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Première partie du '''texte intégral''' de '''''[[Narayana (Narayana Nair)|Narayana]]''''', « roman [[tantrisme|tantrique]] » attribué à Narayana Nair.<ref>La division du texte en six parties est réalisée ici de façon arbitraire et pour des raisons de commodité propres à BoyWiki. Elle ne figure pas dans l’œuvre originale.</ref>
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Version du 16 septembre 2013 à 21:31

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Première partie du texte intégral de Narayana, « roman tantrique » attribué à Narayana Nair.[1]


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Je me nomme Narayana, nom tiré de nos « shastra » ou Écritures Saintes. Je suis de race tamoule et le tamoul, la langue des dieux et des poètes, est la seule dans laquelle, même aujourd’hui, je sache m’exprimer. Je suis déjà avancé en âge et mon plus vif regret sera de quitter cette existence avec aussi peu de connaissances pour affronter une autre réincarnation.

J’appartiens à la caste Nair ; mon nom complet est donc Narayana Nair.

Les Nair descendent d’une ancienne caste militaire, comme les Kamman du pays Talugu, voisin du mien. Sans être des nobles, les Nair étaient admis auprès de la haute caste et les filles Nair étaient prises par les Brahmanes eux-mêmes comme épouses, sans déchoir. La succession chez nous, Nair, va aux frères par la mère et aux fils par leurs sœurs.

Le mariage n’est pas, chez les Nair, obligatoire comme il l’est dans la plupart des autres castes hindoues. Est-ce à ce sujet ou pour d’autres raisons qu’on nous a fait une réputation d’immoralité, je ne sais.

Chez nous, on est naturel tout simplement. La preuve en serait dans le fait que venant d’un passé militaire, les Nair sont aujourd’hui d’humbles cultivateurs pour un grand nombre et ne répugnent pas aux besognes matérielles ; celles qui, justement, sont considérées comme impropres dans d’autres castes peut-être plus élevées mais, à mon avis, plus viles.

Mes parents étaient donc des « shamushari » ou fermiers. Ils eurent de nombreux enfants mais je ne connus pas tous mes frères et sœurs car certains furent enlevés tôt à notre affection, par suite de maladies ou, je le dis franchement sur le tard, à cause d’un manque de soins résultant de l’ignorance.

Notre village est Puddukal sur la rive d’un affluent du fleuve Vellar, lequel se jette dans le Golfe du Bengale (selon l’appellation européenne) bien au sud de Madras et de Pondichéry. La seule agglomération de quelque importance, la plus proche, dans l’intérieur est Attur.

C’est à Attur que, pour honorer les dieux locaux, on rassemble chaque année des buffles réservés aux dieux. On en choisit un, on le pare ensuite de guirlandes de « mali » (jasmin) et de fleurs jaunes (couleur sacrée), puis le chef de la famille du sacrificateur élu précédemment immole le buffle par trois entailles à la gorge.

Comme tous dans nos régions, j’appartiens à la religion Brahmanique et nous avons une vénération particulière pour Shiva, le créateur et le destructeur. Tous les ans, notre modeste village connaissait les célébrations rituelles qui me remplissaient toujours d’admiration et d’effroi.

C’était la fête de Gauri (en septembre) en l’honneur de l’épouse de Shiva ; c’est aussi celle des dieux du foyer et de tout ce qui lui appartient. On rassemble les instruments aratoires pour les purifier.

Lors de la fête d’Ugadi (en mars) avec ses feux de joie, on rend visite aux parents et aux amis auxquels on porte des présents et dont on en reçoit. Cette fête est aussi celle des Lingayat, ou fervents du Lingam (emblème mâle). Les Lingayat se purifient le sexe, ce jour-là.

Citerai-je encore la « fête des lanternes » ou « fêtes des lumières », Dipavali (en octobre-novembre) où chaque maison s’orne de veilleuses d’huile de coco ; on chante et un grand cortège se déroule dans le village.

Pour nous autres, cultivateurs, la fête la plus marquante est celle de Pongul (solstice d’hiver) ; elle dure trois jours. Pour les hommes, c’est une grande joie que d’assister au bain des femmes du village qui doivent se plonger habillées dans l’eau avant la cuisson du riz. Ce jour-là, la cuisson du riz est presque sacrée, nous disons « pongaradu » pour « faire bouillir le riz » d’où le nom de la fête.

Le troisième et dernier jour, on peint les cornes des vaches, on leur passe des guirlandes fleuries et on les conduit gaiement aux pâturages en jouant de la flûte et de la « vina » (sorte de guitare). C’est là, dit-on, une réminiscence du cortège des dieux dans l’ancien temps, celui de Krishna sans doute. On termine la fête de Pongul par un cortège dans le village, naturellement.

Mon village possède un petit temple dédié à Shiva. C’est un bâtiment bas. En son centre, une cour sépare le portique d’entrée d’un autre corps de bâtiment plus petit qui est la demeure de l’image du dieu.

