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<p><b>Libé : Tu critiques l’enfant de famille, l’enfant des pédophiles, mais l’enfant que tu aimes, toi, comment est-il ?</b></p><br> | <p><b>Libé : Tu critiques l’enfant de famille, l’enfant des pédophiles, mais l’enfant que tu aimes, toi, comment est-il ?</b></p><br> | ||
<p>T.D. : J’arrive à le construire, en le trouvant a peu près crédible, c’est le personnage de Julien dans <i> | <p>T.D. : J’arrive à le construire, en le trouvant a peu près crédible, c’est le personnage de Julien dans <i>[[L’île atlantique]]</i>, un anarchiste enfant qui ne connaît qu’une solution à des problèmes qu’il a l’air de comprendre bien mieux que nous, et la solution c’est la désertion. Il prend le maquis.</p> | ||
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<p>Oui c’est une manie chez moi. Certes, dons <i>Paysage de Fantaisie</i>, ce sont des groupes d’enfants, c’est déjà quelque chose de différent, ce sont des groupes d’enfants parmi lesquels se trouve le narrateur, la personne qui parle… C’est un roman métaphysique, <i>Paysage de Fantaisie</i>. Mais à partir de ce machin autobiographique qui s’appelle <i> | <p>Oui c’est une manie chez moi. Certes, dons <i>[[Paysage de Fantaisie]]</i>, ce sont des groupes d’enfants, c’est déjà quelque chose de différent, ce sont des groupes d’enfants parmi lesquels se trouve le narrateur, la personne qui parle… C’est un roman métaphysique, <i>[[Paysage de Fantaisie]]</i>. Mais à partir de ce machin autobiographique qui s’appelle le <i>[[Journal d’un innocent]]</i>, je m’intéresse de plus en plus à ce que les choses que j’écris puissent être entendues. Je veux dire démarginalisées. Autrement dit, écrivant des choses qui par elles-mêmes se sont tout à fait marginalisées par l’idéologie, qu’au moins leur mode d’expression soit tel que ça circule. Le classique en littérature a une efficacité parfaite. Il est nécessaire, il est indispensable pour les choses extrêmement simples, que j’ai, non pas à affirmer, mais à faire discuter par d’autres que moi.</p> | ||
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<p>Pseudo, effectivement, parce qu’il est caricatural, un peu forcé… Je n’ai pas précisément ce qu’on appelle une écriture spontanée, ce que je fais est excessivement délibéré. Et si j’ai envie d’écrire l’année prochaine une parodie de <i>La Princesse de Clèves</i>, j’écrirai une parodie de <i>La Princesse de Clèves</i>. Je me fous complètement de ce qu’on pensera d’un point de vue littéraire, parce que pour ce qui est de la littérature je maîtrise mon instrument et j’en fais ce que je veux ; exactement comme un pianiste a le droit de jouer aussi bien du Scarlatti que du Boulez.</p> | <p>Pseudo, effectivement, parce qu’il est caricatural, un peu forcé… Je n’ai pas précisément ce qu’on appelle une écriture spontanée, ce que je fais est excessivement délibéré. Et si j’ai envie d’écrire l’année prochaine une parodie de <i>La Princesse de Clèves</i>, j’écrirai une parodie de <i>La Princesse de Clèves</i>. Je me fous complètement de ce qu’on pensera d’un point de vue littéraire, parce que pour ce qui est de la littérature je maîtrise mon instrument et j’en fais ce que je veux ; exactement comme un pianiste a le droit de jouer aussi bien du Scarlatti que du Boulez.</p> | ||
