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| {{Citation longue|''… Two lads, that thought there was no more behind,'' | | {{Citation longue|''… Two lads, that thought there was no more behind,'' |
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| — Alors c’est comme Julie on voit sa couille ! Faut que tu me laves, maintenant je suis | | — Alors c’est comme Julie on voit sa couille ! Faut que tu me laves, maintenant je suis |
| sale. | | sale.}}<br> |
| | | ''{{droite|[[Quand mourut Jonathan (2)|suivant]]}}'' |
| <br>
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| <p>Il y avait un petit kilomètre entre la maison qu’avait louée Jonathan et le village. Cet
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| espace de bosquets, de prés, de fermes, était surtout agréable pour la mauvaise route de terre
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| qui le parcourait. Et, vers la fin de ce parcours, il y avait des collines caressées de lumière, qui
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| tombaient sur une rivière ombragée : il fallait se faufiler parmi les noisetiers qui s’inclinaient
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| en travers du chemin, et dont les chatons poudraient le visage et le cou de celui qui passait là.</p>
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| La maison de Jonathan était petite, comme le village était petit. Un jardinet dérisoire
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| l’entourait : les jardins sont minuscules quand ils sont à la campagne. Et, de l’autre côté de
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| son grillage entrecroisé de liserons, Jonathan apercevait l’étendue mouvementée et calme des
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| champs de terre crue, les arbres faits de mille étincelles clignotant chacune à sa place, et les
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| prés d’herbe humide qui s’animaient plus doucement que les feuilles, là-haut.
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| On atteignait le mois de juin.
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| Sans doute, la maison appartenait à un ancien groupe de fermes : car l’unique maison
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| voisine, toute proche, était semblable à celle de Jonathan, quoique biscornue, et plus fraîche à
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| cause de sa vétusté naïve, et plus sale. Une vieille paysanne l’occupait. Et il y avait aussi, dans
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| le pré, les ruines d’un vaste bâtiment que le lierre et l’herbe n’avaient pas envahi : sans les
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| touffes d’orties qui poussaient à leur pied, plus hautes et plus serrées que des fougères, ces
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| murs auraient pu s’élever, jaunes, raides, échancrés et friables, au milieu d’un désert bleu
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| écrasé de soleil.
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| Une lettre avait annoncé à Jonathan la visite de Barbara et de Serge, son fils. Il les avait
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| connus par un ami, dix-huit mois plus tôt. Il les avait fréquentés à cause du garçonnet. Cela se
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| passait à Paris ; Serge avait alors six ans et demi, Jonathan vingt-sept ans.
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| L’enfant et l’homme s’étaient, à leur façon, beaucoup aimés. Cependant Jonathan, que
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| mille difficultés rebutèrent, avait bientôt quitté Paris pour se réfugier dans ce coin de
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| campagne, d’ailleurs sans rompre avec personne.
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| Depuis, il ne parlait plus, répondait rarement aux lettres, ne recevait pas d’amis, et sa
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| vie intime se réduisait à des caresses solitaires sur des souvenirs qui l’étaient moins. Il
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| travaillait peu, composant seulement quelques dessins à l’encre ou à la mine de plomb. Sa
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| galerie lui en donnait d’assez bon argent, que Jonathan n’employait pas.
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| L’idée de revoir Serge le bouleversa. Barbara abandonnerait le garçonnet une semaine,
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| ferait un petit voyage au sud et le reprendrait à son retour. Libre de mari, elle se soulageait
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| aussi de Serge ici et là, car elle aimait vivre en fille. À l’époque où Jonathan habitait Paris, il
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| gardait donc l’enfant et ils dormaient ensemble ; le matin, il le lavait, l’habillait, le conduisait
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| à l’école. Leur amitié était si étrange que Barbara fut soulagée quand Jonathan battit en
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| retraite. Serge, très coléreux avant de connaître Jonathan, s’était montré doux avec lui, mais
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| pour lui seul. Après son départ, il devint renfermé et passif. Cela convenait à Barbara.
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| Jonathan se demanda pourquoi elle osait lui confier à nouveau le petit. Cela ressemblait
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| à un marché. Barbara était souvent à court d’argent et Jonathan, s’il en avait le moyen, l’aidait sans réticence. Deux mois plus tôt, il lui avait consenti un prêt qui n’en était pas un, car il ne
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| savait pas prêter. Barbara l’avait remercié en deux feuillets de bavardage, où l’unique
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| singularité était un passage à propos de Serge : car ses autres lettres ne parlaient jamais de
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| l’enfant.
