Charles Baudelaire

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Charles-Pierre Baudelaire (Paris, 9 avril 1821 – Paris, 31 août 1867) est un poète français dont la vie dissolue et l’amour pour les femmes est bien connu, comme en témoigne son œuvre la plus célèbre, Les fleurs du mal. Peu conformiste, il s’intéressa pourtant à l’homosexualité — surtout sous la forme du saphisme — et semble avoir vécu au moins un épisode pédérastique à la fin de son adolescence.

Baudelaire pédéraste ?

Roger Peyrefitte a développé sa thèse sur la pédérastie de Baudelaire à partir de deux éléments qu’il expose dans Notre amour.[1]

Le premier élément, sans doute déterminant, a été la présence dans sa bibliothèque personnelle d’un livre rédigé par un camarade de Baudelaire au Lycée Louis-le-Grand : Charles Cousin (1822-1894). Le livre a pour titre Voyage dans mon grenier par Charles C…[2] L’exemplaire de Peyrefitte possédait une note manuscrite de l’auteur (i. e. le fameux vers de Virgile sur Corydon dans Les Bucoliques), laquelle note n’était pas, en vérité, indispensable pour la compréhension de l’allusion. Le texte est en effet assez clair :

« À M. R*** P***, éditeur à Paris.
J’étais, comme on vous l’a dit, Monsieur, le camarade de Charles Baudelaire au collège Louis-le-Grand. Nous avons usé, sur les mêmes bancs, plus d’une culotte : je l’avoue pourtant, à ma honte, le Baudelaire en habit bleu troué aux coudes, en bas chinés, en gros souliers, est complètement sorti de ma mémoire. Je me souviens seulement de sa brusque disparition avant la fin de nos études et du motif que lui donnèrent les cancans de la « première cour ». Le voici en latin – ou plutôt non : relisez, si vous êtes curieux, la seconde Églogue de Virgile.[…]
Je ne retrouvai Coridon qu’au sortir du collège. Nous nous voyions le plus souvent chez un ami commun, ancien camarade dont plus d’un contemporain, devenu célèbre (*), pourrait vous décrire le logis très fréquenté vers 1840.

(*) Octave Feuillet, Leconte de Lisle, Pierre Dupont, P. Bocage
»

Ce témoignage a été récusé sur un argument assez faible : Charles Cousin aurait médit par simple désir de vengeance à l’égard de Baudelaire, celui-ci s’étant débarrassé chez un bouquiniste d’un livre pourtant dédicacé par lui.

Il faut connaître le motif du renvoi tel que le proviseur l’a formulé, car ce dernier fait une remarque pertinente sur les soupçons que le geste de Baudelaire (détruire et avaler le billet d’un camarade) fait peser sur son ami :

« Monsieur,

Ce matin, M. votre fils sommé par le Sous-Directeur de remettre un billet qu’un de ses camarades venait de lui glisser, refusa de le donner, le mit en morceaux et l’avala. Mandé chez moi, il me déclare qu’il aime mieux toute punition que de livrer le secret de son camarade, et pressé de s’expliquer dans l’intérêt même de cet ami qu’il laisse exposé aux soupçons les plus fâcheux, il me répond par des ricanements dont je ne dois pas souffrir l’impertinence. Je vous renvoie donc ce jeune homme, qui était doué de moyens assez remarquables, mais qui a tout gâté par un très mauvais esprit, dont le bon ordre du collège a eu plus d’une fois à souffrir.
Veuillez agréer, Monsieur, avec l’expression de mes regrets, l’assurance de mes sentiments les plus respectueux et les plus distingués.

J. Pierrot[3]

»

Le second élément sur lequel se fonde Peyrefitte est d’ordre psychologique, et d’une implacable lucidité. Il consiste en une analyse des vers de jeunesse de Baudelaire, où il est question d’« écoliers » et d’« adolescence pâle » :

« Et puis venaient les soirs malsains, les nuits fiévreuses
Qui rendent de leur corps les filles amoureuses
Et les font, aux miroirs — stérile volupté —
Contempler les fruits mûrs de leur nubilité.
»

Roger Peyrefitte pose très pertinemment la question : « Qu’est-ce que ces demoiselles qui débouchent en plein lycée, comme des levrettes dans un jeu de quilles, à une époque où il n’y avait pas de cours mixte ? »

Et il demande tout aussi pertinemment si un garçon a jamais vu une fille dans une telle posture, « fût-elle sa sœur ».

