Abécédaire malveillant : J
et si vous pensez qu’ils ne sont pas respectés,
veuillez le faire savoir à la direction de BoyWiki,
qui mettra fin dès que possible à tout abus avéré.
JEUNESSE
En France, la jeunesse est une qualité qu’on étrangle à vingt ans et qu’on admire chez les vieillards.
Merveille, pleurs de joie et tout : chaque année, j’ai un an de moins que l’année d’après. Dieu sait comment ça va finir.
JOURNALISTES
Les médias sont toujours plus nombrilistes et prédictifs. Ils falsifient le présent et se taisent sur le patronat, leur fontaine : mais ils adorent vous dire ce qui se passera demain ou dans cent ans, et les journalistes vedettes font l’objet de reportages émerveillés et d’indiscrétions au sucre.
Aucun corps de métier ne pousse plus loin l’impudence dans l’autopropagande, la servilité dans la censure, l’aplomb dans le mensonge, l’effronterie dans l’ignorance.
Personne au monde, ni dieux ni anges, n’a été plus juste, et utile, et scrupuleux, et clairvoyant, et talentueux, et compétent, et omniscient, et désintéressé que les journalistes, à en croire les médias où ils se détrempent d’éloges mutuels.
Le dernier des canards nous agite au nez ses ailes d’Esprit saint : et suspecter la probité de ces voyous, la vertu de ces cyniques, l’intelligence de ces idiotes, la culture de ces illettrés, la dignité de ces arrivistes, l’utilité de ces parasites, la propreté de ces culs à croupetons, cela vaut blasphème, diffamation et sacrilège.
On dirait la prêtraille, avilie mais puissante, d’un Vatican aux nombreux monsignori.
Prodigieuse faune des roquets du Pouvoir – qui mordent leurs maîtres aux chevilles, d’ailleurs,
et renverseraient bien quelques politiques pour se chauffer le croupion dans leurs fauteuils.
Mais, dès qu’une star médiatique se présente à une élection un peu sérieuse, le bon peuple, pas
si naïf, lui répond merde : on sait quoi mange ce bestiau-là, et on l’en gave.
Les journalistes se jugent courageux de dénoncer les ennemis de l’humanité qui sévissent à cinq ou dix mille kilomètres de l’Occident blanc, chrétien, familial, européen, américain, bancaire. Ils osent aussi fustiger quelques minorités françaises : celles qu’il est sans danger, et donc indispensable, de matraquer à longueur de nouvelles. Nos moralistes radio-télé ont la rare noblesse de piétiner tout homme à terre : pas de bon show médiatique sans lynchage.
Les zonards, les violents, « le sexe et la drogue » reçoivent le plus gros des crachats et des pierres. Extrémistes politiques (tous assassins), drogués (tous assassins), loubards (tous assassins), homosexuels (tous à chier dessus), pornophiles (tous à chier dessus), pédophiles (tous assassins et à chier dessus).
Viennent ensuite les ennemis de l’argent (tous aigris), les ennemis de la télévision (tous dinosaures), les ennemis de la religion (tous intolérants), les ennemis de l’École (tous anarchistes), les ennemis de la Famille (tous terroristes), les ennemis du couple (tous détraqués), les ennemis des mégères (tous misogynes), les ennemis de l’intelligentsia (tous poujadistes), les ennemis du poujadisme (tous élitistes), les ennemis des gagneurs (tous perdants), les ennemis du patronat (tous staliniens), les ennemis de la droite (tous gauchistes), les ennemis de la gauche (tous fascistes), les ennemis du journalisme (tous suicidaires), etc. Chaque lobby, chaque pouvoir a ses tares et ses crimes, et donc ses journalistes renommés qui le blanchiront, lapideront ses opposants et achèveront ses victimes. Toujours sous couleur d’informer, mot qui signifie : conditionner l’auditeur à croire qu’un vendu millionnaire lui dit vrai.
La France fin de siècle – ce second Empire plus goitreux, plus fliqué, plus crapule et plus gras, s’il est possible, que celui de Napoléon le Petit – doit tout à cette cour d’intellos et de journaleux qui protègent l’égalité contre les minus qui y ont droit. L’égalité ça se mérite : et ça se mérite en nous obéissant, affirment nos dresseurs, qu’ils soient de la droite poubelle ou de la gauche dortoir – ces géantes mamelles de toute république présente et à venir.
JUGES
Juger devrait être un effort sur soi-même, et non une agression contre l’objet du jugement.
On fait rendre la justice par des hommes si malfaisants qu’on doit sans cesse réécrire les lois pour qu’ils n’en abusent plus.