Fascinum

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Cinq bagues en or au chaton orné d'un fascinum
ca 1er - 3ème S. P.C.
Londres, British Museum
Le diamètre de l'anneau de ces bagues est adapté à un doigt d'enfant.

Fascinum : Symbole phallique servant à protéger du mauvais œil son porteur, une activité, un lieu ou une activité. Sous forme de pendentifs ou d'amulettes, le fascinum était couramment porté par les enfants, en particulier les garçons libres, de la naissance à l'âge où ils abandonnaient la bulla (qui pouvait aussi contenir un fascinum parmi d'autres amulettes) et la toge prétexte.


« Le don d'un petit phallus ailé en or à un garçon de douze ans par sa grand-mère, ou un collier avec un phallus à un petit enfant, aurait été parfaitement compréhensible à un ancien Pompéien.[1] »


Fonctionnement symbolique et croyance

Un simple regard malveillant avait le pouvoir de nuire à une personne, à une chose ou à une activité; il convenait de se protéger du mauvais œil, dont l'action était rendue par le verbe « fascinare »[2][3] en détournant son attention sur un symbole plutôt que sur soi. Ce symbole serait doublement efficace si en plus de dévier le sort, il pouvait en plus induire chez le porteur du mauvais œil un sentiment de honte et de confusion qui lui fasse oublier ses mauvaises intentions. C'est dans cette fonction apotropaïque que le phallus, représentation du sexe en érection, est connu sous le nom de « fascinum[4] ».


Les archéologues en trouvent en grand nombre partout où s'est répandue la civilisation romaine et tout musée archéologique en possède plusieurs exemplaires. Ils protégeaient les endroits où l'on avait le plus de chance de croiser le mauvais œil, comme les carrefours, des entrées de maison, des fours de boulanger (exemples à Pompéi) ou de forgerons[5]. Décliné aussi sous forme d'amulettes, ou en ornements de bijous comme des bagues, des pendentifs ou des colliers, le fascinum protégeait les plus vulnérables, comme un soldat ou un triomphateur. C'est pour cette raison que les mères en suspendaient au cou d'un bébé, ou que des garçons ne s'en séparaient qu'en quittant l'enfance, en même temps que de la bulla (la bulla elle-même pouvait contenir des symboles phalliques) et de la toge prétexte. Le matériau était un indicateur social : il en existant en terre, en bronze, en or...


« Puisque le pouvoir de la « fascination » et ses effets néfastes sont liés à la jalousie et à la malveillance, il est facile à comprendre qu'un fils et héritier soit bien entendu plus sujet à une attaque que sa moins précieuse sœur. Et certainement, expliquait-on, l'œil d'un enfant était moins capable de combattre et de vaincre les rayons maléfiques émanant d'un adulte, et donc un bébé serait une victime toute désignée. »[6]


Sources littéraires

L'archéologie et la littérature attestent du port du fascinum par les enfants.

Les deux sources les plus souvent citées sont De lingua latina (7.97) de Varron (Marcus Terentius Varro, 116-27 A.C.), et L'Histoire naturelle (Livre XXVIII, chap.VII) de Pline l'ancien (Gaius Plinius Secundus, 23-79 A.D.).


Varron

Un certain objet indécent (turpicula res) que les garçons portent au cou pour écarter le mauvais sort est appelé un scaevola". Varron, De lingua latina, 7.97 (116-27 av. J.-C.).

[7]

Pline l'ancien

Dans l'exemple donné par Pline l'ancien dans son Histoire naturelle[8] , les amulettes du dieu Fascinus protègent des enfants en nourrice et des généraux. Pline dit aussi que le culte de Fascinus était confié aux vestales.