L’officiant attaché au temple loge non loin de l’entrée que flanquent des « gardiens » ou des « vigilants », sortes de géants grimaçants faits de maçonnerie et qui ont toujours eu l’aspect dépeint. Personne ne paraît se soucier de l’aspect délabré de ces personnages et du temple lui-même. Il aurait fallu beaucoup d’argent sans doute pour restaurer l’ensemble et nous n’en avions pas.

Je suis donc un Dravidien, ou Hindou à peau noire. On dit que nous sommes l’une des plus belles races du monde. Robustes, bien découplés, la poitrine développée, les hommes ont un air fier et s’expriment d’une voix forte. Leurs traits sont fins et leur chevelure abondante relevée en un chignon. Certains se rasent le haut du front.

Les femmes, chez nous, ne sont pas considérées comme les égales des hommes mais elles sont respectées et leur autorité est sans conteste. Elles aussi ont la taille élancée, leur port est élégant. Ce sont elles qui portent toute la petite fortune de la famille en bracelets aux bras et aux chevilles, en bagues aux doigts et aux orteils, jusqu’au bijou serti dans la narine. Rien d’étonnant à ce que, parfois, elles tombent victimes de Kullar (secte des voleurs). Combien de filles aussi ne se méfient pas assez des Tiyan, ou ceux qui appartiennent à la caste des tireurs de vin de palme, infréquentables, et fourbes.

Il fait très chaud dans le Sud de l’Hindoustan et les besoins, du moins autrefois et encore de mon temps, ont toujours été fort réduits, aussi les hommes vont-ils presque toujours nus, sauf une bande d’étoffe à la ceinture et passant dans l’entrejambes dont un pan retombe par-devant à peine à mi-cuisse.

Les jours de cérémonie, on porte le « dhoti » qui descend du torse, drapant le bas du corps, tout en laissant à découvert une jambe, lors de la marche. Un pan d’étoffe drape également une partie du buste et on porte aussi un turban qui, chez nous, n’est pas un ornement distinctif comme dans le Nord, mais une simple protection contre l’ardeur du soleil.

Les femmes aiment naturellement à revêtir des étoffes bariolées mais ce n’est pas tout à fait le sari des régions du Nord. La couleur rouge, ou le bas du tissu teint de rouge, est en grande faveur aussi bien chez les femmes que chez les hommes.

Puisque je parle de façon de se vêtir, il faut que je rapporte ici le scandale que fit, un jour, un grand frère à son arrivée au village. Il avait un emploi dans une ville côtière, probablement chez des étrangers, car il en avait adopté la mise ridicule. Il se vit entouré de curieux, et il y avait de quoi, dès son arrivée. Les gosses accouraient de partout pour jouir de son accoutrement.

Il portait un turban rouge, mais ses cheveux étaient courts ce qui « marquait » fort mal d’abord. Son costume, tout blanc, était en deux parties : le haut l’enserrait de toutes parts et ses mains seules sortaient de « tuyaux », il expliquait que l’on ouvrait le tissu raide par-devant au moyen de ce qu’il appela des « boutons ».

Le bas était semblable mais adapté aux jambes qui, chacune, était prise dans un « tuyau » ne laissant que les pieds à découvert. Le plus drôle est qu’il était tout fier de ce déguisement invraisemblable dont il ne tarda pas à se dépouiller pour se mettre comme tout le monde, aux trois quarts nu.

C’est alors qu’il eut honte de ses cheveux courts. Nous, gamins, nous n’avions cesse de lui demander de mettre et d’enlever ses « fourreaux » comme nous appelions son costume. Il nous refusa ce spectacle.

Les modes occidentales étaient, on le voit, totalement inconnues. Nos villages n’avaient que fort peu de relations entre eux, à plus forte raison avec les agglomérations côtières, monde que nous ignorions.

Mon village, aux toitures de chaume ou de feuilles tressées de palmes, ne comprend d’ailleurs que des constructions frustes en terre pétrie, en cubes ou mottes de glaise séchées au soleil. Les parois extérieures et intérieures sont enduites d’une boue de teinte plus claire, blanche de préférence.

Les plus pauvres Pulayan (cultivateurs de basse caste, très inférieurs aux Panan ou guérisseurs) gîtent dans de véritable tanières. Dans chaque demeure, le foyer est à même le sol, orienté au Sud-Ouest. L’eau, nous la puisons à la rivière ; c’est là aussi que, chaque jour, les villageois procèdent à leurs ablutions.

C’est la bouse du bétail, des brindilles qui constituent notre combustible. Les cocotiers, qui abondent, pourvoient à mille besoins ménagers. Chacun dispose de plus ou moins de sol arable ou « vayal ».

Mes parents, sans doute plus à l’aise, en possédaient en propre, mais nombreux étaient ceux qui en étaient réduits à cultiver des parcelles pour un propriétaire auquel ils étaient tenus d’acquitter chaque année une redevance équivalant à deux tiers de la récolte.

Le pays est légèrement ondulé jusqu’aux lointaines collines de Shemarol qui se profilent à l’Ouest par delà le moutonnement des palmes et autres arbres, dont les manguiers. Peut-être ce paysage ne présente-t-il aucun attrait, je ne sais ! Pour moi, toute mon enfance, toute ma jeunesse n’ont pas connu d’autre cadre, c’était mon seul monde.

