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| ''[[Quand mourut Jonathan (10)|précédent]]''<br><br> | | ''[[Quand mourut Jonathan (10)|précédent]]''<br><br> |
| {{Citation longue|Ils s’étaient assis dans un café dont la vitrine était ouverte, et leur table chevauchait | | {{Citation longue|Quand la vieille voisine arrosait avec l’arrosoir, c’est que le soleil ne touchait plus ses |
| presque la rainure du sol où ces vitres circulent. Jonathan, qui s’ennuyait, vit cet ennui troublé
| | plates-bandes. Il était cinq à six heures de l’après-midi. Les arômes du dîner que cuisait |
| par des pleurs. Aigus, peu élevés, qu’une très petite poitrine devait émettre.
| | Jonathan commençaient de courir l’air. Alors Serge voulait arroser aussi : le petit carré de |
| | | fleurs en herbe, ou l’herbe même. Mais le soleil s’y éteignait plus doucement que de l’autre |
| Serge lui montra qui c’était. Dehors il y avait, installés à un guéridon de terrasse, une
| | côté du grillage, plus longuement, jusqu’au doré. Serge patientait ; au bout de sa main |
| femme et son fils. C’est cet enfant, de quatre ou cinq ans, qui pleurait : et sa mère lui
| | mouillée, l’arrosoir lui tirait tout le bras. Il regardait, sur les jeunes pousses, la langue de soleil |
| murmurait contre l’oreille des réprimandes inaudibles. Seul le profil de cette femme, que
| | qui s’avalait dans l’ombre, et il imaginait déjà les odeurs humides et la terre ruisselante, |
| défigurait l’effort de parler durement à voix basse, faisait deviner la teneur des paroles. Une
| | luisante, marron, couleur caca, grenue de cailloux minuscules que dégageait l’eau. |
| longue traînée de sang marquait la joue, particulièrement ronde et blanche, du petit garçon :
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| cela coulait vermillon, lentement, comme du fard qui se met à fondre. On eût dit, mais
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| sanglante, la trace d’un escargot.
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| — Elle l’a giflé comme ça, à travers, et ça a saigné, expliqua Serge.
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| Un chaton de bague, ou un ongle cassé. La gifle pour se tenir bien avait, contre son
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| intention, provoqué un spectacle indécent et bruyant que la femme essayait en vain de
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| ramener à l’ordre. Les mots ne suffisaient pas : sa main, au bord de la table, doigts raidis,
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| paume creusée, avait de courtes saccades rythmiques, pour attirer discrètement l’attention du
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| bambin sur la menace d’une nouvelle gifle qui remédierait aux effets de la première.
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| Mais elle n’osa plus frapper. À petits coups de ses yeux sans regard, elle épia autour
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| d’elle. Non, aucun client du café ne réagissait : ils savaient que l’art d’enseigner les
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| convenances aux tout-petits est plein d’embûches. Mais quelques passants, obligés de frôler la
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| table à cause de l’étroitesse du trottoir, apercevaient le gamin ensanglanté, entendaient les
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| pleurs, regardaient rapidement la mère. Elle portait un tailleur noir démodé, à taille cintrée et
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| basques rondes, des cheveux longs, brun roux, crantés, noirs aux racines. Des matrones
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| solitaires s’arrêtaient une seconde ou même se retournaient, comme pour évaluer la plaie et
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| lire sur le visage du petit la bonne raison de ce sévice ; puis elles s’éloignaient, impassibles et
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| prudentes, sans avoir dit un mot ni risqué une mine.
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| Gênée cependant, la femme en tailleur noir se décida à tamponner avec un mouchoir la
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| joue de son fils, car le sang commençait à mouiller le col du garçonnet, qui prit peut-être ce
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| geste pour une autre violence : il se mit à pleurer plus fort et essaya de libérer sa tête, que la
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| femme maintenait par-derrière en l’essuyant. Exaspérée, elle rangea le mouchoir et jeta
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| quelques pièces sur la table, où attendaient deux verres de limonade mélangée de sirop, l’un
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| rouge, l’autre vert. Elle se leva avec un air de personne offensée ; elle arracha l’enfant de son
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| siège aussi brusquement et aussi haut qu’elle put, le plaqua un bon coup les pieds au sol, lui
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| empoigna une patte et l’entraîna.
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| — Tu sais pas pourquoi ? dit Serge d’une voix blanche, c’est parce qu’il voulait pas
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| boire, il avait pas soif. Alors elle a tapé.
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| Le diabolo grenadine était intact, en effet.
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| — Moi ma mère si elle me fait comme ça moi je lui fous dans la gueule, s’écria Serge.
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| — Il était trop petit.
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| — T’avais qu’à l’empêcher, dit Serge. Pourquoi t’as rien dit ?
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| — Personne ne dit rien, c’est sa mère. Ça ne sert à rien. Elle t’engueule toi, et lui elle lui
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| en flanque le double à la maison.