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| Ce don inattendu avait intrigué Jonathan. <i>J’espère que tu te rappelles de temps en temps
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| mon adorable fils ! !… Lui a l’air de t’avoir vraiment oublié ! ! ! !… Je lui parle de toi — on
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| voulait même aller à ta fameuse expo en décembre !… Non ça n’intéresse pas monsieur…
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| Remarque à son âge on oublie vite c’est peut-être mieux tu trouves pas… Mais tu ne sais
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| même pas qu’il est tellement adorable maintenant ! ! ! !</i>, écrivait Barbara, dans son langage de
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| traits et de points. Elle ajoutait que Serge se disciplinait enfin à l’école, l’adorait, elle, de plus
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| en plus, se réfugiait dans son lit à elle le soir, un vrai petit amant ; il devenait pleurnichard,
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| mais si gentil. <i>Et puis vraiment j’aime mieux ça que quand il cassait tout dans la
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| baraque ! !… Ah ces enfants !…</i>
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| Ces nouvelles glorieuses avaient désespéré Jonathan.
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| Quant à la lettre qui promettait le séjour du fils, elle évoquait aussi l’embarras d’argent
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| où la mère se trouvait. La manœuvre était si outrée que Jonathan craignit qu’en réalité
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| Barbara ne vînt seule.
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| <p>Serge se fit essuyer les mains.</p>
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| — T’étais pas sale, remarqua Jonathan.
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| — Non, j’étais pas sale, un peu, c’est pour que tu me laves.
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| À Paris, l’enfant suivait Jonathan sous la douche, et l’aurait même accompagné au
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| cabinet.
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| — Ici tiens y a pas de douche.
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| — Ah pourquoi ? dit Serge. Puis il détourna la tête et prit l’air coléreux qu’il avait eu
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| dans son âge de sauvagerie :
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| — Pourquoi t’es parti ? demanda-t-il brusquement.
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| — … L’année dernière ?… Tu sais je voulais rester avec toi, dit Jonathan. J’aurais dû
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| rester. Je n’ai pas eu le courage. Ta mère me tue.
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| — Pourquoi t’es parti ?
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| <p>Jonathan vivait avec austérité. Il lui manquerait beaucoup de choses pour accueillir
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| l’enfant. Il avait peu de draps, un seul oreiller avec une seule taie, un seul torchon. Il lavait
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| cela lui-même. Son confort était du vin pour ses humeurs noires, et une chambre très
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| calfeutrée où les subir : ces jours-là il fallait des verrous, des couvertures, un entassement
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| d’obstacles pour retenir et renfermer la vie qui s’arrachait de lui. Après le bref séjour du petit,
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| Jonathan connaîtrait une détresse dont il ne sortirait peut-être plus : il avait de moins en moins
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| de force contre la mort.</p>
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| Il apprécia ses disponibilités d’argent et partit au bourg voisin se procurer les denrées,
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| meubles et objets nécessaires ; il fit même un voyage à la petite ville des environs. Il loua un
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| réfrigérateur. Dans les fermes, il acheta plus de nourriture qu’il n’en mangeait en deux mois.
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| Il eut aussi un miroir qu’il se promit de casser ensuite. Il s’y examina, considéra ses
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| vêtements, ses cheveux, ses mains, sa figure, et passa un long jour à les mettre en état.
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| Il fit un grand ménage de la maison, peignit la clôture du jardin, dévissa les verrous de
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| sa chambre et arracha les chiffons qui calfeutraient les volets. Il posa une pendulette dans la cuisine, gratta les casseroles noircies, récura les carrelages, les porcelaines, nettoya les vitres,
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| eut des nappes fraîches pour la table et donna des voilages à coudre, posa des lampes et des
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| abat-jour en place des ampoules nues. Il eut des jeux, des jouets, des illustrés, de la
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| pharmacie, et il se renseignait docilement pour ne pas se tromper d’âge.
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| Chez le marchand de jouets, il dit qu’il avait un fils. Sorti de la boutique, son mensonge
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| lui laissa tant de honte et de douleur qu’il faillit abandonner le paquet sur un banc.
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| — Pourvu qu’il ne vienne pas, pensa-t-il à la fin.
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| Ils montèrent ranger les vêtements de Serge dans l’armoire. Le lit était haut et grand.
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| C’était la seule chambre de la maison, qui n’avait que trois pièces en comptant la cuisine. Là,
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| près du lit, Jonathan avait installé sur des tréteaux la table où il travaillait. Elle était couverte
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| de grandes esquisses, méticuleusement propres, et de gribouillis informes à même le bois.