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<p>C’est indispensable. Quand un type passe en justice pour des affaires des mœurs, on lui parle avec la langue Guy des Cars, c’est avec cette langue-là qu’il faut se battre. C’est dans cette langue-là qu’il faut se faire comprendre. Tant qu’on n’arrive pas à traduire dans cette langue-là, on n’a rien fait. On s’est exprimé, peut-être, mais on a rien fait. Il y a une idéologie encore trop grande de l’écriture comme écriture littéraire. Moi je parle d’écriture-communication, ce qui suppose par conséquent que pour se faire comprendre largement il faut renoncer à beaucoup de choses. Beaucoup de choses dont on a besoin, en quelque sorte pour soi-même. Il faut passer par dessus. C’est une écriture-sacrifice, pas une écriture de facilité.</p>}}<br> | <p>C’est indispensable. Quand un type passe en justice pour des affaires des mœurs, on lui parle avec la langue Guy des Cars, c’est avec cette langue-là qu’il faut se battre. C’est dans cette langue-là qu’il faut se faire comprendre. Tant qu’on n’arrive pas à traduire dans cette langue-là, on n’a rien fait. On s’est exprimé, peut-être, mais on a rien fait. Il y a une idéologie encore trop grande de l’écriture comme écriture littéraire. Moi je parle d’écriture-communication, ce qui suppose par conséquent que pour se faire comprendre largement il faut renoncer à beaucoup de choses. Beaucoup de choses dont on a besoin, en quelque sorte pour soi-même. Il faut passer par dessus. C’est une écriture-sacrifice, pas une écriture de facilité.</p>}}<br> | ||
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Texte précédent : Non à l’enfant poupée (1)
Deuxième partie de l'interview de Tony Duvert par Marc Voline et Guy Hocquenghem, parue dans Libération n° 1533 du 11 avril 1979.
Dans la première partie de cet entretien avec Tony Duvert, le romancier a évoqué l’impossible rapport amoureux de l’adulte et de l’enfant. Il revient ici sur cet enfant-marionnette que l’étatisation de la sexualité nous a fabriqué, et commente le changement de son propre style de récit, de Paysage de fantaisie à L’île Atlantique.
Libé : Tu critiques l’enfant de famille, l’enfant des pédophiles, mais l’enfant que tu aimes, toi, comment est-il ?
T.D. : J’arrive à le construire, en le trouvant a peu près crédible, c’est le personnage de Julien dans L’île atlantique, un anarchiste enfant qui ne connaît qu’une solution à des problèmes qu’il a l’air de comprendre bien mieux que nous, et la solution c’est la désertion. Il prend le maquis.
Il part tout seul.
Il part tout seul, oui. Il a plus ou moins tripoté à gauche et à droite. Ça lui plaît pas, il a tout à fait raison et ensuite il part tout seul. Ce qui n’est pas possible, bien sûr. Comme il y a un suicide dans Jonathan qui n’est pas pensable, qui n’est pas imaginable. Il existe des gosses de dix ans qui se suicident, mais on n’en voit pas qui se suicident par amour.
Tu parlais du fait que les femmes les traitent comme des poupées, par exemple, tu sais que c’est une chose qu’on dit souvent à propos des pédophiles.
Certes, et je le disais tout à l’heure, les pédophiles ont les mêmes enfants que les femmes. C’est ça que je n’aime pas et de ce point de vue-là je me désolidarise entièrement de la pédophilie telle que je la vois. Je reste entièrement solidaire des combats contre. Il est évident qu’il faut s’occuper d’un combat contre les lois, contre les institutions. Mais sûrement pas pour la pédophilie. Le combat à mener, c’est pour que l’État et la sexualité n’aient plus le moindre rapport. Que vraiment il n’existe plus un État, il n’existe plus une institution qui ait rapport avec 1a sexualité. Et, à mon avis, dans cet état de liberté supposé, les situations sexuelles que nous connaissons deviennent impensables. Et les personnages que nous connaissons comme partenaires sexuels ou comme victimes quel que soit leur âge et quels que soient leurs goûts deviennent impensables aussi. Mais je ne veux pas défendre la sexualité actuelle d’un pédophile, ou d’un homo, ou d’un hétéro, ou d’un homme ou d’une femme. À mon avis ce sont des sous-produits d’une étatisation de la sexualité.