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| Après mille scènes familiales qu’avait vues Jonathan, il n’avait à répondre que cela ; et,
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| oppressé de colère et de honte, oublier au plus vite ces drames minuscules qu’il était dérisoire
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| ou dangereux de prendre à cœur.
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| — Alors moi si Barbara elle me tapait tu la laisserais ? demanda Serge avec un sourire
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| incrédule.
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| — Non, mais je la connais. Les autres on ne peut pas. On se bouche les oreilles, on
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| attend que ce soit fini.
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| On était mercredi, jour de congé scolaire, ce qui amusait Serge puisqu’il était, lui, déjà
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| en vacances. Ce matin-là, vers dix heures, ils étaient venus en ville par le car. Ils n’avaient pas
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| trouvé de grenouilles chez le marchand. Il y avait de beaux crapauds, certains aux yeux dorés,
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| d’autres aux yeux rouges, mais Serge les jugea dégoûtants. Il s’intéressa davantage à des
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| souris blanches, et à une cage puante de hamsters blottis dans leurs excréments. Fasciné, il
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| respira aussi l’odeur blette d’urine, de punaises, de clapier, qui montait d’une cage en verre
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| couverte d’un fin grillage, où dormait un nœud de couleuvres. Ils n’achetèrent rien et, pendant
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| que Serge examinait les oiseaux des cages, stupides, nerveux, aux couleurs criardes de
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| bibelots féminins, Jonathan attendit sur le trottoir.
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| Il faisait très beau et la promenade en ville plaisait beaucoup à l’enfant. Quand ils
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| traversèrent le pont, Serge observa les pêcheurs et désira pêcher. À la vitrine d’un magasin
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| tout proche, Jonathan lui montra les hameçons et lui expliqua comment on en perçait un ver
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| rouge ou un asticot, puis comment le fer s’accrochait à la lèvre ou dans le ventre du poisson.
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| Cela ne troubla pas le petit, qui comprit cependant que Jonathan ne voudrait pas acheter cela,
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| et n’insista pas.
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| À vrai dire, Jonathan se moquait du sort des poissons, mais, depuis son arrivée en ville,
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| un sourd mélange de haine, de souffrance et de mauvaise humeur l’avait saisi au contact de
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| ses contemporains, qu’il avait perdu l’habitude de voir de près.
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| Serge, quant à lui, semblait plutôt négliger ses semblables que souffrir d’eux. Lorsqu’ils
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| croisaient une petite fille ou un petit garçon, il ne daignait pas les suivre des yeux ni même les
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| dévisager. Mais c’étaient des enfants irréels, tous crochés par des femmes près desquelles ils
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| marchaient avec froideur.
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| Sur le pont, au contraire, il y eut une poignée de gosses qui pêchaillaient ensemble. Ils
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| avaient deux ou trois ans de plus que Serge. Il détacha sa main de Jonathan et, adossé au
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| parapet, silencieux, captivé, il les contempla comme un spectacle forain inouï. C’est sans
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| doute cette image de liberté, d’association braillarde, qui lui avait donné envie de pêcher à la
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| ligne. Les gamins se laissèrent admirer sans jeter un regard à ce petit pisseux ébahi, aussi
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| méprisable à leurs yeux qu’ils l’étaient eux-mêmes pour ces adolescents de quatorze ou
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| quinze ans qui péchaient un peu plus loin, et dont les voix muées, fortes et rauques,
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| semblaient délimiter un territoire réservé où aucun mioche n’aurait eu l’audace de s’aventurer,
| |
| tandis que les adultes, prévenus par ces sortes d’aboiements, se tenaient eux aussi à l’écart et
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| entre eux.
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| En bas, sur la berge, il y avait le coin des vieux, dans une zone ombragée meublée de
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| quelques bancs publics. Ces vieillards n’étaient pas groupés, mais égrenés le long de la rive,
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| chacun avec son pliant de toile, sa nasse vide et son attirail décoloré.
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| Personne ne tirait de poisson. La rivière était glauque, verdâtre, limoneuse, comme si
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| elle avait lessivé cent kilomètres de draps sales et de mouchoirs glaireux. Jonathan se
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| demanda quel arôme avaient les poissons qui survivaient là-dedans ; et il imaginait plutôt que,
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| vers minuit, toute la ville endormie, les museaux avides et les yeux luisants de milliers de rats
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| émergeaient de cette eau, avant que la course brusque des rongeurs anime les deux berges.
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| C’était une jolie petite ville, aux jardins très soignés, aux beaux édifices anciens. Elle
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| n’avait pas d’industries, pas de bureaux, pas d’immeubles en cités. On y commerçait ; on y
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| dormait ; on y comprenait couramment la radio, la télé, les chansons ; on y mourait dans un
| |
| bon hôpital ; on ne s’accouplait pas, mais on s’épousait et il y avait des enfants.
