Hommage à Sandro Penna (Penna ; A. G. ; Nissim Bernard)

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Cette critique littéraire de Nissim Bernard, intitulée Hommage à Sandro Penna, a paru en 1954 dans la revue homophile Arcadie.

Texte intégral




HOMMAGE


à


SANDRO PENNA



La poésie italienne de ces dernières décades est assez peu connue en France. Depuis d’Annunzio, que se passe-t-il, en effet, au-delà des Alpes ? D’abord, il y a Eugenio Montale, Umberto Saba et Giuseppe Ungaretti, trois poètes que connaissent déjà, en France, les lecteurs de Commerce, de Mesures, d’Exils et de quelques autres revues qui se sont efforcées de révéler à leurs lecteurs, en même temps que Jules Supervielle, Pierre-Jean Jouve et Saint-John Perse, les surprenantes affinités qui relient ces derniers à quelques-uns de leurs contemporains italiens. Ensuite, il y a Salvatore Quasimodo, le seul, parmi les nouveaux poètes des années du fascisme, qui ait survécu, grâce à son lyrisme sicilien puisé aux mêmes sources vives que celui des grands poètes de l’antiquité grecque et latine, à la débâcle qui a entraîné vers l’oubli qu’ils méritent tant de poètes médiocres, qu’il s’agisse d’Aldo Capasso, de Lionello Fiumi ou d’autres, qui s’étaient empressés, en leurs vers emphatiques, de chanter les louanges du Duce.

Dans la littérature italienne d’après-guerre, Sandro Penna représente, en poésie, une sorte de franchise, de néo-réalisme, de lyrisme des rues de Rome, qui nous offre de frappantes analogies avec le néo-réalisme des grands films italiens, celui de Rome – ville ouverte ; de Sciuscia ; du Voleur de bicyclette. Avec une franchise surprenante chez un Italien contraint à vivre en une société qui ridiculise tout amour un peu plus idéaliste, un peu moins animal, un peu différent, Sandro Penna nous esquisse en quelques traits d’une légèreté et d’une finesse de grand dessinateur, les hasards de ses rencontres, de ses nostalgies, de ses amours, de ses déceptions. Ce qu’il nous apporte, une poésie du coin de la rue, les angoisses du jeune bourgeois qui ose s’aventurer parmi les beaux gars du peuple, est aussi spécifiquement romain que Toulouse-Lautrec ou Genet sont parisiens.

Sandro Penna a déjà publié en Italie plusieurs plaquettes de poésies. Malgré le scandale de son étonnante candeur, son talent a réussi à s’y affirmer jusque dans les milieux littéraires les plus difficiles. On trouve ses textes, par exemple, dans la belle revue, le Botteghe Oscure, que publie à Rome la Princesse Marguerite Caëtani de Bassiano qui, à Paris, présida naguère aux destinées de Commerce et de Mesures. En France, c’est ici, dans les pages d’Arcadie, que Sandro Penna connaîtra ses premiers admirateurs.

Nissim BERNARD.






Soleil sans ombre sur des corps virils
Qui s’abandonnent. Toute vertu se tait.
L’âme coule à pic lentement avec la mer
Dans un sommeil lumineux. Et soudain
Émergent, jeunes îlots, les sens.
Mais plus n’existe le péché.



NAGEUR


Dormait-il ?...
Puis il bougea et s’étira.
Il posa sur l’eau un regard lent. Son corps
Ne fut que vibration.
C’est ainsi qu’il laissa la terre.



FAUX PRINTEMPS


Chats placides, amants
(sur le pré l’heure est arrêtée)
D’éclats de verre étincelants.
Lourdement heureux,
De leur odeur de caserne
Se dépouillent les soldats.
Mais éphémère aux angoisses intimes
Est le soleil que tu chéris.
Dans l’âpre fin du jour, pèse le ciel
Parmi les branches sèches.

Tout humecté de vent voici que tu descends
Les marches noires de ma taverne.
Tes beaux cheveux retombent
Sur tes yeux vifs en un lointain firmament
Qui n’est qu’à moi.
                                   Dans la taverne enfumée
C’est vraiment l’odeur du port et du vent,
Vent libre qui modèle les corps
Et dirige les pas des blancs matelots.

Au ciel les étoiles sont immobiles.
Pareille est cette heure d’été à celle d’un autre été.
Mais le garçon qui devant toi chemine,
Si tu ne l’appelles pas ne sera plus le même.



INTÉRIEUR


Chez le portier il n’y avait personne.
Seule la lumière sur les lits pauvres
Et défaits. Et sur une table grossière
Dormait un môme magnifique.
                                                      De ses bras ennuagés
Sortit, en hésitant, un petit chat.

Et voilà les ouvriers sur le pré vert,
Cassant la croûte : très beaux, pas vrai ?
A l’entour défilent les autos
Et passent les gens chargés de journaux.
Mais les ouvriers, pas vrai ? comme ils sont beaux.

Sous le soleil vif et bruyant
S’est tenu le rassemblement. Seul le camp demeure
Et se prépare à écouter le fleuve
Caché
Tandis que s’éloigne à pas lents
Et dernier, le gars encore mal rhabillé.

C’était septembre. La foule à grand bruit
Retournait sur les routes. Le soleil chérissait
Le vin, avec l’ouvrier, les chants brûlaient
Jusqu’à la nuit profonde.
Mais, frappé de stupeur,
Demeurait un enfant, désormais lié
Sous le chaud feuillage du soir,
Au rire innocent d’un Ami.


Sandro PENNA.


(Traduit de l’italien par A. G.)



Voir aussi

Source

« Hommage à Sandro Penna » / Nissim Bernard, in Arcadie : revue littéraire et scientifique, 1e année, n° 5, mai 1954, p. 29-31. – Paris : Arcadie, 1954 (Illiers : Launay). – 54 p. ; 23 × 14 cm.

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