Un enfant est un être un milliard de fois plus artificiel, il est au service d’artifices un million de fois plus simples que ceux d’un adulte. Un pédophile qui aime vraiment les gosses devrait se rendre compte qu’il a affaire à une marionnette. Il ne peut pas la libérer. Il n’y a aucun moyen ; ou alors il risque dix ans de taule. Et ma foi c’est un risque que tout le monde ne court pas. De ce point de vue-là, je suis romancier. Je tiens à être romancier plutôt qu’essayiste. Si je peux être univoque, c’est l’omniscience, là tout devient possible. Mais par rapport à une sorte d’Armée du Salut de la liberté sexuelle, il est évident que ce que je dis est insupportable.
Si tu penses qu’il n’y a aucune possibilité de relation enfant-adulte qui débouche sur quelque chose…
Je ne dis pas qu’il n’y a aucune possibilité. Au fond les questions que vous posez tiennent au fait que vous avez une idéologie du couple. Or moi je n’en ai pas. Et la solution évidente à ce que je raconte, ce serait le groupe. C’est le groupe d’enfants, avec des adultes, sans rapports de hiérarchie et donc sans rapports amoureux non plus, au sens mythologique du mot. Et si on me dit qu’il y a des relations de couple enfant-adulte qui sont réussies, ça n’est pas intéressant.
On a affaire à deux réalités de l’enfance : à des groupes d’enfants entre eux, tu en montres : ce sont les bandes, sous différents noms. Et d’autre part, à des couples. À un couple généralisé, le couple mère-enfant, et à des couples rares qui sont des couples pédophile-enfant. Et ce dernier couple devient une valeur positive en soi, ce qui est absurde. Mais, par ailleurs, il y a dans l’existence du groupe enfantin tel que tu le représentes, une fermeture, une ségrégation, une hiérarchie interne…
Mais je montre soigneusement que ces groupes sont ratés. Les bandes que je mets en scène sont complètement dissociées, ce sont des êtres qui fabriquent une espèce d’embryon de sociabilité entre eux, alors que précisément ils n’ont aucun moyen de le faire. Ce sont des gosses qui font une bande parce qu’ils ne peuvent pas être seuls.
Finalement, tu les préfères seuls.
Je les préfère solitaires, oui.
Michel dans Récidive, c’est déjà un solitaire.
Oui c’est une manie chez moi. Certes, dons Paysage de Fantaisie, ce sont des groupes d’enfants, c’est déjà quelque chose de différent, ce sont des groupes d’enfants parmi lesquels se trouve le narrateur, la personne qui parle… C’est un roman métaphysique, Paysage de Fantaisie. Mais à partir de ce machin autobiographique qui s’appelle le Journal d’un innocent, je m’intéresse de plus en plus à ce que les choses que j’écris puissent être entendues. Je veux dire démarginalisées. Autrement dit, écrivant des choses qui par elles-mêmes se sont tout à fait marginalisées par l’idéologie, qu’au moins leur mode d’expression soit tel que ça circule. Le classique en littérature a une efficacité parfaite. Il est nécessaire, il est indispensable pour les choses extrêmement simples, que j’ai, non pas à affirmer, mais à faire discuter par d’autres que moi.
À partir du Journal d’un innocent, un côté avant-gardiste a disparu de ta manière d’écrire.
Il y a eu dans les années où j’ai commencé à écrire une idéologie de l’écriture héroïque et prophétique, qui impliquait qu’on invente ses propres moyens d’expression du moment qu’on avait quelque chose à soi à raconter. C’est une idéologie qui a d’ailleurs la peau dure, qui produit même des choses encore très intéressantes. Quand je lis une écriture comme celle de Guyotat, qui tend à être de plus en plus fermée sur elle-même, qui tend à dire « je crée entièrement ma langue », je n’y crois plus pour moi-même. Je 1’ai fait, oui. Mais mon but a changé, il est devenu beaucoup plus politique, recherche d’une action sur autrui. Mais une action en tant que romancier.
