Discussion:Uraniens
Cet article pose un problème, qui vient de l’orientation spécifique de Boywiki.
En effet, si l’on tombe de « l’extérieur » sur cet article, on se dit que tout est faux ou biaisé. Il me paraît naturel de rétablir un équilibre en rappelant en premier lieu qu’ « uranien » est un vieux mot français auquel on a donné une nouvelle vie dans le dernier quart du XIXe siècle pour traduire le mot "Urning" inventé par K. H. Ulrichs.
Ce n’est qu’après ce rappel que l’on peut se permettre de faire un « article boywiki » sur une école poétique anglaise qui s’est nommée « the Uranians » et dont la traduction en français est « les uraniens ».
L’opinion de Michael M. Kaylor est surprenante, car elle traduit une méconnaissance blâmable, de la part d’un universitaire, de l’histoire des mots. Elle est fausse : la résurgence aussi bien en français qu’en anglais de ces mots (uranien ; uranian) vient incontestablement du mot allemand Urning.
Il faut souligner en effet qu’à cette époque, où les aliénistes, les médecins légistes et les écrivains intéressés par le sujet tentaient d’avoir une nouvelle vision de l’amour de l’homme pour l’homme, le mot « pédéraste » avait encore un sens général, et que les distinctions basées sur les classes d’âge de l’objet aimé viendront plus tardivement (quoique Ulrichs l'ait amorcée), et ne s’imposeront qu’au début du XXe siècle. Il en fut donc de même avec le nouveau sens des mots « uranien » et « uranistes » qui désignèrent tout amoureux d’une personne de même sexe. La protestation de Michael M. Kaylor est donc totalement infondée. Le phénomène nouveau était « l’amour de l’homme pour l’homme », et la théorie d’Ulrichs (Une âme de femme…) constituait la base d’un débat ultérieur.
On voit donc mal pourquoi donner tant d’importance, dans Boywiki, à une opinion fausse.
Par ailleurs, les publications d’Ulrichs ayant eu une forte notoriété, il me paraît important de donner la traduction qui a prévalu partout depuis qu’on parle de lui, et non une nouvelle traduction (passant pas l’anglais) même si elle est plus élégante ou plus juste (un exemple avec « Le Portrait de Dorian Gray » qui devrait en fait être « Le Tableau de Dorian Gray » mais puisque le titre a été adopté, on doit s’y tenir lorsqu’on parle de ce livre.)
La traduction donnée jusqu’à présent a été : « Recherches sur le mystère de l’amour de l’homme pour l’homme » Le mot « énigme » est souvent mis à la place de « mystère ». « Recherches » est au pluriel, et « amour de l’homme pour l’homme » a toujours été la traduction que j’ai lue pour « mannmännliche Liebe ». --Skanda 11 mai 2011 à 07:36 (GMT)
Autre chose : On peut dater précisément Urning de 1864, date de la parution de la première brochure de K.H. Ulrichs ("Vindex"), lequel Ulrichs n'était pas sexologue, mais juriste (et latiniste). Le titre de sexologue (avant la lettre) ne lui convient pas parce qu'il ne s'est pas occupé de sexualité en général, mais seulement d'uranisme.--Skanda 11 mai 2011 à 08:51 (GMT)
- Si tu penses qu’uranien est « un vieux mot français auquel on a donné une nouvelle vie dans le dernier quart du XIXe siècle », tu en sais plus que le TLFI, qui donne pour première apparition (et encore, comme adjectif) une citation de Flaubert en 1849. Il est possible cependant que l'expression Vénus uranienne, qui n'est autre que l'Aphrodite céleste de Platon, soit apparue antérieurement. Mais encore faudrait-il préciser où.
- Les deux autres citations (Colette 1909 et Arnoux 1926) se réfèrent à deux Anglais. Il n'est donc pas absurde de supposer qu'il s'agisse là de traductions de l'anglais Uranian.
- De telles précisions peuvent être utiles, certes. Elles ne sont pourtant pas indispensables dès le début de l'article. En effet celui-ci, par son intitulé pluriel Uraniens, montre clairement qu'il traite du groupe d'écrivains britanniques, et non du mot uranien en général (qui pourrait faire l'objet d'un autre article).
- Surprenante ou pas, l'opinion de Michael M. Kaylor existe, et il est donc justifié de la mentionner. Personnellement, je la trouve tout à fait crédible en raison de deux éléments incontestables :
- Pour tout Européen ayant fait de bonnes études classiques (ce qui était le cas des Uraniens), le mot uranien ou Uranian évoque immédiatement l'Aphrodite céleste et pédérastique de Platon. Point n'est besoin de passer par l'allemand pour y penser !
