Hervé (Maurice Balland) – IV
Depuis plusieurs jours, Hervé ne se sentait pas bien. Il avait un léger mal de ventre. Sa mère, sans être inquiète, pensa à un peu de constipation et lui fit prendre de l’huile de ricin avant de l’envoyer au lit. Il dormit mal. La douleur augmentait. Elle devint lancinante, puis ce fut comme un coup de poignard dans le ventre.
C’était en pleine nuit, le garçon s’efforça de ne pas crier et frappa violemment du poing sur la cloison pour appeler ses parents qui dormaient de l’autre côté. Sa mère réveillée en sursaut se précipita et devina ce qui arrivait. Elle s’écria :
— Vite, un médecin !
Le petit Charles dérangé dans son sommeil se mit à hurler. Brigitte le gifla :
— Tais-toi, tu vas réveiller les autres.
Puis, elle alla secouer son mari :
— Dépêche-toi !
Heureusement, un docteur demeurait dans la cité. Arrivé sans tarder, il diagnostiqua une crise d’appendicite et ordonna le transfert immédiat à l’hôpital.
Quelque temps après, le choc passé et les brumes de l’anesthésie dissipées, Hervé se sent heureux de vivre. C’est l’après-midi, il avait un peu sommeillé. Réveillé, les cheveux en bataille, il regarde autour de lui pour examiner la chambre. Quel changement ! Être couché dans une pièce avec des murs en dur ! Il tapote sur la cloison près du lit. Le son n’est pas le même que dans la baraque. Ici, ça fait un bruit mat, discret ; là-bas, on croirait un roulement de tambour. Heureusement ! Sans quoi il n’aurait pu réveiller ses parents !
Voilà justement sa mère qui vient le voir pour lui apporter de la lecture. Il est encore trop tôt pour qu’il puisse avoir des gâteries. Elle reste debout près du lit et donne des nouvelles. Elle le noie sous un flot de paroles. Hervé écoute distraitement ; il pense à autre chose. Au moment où elle va le laisser et partir, il demande :
— Est-ce que le père Albin sait que je suis à l’hôpital ?
— Sans doute que non. Nous ne l’avons pas averti. Ne t’inquiète pas, chéri, on le lui fera savoir.
Sa mère sortie, le garçon prend un livre. À peine en a-t-il tourné deux pages que la porte s’ouvre. Oh, surprise, c’est son ami, le père Albin !
— Vous saviez que j’étais ici ?
— Oui, je l’ai appris au hasard d’une conversation. C’est le père Léger qui me l’a dit. J’ai pensé que ma visite te ferait plaisir.
— Ah, ça, sûrement !
Les yeux sombres du garçon se mettent à étinceler, donnant plus d’éclat à son visage encore pâle. Rapidement, il passe la main dans ses cheveux pour y mettre un peu d’ordre. Le père s’installe sur une chaise et Hervé raconte ce qui lui est arrivé : la nuit où il eut mal, son transport à l’hôpital, son entrée dans la salle d’opération. Puis, plouf, plus rien ! Le noir ! Et enfin son réveil avec l’étonnement de se trouver dans cette chambre.
À mesure qu’il parle, son visage prend un air sérieux. Le père voit les sourcils du garçon se mettre en forme de V, signe d’une réflexion intense. En effet, Hervé fait cette remarque :
— C’est drôle, je croyais que le chirurgien avait donné un grand coup de bistouri. Mais non, il n’y a qu’une petite plaie avec un petit pansement dessus. Tenez, vous allez voir.
Prestement, il rejette les draps et avant que le père ait pu faire un geste pour le retenir, il baisse le pantalon de son pyjama :
— Regardez !
En effet, le pansement tenu par du sparadrap n’est pas bien large. Mais ce que voit aussi le père, c’est le sexe de l’enfant que celui-ci n’a pas pris la peine de dissimuler. Il est gêné, sa voix tremble un peu quand il exprime ses propres remarques. La gorge sèche, il continue de dialoguer avec Hervé qui s’inquiète de son trouble :
— Vous reviendrez bien encore me voir ? J’en ai pour trois jours à rester ici.
— Promis !
Le père embrasse le garçon et sort.
Deux jours après, il retourna à l’hôpital. L’Hôtel-Dieu est neuf. L’ancien hôpital ayant été totalement rasé, on avait édifié un complexe moderne sur un autre emplacement.
Un nouveau plan de la ville, élaboré par les services du Ministère de la Reconstruction, permit la disparition du fameux passage à niveau, objet de tant de polémiques. Pour cela, on établit une déviation routière contournant le centre de la ville et qui, passant sur un viaduc enjambant la ligne de chemin de fer, aboutit à un autre pont construit sur le fleuve. Cet ensemble repoussa vers l’ouest l’entrée de la ville, de sorte que le boulevard de la Gare, la rue Grande et la Place d’Armes se virent désormais en dehors des courants de circulation. Il fallut vaincre bien des résistances avant que fût accepté ce projet, d’où la lenteur pour le démarrage des travaux de reconstruction.