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| Serge avait saisi d’autorité la main de Jonathan dès la descente du car. Il la tenait | |
| doucement et de façon vivante ; après le premier instant, il tortillait sa propre main pour que
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| les doigts de Jonathan, tirés de-ci de-là, changent peu à peu de position et enferment
| |
| complètement ses doigts à lui. Alors sa main devenait très molle, et Jonathan avait
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| l’impression de réchauffer un oiseau endormi. Le bras correspondant ballait, inconsistant,
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| léger ; puis, à la moindre sollicitation du dehors, l’oiseau se raidissait, le bras communiquait
| |
| un élan, une traction, l’oiseau s’envolait et Serge avec lui. Sa course faite, il revenait se poser
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| au ralenti ; et, dans l’intervalle, la main de Jonathan restait immobile, vide comme un nid | |
| déserté.
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| Le petit avait plaisir à se montrer avec Jonathan, ici plus encore qu’à Paris. Tandis que
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| Serge, indépendant et têtu, marchait volontiers dix mètres à l’écart s’il accompagnait Barbara,
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| il avait, dès ses premières sorties avec Jonathan, capté sa main pour s’y enfermer et s’y
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| abandonner. Et, lorsqu’ils arrivaient devant l’école, le matin, Serge se serrait encore
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| davantage. Il y avait là tous les autres petits, menés par leur mère ou, plus souvent, leur
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| grand-mère, en cheveux et en pantoufles. Elles prenaient Jonathan pour un jeune papa et lui
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| adressaient des sourires entendus. Un papa trop intime avec ce marmot somnolent et gai, qui
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| se hissait jusqu’au visage de son père et là, bien suspendu et soutenu, lui parlait dans la joue et
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| l’embrassait à peine, comme on fait quand on s’aime vraiment bien.
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| Dans une boutique, Jonathan voulut acheter certaines couleurs, certains médiums,
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| certains outils qui lui manquaient depuis que Serge lui avait redonné envie de peindre. C’était
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| une librairie, papeterie, bibles, folklore, baromètres, art religieux et matériel pour en produire.
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| Serge, en explorant la pile de livres pour enfants (il avait déjà réservé une liasse de tatouages à
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| décalquer), découvrit un album d’images qui, si on grattouillait leur surface, étaient bonnes à
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| renifler et à lécher. Elles étaient imprimées au moyen d’enduits sucrés, multicolores, que
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| saturaient les parfums artificiels des mauvais bonbons, avec leur odeur excessive et affolante
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| de rue à lupanars. En dépit de ces charmes et du lieu, l’album n’était pas un Évangile raconté
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| aux tout-petits. C’étaient des dessins de fruits, chacun aromatisé à l’aide d’un produit
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| chimique qui était à sa vraie saveur ce qu’était à sa vraie chair la candeur truquée de la
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| représentation.
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| Jonathan y reconnut le talent de ces jeunes femmes libérées qui travaillent à séduire les
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| enfants, à l’usage des publicistes et des industries du bébé, de la mère ou de l’institutrice.
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| Gagne-pain à la mode sans lequel les plages immenses du tiers monde, les poutres apparentes,
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| l’entrée en psychanalyse sur un vélo pliant et en robe à la fermière (en soie fleurie tombant
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| aux pieds) sont des bonheurs inaccessibles. Les petits dessins naïfs chantaient à Jonathan leur
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| adroite chanson :
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| — … Les gosses c’est inouï ce que j’apprends maintenant ! Tu sais on met rien au point
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| sans eux, on en invite une douzaine, tu parles les instit’ elles raffolent les pauvres, avec les
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| tartines les tasses de chocolat tout ça le magnétoscope — moi j’adore ! Ils sont pas
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| croyables !… Ils ont des idées pas croyables ! On les fait dessiner, on leur teste nos machins,
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| parce que c’est eux qui choisissent finalement, ils décident tout ! Ben t’es dépassée, tu te dis
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| toi qui te croyais un peu créative quoi un brin quand même ! Parce qu’alors là tu vois ce que
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| c’est créatif ah là tu le vois ! Ah, ils sont — formidables !… Moi écoute je vais finir par en
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| faire un, c’est vrai ! Mais alors je veux pas le mec, dis donc je fais mon gosse je me le garde,
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| lui le mec il a tiré son coup, il est content, alors bonsoir. Non mais si tu réfléchis ! Qui c’est
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| l’encloquée lui ou moi ? Quand vous serez enceintes vous on en reparlera… Et puis un
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| mari… Les garçons moi je trouve c’est bien quand c’est petit, après c’est la merde, t’en auras
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| un sur cent mille qui… Tiens je te choque on dirait ! Ah tu me déçois Jonathan ! Eh ben mon
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| vieux faut t’habituer, les femmes ça a changé t’es pas au courant ? Non Jonathan, n’empêche
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| c’est un boulot, tu devrais essayer. Je te passerai les bandes, tu peux pas imaginer ça, on peut
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| pas imaginer ce que c’est !… Y a le côté corniaud, la commande, le machin à rendre,
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| d’accord, seulement y a des moments écoute vraiment tu flippes. T’es pas en forme, tu
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| regardes vaguement leurs machins aux mômes, tu te fais chier — et puis hop, ça démarre ! Ça
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| fout le camp dans tous les sens ! D’un coup tu sais plus, tu te retrouves finalement, enfin je
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| sais pas moi, toute petite fille quoi !… C’est plus le boulot, tu t’en fous, t’es accrochée, tu
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| flippes, et même tu chiales et t’y peux rien ! C’est
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| Et les jolis fruits brillants lui restituaient mille autres confidences semblables, qu’il avait
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| recueillies de ses consœurs au temps de ses études, lorsque sa patience, son silence, son
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| apparence douce, ses bonnes épaules, son visage avenant, lui valaient d’essuyer l’esprit des
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| filles.
