Libération n° 1012 (26 avril 1977)

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Articles publiés par le journal français Libération, dans le numéro 1012 du mardi 26 avril 1977.


Les moins de quinze ans


     GAY



En marge de la « semaine homosexuelle » à Paris (5)


LES MOINS DE

QUINZE ANS



« La Charte des enfants », une idée qui fait son chemin, et que l’émission d’Europe 1, animée par B. Boulin, a largement diffusée. Au chapitre sexualité des enfants et pédérastie, des témoignages innombrables (nous en reproduisons deux ci-dessous), des coups de téléphone à la sauvette, souvent dramatiques : « Je vivais dans la terreur et je vous ai entendu. Je vis avec un garçon de 20 ans, personne ne me comprend, je suis un exclu. Pourquoi n’ai-je pas le droit d’aimer ? parce que je suis un enfant. C’est abominable » (Philippe, 13 ans) ; « J’ai des problèmes avec les parents d’une fille dont je suis amoureux. Nous nous aimons vraiment. Que faisons-nous de mal ? » (Jacques, 14 ans). Etc… Dans l’opinion publique, c’est la réprobation morale, la monstrueuse perversion, ou le sentiment diffus d’une permissivité de la sexualité et de la législation. Or, une histoire de la législation montre que les choses n’ont fait que s’aggraver, dans les relations adultes-mineurs, depuis le code pénal de 1810. On ne prévoyait alors pas de répression pour les actes sexuels sans violences, quel que soit l’âge des participants. En 1832, les mêmes faits devenaient « criminels ». C’est toujours le cas aujourd’hui, et l’âge de la minorité devait être élevé à deux reprises, et fixé à 15 ans. « Criminel » cela signifie les assises et 5 à 10 ans de réclusion. Ne serait-il pas temps aujourd’hui de décriminaliser l’amour, et de tenir essentiellement compte du consentement des mineurs ?



« Un pauvre écolier qui se tait »



« Un pauvre écolier
qui se tait »


J’ai 14 ans. C’est un âge où l’on me considère comme un enfant, mais enfant est synonyme d’irresponsable. Mes parents sont assez gentils avec moi et pourtant ils me rendent la vie difficile. J’aime un autre garçon de 22 ans. On se voit en cachette. Notre amour est intense et fort. Il a vaincu toutes les résistances en moi qu’avaient déposées la morale, l’ordre et la famille. Je puis vous dire que je n’ai pas été détourné. J’aurais même plutôt détourné.

Olivier vivait bien tranquillement. avant de me connaître. Et puis il y a eu la colonie de vacances, l’été, les cigales, la mer. Un soir, je n’ai plus vu que lui. Il fallait le séduire. Il semblait loin dans son monde d’adultes et d’autorité. Le soir, je me demandais à quoi pouvaient bien ressembler ses rêves. Et je me suis dit que ça devait être bien triste. Alors je n’ai plus hésité. Si vous saviez ce qu’il y avait d’amour et de désir en moi. J’en tremble encore aujourd’hui.

Et puis une nuit, on s’est promené. Il m’a vraiment regardé pour la première fois. Nous nous sommes découverts, entraînés et nous avons connu le plaisir. Alors j’ai su que cela aussi existait.

Mon enfance est un court moment et je veux en profiter à plein. Or je ne peux pas. Pourtant quand on sait tout ce qui se passe dans les collèges, dans les colonies. Tous ceux qui se cachent et qui sont les premiers à s’indigner, à dénoncer. Les salauds ! Ou les pauvres types. Je me sens aussi normal que possible et je regarde avec joie les filles et les garçons. La beauté, l’amour sont partout. Je suis obligé de me terrer alors que j’aimerais faire éclater au grand jour ce qui me semble si beau.

Je vous supplie, faites quelque chose pour qu’Olivier ne soit pas arrêté, pour que je ne meure pas, pour que les enfants puissent vivre sans la menace de la mort, pour que tous ceux qui sont comme moi vivent et trouvent le bonheur. Merci.

