Lettre ouverte de 1977 à la Commission de révision du code pénal
Après le verdict de l’affaire de Versailles, jugée devant la cour d’assises des Yvelines les 27, 28 et 29 janvier 1977, et comme suite à la pétition publiée par Le Monde le 26 janvier, une Lettre ouverte à la Commission de révision du code pénal est signée courant 1977 par quatre-vingts intellectuels, majoritairement français.
Dans son numéro du 23 mai 1977, sous le titre « Un appel pour la révision du code pénal à propos des relations mineurs-adultes », le journal Le Monde évoque longuement ce texte, en publie les passages principaux et donne une liste de vingt-cinq signataires.
Texte intégral de la lettre ouverte
On trouve ci-dessous le texte intégral de la lettre ouverte, puis la liste complète des signataires (les noms en gras sont ceux publiés par Le Monde).
À LA COMMISSION DE RÉVISION
DU CODE PÉNAL
POUR LA RÉVISION DE
CERTAINS TEXTES LÉGISLATIFS
RÉGISSANT LES RAPPORTS
ENTRE ADULTES ET MINEURS (1)
Les relations entre enfants, adolescents, et adultes, sont soumises par la loi à des restrictions importantes : soit par la notion de “détournement de mineurs” (qui peut être constitué par le simple hébergement, pour une nuit, d’un mineur), soit par l’interdiction générale d’entretenir des relations sexuelles avec des moins de 15 ans, ou par l’interdiction spéciale qui vise, quand ils engagent des mineurs de 15 à 18 ans, les rapports homosexuels, définis comme “impudiques ou contre nature”.
La désuétude des notions fondant ces crimes ou délits (“pudeur”, “nature”), l’évolution des mœurs dans une jeunesse qui ressent comme oppressifs les excès d’une ségrégation minutieuse, font que ces textes de loi ne sont plus que l’instrument d’une coercition, au lieu de garantir un droit.
Une récente affaire vient de démontrer clairement la disproportion existant entre le dispositif pénal et la nature des faits qu’il sanctionne. Après plus de trois ans de détention préventive, trois personnes accusées “d’attentat à la pudeur consommé ou tenté sans violence sur la personne d’enfants de l’un et l’autre sexe âgés de moins de 15 ans”, faits que la loi (article 331 §1 du Code Pénal) qualifie de “crimes”, ont été condamnées par la Cour d’Assises des Yvelines à 5 ans de prison avec sursis. Une détention de trois ans et trois mois, dans une affaire qui a abouti à une condamnation avec sursis, n’a été rendue possible que parce que la loi, par le moyen de la qualification “criminelle”, justifie la lourde procédure des Assises, alors que déjà une qualification “délictuelle” aurait permis de faire juger l’affaire par le Tribunal Correctionnel, selon une procédure plus rapide. Depuis la promulgation de la Loi du 6 août 1975, la détention provisoire, en matière correctionnelle, ne peut excéder six mois.
Mais surtout, par delà le cas des accusés, l’affaire des Yvelines, jugée en audience publique, a posé le problème de savoir à quel âge des enfants ou adolescents peuvent être considérés comme capables de donner librement leur consentement à une relation sexuelle. C’est là un problème de société. Il appartient à la Commission de Révision du Code Pénal d’y apporter la réponse de notre temps, puisque c’est elle qui est chargée de proposer au Gouvernement des textes rajeunis et actuels, qui devront ensuite être soumis au Parlement.
Les signataires de la présente lettre considèrent que l’entière liberté des partenaires d’une relation sexuelle est la condition nécessaire et suffisante de la licéité de cette relation.
Le Code Pénal de 1810, promulgué par Napoléon Ier, ne prévoyait pas de répression pour les actes sexuels non accompagnés de violences, quel que soit l’âge des participants. Il n’envisageait que le cas de viol ou “d’attentat à la pudeur commis avec violences”.