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| Le hasard du souvenir lui faisait souvent rencontrer de telles choses, et de pires. Il ne
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| cultivait donc pas les réminiscences. Il s’y sentait fouilleur d’ordures, chien au museau
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| merdeux : il fallait une adresse prodigieuse pour se déplacer à travers une mémoire sans buter
| |
| à chaque pas sur ce qu’ils y avaient laissé.
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| Il acheta l’ouvrage (sa couverture révélait qu’elles s’étaient mises à deux), qui évoquait
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| les vieux crimes commis autrefois, quand on offrait des livres aux pages imbibées de poison,
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| qu’il fallait lire souvent, en se léchant l’index. Ce cadeau à la vénitienne l’amusait. Serge,
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| dans la rue, heurta plusieurs passants, tant l’absorba la tâche de gratter, lécher, faire gratter,
| |
| lécher à Jonathan.
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| Puis il y eut, dans l’avenue commerçante, trois petits garçons de l’âge de Serge. Ils se
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| ressemblaient et on aurait cru voir des triplés, s’il n’y avait pas eu une légère différence de
| |
| taille entre eux. Ils allaient en file indienne, pas vite, sans adulte. Ils portaient un short en
| |
| drapeau américain et ils avaient le torse nu, hâlé, avec des bras forts et un ventre musculeux.
| |
| Ils suivaient périlleusement deux lignes acrobatiques : sous leurs pieds, le rebord pavé du
| |
| trottoir, étroite route entre deux précipices ; et, au-dessus de leur tête, le lambrequin très bas
| |
| d’un auvent de café, lambrequin qu’ils tenaient tous du même bras changé en pantographe,
| |
| tandis que les trois autres mains portaient chacune une même chemise.
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| Serge, en rigolant, suivit ce petit train le long de son rail, et les trois machines, très
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| rieuses aussi, lui rendirent vivement son amabilité : dans des déserts si dangereux, solidarité
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| oblige.
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| Jonathan en profita pour s’asseoir au café que longeait cette voie ferrée. Il se demanda
| |
| ce que Serge, dont il admirait le talent d’élocution (chose déterminante dès l’âge où l’on sait
| |
| simplement lallayer), racontait au chemin de fer américain, qui dut, sous la surprise, faire halte, lâcher la caténaire et se dissocier pour mieux prêter l’oreille.
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| Uniment, Serge avait invité les trois petites machines ; elles firent cercle autour de la
| |
| table de Jonathan. Il serra les trois mains. Tout le monde accepta de boire, sauf la moyenne
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| machine, qui préféra une glace et la mangea debout en gigotant, comme on mange les glaces.
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| Jonathan ne voulait pas gêner cette jeune compagnie. Il alla au fond du café pour
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| téléphoner : il devait commander à Paris certains articles qu’ignorait le magasin d’art
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| religieux et de poisons design.
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| À son retour, le petit train avait disparu et Serge aussi. Peu après, l’enfant revint en
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| courant :
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| — J’suis chez eux, on joue au train, expliqua-t-il. Tu viens ?
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| — Non, pas moi, dit Jonathan, que ces enfants heureux intimidaient. Je vais voir la
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| petite église, on se retrouvera ici. Je t’attendrai, et si je suis pas là j’y serai plus tard. Ça va ?
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| — Ouais ils sont pas loin leur maison, dit Serge, c’est facile.
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| Jonathan lui donna de l’argent et l’enfant repartit. Il n’y aurait sans doute plus de car
| |
| lorsqu’il aurait fini de jouer. Mieux valait prévoir de dîner et dormir à la ville.