C’est là que j’ai grandi auprès des miens et avec les autres enfants du village, mes « kuttali » (copains). Je n’ai souvenir que de très rares querelles sans gravité, de rivalités à peine aiguisées, tant nous étions tous égaux dans notre dénuement relatif ou réel, notre nudité constante, nos aspirations identiques, simples et limitées.

Les repas étaient toujours les mêmes. Selon la coutume, une ablution était de rigueur avant de toucher au « shoru » (riz cuit) et là encore devait-on veiller à ne porter qu’une seule main, la main pure. L’autre main, ayant servi à la toilette, aux soins intimes, était impure et aurait souillé la nourriture.

Le « shoru » s’accompagnait généralement d’« adukiray » ou fritures à l’huile de coco, et de condiment. Il y avait parfois des galettes, genre de « reti » (pain indien fait d’une « feuille » de pâte cuite, de forme ronde). Nous consommions beaucoup de fruits : bananes et mangues principalement.

La vie s’écoulait donc saine et monotone au rythme des saisons.

Nous dormions à même le sol sur des « paï » ou nattes, éparpillées dans tous les coins de la pièce. Une paroi de bambous tressés nous séparait, hommes et garçons, des femmes ainsi que de mon père et ma mère qui reposaient à l’écart.

Vaquant à de menues tâches à longueur de jour, je retrouvais les mêmes petits camarades. Nous avions notre propre univers, fait de dures réalités, embellies par les travaux que nous imposait notre imagination. Il y avait la garde du bétail, la pêche, le ramassage de tubercules, de bois, de noix de coco, de fruits ; c’était aussi des « expéditions », la confection maladroite d’objets indéfinis mais dont certains étaient prétendus posséder des pouvoirs magiques.

Nous ne manquions pas non plus de rendre visite à une petite chaumière située à quelques centaines de mètres du village proche de la rivière. Les manguiers épais, les plumets des aréquiers entouraient de leurs ombrages cette case de pisé, au toit de paillotte.

Dans l’unique pièce de cette retraite fraîche et propre, vivait un sage, un saint ; il nous paraissait tellement supérieur que nous l’assimilions à un « rishi », c’est-à-dire à un saint de l’ancien temps.

Le village le respectait et veillait à ce qu’il ne manquât de rien. C’est-à-dire qu’on le nourrissait. La tâche journalière de lui porter sa subsistance nous incombait, à nous enfants.

Il ne vivait cependant pas tout à fait seul, car il y avait toujours là un suivant, un adepte volontaire, un « chela » (ou élève) gourou qui tenait le local et ses abords propres tout en glanant un peu du savoir du « gourou » ou maître.

Pour tous biens, le sage ne possédait qu’une écuelle de bois, un « chembu » ou vase en cuivre, ainsi qu’un « kudan » ou sorte de petite urne, également de cuivre, pour l’eau de boisson. Rien d’autre.

Il vivait là entièrement nu. Sa couche était une planche un peu surélevée, recouverte d’une natte, au fond de la pièce presque face à l’entrée, unique ouverture. De jour, il siégeait là accroupi, les jambes croisées.

Chaque jour, donc, nous apportions les dons des villageois. Nous les remettions à son suivant qui s’effaçait. Nous nous inclinions alors les mains jointes puis nous nous accroupissions sur le sol face au sage.

Il nous donnait alors des conseils sur la manière de nous conduire, nous questionnait aussi ; il récitait des « mantram » ou prières que nous répétions docilement après lui, il nous reprenait quand il le fallait.

Il nous racontait parfois des histoires où les dieux se mêlaient aux humains. Nous étions trop ignorants alors pour deviner qu’il paraphrasait là des poèmes épiques et des épopées.

Il avait une voix chaude et douce. Une ineffable bonté s’exhalait pour ainsi dire de cet homme, mystérieux à nos yeux d’enfants. Mystérieux par son attitude hiératique, son calme infini, son regard ardent.

Sa nudité absolue ne pouvait nous surprendre. Sa position même dissimulait le sexe aux regards qui auraient pu se glisser à cet endroit.

Il ne pouvait être de caste brahmane en raison de l’absence de tout cordonnet sacré de cinq fibres de coton que les brahmanes portent sur l’épaule gauche et qu’il nouent à la ceinture. Peu importaient ses origines à nous autres, gamins. Pour les villageois, il était hors du monde habituel, donc supérieur.

Je ne me lassais pas de le contempler. Je voyais en lui une personnification du dieu Shiva lui-même sans les multiples bras, ou mieux encore un Hari, soit Krishna, dont il nous parlait souvent.

Quel pouvait être son âge ? Une trentaine d’années à l’époque, si mes souvenirs sont exacts. On le disait le chela favori d’un vieux sage qu’on avait toujours connu là et auquel il avait assuré les derniers rites, comme un fils pieux et respectueux qu’il était devenu. On ne savait d’où était venu le vieux saint, on ne se préoccupait point de connaître les origines de celui que l’on considérait comme son successeur.

