Chronique athénienne – III, Homosexualité et violence (Demis)

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Une étude de Demis intitulée Homosexualité et violence, troisième partie de la série Chronique athénienne, parut en mars 1963 dans la revue homophile Arcadie.

Texte intégral

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CHRONIQUE ATHÉNIENNE


par

DEMIS



III. — HOMOSEXUALITÉ ET VIOLENCE



Ces derniers mois, un grand quotidien d’Athènes essaie d’enseigner à ses lecteurs l’histoire néo-grecque par une sorte de roman-feuilleton historique, imitant en cela Alexandre Dumas père qui, dans la préface d’un de ses romans, prétend avoir voulu rendre le même service aux Français du siècle dernier, et, prenant pour intrigue du feuilleton l’idylle d’un rejeton de la famille Notaras, remonte aux débuts de cette famille historique et spécialement à l’époque de la prise de Constantinople par Mahomet II.


Un des Notaras était alors grand-duc et parent de l’empereur Constantin Paléologue. Lorsque la ville, assiégée par les Turcs, avait vu le danger devenir imminent, elle avait demandé aide à l’Occident. Des pourparlers avaient été engagés, des soutanes romaines avaient visité Constantinople, une union des Églises avait été ébauchée. Mais il paraît que les conditions étaient difficiles à accepter, et Notaras avait déclaré alors qu’ « il préférait le turban turc à la mitre romaine ».


Après la chute de l’empire byzantin (1453), le conquérant se montra d’abord bienveillant envers la famille du grand-duc ; il lui rendit même visite pour s’enquérir sur la maladie de sa mère. Peut-être s’attendait-il à des témoignages d’humilité que Notaras négligea de lui offrir. Et le sultan se piqua. De sorte que la connaissance qu’il avait faite avec la famille Notaras eut une suite désastreuse. Tous les enfants du grand-duc, filles et garçons, étaient beaux. Le sultan avait distingué parmi eux un garçon de quatorze ans, à la fleur d’une puberté précoce.


« Les particularités amoureuses de l’Orient, continue l’auteur du feuilleton, en ces temps héroïques surtout, étaient bien connues. Les seigneurs donnaient une place d’honneur dans leur lit aux spécimens de choix du sexe fort.


« Un soir, le nouveau souverain de Byzance sentit le désir invincible d’éprouver son pouvoir sur un jeune représentant de la « reine des villes vaincue ». De même qu’il avait jeté sous les sabots de son cheval la tête qu’on supposait être celle de Constantin Paléologue, il se peut qu’il ait eu l’inspiration d’humilier d’une façon aussi éclatante l’arrogante aristocratie de Byzance, qui se trouvait maintenant ensanglantée et à genoux devant lui. Le sultan battit des mains et, aux soldats armés jusqu’aux dents qui étaient accourus, donna l’ordre de lui amener le plus jeune fils de Notaras.


« Le désir du sultan parvint aussitôt au palais du grand-duc. Les féroces gardes du corps, suivis par l’indispensable eunuque, demandèrent au père lui-même de leur livrer son enfant. Peut-être croyaient-ils lui faire honneur.


« Le moment était venu pour le pauvre Notaras de penser que sa déclaration : « plutôt le turban turc que la mitre romaine » avait été bien audacieuse… ».


Notaras déclara à l’eunuque, qui entendait le grec, que le sultan lui faisait honneur, mais que sa religion considérait comme une grande infamie ce qu’on lui demandait : « Je ne lui donne pas mon enfant, dit-il. Qu’il prenne, s’il le veut, ma tête. » Mahomet devint furieux quand on lui transmit la réponse de son prisonnier de guerre. Changeant de délégué, il envoya le bourreau à la place de l’eunuque. Et la suite se déroula d’une façon prompte et tragique. Le bourreau et ses aides, ayant arrêté tous les membres de la famille Notaras, les poussèrent brutalement hors du palais. Après avoir arraché le préféré du sultan des bras de sa mère, le bourreau l’escorta au logis de son maître, puis il revint pour accomplir l’essentiel de sa besogne. Le tout-puissant Mahomet avait décrété : « Ainsi donc il préfère mourir plutôt que me livrer son fils ! Hé bien ! il donnera son fils et de plus il perdra la tête, lui et toute sa famille ! »


