Quand mourut Jonathan (70)

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Si Serge avait, maintenant, des façons affectueuses, et souvent très caressantes, il était cependant devenu moins sociable. Les enfants de son âge ne l’attiraient guère ; quant aux adultes, il en détournait les yeux. Il ne disait rien de ses parents ; un mot d’eux, une carte postale, venait de temps à autre ; il en était assombri, ou absent, quelques minutes, puis il semblait l’oublier.

Sa curiosité pour Jonathan augmentait : il exigeait des anecdotes, il voulait savoir toute sa vie. Jonathan, docilement, racontait ce qu’il pouvait. Cette obligation le gênait horriblement. Il n’aimait ni simplifier ni mentir ; il y était contraint.

La beauté du petit garçon restait, elle aussi, embarrassante, et Jonathan ne s’y accoutumait pas. Il l’espéra passagère ; il évoquait parfois, avec une certaine tristesse, le Serge d’avant, qui n’offensait pas les yeux, ou qui n’était pas, comme celui-ci, beau à côté ou en plus de lui-même.

Cette impression maintenait Jonathan dans sa timidité. Il n’osait jamais prendre l’initiative de leurs accouplements. Il regrettait presque qu’ils aient lieu. Il en avait un besoin infini. Sans la bonté, l’aisance, la gourmandise crapule de Serge, ces moments-là auraient été lourds.

Depuis toujours, ils s’étaient un peu enculés. Ç’avait été l’étonnement de Jonathan lorsque, à Paris, il dormait contre cet enfant — d’à peine sept ans alors — qui, lui tournant le dos, s’assoupissait habituellement en logeant les fesses dans le creux des cuisses du jeune homme, eux deux couchés en chien de fusil. Serge reprenait cette posture au matin : et, une fois, sans mot dire, il glissa la main derrière lui, prit le membre qui était allongé contre sa raie, et, réajustant les hanches, il se le plaça juste au trou. Jonathan n’osa pas bouger, il fit semblant d’être encore endormi. Mais, le même soir, il se rappela le geste du petit et, lorsqu’ils furent au lit et eurent joué à diverses caresses, la position du matin se reprit ; et Jonathan, comme le trou du gosse était encore tout mouillé de salive, y poussa le membre. Il n’avait pas supposé l’endroit si élastique. Quand il y eut enfoncé environ la longueur d’un doigt, il entendit simplement Serge murmurer, d’une voix calme :

— Ça fait un peu mal.

Il se retira aussitôt, et s’interdit de recommencer. La disproportion l’effrayait, bien que Serge, quant à lui, en parût tout à fait inconscient.

Plus tard, l’enfant répéta son geste. Jonathan comprenait mieux, désormais, les plaisirs du petit corps : il ne le pénétra pas, ou à peine, mais il lui masturba longuement l’anus par ce moyen, le laissa inondé, l’essuya — sinon que, quelques fois ensuite, Serge, avec sa tyrannie placide, demanda :

— Non, faut continuer quand c’est mouillé.

Et la chose fit partie de leurs attouchements habituels, sans être privilégiée parmi eux. Quant à Serge, après diverses provocations hésitantes et canailles, il sut volontiers se distraire aux fesses du jeune homme, bien qu’il ne s’occupât d’orgasmes qu’avec les doigts.

Ainsi, depuis longtemps, la sodomie était mélangée à leurs autres plaisirs ; elle n’y était rien de spécial ; elle y passait inaperçue. Seule la croissance de l’enfant, ou la durée de leur intimité, avait modifié peu à peu la nature des pénétrations — beaucoup plus profondes, mais toujours presque immobiles, de la part de Jonathan ; plus adroites, moins farceuses, plus longues et plus solidement logées, de la part de Serge.

Évolution qui se poursuivit, cet été-là. Un événement étranger, toutefois, était intervenu. En effet, Serge confia à Jonathan que, un peu avant les vacances, il avait sucé un garçon de quinze ans — qui l’avait aussi enculé, et sans égards. C’était dans la bande de types et de filles, d’un peu tous les âges, qui allaient chez Barbara. La proposition, abrupte, était venue de l’adolescent : Serge avait accepté sans faire d’histoires. Il n’y avait pas eu de suite : le grand, son truc expédié, avait eu la frousse et n’avait plus remis les pieds à la maison.

La confidence laissa Jonathan perplexe. Il n’avait pas imaginé que Serge eût pu vivre de telles choses ; l’enfant en parla à la rigolade et avec dédain — tous les gens qui fréquentaient sa mère étaient des cons. Il était cependant un rien fier que ce fût arrivé, Jonathan le vit bien. Mais les idées fausses que, malgré lui, le jeune peintre cultivait encore à propos des enfants l’empêchèrent d’interpréter, de comprendre cet épisode.

Il n’en conclut pas non plus que Serge aurait des complaisances désormais plus étendues, ou des passions plus dirigées, ou des initiatives plus vaillantes. En quoi il se trompait.

Mais il ne s’agissait pas de plaisirs que Serge aimait prendre par amour de Jonathan : il les recherchait pour eux-mêmes. Quand c’est à Jonathan qu’il pensait, il l’embrassait ; quand c’est à la bite et au cul qu’il pensait, il s’en servait. Et c’est ce sans-gêne qui rendait supportables à Jonathan ces étreintes qui, sinon, l’eussent intimidé jusqu’à le faire renoncer à elles. Comme Serge passait, sans transition, sans signal, à son caprice, de ce qui est « sexuel » à ce qui ne l’est pas, et inversement, et aimait à disposer du jeune homme comme si celui-ci, de son côté, n’eût eu aucuns désirs préalables et personnels, Jonathan était alternativement accablé et soulagé, malheureux d’être seul à désirer, heureux de ne plus l’être, sexué ou asexué selon les mouvements imprévisibles de l’enfant, dont il n’était lui-même que lieu, chair et miroir.


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