« Quand mourut Jonathan (2) » : différence entre les versions
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Il y avait un petit kilomètre entre la maison qu’avait louée Jonathan et le village. Cet espace de bosquets, de prés, de fermes, était surtout agréable pour la mauvaise route de terre qui le parcourait. Et, vers la fin de ce parcours, il y avait des collines caressées de lumière, qui tombaient sur une rivière ombragée : il fallait se faufiler parmi les noisetiers qui s’inclinaient en travers du chemin, et dont les chatons poudraient le visage et le cou de celui qui passait là.
La maison de Jonathan était petite, comme le village était petit. Un jardinet dérisoire l’entourait : les jardins sont minuscules quand ils sont à la campagne. Et, de l’autre côté de son grillage entrecroisé de liserons, Jonathan apercevait l’étendue mouvementée et calme des champs de terre crue, les arbres faits de mille étincelles clignotant chacune à sa place, et les prés d’herbe humide qui s’animaient plus doucement que les feuilles, là-haut.
On atteignait le mois de juin.
Sans doute, la maison appartenait à un ancien groupe de fermes : car l’unique maison voisine, toute proche, était semblable à celle de Jonathan, quoique biscornue, et plus fraîche à cause de sa vétusté naïve, et plus sale. Une vieille paysanne l’occupait. Et il y avait aussi, dans le pré, les ruines d’un vaste bâtiment que le lierre et l’herbe n’avaient pas envahi : sans les touffes d’orties qui poussaient à leur pied, plus hautes et plus serrées que des fougères, ces murs auraient pu s’élever, jaunes, raides, échancrés et friables, au milieu d’un désert bleu écrasé de soleil.
Une lettre avait annoncé à Jonathan la visite de Barbara et de Serge, son fils. Il les avait connus par un ami, dix-huit mois plus tôt. Il les avait fréquentés à cause du garçonnet. Cela se passait à Paris ; Serge avait alors six ans et demi, Jonathan vingt-sept ans.
L’enfant et l’homme s’étaient, à leur façon, beaucoup aimés. Cependant Jonathan, que mille difficultés rebutèrent, avait bientôt quitté Paris pour se réfugier dans ce coin de campagne, d’ailleurs sans rompre avec personne.
Depuis, il ne parlait plus, répondait rarement aux lettres, ne recevait pas d’amis, et sa vie intime se réduisait à des caresses solitaires sur des souvenirs qui l’étaient moins. Il travaillait peu, composant seulement quelques dessins à l’encre ou à la mine de plomb. Sa galerie lui en donnait d’assez bon argent, que Jonathan n’employait pas.
L’idée de revoir Serge le bouleversa. Barbara abandonnerait le garçonnet une semaine, ferait un petit voyage au sud et le reprendrait à son retour. Libre de mari, elle se soulageait aussi de Serge ici et là, car elle aimait vivre en fille. À l’époque où Jonathan habitait Paris, il gardait donc l’enfant et ils dormaient ensemble ; le matin, il le lavait, l’habillait, le conduisait à l’école. Leur amitié était si étrange que Barbara fut soulagée quand Jonathan battit en retraite. Serge, très coléreux avant de connaître Jonathan, s’était montré doux avec lui, mais pour lui seul. Après son départ, il devint renfermé et passif. Cela convenait à Barbara.
Jonathan se demanda pourquoi elle osait lui confier à nouveau le petit. Cela ressemblait à un marché. Barbara était souvent à court d’argent et Jonathan, s’il en avait le moyen, l’aidait sans réticence. Deux mois plus tôt, il lui avait consenti un prêt qui n’en était pas un, car il ne savait pas prêter. Barbara l’avait remercié en deux feuillets de bavardage, où l’unique singularité était un passage à propos de Serge : car ses autres lettres ne parlaient jamais de l’enfant.
Ce don inattendu avait intrigué Jonathan. J’espère que tu te rappelles de temps en temps mon adorable fils ! !… Lui a l’air de t’avoir vraiment oublié ! ! ! !… Je lui parle de toi — on voulait même aller à ta fameuse expo en décembre !… Non ça n’intéresse pas monsieur… Remarque à son âge on oublie vite c’est peut-être mieux tu trouves pas… Mais tu ne sais même pas qu’il est tellement adorable maintenant ! ! ! !, écrivait Barbara, dans son langage de traits et de points. Elle ajoutait que Serge se disciplinait enfin à l’école, l’adorait, elle, de plus en plus, se réfugiait dans son lit à elle le soir, un vrai petit amant ; il devenait pleurnichard, mais si gentil. Et puis vraiment j’aime mieux ça que quand il cassait tout dans la baraque ! !… Ah ces enfants !…
Ces nouvelles glorieuses avaient désespéré Jonathan.
Quant à la lettre qui promettait le séjour du fils, elle évoquait aussi l’embarras d’argent où la mère se trouvait. La manœuvre était si outrée que Jonathan craignit qu’en réalité Barbara ne vînt seule.