Notaras pria le bourreau de leur laisser le temps de prier, et de ne lui trancher la tête qu’après l’exécution de tous ses enfants. Le massacre commença par les garçons et les vierges. Quand le moment vint pour le grand-duc de s’agenouiller devant le bourreau, sur le pavé ensanglanté, autour de lui les corps de sa femme et de sa progéniture palpitaient encore.


Horribles réminiscences de carnage, qui n’étaient qu’un détail de l’immense boucherie que présenta Constantinople aux jours qui suivirent sa prise ! Mais les Contes cruels de l’homosexualité (comment parler ici d’homophilie !) ne sont pas nés en 1453.

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En voici un autre qui date de vingt-trois siècles, rapporté par Tite-Live (Livre VIII, chap. XXVIII) :


« Cette année-là (1), le peuple romain entra, pour ainsi dire, dans une ère nouvelle de liberté : l’asservissement des débiteurs fut aboli ; le droit changea, grâce tout ensemble à la luxure et à l’insigne cruauté de l’usurier L. Papirius. Il retenait chez lui C. Publilius, qui s’était livré à lui pour répondre des dettes de son père ; l’âge, la beauté du jeune homme, qui auraient pu émouvoir sa pitié, n’enflammèrent que son penchant au vice et à l’outrage. Prenant cette fleur de jeunesse (florem aetatis) pour un supplément d’intérêt de sa créance, il essaie d’abord de la séduire par d’impudiques paroles ; puis, comme Publilius ferme l’oreille à ses instances, il cherche à l’effrayer par ses menaces et lui représente par instants sa position. Voyant enfin qu’il avait plus de souci de l’honneur de sa naissance que de sa fortune présente, il ordonne qu’on le mette nu (nudari jubet) et qu’on apporte les verges.


« Déchiré sous les coups, le jeune homme s’échappa par la ville, se plaignant à tous de l’infamie et de la cruauté de l’usurier ; les citoyens viennent en foule, émus de compassion pour sa jeunesse, indignés de son outrage ; on s’échauffe, on craint pour soi, pour ses enfants, un pareil sort ; du Forum, où on se rassemble, on court à la Curie. Et comme les Consuls, surpris et entraînés dans ce mouvement, avaient convoqué le Sénat, à mesure que les sénateurs entrent dans la Curie, on se précipite à leurs pieds, on leur montre le dos déchiré du jeune homme (laceratum juvenis tergum). Ce jour-là, la violence et l’attentat d’un seul brisèrent un des plus forts liens de la foi publique : les Consuls eurent ordre de proposer au peuple que jamais, sinon pour crime, et en attendant le supplice mérité, un citoyen ne pût être tenu dans les chaînes ou les entraves : les biens du débiteur, non son corps, répondraient de sa dette. Ainsi tous les citoyens captifs furent libres, et on défendit pour toujours de remettre aux fers un débiteur… »


Au moins cette histoire a tourné pour le bien de l’humanité. Mais imaginez ce beau garçon nu à la peau lacérée par les coups, courant à travers les rues de Rome et criant au secours…, on se sentirait ému à moins. Et je vous prie de faire attention à ce commentaire de l’historien austère, qui est du plus pur humour britannique avant la lettre : « Prenant cette fleur de jeunesse pour un supplément d’intérêt de sa créance. » B. de Vigenère traduit fort plaisamment : « Pour ce que réputant la prime fleur de l’adolescent luy estre acquise pour les arrérages. »

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Nous avions besoin de nous dérider avant de reprendre la suite de nos contes cruels. Nous en sommes d’ailleurs au dernier — non de l’histoire, mais de la chronique d’aujourd’hui.