Sources archéologiques

Fascinum
ca 1er-3ème siècle AD
Bronze
Collection privée
Type le plus courant comprenant un anneau et un phallus unique
Fascinum. Amulette phallique
Fascinum
Ca 1er-2ème siècle AD
Collection privée.
Cette variante très courante de fascinum comporte un anneau auquel sont attachés un phallus en érection (à droite), un sexe flaccide (au centre) et, ici très stylisée, une main faisant le geste obscène du pouce passant entre le majeur et l'annulaire.
Fascinum
Argent
ca 1er-3ème siècle A.D.
Collection privée.

On en trouve là où la culture de l'Empire Romain s'est répandue. Les soldats se sentaient protégés par le fascinum, et on en a trouvé lors de fouille de sites militaires par exemple le long du Rhin, ou en Grande-Bretagne[9]. Un exemple lié à l'enfance nous vient des fouilles de Butt Road à Colchester, où la tombe (IVème siècle A.D.) d'un petit enfant contenait un fascinum en pendentif parmi d'autres amulettes[10]. On ne peut qu'interpréter cette découverte; il devrait s'agir d'un objet familier de l'enfant, destiné à le protéger pendant sa maladie.


Les bagues en or au chaton ornés d'un fascinum, illustrées plus haut, sont ajustées à la taille d'un doigt d'enfant et devaient être aussi un moyen d'indiquer l'appartenance à une classe sociale. Il en existe en bronze, en argent, en corail ( autour de la Méditerranée ). Il pouvaient aussi être faits de matériaux périssables tels le cuir ou le parchemin.


Evolutions sémantiques

Pour la protection de leur enfant, beaucoup de parents romains accrochaient un fascinum au cou de leur enfant peu après la naissance, au point que par métonymie[11], le mot fascinum a fini par désigner l'organe sexuel masculin. Un autre dérivé est le nom du dieu Fascinus, dont le culte officiel était assuré par les Vestales[12], et dont l'image était placée sous le char d'un général triomphateur pour le préserver du regard des envieux[13]. Selon Chompré[14], Fascinus était la divinité tutélaire de l'enfance. L'encyclopédie méthodique de 1783[15] le dit autrement : « Fascinus : divinité adorée chez les romains. Ils en suspendoient l'image au cou de leurs enfants, pour les garantir du maléfice qu'ils appelloient fascinum. »

Survivances

Dans la première édition de L'encyclopédie de Diderot et d'Alembert, nous apprenons que Le P. Hardoüin devait se sentir bien seul en prenant le contre-pied de la morale sexuelle de son époque, quand il nous « apprend que les amuletes des enfans dont parle Pline, n'avoient rien d'obscene[16]. Progressivement, des auteurs ecclésiastiques sont parvenus à retirer à ce motif bénin son rôle de porte-bonheur, et pour mieux éradiquer une pratique concurrente choisirent de lui donner un sens obscène qu'elle n'avait pas à l'origine. S.A. Callisen a traité des survivances de ce motif en Italie, citant notamment des amulettes en corail visibles au cou d'enfant Jésus et dans des portraits de garçons du seizième siècle.[17]. Jacques-Antoine Dulaure, dans son Des Divinités génératrices, ou du Culte du Phallus chez les anciens et les modernes (1805)[18] en donne l'évolution en France. Il cite des actes de conciles et des jugements synodaux (étalés du VIIIème au XIVème siècle) où des pénitences sont prescrites pour qui se rendrait coupable d'enchantements ou autres incantations auprès du fascinum. Il repère de syncrétismes comme la présence d'un fascinum sur le portail de nos anciennes églises, sur celui de la cathédrale de Toulouse, et de quelques églises de Bordeaux.