La déviation projetée fut réalisée en priorité. Appelée boulevard de la Libération, elle traverse une place prévue pour y édifier l’Hôtel de Ville, la Sous-Préfecture et le nouvel hôpital. Seul celui-ci était achevé et en service. On entamait seulement les autres chantiers. De son côté, sans cesse, le père Léger harcelait les autorités pour faire accélérer les travaux et voir dégager le plus rapidement possible le jardin du couvent. Pour cela il mettait en branle bon nombre de personnalités influentes, jusqu’au député et au sénateur. Pour que puisse démarrer la reconstruction du couvent, il avait réussi à faire enlever des baraquements gênants et transférer ailleurs les familles qui les occupaient. Les religieux de la communauté des pères comptaient alors parmi les rares habitants déjà relogés dans des immeubles neufs. Ce dont certains s’étonnaient quelque peu !
Le père Albin admira l’élégance du nouvel Hôtel-Dieu haut de huit étages. Il le trouva bien conçu aussi : les chambres s’orientaient au midi, les couloirs et services sur la face nord. Il entra, monta au septième étage. Par une fenêtre du couloir, il jeta un rapide regard vers l’extérieur. Dans les chantiers épars, les grues peintes en rouge ou en jaune agrémentaient l’espace gris de béton. Sans trop tarder, il chercha la chambre d’Hervé.
Le garçon est seul. Il paraît plus reposé et plus guilleret que l’autre jour. C’est que bientôt il sortira de l’hôpital. Le père pose sur le lit un paquet de bonbons et un album illustré au titre : Les Grandes Découvertes, qui sûrement l’intéressera.
— Je crois que tu as douze ans aujourd’hui. Je l’avais noté.
Hervé est ravi. Il détaille ce qu’il a fait durant les deux jours passés. Peu à peu, à mesure qu’il parle, son minois se dessine avec les sourcils en forme de V, et il dit :
— On a enlevé les agrafes. Ça ne fait plus mal. Vous allez voir.
À nouveau, en un clin d’œil, il se découvre et montre la cicatrice toute rose où les agrafes ont laissé des traces.
— Touchez, pour voir !
Le père avance la main et tâte légèrement.
— Appuyez, vous pouvez y aller, ça ne me fait pas mal du tout.
Tremblant légèrement, le père s’exécute. Il est terriblement gêné car, étant du côté gauche du lit, il lui a fallu passer la main par-dessus le sexe du garçon, et appréhende de le frôler, risquant de provoquer un trouble chez l’enfant. Celui-ci, au contraire, éprouve du délice à sentir cette main lui toucher la peau du ventre. Ce qu’il ressent est bien différent qu’avec le docteur ou l’infirmière. Ceux-ci touchent en raison de leur fonction, tandis que la main du père, il la sent là, sur sa peau, par un effet de sa volonté, ce qui le remplit d’aise. Le père Albin n’est-t-il pas son ami ?
Le père parti, il feuilleta l’album. Bientôt pourtant, réfléchissant à ce qu’il avait voulu ressentir, il s’aperçut qu’il venait de faire une découverte.
Le lendemain, Hervé rentra à la maison. L’année scolaire étant pratiquement achevée, ses parents l’envoyèrent sans tarder à la campagne chez sa grand-mère pour le temps des vacances.
Au bout de quinze jours, le père Albin reçut une carte postale :
Mon père et ami,
Je suis chez ma mémé. Je m’amuse bien. Je prends des bains dans la rivière. Il y a du soleil. Je vous embrasse.
Le père aurait volontiers répondu, mais il ne connaissait pas l’adresse. Pour l’obtenir, il enfourcha son vélomoteur. Arrivé à la cité, il aperçut la voiture du père Léger en stationnement devant la baraque des Morin. Par crainte d’être indiscret, il s’apprêta à faire demi-tour. Pour Hervé, il se décida et frappa à la porte. Il dut attendre un peu avant que vînt lui ouvrir la maman du garçon. Elle lui parut nerveuse et quelque peu contrariée. Il aperçut son confrère assis à la table de la salle à manger, feuilletant des documents. Apparemment, il était là pour mettre au point une activité avec la mère d’Hervé. Le père Albin s’excusa : il n’avait pas à s’attarder, juste le temps de prendre un renseignement. L’adresse notée, il repartit aussitôt. Pendant le retour, réfléchissant à ce qu’il avait constaté, il lui parut étrange que Madame Morin se trouvât encore en tenue négligée à trois heures de l’après-midi.
Le soir même, après le repas de la communauté au réfectoire, le père Léger éprouva le besoin de faire l’éloge de madame Morin et prit son confrère à part. Selon lui, c’est une personne active et bien méritante, énergique aussi, plus que son mari d’ailleurs, ce qui est heureux, car cela assure la cohésion du ménage. Le père Albin trouva étrange que, parlant de la mère d’Hervé, son supérieur la nommât toujours du prénom de celle-ci : Brigitte.