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| — Alors c’est toi qui les fais ces dessins-là ? demanda Serge.
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| — Oui c’est moi.
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| — Ils sont bien ?
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| Jonathan sourit :
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| — Tu les trouves bien toi ?
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| — Ma mère aussi elle fait des dessins. Et des peintures.
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| — Oui je me rappelle.
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| — Mais t’en as vendu ? Elle elle en a pas vendu.
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| — C’est pas facile.
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| — Ah non. On va sur les terrasses tu sais, dans les restaurants avec Dominique, on les
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| montre aux gens quand ils mangent, mais ils ont pas de sous. Toi tu les vends, dans les
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| restaurants ?
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| — Euh non, dit Jonathan un peu gêné, à Paris le soir je ne sortais pas beaucoup. Mais il
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| y a des revues, des livres, et puis il y a une galerie, on m’envoie de l’argent.
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| — Une galerie ?
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| — Une boutique hein.
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| — Alors tu travailles pas, t’es tout le temps dans ta maison ?
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| — Oui.
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| — Maman maintenant elle travaille.
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| — Elle me l’a dit, oui.
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| — Au secrétariat, l’après-midi. Mais c’est pas tous les jours. Parce qu’elle écrit de la
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| musique, des chansons, elle écrit pas les notes, elle chante l’air. C’est Jacques qui écrit les
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| notes. Mais c’est elle qui invente tout. Et même les paroles. Lui il a une guitare. Tu les
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| connais les chansons à ma mère ?
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| — Non, je savais pas. Elle ne m’a rien chanté.
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| — Non tu parles, elle chante tout faux.
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| — Ah. Mais quelqu’un les chante ?
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| — Ben non, personne. Moi elle m’en apprend avec Jacques des fois.
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| — Je vois. T’as de la chance.
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| — Ben oui, pas tellement.
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| — Ah bon.
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| — Mais pourquoi tu fais pas des dessins comme Mickey ? reprit Serge.
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| — Ça, il a l’air… trop… bête, j’aime mieux dessiner les vaches. Tu veux une vache ?
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| Ils s’assirent côte à côte devant la planche à dessin et Jonathan sortit une grande feuille.
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| — Oh oui. Ou non — un cochon. Et une grosse vache. Et Donald hein tu sais Donald ?
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| Jonathan obéit. Cette complaisance ne l’embarrassait pas. Sa main était exercée à tout : et ces images claires et ironiques, seules lisibles pour les yeux du petit, lui donnaient le même
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| plaisir que si, compositeur sériel, il avait fredonné avec un gamin une chanson d’écolier.
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| — Moi, je sais dessiner un chat, dit Serge, je vais le dessiner là, d’abord il est en train
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| de rire, seulement il a pas de pattes. Et là qu’est-ce que tu fais ?
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| — Ça ? C’est une pomme avec beaucoup de poils.
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| — Quoi ? ça existe pas ! y en a ?
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| — Ici ça existe. Non Serge, c’est toi que je fais. Tiens, regarde en dessous.
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| Et, sous le crâne aux cheveux délicatement mêlés, Jonathan déroula le profil de Serge
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| tel qu’il l’avait près de lui, d’un trait de crayon si fluide et si tendre qu’il eut une confusion de
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| cette beauté que sa main produisait malgré lui. Aisance qui ne lui servait à rien d’avouable,
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| mais qu’il avait travaillée avec acharnement pendant des années, pour son amour secret des
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| visages d’enfant. Jamais il n’aurait montré ces portraits à quelqu’un. Ses œuvres connues, qui
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| lui valaient un renom, étaient sévères et peu soucieuses de figuration. Le gamin se plaignit de
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| n’avoir pas d’oreille puis, quand elle fut en place, Serge dit :
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| — Alors je vais te dessiner toi moi.
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| Il empoigna une demi-douzaine de feutres de couleur et dessina, rouge, bleu, jaune et
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| rose, tenant à la main une fleur verte, un garçon aux cils en étoile et qui riait d’une oreille à
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| l’autre, avec des jambes très longues puisque c’était une grande personne.
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| — C’est moi ? dit doucement Jonathan. Je suis joli.
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| — Oui c’est toi. Parce que t’as des grandes jambes. Et là c’est ton pull-over.
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| La couleur du vêtement surprit Jonathan : bleu vif, à bande rouge sur le torse. Voilà un
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| an qu’il ne le portait plus.
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| — Mais c’est mon vieux, celui de Paris. Remarque je l’ai toujours. Je le remettrai.
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| — C’est pas la peine, dit Serge d’une petite voix froide. Et il tartina de marron son chat
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| sans pattes.