Notes et Références


  1. Jashemski, Wilhelmina F., The Excavation of a Shop-House at Pompeii (I.XX.5), American Journal of Archeology, vol.81, 1977, p.221, note 21.
  2. S.A. Callisen : Lire : The Evil Eye in Italian Art, The Art Bulletin, vol.19, n°3, 1937, p. 450-462. L'article traite de la survivance de ces croyances au trecento et au quattrocento, mais cite la littérature classique, dont Plutarque, Aulu-Gelle et Pline.
  3. Une discussion sur le mauvais œil et les autres façons de s'en protéger dépasserait de beaucoup les limites chronologiques et géographiques de notre sujet. Pour en savoir plus : Max Caisson, « La science du mauvais œil (malocchio) », Terrain, revue d'ethnologie de l'Europe, 30, 1998. En ligne : http://terrain.revues.org/3304
  4. Le mot n'est plus dans le « Trésor de la langue française » mais, il y a une entrée dans le « Nouveau Larousse illustré. Dictionnaire universel encyclopédique »
  5. Pollux (VIII.118), selon S.A. Callisen : The Evil Eye in Italian Art, The Art Bulletin, vol.19, n°3, 1937, p. 450.
  6. S.A. Callisen : The Evil Eye in Italian Art, The Art Bulletin, vol.19, n°3, 1937, p.453, qui cite Seligmann, S., Der böse Blick, Berlin, 1910, II, p.424.
  7. 97. Potest vel ab eo quod pueris turpicula res in collo quaedam suspenditur, ne quid obsit, bonae, scaevae causa scaevola appellata. Ea dicta ab scaeva, id est sinistra, quod quae sinistra sunt bona auspicia existimantur; a quo dicitur comitia aliudve quid, sicut dixi, scaeva fieri avi, sinistra quae nunc est. Id a Graeco est, quod hi sinistram vocant σκαιάν; quare, quod dixi, obscaenum omen est omen turpe; quod unde id dicitur os, osmen, e quo S extritum.
    Source pour le texte latin (avec une traduction française « moralisée » ) : http://remacle.org/bloodwolf/erudits/varron/lingua7.htm
    Source de la traduction : http://elearning.unifr.ch/antiquitas/notices_textes.php?id=169
  8. Si nous ajoutons foi à ce qui vient d'être dit, croyons encore à l'efficacité des pratiques suivantes : A l'arrivée d'un étranger, ou quand on regarde un enfant endormi, la nourrice crache trois fois. quoiqu'il soit déjà sous la protection du dieu Fascinus, protecteur non seulement des enfants, mais encore des généraux, divinité dont le culte, confié aux vestales, fait partie de la religion romaine; ce Fascinus qu'on attache au char des triomphateurs comme le médecin de l'envie, de même qu'une voix chargée d'une semblable expiation les avertit de se retourner (05), afin de conjurer derrière eux la fortune, ce bourreau de la gloire. http://remacle.org/bloodwolf/erudits/plineancien/livre28.htm PLINE L'ANCIEN HISTOIRE NATURELLE. TOME SECOND. LIVRE XXVIII Traduction française : É. LITTRÉ
  9. Catherine Johns; Philip J. Wise: 'A Roman gold phallic pendant from Braintree, Essex', Britannia, 2003, p.275.
  10. op.cit, p. 275-6. L'auteur indique une reproduction dans :
    Crummy, N. 1983: 'Miscellaneous items of jewellery', in P. Crummy (ed.), The Roman Small Finds from Excavations in Colchester 1971-79, Colchester Archæological Report 2, Colchester, 50-1., fig. 54, 1804.
  11. James Noel Adams, dans The Latin Sexual Vocabulary, John Hopkins Paperback Editions, 1990, p.63-64 donne pour titre à son entrée : « fascinum, phallus ». En voici le texte :