On continua à apporter de la nourriture à l’ermitage ; les enfants ne cessèrent point de s’y rendre. Les qualités que l’on découvrait dans l’héritier du vieux maître n’étaient-elles pas, par surcroît, la marque d’une réincarnation ?

Outre une grande sagesse et une austérité déjà bien connue, le jeune sage était doué de dons particuliers ou de certains pouvoirs qui paraissaient obscurs à notre entendement enfantin.

J’étais sans doute plus naïf ou plus crédule que mes camarades, car j’étais fasciné par l’être mystérieux auquel je me plaisais à attribuer des miracles. Sa personnalité devait certainement exercer sur moi un attrait indéfinissable car je ne pouvais détacher mes yeux de lui.

Il était pour moi l’homme le plus « alagiya » ou beau physiquement que l’on pouvait imaginer. Je n’avais cependant que des notions extrêmement indécises sur les canons physiques et j’avais bien peu d’éléments de comparaison.

Sa peu n’était-elle pas de même couleur sombre que la mienne et celle de mes frères, mais ce qui me frappait c’était le poli de cette peau sans l’ombre d’un poil, même à la poitrine comme celle de nombreux Tamouls.

Et la manière dont il était éclairé au fond de la petite pièce le faisait ressembler à une statue aux formes modelées soigneusement par un artiste inspiré de Shiva.

Il portait généralement les cheveux longs, répandus sur les épaules. Sa taille allait en s’amincissant et la chair ne reprenait en volume qu’aux cuisses. Seules, les jambes se fonçaient de longs poils soyeux. Accroupi, il tenait le buste très droit, mains appuyées aux cuisses, sa poitrine bombait et selon la lumière il paraissait avoir des seins de jeune fille.

Plus je le contemplais, plus je détaillais tout son corps, plus il paraissait s’enfoncer dans la paroi blanche du fond, s’y insérer comme dans une niche. Grâce à ce recul, il grandissait, alors que sa voix se faisait en moi plus lointaine.

Ses propos semblaient énoncés par des voix célestes et dans le firmament de son visage luisaient les deux étoiles de ses yeux. Un compagnon me tirait bientôt de ma somnolente rêverie.

Le « rishi » nous enseignait verbalement les premiers principes de toutes choses et il nous posait de simples problèmes avant que nous le quittions. Nous devions lui apporter la solution le lendemain.

C’était des questions de partage de fruits entre plusieurs personnes, avec des prêts, des retraits, le fruit mangé par un singe, un autre tombé à terre sans qu’on s’en aperçût ; et il fallait dire combien finalement il restait de fruits à celui auquel ils étaient destinés. Nous sortions en silence. Ce n’est qu’aux abords du village que le naturel reprenait ses droits sur nos esprits volages.

Nous n’étions cependant pas inconscients de la forte impression que cet homme si proche et pourtant si loin de nous faisait sur nos jeunes esprits. Au cours des ans, sa marque devait à des degrés divers rester imprimée chez beaucoup d’entre nous. Je dois bien avouer dès maintenant que, pour des raisons inconnues, je devais en être le plus influencé.

*  *  *


L’inconstance de la jeunesse, l’exigence des parents, firent que peu à peu mes camarades espacèrent leurs visites au « rishi ». Il avait heureusement un chela qui satisfaisait aux menues besognes et qui venait même au village chercher la pitance quotidienne.

Il se ceignait alors d’une étoffe, car, à l’imitation du maître, il était entièrement nu une fois à l’ermitage ou aux alentours. J’aurai occasion de reparler de ce grand jeune homme dont la présence me causait toujours une inexprimable gêne.

Comme je l’ai dit, ma famille pouvait passer pour plus à l’aise que d’autres et, de plus, j’avais de nombreux frères et sœurs, du moins appelais-je ainsi les cousins et cousines aussi. Je n’étais donc pas soumis aux obligations qui prenaient le temps de mes compagnons. Je n’avais aucune raison d’espacer mes visites au sage.

Je continuai donc à lui apporter du riz préparé que je remettais à l’énigmatique chela. Je détournais les yeux de son corps nerveux pour les tourner avec amour vers celui du maître et je m’accroupissais à ses pieds. D’autres garçons, plus jeunes, m’entouraient maintenant.

J’avais donc sur eux l’ancienneté et, sans faire étalage d’un savoir que je savais fort modeste, je pouvais me permettre de hasarder des questions, tout d’abord timides puis plus assurées. J’étais sans contredit le plus fidèle parmi tous ceux qui avaient fréquenté le sage.

J’ai dit que mes regards se portaient vers lui — et sur lui — avec « amour ». Je ne vois pas d’autre terme pour dépeindre les sentiments qui m’animaient. Ne me témoignait-il pas toute sa bonté, ses prunelles ardentes semblaient bien ne brûler que pour moi, certains jours.

Et je subissais une fascination sans cesse renouvelée de celui qui était pour moi un dieu descendu sur terre, tout rayonnant de santé, de beauté, de douceur ; de celui dont la sagesse était sans limites, la patience inlassable. Tout ce que je savais venait de lui. Et lui allait souvent au-devant des pensées de son petit auditoire.