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| <p>Jonathan avait au dîner deux petits pigeons. Il fallut d’abord les plumer. Serge y prit
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| plaisir. Ces oiseaux l’enchantaient. Il retrouva ses gestes abrupts d’autrefois pour fourrer les
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| quatre ailes dans ses poches.</p>
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| — Avec toutes ces ailes ta culotte va s’envoler, dit Jonathan.
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| — J’m’en fous ! dit le petit, qui s’y enfonça les poings.
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| — Il fait froid. Je les vide et on les cuit dans la cheminée, hein on fait du feu ?
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| La cheminée était dans l’autre pièce. Serge accepta le feu. Il désirait aussi des frites.
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| Dans le feu, il brûla une poignée de plumes dont la mauvaise odeur lui dilata les traits. Il se
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| releva tout rouge et excité.
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| — Tu te réveilles, dit Jonathan. T’étais mort cet après-midi, avec ta mère.
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| — Non c’est pas vrai ! répondit brutalement Serge.
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| Sa figure se pétrifia. Il se mit à bouder, l’air méchant, l’œil sur les flammes.
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| — Et j’ai pas faim, affirma-t-il l’instant d’après, en épiant Jonathan.
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| — Ça fait rien, ça se mange froid… Quand tu es en colère j’ai peur de toi, murmura
| |
| Jonathan, penché à son tour sur le feu. Sa voix tremblait, il était prêt à pleurer.
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| — Il ne faut pas me faire peur Serge, ajouta-t-il, je ne peux pas, je n’ai pas la force. Non
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| je peux pas, je vais me coucher, pourquoi tu dis ça ?
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| L’enfant le regarda avec surprise.
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| — … On va manger, dit Serge intimidé. Hein ? on va manger ? T’en va pas.
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| — La broche est trop basse, ils vont brûler. Tu vois le jus tombe là, on le prend et on les arrose avec la grande cuiller.
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| — Moi je les arrose.
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| — Je vais couper les frites.
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| Jonathan partit chercher les pommes de terre et un torchon tout neuf, raide d’apprêt. Il
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| s’assit par terre près de la cheminée, une épaule contre un bras du petit. Serge agenouillé
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| guettait le jus des volailles, le visage vif de chaleur.
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| — Demain j’irai dans le jardin, dit-il.
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| — Il fera beau oui. J’ai vu des crapauds, des sauterelles, il y a deux chats qui viennent.
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| — Comment ils s’appellent ?
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| — Ils ont pas de nom, ils sont libres.
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| — Mais où c’est qu’i dorment alors ?
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| — Où ils veulent, quand les gens ne les chassent pas.
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| — Tu les chasses toi ?
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| — Oh. Non, ils sont tranquilles. Ils apportent leurs choses à manger ici, ce qu’ils volent
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| chez la vieille, une vieille à côté avec un vieux chien, elle a des poules, des lapins. Des
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| légumes. Elle ne me parle pas.
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| — Pourquoi ?
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| — Je sais pas. Elle est toute seule, elle n’aime pas parler, elle m’a dit de mettre du
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| poison à cause des rats.
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| — Des rats ? C’est gros un rat ?
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| — Peut-être comme ça là, dit Jonathan, montrant les pigeons.
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| — On va bouffer des rats ! s’écria Serge. Et il se remit enfin à rire, du rire canaille,
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| infernal et rauque qui était sa voix cachée.
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| Jonathan avait disposé la table de la cuisine près du feu. Les nuits restaient bien froides.
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| Il dressa le couvert avec soin sur une nappe rouge vif. Les odeurs de viande et de friture
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| commençaient à soûler le gamin.
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| À table, Serge, impressionné par ce décorum ingénu, raconta :
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| — Tu sais à la maison ? Je cassais tout tout le temps. Ben maintenant je casse rien.
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| — Ah, c’est bien, dit Jonathan. Tiens tu bois du vin, oui ?
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| — Non j’en bois pas. Eh ! mets-en ! mets-en ! mets-en moi eh !
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| — Comme ça ? Vraiment, tu casses plus rien ? Fais voir un peu ? demanda Jonathan.
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| — On peut pas le montrer ! dit Serge en s’esclaffant lourdement. Je vais boire le vin ! le
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| vin !
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| — Si, je crois qu’on peut le montrer.
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| — C’est pas vrai.
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| — Si.
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| — Non on peut pas !… Allez fais-moi voir.
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| — C’est facile. Voilà deux assiettes. La première je la laisse tomber. L’autre j’y touche
| |
| pas.
