proposai Jaimouny, avec les réserves d’usage puisqu’il s’agissait là d’un étranger, d’un Hindou noir, mais parlant l’anglais, le malgache en plus du français. Il connaissait aussi la machine à écrire et la comptabilité. Bref, un employé capable de rendre de très grands services avec une formation plus complète dans un bureau organisé et non plus une « boutique » ou un « bazar », comme il le disait lui-même.
Jaimouny alla à Tamatave. Il y est encore alors que j’écris ces lignes de présentation. Chaque fois qu’il monte à Tananarive, il ne manque jamais de me rendre visite, d’accepter de revenir prendre le thé. C’est ainsi qu’une fois il me dévoila avoir lu les papiers de « famille » qui constituaient son « trésor » personnel.
Très libre, il me fit part de son amusement et de sa surprise devant ce que certains cahiers lui venant d’un oncle lui avaient révélé. Il me résuma quelques bribes du contenu. Je l’encourageai fortement à retranscrire cela tant bien que mal en anglais ou en français et à me confier la transcription. Il accepta très volontiers et m’envoya les feuillets au fur et à mesure. Le tout rédigé dans une langue bâtarde ou mélangée d’anglais et de français, avec des tournures maladroites.
C’est cette adaptation en français que l’on va lire. J’ai tenu à ne pas « arranger », à laisser la saveur naïve, sans apprêt, qui est celle du texte en langue tamoule, incontestablement. La crudité des détails est l’indice même qu’il n’y a pas eu le goût de la recherche. Malgré le style forcément apprêté qui est celui de toute traduction, l’ensemble constitue cependant un texte fort lisible, intéressant et distrayant, si l’on veut bien n’y voir aucune perversion.
Avertissement de l’éditeur et présentation par A. P. | ||
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Source
- Narayana : roman tantrique / Narayana Nair ; traduit du tamil par Jaimouny et A. P. – [Paris] : Jérôme Martineau, cop. 1968 (Turin : Sargraf, novembre 1969). – 176 p. : couv. ill. ; 22 × 13 cm.P. 5-13.