À la maison, je constatai l’étonnement avec lequel on voulait bien prêter oreille à mes dires. Je fus plus surpris encore quand mon vénérable père me demanda conseil à une ou deux reprises, alors que je n’étais pas majeur. On m’encourageait ainsi tacitement à continuer mes visites à l’ermitage. La renommée du sage n’était du reste point surfaite, ainsi que l’exemple suivant peut le démontrer.

Un jour, un certain Ramisamy, cultivateur d’un hameau voisin, possédant quelques biens, vint rendre hommage au « rishi ». À peine avait-il terminé les salutations et les gestes d’usage que le sage s’adressa à lui en ces termes :

— Ah, Ramisamy, mon frère, je vous attendais depuis environ une lune. Oui, vous vous êtes rendu à mon message. Votre femme et vous ne cessez, je le sais, d’être en désaccord sur le pénible sujet de votre fille. Ne la refusez pas en mariage à l’homme qui la convoite mais qui n’est pas de votre choix. Il n’a cure de biens. Alors que celui auquel vous la destinez nourrit de fâcheux desseins. Votre fille souffre de l’incertitude et je souhaiterais que vous n’ayez de raison d’en être attristé. Croyez-m’en, l’époque propice est imminente, tout sera favorable, ne laissez pas échapper ce qui ne reviendra plus.

Ramisamy, comme l’on pense, était abasourdi. C’était en effet le but de son voyage.

Naturellement, le Sage se défendait de connaître les secrets des astres puisqu’il n’appartenait point à la caste des astrologues.

— Ce que j’énonce me vient naturellement, disait-il.

On le consultait donc sur le sort qui attendait un nouveau-né dans la vie. Il consentait à accorder des pronostics pour un voyage ou les récoltes, la date d’une célébration ; mais ce sont surtout ses enseignements et ses conseils que l’on prisait.

À notre égard, le Sage, sans déclarer qu’il était incapable de connaître ce qui se tramait en chacun de nous, nous disait :

— « Shinavan » (Garçons), vous logez en chacun de vous un « Kurangu » (petit singe) qui saute de branche en branche et que vous laissez vagabonder dans une ramure touffue. Il ne vous sert à rien tant qu’il ne sera pas dressé et docile à vos ordres.

Mon assiduité ne s’était donc pas ralentie auprès de celui que je me plaisais désormais à dénommer Maître. Le sérieux de mes propos m’attirèrent des remarques de la part de certains compagnons de naguère.

Le plus grand et le plus turbulent de notre ancienne petite bande, Pounousamy, m’avait même affublé du sobriquet de « chela ». Il ajoutait moqueusement que j’avais sans doute fait vœu de célibat ou que l’on m’avait châtré.

Pounousamy avait été surnommé « Yerudhu » ou le Taureau. J’en dirai plus tard la raison. Il était plus âgé que moi et surtout de plus forte constitution. C’était un garçon agité, indocile, qui vagabondait, entraînant d’autres garçons avec lui. C’était au point que maints villageois disaient d’eux qu’ils pourraient bien devenir « Kullar » (caste de voleurs) et qu’il faudrait leur raser la moitié du crâne en signe d’infraction aux coutumes de leur propre caste.

Tard, un après-midi, alors que je venais de quitter le Maître, je rencontrai Pounousamy. Il me parut même que le « Taureau » ne s’était point trouvé fortuitement sur mon chemin de retour. Une humeur sombre était visible sur son visage ; il me fixait sans aménité en dépit du ton volontairement doux qu’il mit dans son invitation à le suivre. Il insista.

— Allons, « chela » viens. J’ai à te parler. Non pas ici ! Je veux aussi te montrer un piège que je viens de tendre ; ce n’est pas loin, allons, viens. Toi et moi, nous étions pourtant de bons amis, ne fais pas la mauvaise tête et viens !…

Il me prit à la taille, me serra le bras, puis tout à coup, changeant brusquement d’idée, il me lâcha en bougonnant et me quitta sans un mot. Je craignais un subterfuge pour me surprendre plus loin. Je ne savais du reste ce qu’il me voulait et une crainte s’était emparée de moi. Je pensai aussitôt au Maître et rebroussai chemin.

— Ah Narayana, fit-il en m’apercevant, voilà qui est bien, tu as répondu à mon appel. Oui, j’ai pu écarter de toi ce garçon dont les desseins n’étaient que trop évidents. J’ai, de plus, quelque chose à te dire. Je ne tenais pas à te garder après tes camarades que cette manœuvre eût pu intriguer. Mon chela va me quitter, il brigue de devenir, dit-il, un « sadhu », religieux errant, et d’achever sa carrière à Bénarès la Très Sainte. Alors, réfléchis bien, toi qui m’as été si fidèle et qui as tiré profit de mes enseignements, avant de pourvoir au remplacement du chela, je te demande s’il t’agréerait d’être son successeur ?