- Il est rare qu'on emprunte du vocabulaire à un théoricien dont on ne partage pas les idées. Or les conceptions des uraniens britanniques sont presque à l'opposé de celles d'Ulrichs.
- Il est donc beaucoup plus probable, comme le suppose Kaylor, que Uranian et Urning soient dérivés, non pas l'un de l'autre, mais de la même source grecque. Si ce n'est pas le cas, il faut en apporter la preuve, et non pas se contenter de qualifier cette opinion de « blâmable » ou de « fausse ». (Personnellement, j'ai d'ailleurs tendance à penser qu'une opinion peut éventuellement être fausse, mais en aucun cas blâmable.)
- La version française du titre peut en effet être changée, si elle a déjà été publiée sous une autre forme. Sans doute avais-je traduit uniquement à partir de l'anglais, sans vérifier si une autre traduction existait déjà (c'est ça l'avantage d'un wiki : il y a toujours quelqu'un pour signaler ou corriger les erreurs et les omissions).
- Enfin, tu sembles surpris – presque choqué ! – de trouver dans cet article des imperfections. Mais il ne t'aura sans doute pas échappé qu'il s'agit à peine d'une ébauche (même si le bandeau Ebauche n'y apparaît pas). Mon but était surtout de faire un travail de recensement, qui permettrait de créer une multitude de liens rouges – chacun de ces liens étant ensuite une incitation à écrire l'article correspondant.
- Caprineus 12 mai 2011 à 01:35 (GMT)
- Attestation du mot Uranien avant 1800 :
- « C’est-à-dire, Jupiter Uranien ou Jupiter Céleste : car Eusebe interprete Beel ou Baal dans le sens de Cœlum, témoin Beel semen, qu’il interprete cœli Dominum. »
Note 57, p. 783. Traduction de l’Histoire naturelle de Pline. 1771. (Orthographe respectée). - On trouve aussi « Uranien ou Céleste » dans la Table des Matières de l’Histoire d’Hérodote par Jean Luc Nyon. 1786. p. 491.
- « Les Spartiates ont accordé à leurs Roi les prérogatives suivantes ; deux Sacerdoces, celui de Jupiter Lacédémonien, & celui de Jupiter Uranien ; le privilége de porter la guerre par-tout où ils le souhaiteroient, sans qu’aucun Spartiate puisse y apporter d’obstacle, sinon il encourt l’anathême. »
Histoire d’Hérodote par Pierre-Henri Larcher. Vol. 4. 1786. p. 125. (Orthographe respectée). - « Enfin, selon cet Auteur [Diodore de Sicile], Atlas & Saturne descendent d'un nommé [Ouranos, en caractères grecs], Uranus. Israël & son frere descendent d'Abraham, lequel étant originaire du pays d'Ur, en Chaldée, pouvoit fort bien, selon l'usage de ce temps, avoir eu le surnom d'Uranien. »
Frédéric-Charles [Karl Friedrich] Baer – Essai historique et critique sur les Atlantiques, (…) 1762. p. 23. - Le nom « Uranien » est aussi employé depuis longtemps en Suisse, pour désigner les habitants d’Uri ou de la région d’Uri :
- « L’autre trait est de cupidité monstrueuse. Sa singularité peut servir de pendant aux excès que le tyrannique Baillif Gesner commit contre le brave Uranien Guillaume Tell. »
Jean Benjamin de La Borde - Tableau de la Suisse, ou voyage pittoresque fait dans les xiii cantons (…). 1784. p. 180. - Ce dont je suis convaincu, c’est que beaucoup de personnes intéressées par la « pédérastie » avaient entendu parler de K.H. Ulrichs et de son militantisme (comme juriste, car il combattait les paragraphes du Code pénal des différents états allemands visant les actes commis entre hommes. Ce fait seul créait l’événement dont on parlait), mais connaissaient mal, voire pas du tout, ses « théories explicatives » qui n’avaient du reste qu’un caractère anecdotique au regard des revendications. Si ce n’avait pas été le cas, si la théorie d’ « une âme de femme dans un corps masculin » avait été si connue et si liée au mot Uranien, Ferenczi n’aurait jamais distingué « l’Uranien viril » et « l’Uranien efféminé » (au tournant des XIXe et XXe siècles).