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| Et l’assiette se fracassa sur le carrelage. Serge cria d’étonnement. Jonathan s’en alla
| |
| chercher la pelle et le balai.
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| — … La deuxième assiette je l’ai pas cassée, non ? Tu vois qu’on peut montrer qu’on
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| casse pas quelque chose.
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| — Ouais, reconnut Serge, mais t’as cassé l’autre.
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| — C’est pas pareil, il y en a plusieurs.
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| — Ah ? Ah ? Alors moi j’peux ? Hein hein j’peux ? dit Serge d’un ton provocant.
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| — Oui, on mangera dans la main c’est mieux.
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| | |
| — Alors celle-là alors ! Et Serge envoya sa propre assiette à l’autre bout de la pièce.
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| Jonathan sursauta. Certains éclats frappèrent les meubles : mais on entendit surtout le joyeux
| |
| hurlement de chasseur qui accompagna le geste de l’enfant.
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| — Dommage qu’elle soit vide, remarqua Jonathan, qui tendit le balai au gamin déjà
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| debout.
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| — Ah ouais, dit Serge. Si qu’y avait… des frites dedans !
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| — De la soupe.
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| — Ouais. Des nouilles !
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| — Oui. Des petits pois.
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| — Oh oui des petits pois.
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| Serge était accroupi et fouillait sous une commode avec la pelle :
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| | |
| — D’la soupe ! Ah non tu l’as dit. Des… attends… (et sa voix explosa) quelque chose
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| qui pue !
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| — Qui pue ? qui se mange ?
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| — … je sais pas quoi.
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| | |
| Serge n’ajouta rien. Il vida sagement les morceaux dans la poubelle. Puis un dîner
| |
| bruyant, taché de graisse et de vin rouge, eut lieu aux flammes violentes du foyer.
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| <br>
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| <p>Au matin, Jonathan entendit sa voisine gratter la terre, derrière la clôture qui séparait
| |
| leurs jardins. Sans doute elle s’était postée pour découvrir ce qui se passait, et d’où venait
| |
| cette voix d’enfant.</p>
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| La matinée était lumineuse. Serge s’était éveillé dès sept heures, ce qui avait un peu
| |
| contraint Jonathan. Ils avaient remis leurs vêtements sans se laver. Serge se fit nouer ses
| |
| lacets, sous prétexte qu’il ne savait pas. Jonathan ne savait pas non plus. Il remarqua que les
| |
| pieds du garçonnet avaient forci ; les orteils étaient moins courts et moins dodus. À
| |
| contre-jour, un duvet doré se voyait sur la cheville ; dense, tournant et régulier, il s’usait sur le
| |
| mollet sans disparaître.
| |
| | |
| Serge exigea d’aller tout de suite dans le jardin. Jonathan servit le petit déjeuner par
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| terre, où montait beaucoup d’herbe. Un peu engourdi, l’enfant écoutait les raclements du
| |
| sarcloir. Il arracha mollement des herbes autour de lui et les jeta dans son bol, qu’il avait
| |
| délaissé à demi plein ; puis il renversa le tout, se releva avec vivacité et s’approcha du
| |
| grillage. Il écarta les petites feuilles :
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| | |
| — Bonjour ! dit-il, apercevant la vieille.
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| | |
| — Hnn.
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| | |
| Elle resta penchée. Un museau noir, mouillé, environné de poils ras et blanchis,
| |
| s’appuya au grillage et toucha les genoux de l’enfant.
| |
| | |
| — C’est vot’chien ? demanda Serge, qui passa un doigt pour être léché.
| |
| | |
| — Sors de là carogne ! dit la vieille. Elle donna au chien un coup de son outil. Désappointé, Serge revint s’asseoir près de Jonathan.
| |
| | |
| La vieille se redressa et cria à travers la clôture :
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| | |
| — J’ai encore des rats ! Mettez du produit ! Monsieur ! Ils m’ont mangé deux poussins
| |
| cette nuit ! Et il faut arracher ce liseron-là ! Ça mange mes navets !