*  *  *


C’est dans cet état de grande sérénité, que mes pensées sur la conduite dans la vie, l’acheminement vers la pureté, la sainteté, s’enfuyaient avec des murmures et de douces harmonies et que je glissai peu à peu au sommeil.

Au bout de quelque temps, le Maître ne s’aperçut plus qu’il avait changé de chela. Toute l’ordonnance de la vie était comme elle avait toujours été. Je m’effaçais en présence des visiteurs, je me tenais à l’écart lors des enseignements des plus jeunes.

Mon maître ne faisait plus de différence entre les mains qui le massaient et celles qui l’avaient massé. C’est avec allégresse que j’accomplissais toutes les tâches qui m’incombaient et plus particulièrement, je l’avoue, celle-là.

J’éprouvais la même joie à effleurer, toucher, palper, pétrir, laisser mes doigts courir sur ce corps admirable. Je guettais le moment où il allait s’étendre. Il m’offrait son corps, se retournait, ployait un genou, puis l’autre : je m’attardais à tous ces contacts.

J’en étais presque inconscient car des courants nouveaux me pénétraient alors que je massais. Mes yeux suivaient mes mains et c’est ainsi que je découvris tout ce qu’il y avait de beau dans ce corps, il me semblait que je me fondais peu à peu au corps, comme le musicien s’identifie à l’harmonie qu’il tire de son instrument. Je devais comprendre plus tard que je m’identifiais à cet autre être qui me dominait et auquel tous mes sens se rivaient insensiblement.

Je ne tardai pas à être obsédé par la vue et le contact de ce corps, en effet. La nuit, je rêvais que je reposais auprès de lui, en lui. J’étais à la fois le gourou et le chela et ces corps fondus en un seul moi soudain s’élevaient doucement dans l’air et flottaient en un envol berceur. Je planais ainsi, double et unique, par delà les campagnes, les bois et les villages ; un paisible ravissement alors s’emparait de moi.

Au réveil, hélas, je m’apercevais que j’avais mouillé la natte d’un épanchement de ma semence ! Il n’y avait rien là que de très naturel. J’étais jeune et sain. Je résolus cependant de n’en rien dire au maître. Peut-être lisait-il dans mes pensées au point de déceler l’agréable diversion qui, un instant, avait troublé la chaste sérénité de mon sommeil !

Certain matin, je m’éveillai comme de coutume ; l’esprit encore empli de tels rêves, rasséréné toutefois à la constatation que ma natte n’avait pas été souillée. L’heure du massage vint. Je retenais à peine mon impatience.

Une fois allongé mon maître s’offrit et je ressentis soudain comme une fièvre à apposer, à plaquer mes mains, à les mouvoir avec lenteur appliquées tantôt sur la poitrine rebondie, tantôt sur le ventre animé par le souffle régulier. Puis, je m’aventurai fébrilement aux cuisses, aux jambes nerveuses, enfin à la courbure du dos où comme une vague je passai et repassai mes paumes.

Mon maître se retourna une seconde fois. Je revis ce superbe ensemble de la poitrine et du ventre et ce qui le complétait plus bas. Je ne tardai pas à sentir que, malgré moi, mon sexe se gonflait, à se tendre en pleine érection. Il était futile de prétendre dissimuler mon état ; du reste il n’avait rien qui pût choquer un homme, fût-il un gourou.

Il se redressa sur son séant. Je me tenais alors le dos tourné vers lui dans le dessein de dérober tout de même à sa vue l’objet dressé et vibrant qui m’encombrait.

— Chela, fit alors le gourou, aurais-tu un autre maître ? Prends garde qu’il ne devienne le plus fort et ne t’entraîne sur d’autres voies !

— Que voulez-vous dire, Gourou bien-aimé ?

— Cela, fit-il en prenant ma verge dans sa main. Cela, répéta-t-il en la pressant doucement.

Je fus saisi soudain d’une sensation inoubliable. Tout mon être se concentra d’un coup dans ma verge. Je n’entendis plus rien. Je ne sentais plus que cette main, cette pression grandissante sur mon membre raidi.

Puis, je fus secoué jusqu’au plus profond de moi-même par une force inconnue, dans un soubresaut, un jet de sperme jaillit de moi violemment. C’était au centuple le plaisir effleuré dans mes rêves.

Honteux, cependant, non tant de mon attitude incontrôlable que d’avoir souillé peut-être la main de mon maître, moi-même et enfin le sol, je courus à la rivière pour m’y laver. Dans mon trouble, je me demandai même si je ne devrais pas me rincer seize fois la bouche comme il est prescrit après l’acte sexuel. Mais avais-je véritablement commis un acte ?

Je revins tout penaud. Je m’agenouillai le front posé sur la jambe repliée de mon maître, en signe d’humilité. Il attendit un peu avant de m’adresser la parole.

