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''[[Quand mourut Jonathan (38)|précédent]]''<br><br>
{{Citation longue|Et Serge rayonnant déroula son œuvre et commença à expliquer les dessins.
{{Citation longue|Il y eut un bruit de moto devant la porte. Jonathan l’entendit de sa chambre. Le motard
klaxonna, et la machine fit silence. Quelqu’un appela Jonathan.


« Ici, il y a une montagne. C’est le mont Blanc. Elle est toute ronde, et c’est quelqu’un
Quand le jeune peintre apparut dans le jardin, le motard avait retiré ses gants, son
qui est assis dessus. Il a une jambe de chaque côté. Il regarde s’il fait beau. En bas, il y a les
casque, ouvert son blouson, et il franchissait la porte de grillage. C’était Simon. Serge n’était
vaches. Elles font du fromage ! C’est tous les tas à côté, le fromage. C’est des gros
pas avec lui,
camemberts, ils coulent. Après, il y a quelqu’un habillé en mouton, il regarde le fromage, il a
un bâton, il surveille pour qu’on le vole pas. Là, c’est l’eau dans la montagne, elle descend,
comme un escalier, c’est une cascade. Et c’est un éléphant qui boit ! Il est plus petit que les
vaches. Ça fait rien, parce qu’il y a pas d’éléphants sur le mont Blanc, je sais bien ! Là y a des
fleurs. J’ai mis le soleil parce qu’il fait beau. Lui aussi il est trop petit, mais j’avais plus la
place, alors je l’ai refait à côté, à cause de la tête du bonhomme sur la montagne. C’est pour
ça qu’y en a deux, des soleils. Ça déborde !


Tu comprends, il veut descendre maintenant. Mais il a peur, mais j’ai mis tous les
Si, Serge est là : sur le chemin, un garçon, visage tourné vers la moto, défait les
nuages par-dessus parce que je sais pas dessiner quand il a peur. Vaut mieux regarder après.
courroies d’une valise de luxe, assez petite, qui est accrochée à l’arrière. Un grand sac de
On dirait qu’il va pleuvoir.
sport, bleu, au cordon très effiloché, est déjà posé contre une roue.


Maintenant y a un sous-marin qui est sorti, là. C’est plus la même histoire mais ça
Un garçon long de jambes et de cou, long et souple comme une fille, un garçon,
continue, maintenant la montagne est verte et le bonhomme est tout petit, il s’accroche au
quelqu’un des villes et des immeubles.
bout mais c’est trop pointu, alors ça se casse.


Il le reçoit dans la figure. Je sais pas pourquoi il y a le sous-marin. Ça, c’est la queue
Jonathan regarda cet inconnu sans oser se montrer. Ce n’était pas Serge. Son cou, ses
d’une seule vache, pour pas tout dessiner, on voit plus les fromages non plus, c’était bête.
avant-bras brillants, avaient une teinte différente, blanche, délicate. Ses cheveux descendaient
sur la nuque et bouclaient vaguement. Son dos était étiré, et ses épaules un peu maigres. Il
semblait très soigné.


, le sous-marin il a des voiles comme un bateau, et il y a de l’eau partout autour de la
Jonathan toucha à peine la main de Simon, rentra avec lui dans la cuisine, et ne parvint
montagne. , c’est les têtes des poissons qui sortent de l’eau. Là le capitaine il regarde avec
pas à sourire. L’idée que Serge, d’ici quelques secondes, allait être là, passerait cette porte,
une jumelle et puis il pêche en même temps. Parce que je l’avais fait en train de pêcher, à
avec ses nouveaux cheveux, sa nouvelle taille, sa nouvelle démarche les épaules, les
cause de l’eau, je me suis trompé, parce que ça se peut pas : alors j’ai mis l’autre bras il
hanches, les mains, avaient une nouvelle place, remplit Jonathan de terreur.
regarde dans la jumelle, mais j’ai oublié d’enlever le bras où il pêche. Il travaille beaucoup, on
dirait, si on voit comme ça !