Quelques jours plus tard, Hervé reçut une courte lettre :
Cher Hervé,
Je te remercie pour la gentille carte postale que tu m’as envoyée. J’ai eu grand plaisir à la lire. Je vois que tu es bien remis de ton opération. Profite bien du soleil et des bains dans la rivière. La nage est un bon sport, très tonique.
Sois assuré de mon amitié. Je t’embrasse moi aussi.
Ton ami.
Hervé répondit :
Cher père et ami,
J’ai été très content de recevoir votre lettre. Ici, c’est très bien. Il y a des bois et des champs. C’est la campagne. J’ai été voir les animaux à la ferme. C’est très amusant. Ma mémé est très gentille. Avec elle, je mange bien. Je vais tous les jours à la rivière avec Charles. Quand je me déshabille pour aller à l’eau, je pense à vous. On ne voit presque plus ma cicatrice, je vous la montrerai après les vacances.
Je vous embrasse bien fort.
Les Morin passèrent le mois d’août à la campagne et ramenèrent leurs enfants à temps pour préparer la rentrée scolaire.
Dès que ce fut possible, Hervé courut à la rue de la Victoire, tant il était pressé de revoir son ami et de lui raconter ses exploits de vacances. Le père le reçut dans la pièce qui lui servait de bureau. Dirigeant un service d’entraide et recevant beaucoup de gens, ce bureau du rez-de-chaussée, avec une entrée distincte de celle du couvent, lui assurait une certaine autonomie. Il y avait aussi une petite salle d’attente.
Ayant pénétré dans le bureau, le garçon embrassa le père qui le complimenta pour sa bonne mine. Hervé rougit de plaisir. La campagne lui avait fait grand bien et provoqué une poussée de croissance. Auparavant assez trapu, râblé, légèrement bouffi, il était devenu plus svelte, juste de taille en rapport à son âge. Portant un survêtement de sport bleu il est à l’aise autant que sont soulignées les formes de son corps. Il devient coquet car il a soigneusement peigné ses cheveux et ne justifie vraiment plus la critique portée par sa mère quelques mois auparavant.
Assis sur le siège réservé aux visiteurs, il raconte ses vacances. Il en a des souvenirs tant il a vu et fait de choses durant ces deux mois ! Le père l’écoute, regarde son visage mobile aux yeux vifs soulignant par leur éclat le récit des malices et bonnes farces faites en compagnie de Simone et de Charles et de ses cousins. Tout en parlant, le garçon sent une idée lui trotter dans la tête et bientôt ses sourcils prennent la forme caractéristique du V, ce dont s’inquiète le père pressentant une manœuvre devant laquelle il se trouvera encore pris au dépourvu. Hervé, en effet, décrit ses baignades dans la rivière, ses jeux dans l’eau, puis, sans transition :
— Ma cicatrice, vous savez, on ne la voit presque plus. Tenez, vous allez vous en rendre compte !
Le père n’a pas le temps de réaliser que déjà le garçon est debout, a descendu pantalon et slip et montre sa cicatrice.
— Touchez-la !
Que faire ? L’enfant est plein de candeur. Refuser ? Ce serait courir le risque de l’étonner, de le traumatiser peut-être. Bah ! le père commence à se faire aux manœuvres d’Hervé, et donc, sans même cette fois trembler, il porte la main.
— Appuyez, appuyez bien, insiste le garçon, je ne sens absolument rien.
Le père Albin appuie, tâte longuement, s’efforçant de paraître indifférent. Pourtant, son regard est attiré par le sexe plus développé qu’il ne l’était à l’hôpital. Il le voit même gonfler et se dresser tandis qu’il presse sur la peau avoisinante. S’étant sans doute attendu à cela, Hervé exécute un mouvement brusque, une sorte de rotation du tronc vers la droite, ce qui a pour effet de faire buter sa verge affermie contre la main du père qui, aussitôt, la retire comme s’il avait reçu une décharge électrique.
Le garçon rit de bon cœur.
Rougissant, mal à l’aise, mais sans pourtant le montrer, et d’une voix blanche, le père fait remarquer à l’enfant combien celui-ci a été imprudent :
— As-tu songé ? Si quelqu’un s’était présenté à la porte ! Sois prudent à l’avenir, sinon on risquera d’avoir des ennuis.
Hervé ne parut pas tellement marri. Il riait de bon cœur comme d’un fameux tour joué à son ami. Il avait pleine confiance. D’ailleurs, ne lisait-il pas dans les yeux du père la sympathique compréhension qu’il avait attendue de lui ?
Au lit, ce soir-là, couché sur le dos, le garçon se mit à tapoter avec ses doigts sur sa cicatrice. Ce qui fit gonfler son sexe, sur lequel il se mit également à tapoter. Il remarqua alors que, dans le même temps, il pensait à son ami du couvent.