— Chela, la nature est en chacun de nous, mais elle ne doit pas régner en maîtresse. Chela, tu as éprouvé un plaisir peut-être nouveau pour toi. Je sais que ce qui s’est accompli devait s’accomplir. Tu as tout à apprendre. Ce qui t’a tant ému, s’il se doit accomplir ne doit être accompagné d’aucun trouble. Jusque-là tu es l’animal, tu es l’esclave. Il faut parvenir à la maîtrise des sens comme juste accompagnement de la sagesse. Pour cela, Chela, il faut gravir toutes les étapes de la jouissance, la bien connaître pour la mieux surmonter, l’anéantir. L’esprit doit conquérir à son profit cette force vitale qui, tu l’as vu, n’a servi qu’à quelques secondes de sensation agréable et à souiller la natte d’une liqueur aussi précieuse que vainement gaspillée.

Je devais méditer longuement sur la portée de ce paroles sans en bien deviner le but.

Devais-je attribuer à l’incident du matin le changement dans le cours de mes rêves nocturnes ? Ce n’est pas, en effet, de mon bien-aimé gourou dont je rêvai cette nuit-là, bien que les questions, à la veillée, eussent gravité autour du brûlant sujet de la sensualité.

Mon maître termina en me promettant de m’enseigner à surmonter progressivement le désir et finalement à agir sur le sexe comme la volonté agit sur un autre membre.

— Chela, il serait ridicule, dit-il, que l’homme doive marcher parce que sa jambe veut marcher, n’est-ce pas ? Alors, pourquoi faut-il que le sexe se dresse et répande la semence si, toi, tu ne le veux pas ?

Le personnage qui surgit du sein de la nuit et envahit mon esprit inquiet cette nuit-là n’était pas mon gourou mais nul autre que le « Taureau ». Je ne l’avais pas revu depuis que je faisais fonction de chela. Je savais qu’il fréquentait de plus jeunes, menait leurs jeux, et qu’il était généralement mal vu des familles.

Il était orphelin, adopté par quelque parent. On avait négligé de songer à lui procurer une épouse, bien qu’il fût d’âge. Et cette idée ne semblait pas lui être venu, non plus. Je revoyais des ans en arrière, nos partie endiablées et aussi nos haltes au frais sous des ombrages en bordure de prés où paissait le bétail dont nous avions la charge.

À me remémorer tous les menus faits d’antan, ce n’est vraiment que cette nuit-là que je compris pleinement l’attrait de certain passe-temps auquel, de temps à autre, se livrait notre grand camarade avec l’un ou l’autre d’entre nous. C’est pourquoi, outre la taille de son membre, on l’avait surnommé « Yerudhu » ou « le Taureau ». Il enlevait le court linge dont il était ceint et attirait notre curiosité d’innocents par sa verge en érection qu’il maniait.

Il invitait tel ou tel à la palper et c’était alors des remarques étonnées sur la dimension de l’objet, sa fermeté. Nous n’y voyions absolument rien que d’admirable ; c’était là un spectacle nouveau que seul apparemment, il avait le don de nous offrir.

Il prenait alors l’un des nôtres par la taille, dénouait son linge de taille et lui glissait sa verge entre les cuisses. Le petit ricanait, criant que cela le chatouillait, que c’était aussi comme un serpent chaud. Nous nous amusions de telles remarques.

« Yerudhu » s’agitait alors sur le dos de notre ami, ou face à lui selon la manière choisie. Nous guettions l’apparition et la disparition rapide de la verge du « Taureau » entre les cuisses de son partenaire qui ne cessait de rire.

Le « Taureau » se cabrait soudain, animé de soubresauts, nous donnions libre cours à notre joie à la vue des gouttes giclant sur l’herbe comme du lait. Symbole, que j’ignorais alors, du Taureau Sacré fécondant la Terre.

— Recommence avec moi, s’écriait un autre, émoustillé par cette démonstration et dénouant déjà son étoffe.

Mais le « Taureau » souriait nerveusement en se rajustant ; il s’étendait lourdement à nos côtés et promettait de refaire la chose le lendemain. Puis les jeux reprenaient comme si rien d’extraordinaire ne s’était produit dans notre petit cercle. À peine commentions-nous les agissements de notre aîné. Nul ne pouvait en aucun cas prétendre l’imiter.

Ce qui portait notre amusement au paroxysme, c’est lorsque accolé, cambré au dos de notre plus jeune camarade, le « Taureau » de ses mains libres triturait le sexe minuscule de celui-ci et provoquait une érection toute passagère pendant qu’il projetait sa semence comme avec une vigueur accrue. Le plus jeune s’attirait alors nos lazzi sur la taille de son membre et son impossibilité à le tenir raide.

La rumeur voulait que, maintenant, le « Taureau » ne se contentait plus de contacts aussi innocents et aussi peu dangereux pour son acolyte. On se colportait qu’il introduisait sa verge dans le fondement de quelques garçons et certains avaient même été mis à mal par sa brutalité.

Les parents s’en étaient outrés, non sans raison de l’acte lui-même qui n’avait d’autre conséquence, mais bien parce que la sodomie est généralement réservée aux garçons mal pourvus par la nature ; ils perdent alors leur caractère masculin et sont considérés comme des femmes. Ce qui est une déchéance.