Là après, c’est juste pour voir sous l’eau. C’est juste l’eau. C’est le sable au fond. C’est
Il n’avait pas vu Simon depuis au moins deux ans ; curieusement, les lettres qu’ils
d’autres poissons. C’est les fleurs de la mer. »}}<br>
avaient échangées avaient établi entre eux une familiarité, une sympathie qui n’existait pas
avant. Et Simon, homme marié désormais, en paraissait moins bête et moins falot. Il goûta le
vin blanc. Il était exalté d’avoir monté le petit chemin à moto. Et deux heures et demie depuis
Paris.
 
— Est-ce qu’on a le droit de rouler avec… dit Jonathan, imaginant Serge assis derrière
son père sur la moto.
 
— Oh je sais pas. Tu sais… De toute façon il a pris le train lui, moi je l’ai pris à la gare,
on n’a fait que les huit kilomètres tous les deux. Huit kilomètres du patelin ! T’habites
vraiment pas loin toi !… Non, il adore ça la moto, on en fait un peu le dimanche, il aurait bien
fait tout le voyage comme ça. Ben c’est pas faisable avec tous les bagages. Maintenant, si
c’est autorisé, moi, je te dis… Je sais pas.
 
Et Serge entra. Il ne baissa pas les yeux : il sembla cependant éviter de regarder
Jonathan. Il lui serra la main d’une main absente. Puis il posa sur la table un énorme casque
de motard, vert brillant, décoré de brisques blanches et rouges, à visière fumée, à jugulaire de
flic.
 
Il s’assit nonchalamment près de son père. Il était détendu, avec un vague sourire léger,
un sourire de fierté légère et vague, rien. Jonathan fut stupéfait de sa beauté, ou de ce qu’il
jugea tel. Mais pourquoi lui, Serge ? Cette beauté était en trop — et cet air de jeunesse, ce
visage aérien, trop limpide, que n’ont pas les petits enfants.
 
Plus grand, plus haut, mais moins dense. Désincarné. Diaphane. Jonathan se sentit
défait, boursouflé, marqué de maladie et de solitude. Il détournait les yeux, il était sûr de
n’avoir plus de regard, seulement deux choses sales, fatiguées et usées, qui n’expriment rien,
qui épient honteusement.
 
Il présenta du whisky, du coca. Simon accueillit l’alcool et s’exclama. Ses avant-bras
avaient beaucoup gonflé ; il avait de la graisse à la taille.
 
— Tiens, va ranger tes affaires, dit-il à Serge. Le garçon obéit instantanément et
disparut avec la valise de luxe et le vieux sac de sport.
 
Cela surprenait Jonathan de voir Serge obéir : ou plutôt de voir Simon commander si
aisément, si naturellement, en patron bonasse, à un être qui eût dû l’intimider, l’impressionner,
le rendre muet de crainte, d’humilité, d’admiration.
 
— Il n’a pas tellement grandi, pensa Jonathan. C’est l’impression du début, parce qu’il a
changé de proportions, de formes.
 
Mais les pas dans l’escalier allaient vite. Serge montait les marches deux à deux, malgré
son fardeau. Là-haut, le silence fut complet : on aurait dû entendre l’armoire craquer.
 
— Il n’a pas vu le lit en bas, se dit Jonathan. Ou alors il l’a vu, mais il ne sait pas si c’est
pour lui. Il hésite, il ne défait pas ses trucs. Cette valise de jeune cadre. Quand son père sera parti, il redescendra tout.
 
— Je n’oserai jamais habiter avec ce gosse, pensa-t-il encore. Je ne pourrai pas. Je ne
peux pas.
 
Simon semblait très satisfait de la vie.}}<br>
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Il y eut un bruit de moto devant la porte. Jonathan l’entendit de sa chambre. Le motard klaxonna, et la machine fit silence. Quelqu’un appela Jonathan.

Quand le jeune peintre apparut dans le jardin, le motard avait retiré ses gants, son casque, ouvert son blouson, et il franchissait la porte de grillage. C’était Simon. Serge n’était pas avec lui,

Si, Serge est là : sur le chemin, un garçon, visage tourné vers la moto, défait les courroies d’une valise de luxe, assez petite, qui est accrochée à l’arrière. Un grand sac de sport, bleu, au cordon très effiloché, est déjà posé contre une roue.