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| Jonathan traversa la rue et gagna un hôtel-restaurant à banne rouge et terrasse entourée
| |
| de buis. Ce n’est pas là qu’ils avaient déjeuné. Il réserva une chambre à grand lit. On lui
| |
| donna des fiches à remplir, mais sans lui demander de prouver sa parenté avec l’enfant qu’il
| |
| inscrivait. Il avait attribué son propre nom de famille à Serge, et n’avait pas fait remarquer
| |
| que la formalité policière des fiches était abolie depuis quelque temps. Il savait combien il lui
| |
| était utile de filer doux, et il était le plus obéissant des citoyens, même aux lois qu’on abroge.
| |
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| Il fit quelques emplettes pour la toilette du lendemain. Il craignait, sans bagages, sans
| |
| voiture, de susciter des soupçons à l’hôtel, accompagné comme il l’était d’un gamin sans
| |
| bagages lui-même. Kidnapping, évidemment. Il faudrait, d’ici ce soir, se procurer une valise
| |
| de qualité, pour attester qu’il n’étranglait pas les enfants, s’il les empruntait un peu.
| |
| Ces précautions, et le passage au bureau de l’hôtel, le mirent dans une humeur désolée.
| |
| Il rejoignit l’église qu’il aimait, un édifice roman trapu et noir.
| |
| | |
| Sur le parvis, une jeune fille en jean bleu, pull marin bleu, blouson de nylon bleu
| |
| marine, petite, à très grosses cuisses, genoux très bas, cheveux en fontaine, l’arrêta. Elle
| |
| pressait des prospectus ou des revues contre ses seins.
| |
| | |
| — Ayez pas peur monsieur ! s’écria-t-elle. Je vais pas vous prendre votre paquet
| |
| monsieur ! Si vous étiez assez gentil pour m’écouter un peu !… Je vais pas vous manger !…
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| | |
| Et, après avoir confessé sa religion, elle expliqua que les enfants d’un certain quartier
| |
| pauvre étaient abandonnés à eux-mêmes : l’association qu’elle représentait avait donc
| |
| l’intention d’y envoyer vingt jeunes catholiques qui leur porteraient assistance, ouvriraient un
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| foyer, protégeraient, animeraient, seraient une autre famille. Tous des jeunes, mais pour qui
| |
| l’enfance, c’est important. Ce fut sa formule.
| |
| | |
| En même temps, elle montra (elle ne souriait plus, car la figure de Jonathan s’était
| |
| extraordinairement assombrie, comme s’il allait soit pleurer, soit la frapper) une carte
| |
| préfectorale plastifiée, portant sa photo, un timbre-taxe et d’autres preuves de son honnêteté,
| |
| de son droit, de son devoir. Mais cet exorcisme ne sut pas effacer la tristesse de Jonathan : elle
| |
| exposa donc à nouveau, d’une voix plus hachée, plus pathétique, l’état dangereux de ces
| |
| enfants livrés à eux-mêmes, et le remède qu’y apporteraient vingt jeunes chrétiennes — et
| |
| quelques garçons, d’ailleurs. Mais on manquait d’argent, acheva-t-elle, et la plus petite aide…
| |
| | |
| — Si vraiment, murmura enfin Jonathan, aussi bas qu’un mourant, si vraiment,
| |
| mademoiselle, vous voulez faire une… une bonne action… vraiment une bonne action…
| |
| alors, écoutez-moi : foutez-leur la paix !… Faites-le au moins pour eux… Excusez-moi.
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| | |
| Et il entra dans l’église, où la jeune fille n’osa pas le suivre. En écoutant Jonathan, ses
| |
| fortes joues s’étaient violacées ; ses lèvres s’en avalaient, mordues l’une contre l’autre ; ses
| |
| yeux en louchaient, rétrécis entre deux paupières courtes, roses et roussâtres, comme sont les
| |
| oreilles de cochon échaudées de leur crin, mais non de leur duvet.
| |
| | |
| Ce que Jonathan aimait dans les églises, et qu’offraient moins les autres œuvres
| |
| d’architecture, était rudimentaire : sentir des ornières sous ses pieds, des gênes de chaque côté
| |
| de lui, des pesanteurs au-dessus de lui, puis des dalles lisses, des salles immenses, des nues
| |
| profondes. Semblables aux vraies musiques, les édifices talentueux ménageaient, du lent au
| |
| rapide, de l’évasé à l’étroit, de l’écrasant au diaphane, du clair à l’obscur, du caressant au
| |
| brutal, mille mouvements de plaisir et mille tiraillements du corps — qui semblait changer de
| |
| dimensions, de forme, d’âge, d’espèce animale, devenir un et pluriel, à chaque pas, à chaque
| |
| seconde, tandis que s’éveillaient toutes les heures que l’on avait vécues, ou rêvées.