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| | |
| Sans attendre de réponse, elle se courba sur la plate-bande et tapa la terre aussitôt, mais
| |
| légèrement, avec lenteur, pour écouter. Serge murmura, hilare :
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| | |
| — Tes navets ! mes rats ! mes poussins !
| |
| | |
| — Là j’ai semé des fleurs d’été, dit Jonathan.
| |
| | |
| Un très petit rectangle de terre bêchée et tamisée, d’où sortaient des pousses maigres,
| |
| hautes comme la main.
| |
| | |
| — Des navets ? dit Serge plus fort.
| |
| | |
| — Non ce sont des… je sais plus le nom français. Ça pousse dans le blé. Si tu voulais
| |
| enlever tes chaussures, ajouta-t-il sérieusement, je voudrais bien dessiner tes pieds.
| |
| | |
| Serge accepta sans s’étonner :
| |
| | |
| — Mais je peux pas défaire le nœud.
| |
| | |
| Jonathan l’aida ; puis, renversé dans l’herbe, jambes en l’air, tirant ses chaussettes,
| |
| Serge gloussa :
| |
| | |
| — Ah ! mes poussins ! mes poussins ! mes p’tits rats ! mes navets !
| |
| | |
| Jonathan cala sa planche à dessin sur un cageot ; il donna un illustré au garçonnet et
| |
| l’orienta dans la lumière.
| |
| | |
| — Les deux pieds tu dessines ?
| |
| | |
| — Oui tous les pieds.
| |
| | |
| — Tous mes pieds ?
| |
| | |
| Serge, qui lisait très mal mais inlassablement, changea souvent de position devant son
| |
| illustré. Ses pieds tournaient avec, et Jonathan suivait. Après une heure, il y avait une dizaine
| |
| de pieds sur la feuille. Tous ses pieds, pensa Jonathan. Il dessinait au crayon, sans retoucher ni
| |
| gommer. Il aurait fait ce travail les yeux clos — c’était de vieille discipline. Mais il était ému
| |
| de recomposer le tracé académique aux proportions de Serge. Il produisit le relief par un
| |
| simple jeu sur l’épaisseur du trait. La blancheur de la peau lui inspira de laver la feuille, et
| |
| cette envie le surprit : depuis qu’il habitait ici, il n’avait plus touché de couleur.
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| Après l’aquarelle, les pieds enfantins eurent l’air remuants et lourds. Là-bas, ceux de
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| Serge oscillaient doucement tout près d’un bouquet d’orties. Le petit, quelquefois, prononçait
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| une syllabe en lisant, d’une voix atone ou décidée.
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| Jonathan contempla la feuille avec bonheur. Ces dessins n’étaient pas de lui. Ce
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| matin-là, simplement, le hasard du soleil et des légers nuages avait fait flotter sur son papier
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| l’empreinte insolente du petit garçon. Il montra l’étude à Serge, qui n’en pensa rien.
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| — C’est comme ça qu’on s’enrhume, dit une voix enrhumée et coupante. La vieille était
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| sortie sur le chemin et, profitant de ce que la façade était nue, elle leur avait jeté un regard
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| curieux.
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| — Elle s’intéresse à toi, dit Jonathan.
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| Il tira tout à coup Serge par les jambes et lui embrassa longtemps les pieds. Il lécha
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| aussi entre les orteils. Les petits ongles étaient noirs. L’enfant rit et cria avec satisfaction. Il se
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| débattit. Tombée par terre, la feuille d’étude fut piétinée et crevée. Puis il y eut un temps
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| d’arrêt où Jonathan et l’enfant échangèrent silencieusement un regard particulier. Ils se
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| relevèrent ensuite et rentrèrent dans la maison.
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| Serge pieds nus avait une attitude dansante et un peu inconsistante, hâtive, tandis qu’il
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| disparaissait devant Jonathan.
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| Serge ne parlait jamais de son père, qu’il voyait une ou deux fois par mois et qui
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| s’appelait Simon. Jonathan, à Paris, l’avait rencontré certains soirs, et ils avaient mollement
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| sympathisé. Simon aurait voulu être peintre ou sculpteur ; il exerçait un métier secondaire
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| dans un cabinet d’architecture. C’était un bon garçon, ce n’était personne de particulier. Il
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| semblait avoir extrêmement aimé Barbara, et n’être pas détaché d’elle ; mais Barbara le
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| jugeait trop ennuyeux, à la ville et au lit.
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| Néanmoins, elle le voyait de temps en temps. Ils avaient des conversations plates, ou ils
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| faisaient un peu l’amour, ou bien Simon emmenait Serge au cinéma, au jardin zoologique. Son fils ne lui inspirait qu’une tiède gentillesse. Il versait pour lui une faible pension
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| mensuelle à Barbara.