- L’adjectif de « ludicrous » dont Michael M. Taylor qualifie l’hypothèse la plus vraisemblable sur l’origine de l’appellation Uranians est donc déplacé. Et son explication sur l’opposition entre la théorie de K. H. Ulrichs et les conceptions des Uraniens n’est pas valable d’un point de vue historique, c’est son regard rétrospectif d’homme moderne, conscient des nuances entre les différentes formes d’amour qui la lui fait avancer de manière trop catégorique. Tout au plus pouvait-il dire qq chose du genre : « Il n’est pas certain que… », puisque la référence à Platon peut ne point passer par Ulrichs, au lieu de dire que c’est une hypothèse ridicule.
- --Skanda 12 mai 2011 à 06:35 (GMT)
- Explication pour « blâmable » : il me paraît naturel d’être sévère pour les erreurs commises par des chercheurs qui sont rémunérés (par une institution, un organisme public) pour effectuer leurs travaux.
- Je ne le suis jamais pour le travail d’un amateur, qui lui, dépense son propre argent pour effectuer ses recherches.
- --Skanda 12 mai 2011 à 06:57 (GMT)
- En résumé, les résultats provisoires de cette intéressante discussion sont donc les suivants :
- L'adjectif uranien est apparu en français en 1762, comme traduction du grec ouranos et avec la signification de « céleste » appliquée à des divinités (bien entendu, jusqu'à ce qu'un rat de bibliothèque découvre un document plus ancien...).
- Le nom Uranien est apparu également dès le XVIIIe siècle, mais avec une tout autre signification, ni grecque ni céleste, mais helvétique et montagnarde : on peut donc en faire abstraction dans le cas présent. Les autres usages comme substantif semblent ne dater que du début du XXe siècle, et désigner des homosexuels britanniques.
- Les chercheurs, tout dignes et respectables qu'ils soient, peuvent se laisser entraîner parfois à être trop sûrs d'eux, traitant abusivement de « lucridous » ou de « blâmables » les avis différant du leur. Un lieu de sagesse et de haute connaissance comme BoyWiki doit donc modérer ces emportements verbaux, tout en prenant en compte leurs doctes opinions :-)
- Jusqu'à plus ample informé, l'origine de l'anglais Uranian reste controversée. Il serait utile à cet égard de retrouver les usages anciens du mot, comme tu l'as fait pour le français ; et aussi de savoir quand, dans quel contexte et avec quelle signification précise un poète du groupe des Uranians a, pour la première fois, utilisé ce terme. (Il y a sans doute des éléments de réponse sur ce dernier point dans le Love in Earnest de Timothy D'Arch Smith – mais je n'ai pas mon exemplaire sous la main pour l'instant.)
- Ajoutons que ces considérations savantes justifieraient amplement la rédaction dans BoyWiki d'un article Uranien distinct d’Uraniens (dont il n'est actuellement qu'une redirection). Le TLFI viendrait s'y abreuver pour enrichir ses connaissances et sa base de données...
- Caprineus 12 mai 2011 à 10:45 (GMT)
- En résumé, les résultats provisoires de cette intéressante discussion sont donc les suivants :
Une précision importante, parce qu’il me semble que cela n’apparaît pas dans tes conclusions.
K.H. Ulrichs et son invention du mot Urning, a suscité de très nombreux commentaires. En France, on s’est essayé à plusieurs traductions possibles du mot Urning : l’une, Urnien, est un mot rare, qui est attesté dans Les deux prostitutions de François Carlier (1887). Uranien, dans le sens d’homosexuel est sûrement apparu vers la fin du XIXe siècle. En tout cas, comme substantif synonyme d’homosexuel il est présent dans le roman signé par rien moins que Colette Willy Les égarements de Minne (1905 ; interestingly, le contexte est...londonien) ainsi que dans les Archives de l’Anthropologie criminelle de Lacassagne (1908), dans le Mercure de France, à propos des « cabarets à soldats » (1908 ; le contexte est allemand).
Je pense qu’il en va de même en langue anglaise, ce qui semble avoir échappé à Michael M. Kaylor. (Colette Willy, je crois, a été traduit en anglais.)
La raison pour laquelle l’occurrence d’Uranien dans le sens d'homosexuel (ou de pédéraste au sens large) est assez rare en français, tient au recours au mot uraniste, mot mieux connu, à cause de la querelle des Uranistes et des Jobelins. Uraniste est fréquent dès 1895 dans le sens d’homosexuel, ne serait-ce que par la traduction de Psychopathia sexualis de Krafft-Ebing. Cela n’empêche pas que quelques occurrences du mot Uranien autres que celles citées plus haut en français doivent exister. Idem pour l’anglais Uranian. --Skanda 12 mai 2011 à 15:32 (GMT)