C’est la Loi du 28 avril 1832 qui créa l’infraction “d’attentat à la pudeur commis sans violences sur la personne d’un enfant de moins de 11 ans”. Ce texte, calqué sur le texte visant les “attentats commis avec violences”, donnait aux faits la même qualification “criminelle”. Il est resté en vigueur jusqu’à aujourd’hui, l’âge de la minorité ayant été élevé à deux reprises, tout d’abord sous Napoléon III, par la Loi du 13 mai 1863, qui le porte à 13 ans, puis par l’Ordonnance du Gouvernement Provisoire du 2 juillet 1945, qui le porte à 15 ans.
Cette qualification “criminelle” aboutit aujourd’hui à des résultats aberrants. À s’en tenir à la lettre du texte, quiconque qu’il soit majeur ou mineur, aura pratiqué ou tenté de pratiquer une relation sexuelle quelconque avec un mineur de moins de 15 ans, commet un crime, qui doit l’envoyer en Cour d’Assises et lui fait encourir une peine de 5 à 10 ans de réclusion criminelle.
Texte inapplicable et inappliqué dans la plupart des cas, car, s’il l’était, on verrait chaque jour comparaître des centaines de garçons en Cour d’Assises, pour s’être “amusés” avec une petite amie de 14 ans sur quelque plage ou dans quelque cave de H.L.M. Le Législateur lui-même pourrait être accusé de “complicité avec le crime”, puisqu’il vient récemment d’autoriser la vente de contraceptifs aux filles de moins de 15 ans, ce qui suppose rapports sexuels, donc crime de la part du partenaire.
II apparaît donc qu’il convient tout au moins de “décriminaliser” cette infraction, et de tenir essentiellement compte du consentement du mineur.
En ce qui concerne par ailleurs les adolescents et adolescentes de 15 à 17 ans, la loi, d’ores et déjà, leur reconnaît capacité et liberté de s’adonner à des relations sexuelles, mais sous réserve, éminemment discriminatoire, qu’il s’agisse de relations hétérosexuelles. Leur partenaire, majeur ou mineur, ne commet aucun délit à entretenir des relations sexuelles avec eux, du moment qu’il est d’un sexe différent et qu’il ne les incite pas à se soustraire à l’autorité de leurs parents ou tuteurs.
Par contre, ce partenaire, majeur ou mineur, s’il est du même sexe, se rend coupable d’un délit passible d’un “emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d’une amende de 60 F à 15.000 F” (article 331 §3 du Code Pénal). En effet, alors que, de 1790 à 1942, l’arsenal des lois pénales françaises, inspiré par les lumières du XVIIIe siècle, ignorait totalement un quelconque délit d’homosexualité, celui-ci a été constitué par la Loi de Vichy du 6 août 1942 visant “quiconque aura … commis un ou plusieurs actes impudiques ou contre nature avec un mineur de son sexe” (J.O. de l’État Français du 27 août 1942). Ce texte, devenu article 331 §3 du Code Pénal (Ordonnance du 8 février 1945 — J.O. du 9 février 1945), est toujours en vigueur, et est journellement appliqué, laissant ainsi subsister dans notre pays un “délit d’homosexualité”, alors que, dans la plupart des pays occidentaux, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’évolution des mœurs et des idées a conduit les législateurs à le faire disparaître des Codes.
Les signataires de la présente lettre dénoncent l’iniquité et le caractère discriminatoire de l’article 331 §3 du Code Pénal. Ils estiment que ce texte doit être abrogé, comme ont été heureusement abrogés les textes réprimant l’adultère, l’interruption de grossesse et les pratiques anticonceptionnelles. Ils estiment, enfin, de façon plus générale, que les dispositions prétendant à une “protection” de l’enfance et de la jeunesse, comme l’article 334-1 concernant “l’incitation de mineurs à la débauche”, qui peut permettre d’inculper toute personne “favorisant” ou “facilitant” des rapports sexuels entre mineurs, ou l’article 356 concernant le “détournement de mineurs”, sont, de même que l’article 331, de plus en plus incompatibles avec l’évolution de notre société, justifiant des tracasseries et des contrôles purement policiers, et doivent être abrogés, ou profondément modifiés, dans le sens d’une reconnaissance du droit de l’enfant et de l’adolescent à entretenir des relations avec des personnes de son choix.
- ↑ Et, incidemment, les rapports des mineurs entre eux.
Signataires
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