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| Mais, dans la chambre parisienne de Serge, il y avait une grande photo de Simon, une
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| pipe à lui, une paire de chaussures très usées, un jean taché de peinture. Simon avait dû
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| apporter cela chez Barbara pour exécuter quelques travaux de bricoleur. Ces objets étaient
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| mêlés aux jouets, aux petites affaires que Serge abandonnait en vrac : vers six ans, il avait eu
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| la manie de changer de vêtements à longueur de jour. Il inventait ou découvrait des gênes que
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| lui infligeait telle culotte, tel maillot, telle chaussette d’un seul pied. Il les arrachait
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| furieusement et essayait d’autres habits, renversait les tiroirs, criait, pleurait, finissait par
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| s’apaiser. Barbara, peu sensible au bruit et au désordre, se contentait de hausser les épaules.
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| Mais, quand elle recevait des amis pour contempler et méditer, avec des bâtonnets d’encens,
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| du thé vert et un livre de zen à portée de la main, elle secouait et giflait Serge en le raisonnant
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| d’une voix mesurée :
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| — Écoute mon vieux, il fallait un peu arrêter ta comédie, tu crois pas non ?
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| L’enfant hors de lui s’en allait pleurer dans un placard. Ainsi Barbara et ses amis
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| pouvaient reprendre leurs exercices de sérénité.
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| La présence de Jonathan changea cela. Il ne savait pas méditer. Il suivit Serge dans son
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| placard, et fut stupéfait de ce qu’il aperçut : sur une planche placée très haut, et niché derrière
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| des piles de linge bouleversées, il y avait un petit animal hoquetant et dur, méchant,
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| inaccessible, dont on ne découvrait qu’un bout d’oreille et de genou. Très ému, Jonathan
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| désespéra de l’apprivoiser, de le prendre dans ses bras. Il attendit et se laissa guetter, les
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| larmes aux yeux. Puis Serge, brusquement, renversa ses remparts de linge et s’accrocha à son
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| cou. Plus tard, il montra à Jonathan comment il s’y prenait pour grimper dans ce repère ; il
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| avait beaucoup plus de peine à en redescendre.
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| Ils finirent la soirée dans la chambre du petit, si tranquillement que Barbara interrompit
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| ses épreuves de quiétude pour voir d’où venait tant de calme. Les deux garçons étaient par
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| terre ; Serge assis sur Jonathan lui assemblait, depuis le crâne jusqu’au nombril, des bidules
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| en plastique qui servent, d’habitude, à construire des pavillons de banlieue et des
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| stations-service. Timide et chargé de guirlandes anguleuses, Jonathan ne sut rien expliquer ni
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| penser. De ce premier soir, il ressentit beaucoup d’angoisse. Puis, après quelques semaines, il
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| dut s’avouer que Serge l’aimait et il retrouva, lui aussi, sa sérénité.
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| Serge se fit plus enfant qu’il n’était. Il rendit à Jonathan mille petits services
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| imaginaires ; en contrepartie, il demanda que Jonathan l’habille, le boutonne, le chausse, le
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| dévête, le débarbouille, soit fidèle aux heures d’école (c’était sa première année de classe), le
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| tienne par la main dans la rue, l’embrasse avant et après, l’aide à lire les lettres et à tracer les
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| plus simples d’entre elles. Il avait été si intenable et capricieux à table que Barbara avait
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| renoncé à le faire manger : il se servait au frigidaire selon ses besoins. Mais Jonathan aimait
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| cuisiner, alors Serge aima dîner.
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| Jonathan remplissait chaque rôle avec tant de contentement et de patience que bientôt
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| Barbara, agacée, vit dans ces rituels autant d’habitudes détestables qu’on donnait à son fils, et
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| les empêcha quand elle en était témoin. Cela remit Serge de mauvaise humeur : désordre, bris
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| d’objets, criailleries, retraites en haut du placard recommencèrent. Barbara en conclut, selon
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| son mode particulier d’associer les causes et les effets, que Jonathan énervait le petit et avait
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| sur lui une influence néfaste. Éprise de certaines lectures, elle n’attribua pas cela à une
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| perversion de Jonathan, mais à des ondes négatives qu’il répandait sans pouvoir les contrôler.
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| Experts en ondes, ses amis lui confirmèrent ce diagnostic :
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| — T’as raison, ce qu’il émet ce mec c’est pas possible. Tu devrais pas laisser ton gosse avec.
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| — Ouais, moi je le sens là, tiens. Franchement, hein.
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| — Non moi, j’crois plutôt, tu vois, il a pas d’orgone.
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| — Oh tu déconnes ou quoi ? Tout le monde il en a.
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| — Oui mais, tu comprends, je sais pas, tu sais, il reçoit pas, il refuse quoi, tu vois, il…
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| enfin, je sais pas… hein c’est sûr quoi, tu vois ?