À peine un demi-siècle plus tard, à Athènes cette fois, sous Démétrios Ier Poliorcète (2), un de ces mauvais rois qui, selon Plutarque, non seulement cherchent le plaisir et la volupté au lieu du bien et de la vertu, mais ne savent même pas prendre le vrai plaisir et la vraie volupté, les Athéniens, renchérissant en flatterie et bassesse, avaient logé Démétrios dans la partie postérieure (opisthodomos) du Parthénon. Il se disait là être l’hôte de Minerve, qu’il ne ménagera guère, bien qu’il se laissât appeler son frère cadet :

« Celui qui prit l’Acropole pour auberge
et fit entrer les putains chez la Vierge. »

Il jeta, dit Plutarque, tant d’opprobre du haut de l’Acropole sur des garçons libres et des femmes bourgeoises, qu’on pensait que ce lieu redevenait sacré lorsqu’il ne s’y adonnait à la licence qu’avec Chrysis, Lamia, Dimo et Antikyrra, ses putains.


« … Et en ce qui concerne les autres faits, il vaut mieux pour l’honneur de la ville n’en point parler. On doit s’arrêter cependant devant la vertu et la sagesse de Démoclès. C’était un garçon encore impubère ; il n’avait pas manqué d’être aperçu par Démétrios, parce qu’il avait obtenu la publicité de la beauté : on l’appelait Démoclès le bel. Et bien que beaucoup d’hommes lui eussent fait la cour, offert des cadeaux ou cherché à l’intimider, il n’avait cédé à personne ; finalement, évitant les palestres et le gymnase, il fréquentait un établissement privé pour se baigner. Démétrios, l’ayant épié, y pénétra lorsque Démoclès s’y trouvait seul. Et le garçon, ayant constaté la solitude et le danger (de viol) imminent, enleva le couvercle de la chaudière et, se jetant dans l’eau bouillante, périt d’une façon indigne, mais avec un esprit digne de la patrie et de sa beauté, non comme ce Cléaïmetos, fils de Cléomédon, qui par les faveurs qu’il accorda à Démétrios, obtint de lui une lettre à la communauté exigeant que Cléomédon fût libéré d’une condamnation à payer 50 talents… »

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À penser à l’horrible supplice du pauvre garçon, on enrage contre tous ceux qui, à travers les âges, ont eu recours à la violence pour satisfaire leur désir. Il n’est de plaisir que partagé. Et combien de ces crimes sont restés impunis ! Ils constituent la page noire de l’homophilie qui sert à ses détracteurs pour la peindre toute en noir. Cependant, à aucun hétérosexuel — (encore moins aux homophiles) — n’est jamais venue la pensée d’abolir l’amour hétérosexuel à cause de ses viols et de ses drames innombrables : ôn ouk estin arithmos.


DEMIS.



  1. Dans un chapitre précédent, Tite-Live dit qu’à la même année se rapporte la fondation d’Alexandrie en Égypte et la mort d’Alexandre, roi d’Épire — pas Alexandre le Grand… Bien que Crévier fasse observer qu’il y a ici un décalage de quelques années, il nous suffit, à nous autres profanes de l’histoire, de croire que c’était l’an 332 avant Jésus-Christ.
  2. Poliorcète, du verbe grec poliorkô, « assiéger ». Fils d’Antigone, roi de Macédoine de 295 à 283 avant Jésus-Christ.


Voir aussi

Source

« Chronique athénienne. III, Homosexualité et violence » / Demis, in Arcadie : revue littéraire et scientifique, dixième année, n° 111, mars 1963, p. 151-155. – Paris : Arcadie, 1963 (Illiers : Impr. Nouvelle). – 52 p. ; 22 × 14 cm.

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