| |
| | |
| Ensuite, un édifice désirable pour Jonathan présenterait un lieu particulier où, la longue
| |
| polyphonie de ce parcours une fois entendue, il désirerait se terrer, se défaire, sans autre
| |
| pensée que flottante, inexprimable et incolore. Dans la petite église romane, ce lieu était l’abri
| |
| glacé d’une culée de voûte à l’angle du transept nord, près d’une chaire à abat-son de vilaine
| |
| menuiserie, dont l’escalier ressemblait à un escabeau de ménagère et qui sentait les pieds de
| |
| prêtre. Là-haut, devant, dans le vide aérien qu’ouvrait un silence de la maçonnerie, il y avait
| |
| un long fil de lumière tranchant sur l’ombre, mais qui ne diffusait pas. Jonathan comparaît
| |
| cette lumière étroite et rectiligne à un faisceau de libellules sous un ciel gris, immobiles, aux
| |
| ailes ternies comme une vitre sale ou un insecte mort. Souvenir de ruisseau, de printemps
| |
| triste, d’enfance démunie.
| |
| | |
| Ce bonheur sans joie et sans actes l’apaisa. Il était seul. Il désira repartir ; mais il
| |
| appréhenda de croiser la quêteuse, et il se remit à marcher dans l’église.
| |
| | |
| — Et où vous l’avez encore pêché, celui-là ? dit avec bonne humeur la jeune mère des
| |
| trois petites locomotives, quand elle aperçut Serge, à quatre pattes parmi les rails électriques.
| |
| | |
| Elle rentrait de faire les courses ; elle était jolie ; elle avait une robe à la fermière en
| |
| cretonne fleurie tombant aux pieds, lesquels étaient chaussés de sabots parisiens à lourds
| |
| talons.
| |
| | |
| — Nulle part, grommela un de ses fils.
| |
| | |
| — Bon, vous êtes marrants vous ! Mais je peux quand même peut-être savoir où
| |
| t’habites toi non ?
| |
| | |
| — J’habite pas ici ! dit Serge en haussant les épaules. J’habite ailleurs !
| |
| | |
| — Eh ben c’est clair comme ça ! dit la femme. Elle s’affaira à déballer ses nouveaux
| |
| biens, qui étaient de nourriture et d’hygiène.
| |
|
| |
|
| — Quand même, ajouta-t-elle, froissée par l’hostilité muette des garçons, figurez-vous
| | Maintenant, derrière le rideau de liserons, la voisine lui disait : |
| que moi j’en ai marre ! Ça va encore être des histoires. Faudrait pas oublier quel âge vous
| |
| avez. Vous vous vous en foutez, mais un de ces quarts d’heure on va encore avoir une bonne
| |
| femme qui nous tombe dessus et qui nous fait son numéro parce que son gosse est pas chez
| |
| elle. Alors votre petit copain il va être bien gentil, il va prendre ses cliques et ses claques et il
| |
| va rentrer bien gentiment chez lui, si ça vous dérange pas trop.
| |
|
| |
|
| — Ma mère elle est en Amérique, remarqua Serge en se levant. | | — Alors, tu arroses ? |
|
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| — Ben elle a bien de la chance ! dit la jeune femme. T’es peut-être quand même avec
| | Et elle devait sourire et observer son travail, Serge devinait cela. Il répondait : |
| quelqu’un non ? Ta grand-mère ?
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| — Ma grand-mère elle est à Péronne, dit Serge. | | — Oui, alors j’arrose ! |
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| — Bon, ton père quoi.
| | Sagement, à petite voix, comme à une mère. Il reniflait, sous les vapeurs de terre et de |
| | plantes, pour savoir ce qu’elle mangerait ce soir elle la vieille. Il ne percevait rien et n’osait |
| | pas demander. Avec tous ces légumes et toutes ces poules, et les dahlias sur le devant, et les |
| | tournesols, c’était quand même étonnant. Son arrosoir à elle était plus vieux mais bien plus |
| | grand, d’ailleurs. |
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| — Mon père il est à Paris, enfin j’crois, dit Serge. | | — T’en as des lapins ? Non, oh vous en avez ? dit Serge, à qui le tutoiement avait |
| | échappé. |
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| — Bon, d’accord, bien entendu t’es tout seul, tu te balades, etc., dit-elle en soupirant. | | — Des lapins ? dit la femme. J’ai une grande lapine, elle a quatre petits. Tu veux les |
| Ah vous en ratez pas une vous, pas une !…
| | voir ??… Allez, arrose bien, et puis on va les voir. |
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| — J’suis avec Jonathan, on a pris le car, c’est un copain.
| | Présent, Jonathan fut invité aussi dans ce jardin où il n’était jamais entré. Le clapier était |
| | de l’autre côté, vers les détritus, là où pendait le linge et où montaient des luzernes. |
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| — Ah ! Quand même ! C’est sa mère qu’est avec vous alors ? | | — Ces fruits-là ! murmura Jonathan, montrant un bouquet de tiges raides, où gonflaient |
| | comme des galles de grosses boules vert pâle à veines foncées. (C’étaient des groseilles à |
| | maquereau.) |
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| — Non, juste nous deux, affirma Serge. Lui il m’attend au café, il s’soûle la gueule ! | | — Ça c’est tout dur, ah c’est mon jardin, dit la femme. Moi j’ai plus de dents, si vous en |
| ajouta-t-il avec malice.