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| C’est grâce à Simon que Serge avait échappé à un prénom affecté. Barbara, après
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| l’accouchement, avait voulu appeler son bébé Sébastien-Casimir, ou Gervais-Arthur, ou
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| Guillaume-Romuald, ou n’importe quoi de la même eau. Simon avait protesté, et avec une
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| vigueur si inhabituelle que Barbara s’était inclinée : ils envisageaient de se marier, elle se
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| souciait d’autres conflits. Serge était le nom du père de Simon, que celui-ci admirait.
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| Quant au vrai prénom de Barbara, c’était Georgette. Sa mère ne l’appelait pas autrement
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| quand elle lui rendait visite à Paris. Disposé à l’ironie, Serge aurait pissé de rire à chaque
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| Georgette que sa grand-mère prononçait, mais il se retenait : ces jours-là Barbara était
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| orageuse, des scènes éclataient entre la fille et la mère.
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| Jonathan eut une ennemie en cette vieille femme. Elle trouvait souvent Serge avec lui et
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| n’aimait pas cela. Elle venait à Paris pour jouir de l’enfant : cette rivalité lui gâchait son
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| affaire. Car Serge était impossible avec sa grand-mère ; il réservait ses amabilités à ce jeune
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| homme silencieux qui n’était même pas français. La vieille supposa que Jonathan cajolait
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| Serge pour coucher avec Barbara. Elle trouva cela dégoûtant : c’est vraiment trop facile de
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| séduire un gosse. Bien sûr, Barbara marcherait ! La grand-mère fut révoltée que, par calcul,
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| on lui vole un plaisir et un droit qui n’auraient dû être que les siens.
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| Elle habitait Péronne. Elle rêvait d’arracher Serge à la vie dissipée que menait Barbara,
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| pour l’introduire dans sa vieille vie de veuve. Elle avait dressé une fille, un garçon, un mari et
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| six chiennes. Ce grand nombre de chiens tenait à ce qu’elle les faisait piquer dès que leur âge
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| exigeait une tendresse ou des soins.
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| Quand Serge était tout petit, on le lui avait parfois confié — comme Barbara cherchait
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| plutôt à se soulager de son fils qu’à lui trouver de bonne compagnie. La vieille avait mis à
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| Serge des chapeaux de paille, avait surveillé ses patouilles dans les squares, l’avait assis
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| devant les publicités télévisées, lui avait offert un costume de Zorro, avec un masque noir et
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| des armes pour nourrissons ; elle lui avait appris les tons bébés, le parler zozotant, les cris
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| suraigus, car Serge avait la voix rauque et ne prononçait que des phrases normales, sans
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| rapport avec ce qui doit sortir du ventre d’une poupée. Cependant, Serge avait aimé sa
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| grand-mère : à trois ou quatre ans, débordant de gentillesse, d’alacrité et de confiance, il
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| aimait tout le monde.
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| Après un séjour un peu plus long que les précédents, Barbara estima qu’on transformait
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| son fils en idiot. Pour l’instant, elle décida qu’il n’irait plus à Péronne.
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| Mais une semaine suffit pour que Serge reprenne sa grosse voix, ses rires et son audace.
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| C’est ce que Barbara exhiba de lui, tant qu’il se contenta d’elle.
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| Elle avait pourtant lu, dans un ouvrage féministe, que, passé trois ans, les enfants, filles
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| ou garçons, sont saturés de leur mère. Elle l’épia, le vérifia, ne l’accepta pas : l’éducation
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| suivit.
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| La grand-mère n’avait jamais rien lu de semblable. Elle faisait néanmoins son possible
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| pour combattre le penchant de Serge à aimer qui lui plaisait. C’était le premier motif des
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| guerres entre elle et Barbara ; la première cause des idées générales que cultivait Barbara sur
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| Jonathan et les choses de ce monde ; et la raison pour laquelle, ces jours-là, Serge opposait
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| une figure féroce et des poings serrés aux séductions des deux femmes, et exigeait pour seul plaisir d’être promené à travers les rues sur les épaules de Jonathan. La grand-mère les
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| accompagnait si elle se sentait d’attaque. Serge en profitait, bien tenu par les cuisses, pour se
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| lever tout debout au-dessus de Jonathan et faire semblant de sauter. Ensuite il sauta pour de
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| bon : Jonathan le rattrapait sous les bras avant qu’il touche le sol ; il enviait le courage du
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| garçonnet et l’accolait beaucoup. La grand-mère détournait la figure, parlait de jambes
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| cassées, de marchand de glaces tout proche, et ses doigts raides tremblaient.
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