    A fascinum was an amulet in the shape of a phallus worn around the neck for the purpose of warding off the evil eye (see Porph. on Hor. Epod.8.18 and on such objects in general, Varro, Ling., 7.97). Fascinum was sometimes transferred to the human penis (Hor. Epod, 8.18, Petron. 92.9), but it usually indicated representations of the organ. It is used twice in the Corpus Priapeorum (28.3, 79.1, of the phallus of statues of Priapus), twice at CIL XIV.3565 (=CE 1504) (lines 4,20) and at Catalept. 13.20. Petronius employs it of a dildo at 138.1 ('profert Oenothea scorteum fascinum quod... paulatim coepit inserere ano meo'). In Arnobius it is the standard word for an artificial phallus (4.7, 5.39, 7.33) , and Augustine uses it in the same way at Ciu 6.9. One of the two examples mentioned above with the meaning 'human penis' (that at Petron 92.9) is applied to a grotesquely endowed man in a type of expression ('the man seemed to be an appendage of the penis': 'ut ipsum hominem laciniam fascini crederes') paralleled at Priap 37.8f. 'fer opem, Priape, parti,/cuius tu, pater, ipse pars videris'. Eumolpus, the speaker, may be suggesting that the man resembled ithyphallic statues. ( The rare loan word phallus (mot en caractères grecs) , which in Greek was largely restricted to the designation of cult objects (note 1) and was also so used in Latin by Arnobius (Nat. 5.28), seems to have turned up in a Pompeian graffito in application to the human penis: CIL IV.10085 'phallus durus Cr()escentis, uastus'. The word was no doubt familiar enough to educated Latin speakers (note Cic. Rep. 3 frg.4 'Sardanapallus ille uitiis multoo quam nomine ipse deformior'), but it would not have been domiciled in any variety of Latin. The Pompeian example, if it has been read correctly, must be an isolated transfer.
  12. L'édition Pancoucke de 1829-1833 (Notes du livre XXVIII de l'Histoire naturelle de Pline, p.214) donne cette explication : « Quant au culte rendu à cette partie du corps humain par les vestales, il faut se souvenir que Pallas, une des divinités perpétuellement annexées à Vesta par les Latins, est le même mot que phalle, et que la flamme qui s'élève comme une pyramide sur l'âtre, était souvent regardée comme le phalle de Vesta. »
  13. Pline, H. N. XXVIII.7.
  14. Chompré : Dictionnaire abrégé de la fable, pour l'intelligence des poètes, des tableaux et des statues, dont les sujets sont tirés de l'histoire poétique, douzième édition, 1775.
  15. Encyclopédie méthodique. Antiquités, mythologie, diplomatique des chartres, et chronologie, tome second, Panckoucke, Paris-Liège, 1783.
  16. ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS (tom. II. p. 451. col. 1.), on y lit que Le P. Hardoüin devait se sentir bien seul en prenant le contre-pied de la morale sexuelle de son époque, puisqu'il nous « apprend que les amuletes des enfans dont parle Pline, n'avoient rien d'obscène. Il a reproché aux commentateurs de s'être trompés; mais il étoit bien à plaindre, s'il se croyoit obligé de soûtenir ce paradoxe. »
  17. op.cit. dans la discussion sur l'usage du corail, Callisen cite parmi d'autres raisons possibles le fait que les fascinum chez les Etrusques et les Romains, aurait été habituellement coloré en rouge.
  18. * Jacques-Antoine Dulaure, Des Divinités génératrices, ou du Culte du Phallus chez les anciens et les modernes, Éd. Dentu, Paris, 1805. CHAPITRE XI, DU CULTE DU PHALLUS PARMI LES CHRÉTIENS, DES FASCINUM OU FESNES, DES MANDRAGORES, ETC. Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Jacques-Antoine Dulaure, Des Divinités génératrices, ou du Culte du Phallus chez les anciens et les modernes, Éd. Dentu, Paris, 1805. Nous y apprenons notamment qu'au XIVème siècle, « fascinum » fut traduit en français par le mot « fesne ». Pour ce mot, il cite : Supplément au Glossaire de Ducange, par Carpentier, au mot Fascinare.
    * D'autres aspects du développement de ces croyances en France dans
    John Davenport : Aphrodisiacs and Anti-Aphrodisiacs: Three essays on the powers of reproduction; with some account of the judicial 'congress' as practised in France during the seventeenth century, London, 1869.