« En revanche, puisque tous les garçons, n’est-ce pas ? commencent par être amoureux d’eux-mêmes, ils se contemplent volontiers tout nus aux miroirs pour s’exciter, comme Narcisse, à une véritable volupté. »

L’argument tient.

D’autres éléments dans la vie de Baudelaire justifient un réexamen de la question de la pédérastie du poète, écartée un peu vite à la suite de Baudelaire lui-même, qui s’en est défendu avec une très grande habileté : « C’est moi-même qui ai répandu ce bruit, et l’on m’a cru ! »

Parmi ces éléments figure une lettre de Baudelaire à Théodore de Bainville retrouvée et éditée par Claude Pichois et W. T. Bandy, lettre qui contient ces lignes :[4]

« J’ai de sérieuses raisons pour avoir une peur de tous les diables de Privat, tâchez de lui boucler la langue, il saura ce que cela veut dire. »

Quelles raisons avait Baudelaire de se méfier de Privat d’Anglemont dont le nom figure dans le registre de pédérastes de la Préfecture de police de Paris ? L’hypothèse avancée par Pichois et Bandy, qui touche à une dispute en paternité de poèmes anodins n’est pas sérieuse. Il semble qu’il s’agisse d’un secret plus compromettant partagé par Baudelaire, Banville et Privat d’Anglemont.[5]

Un témoignage précieux de l’intérêt de Baudelaire pour la pédérastie : la discussion[6] qu’il eut à ce sujet à Bruxelles, avec Karl Maria Kertbeny (1824-1882), l’inventeur du mot Homosexualität.

Baudelaire lui-même savait qu’il passait aux yeux de quelques-uns de ses amis pour pédéraste : « C’est moi-même, écrit-il habilement pour sa défense, qui ai répandu ce bruit, et l’on m’a cru… » Sur la base des témoignages de contemporains rassemblés par Félix Tournachon dit Nadar, et appuyés séparément par Jules Levallois et Charles Asselineau, il semble que l’hypothèse de la pédérastie de Baudelaire ne puisse pas être rejetée comme fantaisiste et qu’elle mérite au contraire d’être prise au sérieux et davantage étudiée.[7] Et cela d’autant plus que les déclarations misogynes de Baudelaire, soulignées par Jacques Crépet et très différentes de celle d’un amateur de femmes comme Sacha Guitry, ne manquent pas.

Voir aussi

Articles connexes

Notes et références

  1. Notre amour, Paris, Flammarion, 1967, p. 70-71 et 73-74.
  2. Voyage dans un grenier par Charles C... de la Société des Amis des Livres, Paris, Damascène Morgand & Charles Fatout, 1878, p. 11. Édition tirée à 620 exemplaires.
  3. Lettre du proviseur J. Pierrot au colonel Aupick en date du 18 avril 1839, reproduite par Claude Pichois et Jean Ziegler, in Charles Baudelaire, Fayard, 1996, p. 142.
  4. Bandy W. T. et Pichois Cl., « Du nouveau sur la jeunesse de Baudelaire : une lettre inédite à Banville », Revue d’Histoire littéraire de la France, janvier-mars 1965, p. 70-77.
  5. Le premier registre infamant de la Préfecture de police de Paris au XIXe siècle, Quintes-feuilles, 2012, p. 384-385.
  6. Iwan Bloch « Ist Alfred de Musset der Verfasser von „Gamiani“ ? », Zeitschrift für Sexualwissenschaft, II, 1915, p. 175. Voir aussi J.-C. Féray et M. Herzer, « Kertbeny, une énigmatique “mosaïque d’incongruités” », Études finno-ougriennes, XXII, 1991, p. 215-239.
  7. Jean-Claude Féray, « Baudelaire pédéraste ? Complément d’enquête et essai de synthèse sur un vieux débat », Bulletin mensuel Quintes-feuilles n° 34, octobre 2015, p. 1-5.