| | voulez pour le petit, c’est pas bien mûr. Et alors tu t’appelles Serge, toi ? |
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| Mais un des garçons intervint et dit que Jonathan n’était pas un enfant, c’était un
| | — … Z’avez entendu ! s’exclama Serge en riant malgré lui. Jonathan l’aperçut coquet, |
| monsieur.
| | avec des canines gracieuses qu’il ne connaissait pas. |
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| — Ah, vous avez le chic vous ! répéta la femme. | | — Ah ici on est au courant des choses, on est forcé. |
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| — Ouais, d’abord c’est un Amerloque, décida tout à coup Serge. Et il m’a donné un tas | | — … Mais pourquoi elle est toute seule la lapine dans la cage ? |
| de dollars, cent mille dollars ! Pour aller jouer !
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| Il éclata de rire et montra le billet de Jonathan.
| | — Mon petit elles croquent leurs petits ces salopes, il faut jamais les laisser ensemble, |
| | jamais, les garces. |
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| Perdue dans cette confusion, la jeune femme résolut d’accompagner elle-même Serge
| | — Elle les mange ? c’est vrai ? Ça doit être les rats, estima Serge. Elle les mange pas ! |
| jusqu’au café.
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| — Et vous vous bougez pas d’ici vous avez compris ? ordonna-t-elle à ses fils (très | | — Et voilà ! conclut la voisine. C’est haut comme ça et ça sait tout. Elle me les croque |
| mobiles et que lui ramenaient parfois deux gendarmes, un voisin ou un commerçant). Par
| | tous je te dis : tous tous tous ! |
| précaution, elle ferma la porte à clef.
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| Jonathan n’était pas au café.
| | — Et les aut’là, ils les mangent aussi les petits ? |
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| — Il est pas là, remarqua Serge. Il était là à la table, mais c’est plus lui. Alors y a qu’à | | — Ah, ça c’est les autres, ça se pourrait oui. Tiens je vais t’en sortir un, de petit. |
| l’attendre.
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| Cette perspective ne réjouissait pas la jeune femme, qui finit cependant par apprendre de
| | Serge prit adroitement le lapereau, qui était roux et blanc, et il le pouponna avec des |
| Serge que, peut-être, son ami était « à la petite église ». La désignation de ce lieu la rassura. Et
| | gestes de fille. Il aurait bien voulu le faire courir par terre : il sentait qu’on pouvait courir, |
| c’était tout près.
| | avec ces bêtes-là. |
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| Ainsi, Jonathan eut la surprise de se voir restituer Serge par une jeune et gracieuse
| | — Il sent la paille ! dit-il. Ça sent bon ! C’est la paille ! |
| maman, dont les sabots claquèrent dans l’église comme des coups de fouet assénés à la fois
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| sur mille dos d’hérétiques. Elle était souriante et elle raconta l’histoire sans se plaindre ni
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| donner de conseils, mais au contraire en s’excusant d’avoir dû, par crainte des ennuis qui
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| arrivent toujours, renvoyer le gamin. Les façons de Jonathan rendaient souvent aimable. Et ce
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| retour abrupt de Serge l’étonnait moins que l’invitation que les trois enfants lui avaient faite :
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| il savait qu’en France on n’entre pas — et qu’on sort à peine plus. | |
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| Il estima la femme attrayante et gentille. Serge eut une autre opinion et il l’exprima | | — Il pue ses crottes oui, fais attention à ta petite chemise, dit la femme. |
| devant elle, d’un seul mot, à voix sourde. Jonathan pêcha ce mot d’une oreille et c’est à lui
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| qu’il répondit sans transition quand la jeune mère les eut quittés :
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| — Oui, mais on n’y peut rien !
| | Jonathan eut la mauvaise idée d’acheter le lapin. Ce ne fut pas facile. Tel quel, il ne |
| | valait rien. Et, par fierté, la vieille ne voulait pas le vendre au prix d’un animal adulte, bon à |
| | tuer, bon à cuire. |
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| Il n’y eut plus qu’à annuler l’hôtel et à prendre le dernier car.
| | — Mais vous me donnerez la luzerne, insista Jonathan. Le marché se conclut, avec |
| | promesse de fourrage vert et de choux montés, ils ne pommaient pas. |
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| En passant devant le magasin de jouets, Serge montra la vitrine :
| | — Te voilà un joli chanceux ! dit la vieille, effleurant le lapin et scrutant la figure de |
| | Serge. Tu vas pas me le manger tout cru au moins dis mon coquin ? Hein dis-moi donc ? |
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| — Tiens c’est ce train-là qu’ils ont, juste le même ! Ah ouais eh juste pareil !