Il y a une chose très nette dans l’écriture de L’île atlantique, c’est stylistiquement très proche d’une écriture naturaliste de la fin du XIXe siècle : le style indirect abondant, la description, l’usage du passé simple et de l’imparfait… Il y a un style pseudo-réaliste…
Pseudo, effectivement, parce qu’il est caricatural, un peu forcé… Je n’ai pas précisément ce qu’on appelle une écriture spontanée, ce que je fais est excessivement délibéré. Et si j’ai envie d’écrire l’année prochaine une parodie de La Princesse de Clèves, j’écrirai une parodie de La Princesse de Clèves. Je me fous complètement de ce qu’on pensera d’un point de vue littéraire, parce que pour ce qui est de la littérature je maîtrise mon instrument et j’en fais ce que je veux ; exactement comme un pianiste a le droit de jouer aussi bien du Scarlatti que du Boulez.
Néanmoins, les écritures dont tu as parlé, prophétiques, dans lesquelles le moyen se remettait en cause, peu importe les mots qu’on emploiera, ont toujours été profondément ennuyeuses. Or il se trouve que tu es peut-être le seul, avec Pinget dans L’Inquisitoire, chez qui le style « Nouveau roman » était totalement naturel, et précisément pas du tout avant-gardiste ni prophétique. C’est dommage de perdre ça…
Encore une fois, si j’ai besoin de moyens qu’on peut appeler traditionnels, c’est parce que je parle d’autres choses. Ce ne sont plus du tout les mêmes sortes d’individus ; les mêmes sortes de personnages, les mêmes sortes de situations. Et à chaque chose ses moyens. Il est impossible de mettre en scène comme je l’ai fait des petites familles bourgeoises, petites-bourgeoises, ouvrières, paysannes, etc., tout ça ensemble dans le même paquet, en écrivant comme j’ai écrit Interdit de séjour, par exemple. Ça n’est pas faisable. Mais je les ai pas brûlés, mes bouquins d’avant. ils sont là enfin, pourquoi en faudrait-il en plus ? Il y a des très bons romanciers qui se sont contentés d’écrire deux ou trois livres dans leur vie. Moi c’est mon onzième bouquin, je commence à avoir besoin d’une certaine diversité. Pourquoi faudrait-il que je fasse des duplicata ?
Tu prépares un livre ?
Oui, je prépare un gros livre que j’appelle La Ronde de nuit, et qui, lui, réintroduit en force l’homosexualité et la pédophilie. J’essaie de montrer ce que j’ai été moi-même, c’est à dire un homosexuel ayant une vie sexuelle très précoce. Je prends mon bambin quand j’ai commencé moi-même, à sept-huit ans. Je vais le tirer, si j’ai le courage, jusque vers seize ans, le suivre enfin, le traîner, je sais pas comment appeler ça. Et il va sans dire que ce mini-pédé va être un individu effroyablement malheureux, ce qui me plaît beaucoup d’avance. Et je tiens à faire ce livre comme un Guy des Cars, pour un public comme le sien, pour leur donner envie de lire l’histoire d’un enfant pédé.
Tu as l’air de beaucoup tenir à cette idée de popularisation.
C’est indispensable. Quand un type passe en justice pour des affaires des mœurs, on lui parle avec la langue Guy des Cars, c’est avec cette langue-là qu’il faut se battre. C’est dans cette langue-là qu’il faut se faire comprendre. Tant qu’on n’arrive pas à traduire dans cette langue-là, on n’a rien fait. On s’est exprimé, peut-être, mais on a rien fait. Il y a une idéologie encore trop grande de l’écriture comme écriture littéraire. Moi je parle d’écriture-communication, ce qui suppose par conséquent que pour se faire comprendre largement il faut renoncer à beaucoup de choses. Beaucoup de choses dont on a besoin, en quelque sorte pour soi-même. Il faut passer par dessus. C’est une écriture-sacrifice, pas une écriture de facilité.
Voir aussi
Récidive : première et deuxième versions
Interdit de séjour : première et deuxième versions
Paysage de fantaisie
Journal d’un innoncent
Quand mourut Jonathan
L’île atlantique