Je suis du fond du cœur avec vous pour tout ce que vous faites.

Un pauvre écolier qui se tait, et qui en a marre de se taire.


HERVÉ (14 ans).



Que de bonheur perdu…



Que de bonheur
perdu…


Il y a exactement un an j’ai rencontré (j’ai presque été agressé en fait) un garçon de treize ans. Un mois après nous étions amants. Grâce à mes horaires élastiques, j’ai pu trouver une heure ou deux chaque semaine pour le voir, le mercredi après midi ou à la place de leur fameux dix pour cent. La corde raide sans arrêt pour vivre notre amour dans la plus discrète clandestinité. Je me suis pris d’amour et de passion pour ce garçon et lui m’aime profondément car je joue le rôle du père, du frère, de l’ami, de l’amant. Hélas, il n’a que quatorze ans et c’est le danger permanent. Je l’aime pour son extraordinaire intelligence qui lui fait accepter son homosexualité avec froideur ; il se sait voué à ce monde parallèle et l’accepte. Et pourtant il est dans un milieu familial particulièrement répressif. (…)

Hélas, la maman a appris qu’il me voyait. J’ai eu le plus grand scandale chez moi que j’aie jamais vu. Cette femme folle de douleur, qui est intimement persuadée que son fils est pédé et qu’il guérira avant dix-huit ans si elle le préserve des influences nocives, perverses, malsaines de mon genre. « Mon fils est un enfant » me criait-elle. Si elle voyait avec quelle ferveur il me câline, avec quelle fureur il fait l’amour et le bonheur qui irradie son visage quand il se blottit dans mes bras.

J’ai été menacé d’une dénonciation au commissariat si je le revoyais une seule fois. Et puis ce fut la répression autour du pauvre gosse. Chaques vacances, ou week-end chez la grand-mère à la campagne, avertissement public à son école, à son club sportif et conseils qu’aucun adulte, surtout pas moi ne devait approcher son fils. Pauvre gosse. Combien il a haï sa mère de si peu l’aimer en essayant de faire son bonheur selon des conceptions imposées par une société, des conceptions qu’au fond elle n’a même pas choisies elle-même. Moi j’étais d’autant plus fou de douleur que je pensais à mon jeune ami renfermé dans sa cage familiale sans aucun secours, seul tout le temps, seul avec son désespoir d’être séparé de moi, seul avec ses larmes.

Comment en 1977 peut-on interdire à deux êtres de s’aimer ? Lui, l’enfant il acceptait le joug maternel avec résignation comme avant, faire semblant et mentir. Mais moi, adulte, on m’interdit d’aimer une personne, c’est inimaginable. Quel esclavage, avoir quatorze ans et se dire qu’il faut attendre quatre ans pour vivre. La prison ! (…) refouler en bloc pour faire plaisir à sa maman mue par la conviction que pédé est égal à monstre et qu’il faut guérir. Alors que les dés sont jetés pour la vie ; cette ridicule position entraîne tant de malheur qu’il est impensable de ne pas désirer un recours pour ces esclaves d’une si ridicule, injuste, inhumaine, injuste, aveugle éducation. Attendre quatre ans pendant lesquels il faudra mentir, alors qu’il serait si facile de vivre en parfaite harmonie avec ses parents. Le gosse est contraint de faire semblant, d’être comme les autres, d’aimer les mêmes choses que les autres, de se dépersonnaliser et gâcher les plus belles années de sa vie. Bien sûr j’ai préféré risquer la prison que d’abandonner ce garçon à la cruauté qui lui veut du bien et je le vois comme avant avec deux fois plus de précautions. C’est mieux que rien, mais que de temps, d’argent, de larmes, gâchés et que de bonheur perdu. (…)


PIERRE (25 ans)



Voir aussi

Source

  • Libération, n° 1012, 26 avril 1977. – Paris.