Un garçon long de jambes et de cou, long et souple comme une fille, un garçon, quelqu’un des villes et des immeubles.

Jonathan regarda cet inconnu sans oser se montrer. Ce n’était pas Serge. Son cou, ses avant-bras brillants, avaient une teinte différente, blanche, délicate. Ses cheveux descendaient sur la nuque et bouclaient vaguement. Son dos était étiré, et ses épaules un peu maigres. Il semblait très soigné.

Jonathan toucha à peine la main de Simon, rentra avec lui dans la cuisine, et ne parvint pas à sourire. L’idée que Serge, d’ici quelques secondes, allait être là, passerait cette porte, avec ses nouveaux cheveux, sa nouvelle taille, sa nouvelle démarche où les épaules, les hanches, les mains, avaient une nouvelle place, remplit Jonathan de terreur.

Il n’avait pas vu Simon depuis au moins deux ans ; curieusement, les lettres qu’ils avaient échangées avaient établi entre eux une familiarité, une sympathie qui n’existait pas avant. Et Simon, homme marié désormais, en paraissait moins bête et moins falot. Il goûta le vin blanc. Il était exalté d’avoir monté le petit chemin à moto. Et deux heures et demie depuis Paris.

— Est-ce qu’on a le droit de rouler avec… dit Jonathan, imaginant Serge assis derrière son père sur la moto.

— Oh je sais pas. Tu sais… De toute façon il a pris le train lui, moi je l’ai pris à la gare, on n’a fait que les huit kilomètres tous les deux. Huit kilomètres du patelin ! T’habites vraiment pas loin toi !… Non, il adore ça la moto, on en fait un peu le dimanche, il aurait bien fait tout le voyage comme ça. Ben c’est pas faisable avec tous les bagages. Maintenant, si c’est autorisé, moi, je te dis… Je sais pas.

Et Serge entra. Il ne baissa pas les yeux : il sembla cependant éviter de regarder Jonathan. Il lui serra la main d’une main absente. Puis il posa sur la table un énorme casque de motard, vert brillant, décoré de brisques blanches et rouges, à visière fumée, à jugulaire de flic.

Il s’assit nonchalamment près de son père. Il était détendu, avec un vague sourire léger, un sourire de fierté légère et vague, rien. Jonathan fut stupéfait de sa beauté, ou de ce qu’il jugea tel. Mais pourquoi lui, Serge ? Cette beauté était en trop — et cet air de jeunesse, ce visage aérien, trop limpide, que n’ont pas les petits enfants.

Plus grand, plus haut, mais moins dense. Désincarné. Diaphane. Jonathan se sentit défait, boursouflé, marqué de maladie et de solitude. Il détournait les yeux, il était sûr de n’avoir plus de regard, seulement deux choses sales, fatiguées et usées, qui n’expriment rien, qui épient honteusement.

Il présenta du whisky, du coca. Simon accueillit l’alcool et s’exclama. Ses avant-bras avaient beaucoup gonflé ; il avait de la graisse à la taille.

— Tiens, va ranger tes affaires, dit-il à Serge. Le garçon obéit instantanément et disparut avec la valise de luxe et le vieux sac de sport.

Cela surprenait Jonathan de voir Serge obéir : ou plutôt de voir Simon commander si aisément, si naturellement, en patron bonasse, à un être qui eût dû l’intimider, l’impressionner, le rendre muet de crainte, d’humilité, d’admiration.

— Il n’a pas tellement grandi, pensa Jonathan. C’est l’impression du début, parce qu’il a changé de proportions, de formes.

Mais les pas dans l’escalier allaient vite. Serge montait les marches deux à deux, malgré son fardeau. Là-haut, le silence fut complet : on aurait dû entendre l’armoire craquer.

— Il n’a pas vu le lit en bas, se dit Jonathan. Ou alors il l’a vu, mais il ne sait pas si c’est pour lui. Il hésite, il ne défait pas ses trucs. Cette valise de jeune cadre. Quand son père sera parti, il redescendra tout.

— Je n’oserai jamais habiter avec ce gosse, pensa-t-il encore. Je ne pourrai pas. Je ne peux pas.

Simon semblait très satisfait de la vie.


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