| | Occupés à froncer du nez l’un contre l’autre, l’enfant et la bestiole ne répondirent pas à |
| | cette question, qui manquait d’un destinataire évident. |
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| Jonathan proposa de l’acheter (il avait retiré une forte liasse à la banque). Serge refusa : | | Jonathan avait déjà élevé des animaux, il saurait à peu près comment recevoir celui-là. |
| | Cette nuit, le lapin coucherait dans leur chambre, sur un peu de paille du clapier et des feuilles |
| | de chou. Demain on lui clouerait un domicile. Jonathan appréhenda qu’on l’ait sevré trop tôt. |
| | La voisine assura que non, d’ailleurs la lapine était vieille. Néanmoins, Jonathan garda l’idée |
| | que le lapereau crèverait vite. Mais ce serait après le départ de Serge, qui abandonnerait |
| | sûrement l’animal ici. |
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| — On peut pas y jouer tout seul.
| | Jonathan se réjouit de n’avoir pas encore cuisiné de lapin pour l’enfant. Pourtant, Serge |
| | aimait manger des bêtes identifiables, plutôt que des morceaux de viande sans physionomie. |
| | Le répertoire des volailles y était passé ; de jolis poissons ; des grenouilles ; des écrevisses |
| | trop courtes, pêchées en fraude, vendues en cachette. |
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| Il accepta un fusil à fléchettes, dont l’énorme cible lui avait tiré l’œil.
| | — Tu le mangerais ? demanda Jonathan. |
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| Le trajet de retour se passa gaiement, car Serge, qui avait ouvert le paquet, découvrit
| | — Tu sais pas ? dit Serge, ignorant la question, tu sais pas ce qu’on va faire ? On va le |
| que les ventouses des flèches adhéraient à la peau, si on les suçait un peu. Il s’en mit une au
| | remettre dehors ! On va le faire sortir ! |
| front, puis deux, puis trois, essaya sur les joues, grimaça pour les décoller, en remit d’autres,
| |
| et à la fin il transforma Jonathan en diable cornu. Il contempla le nouveau visage du jeune
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| homme avec un plaisir inexprimable et il le provoqua de ses propres cornes, comme un
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| chevreau qui joue.
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| Les dames du car, dont plusieurs avaient dû aller en ville pour se faire coiffer et permanenter, estimèrent, malgré le chahut du petit, qu’un sourire indulgent et des regards
| | Jonathan soupira : |
| coulés leur iraient mieux au masque, ce jour-là, qu’un air réprobateur, vu l’état distingué de
| |
| leur crâne et le rinçage bonnes-œuvres de leur tignasse cendrée ou mauve. Ensuite, le
| |
| chauffeur ouvrit la radio, et Jonathan comprit, en découvrant des haut-parleurs tout au long du
| |
| véhicule, que c’était pour les voyageurs. Ce tapage éteignit celui de Serge. Il se remit à gratter
| |
| son livre de fruits et de venins, sans s’arracher les fléchettes — qui tombèrent d’elles-mêmes
| |
| quand la salive eut séché.
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| — C’est un vélo qu’il te faudrait, dit soudain Jonathan, surpris de n’y avoir pas pensé | | — Dans la campagne… Ce serait bien, mais il ne vivra pas. Il ne pourra pas se |
| plus tôt.
| | débrouiller, il n’est pas sauvage. |
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| — Moi ? un vélo ? dit Serge. Tu m’achètes un vélo ? Pourquoi ?
| | Serge ne le crut pas. Jonathan décrivit l’état sauvage. Il proposa de réparer la clôture du |
| | jardin : ainsi la bestiole se promènerait, sans cage et sans risques. Cette demi-mesure laissa |
| | Serge, maussade, sur sa faim de liberté dans un corps de lapin. |
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| Car Serge n’y avait pas pensé davantage : peu avide de cadeaux, il ne demandait
| | — Tu le lâches si tu veux, dit Jonathan, résigné. Peut-être qu’il crèvera aussi chez nous, |
| presque jamais rien, et il fallait, dans les magasins, qu’on le lâche seul et libre comme un
| | tu sais. |
| voleur pour qu’il ait une envie.
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| — Et toi ? demanda-t-il. | | — Alors ! dit Serge. On le met dans le jardin, mais tu bouches pas les trous. Tu les |
| | bouches pas ! On met plein à manger partout, et puis voilà ! Comme ça après s’il est mort ça |
| | sera sa faute ! Hein ? on fait comme ça ? |
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| — J’en achèterai deux. Et on pourra venir ici sans prendre le car, si tu as le courage. Ce
| | Jonathan sourit et hocha la tête. |
| serait mieux.
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| Ce projet de Jonathan n’inspira pas d’images agréables au garçonnet. Il aimait bien le
| | — Oui, hein ?… Non mais dis-le eh ? Dis-le ! |
| car, lui, il ne haïssait pas la radio, et il adorait les grands-mères frisées de neuf.
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| — J’en préfère pas un, de vélo, dit-il après avoir réfléchi.}}<br>
| | Jonathan le dit.}}<br> |
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