Par enchaînement, j’en venais, la nuit venue, à imaginer mon gourou cambré sur mon dos ou moi-même courbé sur son corps. Et puis j’étais très malheureux d’entendre renaître plus nettement les mille bruits de la nuit, de devenir attentif aux frôlements des rôdeurs aux alentours, de regarder le lent glissement de « Nila » (la lune) sur le sol, l’esprit en déroute, le corps énervé, excité.

La brise tiède venait-elle me frôler que je frissonnais à ses caresses et mon membre se redressait. J’osais à peine y conserver la main, il s’animait alors de pulsations que je répugnais à entretenir quoique la sensation de plaisir s’accrût.

Je pressentais le moment où allait sourdre en moi la trouble félicité et l’épuisement dans le regret du désir imparfaitement exaucé. Je me décidai alors à me lever et à verser de l’eau froide sur l’objet enflammé. Le sommeil ne vint que tardif et entrecoupé.

Au lendemain de cette nuit agitée, même les ablutions ne me remirent pas d’aplomb. J’étais d’humeur morose, j’étais rompu comme après une longue course. Le contact aimé du corps du maître ne suscitait rien en moi, aucune force ne pouvait ranimer ce qui, durant la nuit, m’avait torturé. Le sage s’aperçut-il à ma façon de le masser qu’il y avait quelque chose d’anormal, je le pense, car il me dit :

— Chela, ton esprit peu raffermi est troublé. On ne lutte pas d’emblée à armes inégales avec des forces obscures. Il faut tendre un piège au désir, le satisfaire même avant de le capturer, d’en faire ton prisonnier. Je veux te donner un premier apaisement. Suspends bientôt ce qui, ce matin, paraît t’importuner. Tu auras un premier aperçu du secret que je veux te transmettre. En même temps, tes sens goûteront, je l’espère, une provisoire et salutaire accalmie.

Je ne compris pas tout de suite le sens de ces paroles.

Sur un geste du gourou, le massage prit donc fin. Il me fit agenouiller m’invitant à porter toute mon attention sur son propre sexe. Repliant alors les bras, il appuya la tête sur les mains et s’étendit de tout son long. Le corps arqué légèrement il fixa ses regards sur son membre.

Les miens caressaient son corps, sa poitrine, son ventre soulevé rythmiquement par la respiration puis ils s’arrêtèrent plus bas. Quel ne fut pas mon étonnement à voir bientôt la verge du gourou se gonfler, bouger, puis se raidir et atteindre enfin une longueur fort respectable sans toutefois pouvoir rivaliser avec celle du « Taureau ».

La confusion de mes sentiments à ce spectacle fut indescriptible, je me sentais moi-même tendu, mon sexe se raidissait.

Mes yeux ne pouvaient plus se détacher de la verge de mon maître, il me semblait qu’il devenait plus parfait dans mon esprit.

Ma stupéfaction était grande à la vue de ce membre qui, sans contact aucun, sans attouchement, oscillait, vibrait, se tendait, s’abaissait, se redressait comme attiré vers un violent désir. Et le gourou était là, le visage impassible, les yeux clos comme endormi, il respirait doucement.

Soudain, malgré moi, ma main se porta vivement vers l’objet qui l’invitait. J’eus un mouvement de retrait ; la crainte du sacrilège me traversa rapidement l’esprit. Il était trop tard, mes doigts enserraient déjà fébrilement cette verge qui eut alors un sursaut.

Je la manipulai, je la caressai avec un amour grandissant, irrésistible. Pas un geste ne vint m’interrompre. J’en conclus donc que ceci était agréable au maître. Je hasardai des mouvements et j’exerçai bientôt un massage en règle. Je m’excitais inconsciemment, au point que, malgré l’énervement qui m’avait affaibli, incapable de soutenir cette excitation nouvelle, je me sentis défaillir sur le sol.

Ceci me fit achever par saccades le mouvement de ma main sur le membre du gourou. Puis une frénésie s’empara de moi, j’étais désormais résolu à le faire aller jusqu’au bout. Il fallait vaincre cette verge vibrant sous les doigts, cette verge que je trouvais belle comme une liane, ferme comme un serpent lisse, comme une tige secouée par le vent.

Je m’acharnai à en extraire la sève qui la gonflait. Rivé à ma tâche, je ne voyais plus qu’une verge sans corps et j’avais comme une rage de ne pas entamer sa résistance. Une crampe dans le bras me contraignit à ralentir mes mouvements puis à relâcher mon étreinte. Le membre retomba alors sur le ventre comme freiné par une lanière qui l’aurait retenu un peu dans sa chute. J’étais excédé de dépit.

Mon maître paraissait dormir paisiblement. Comme il feignait d’ignorer ce que je lui faisais, je m’enhardis à recommencer, bien décidé cette fois à mener l’opération jusqu’au jaillissement final.

Nul, me disais-je, si insensible fût-il, ne pouvait longuement résister, dans cet état de tension extrême de la verge, à l’aboutissement logique, obligatoire. Il m’en fallait, hélas, si peu que j’étais déjà étonné que cela prît tellement de temps chez un autre.

Mais cela dura plus longtemps encore, si longtemps que je n’y pris plus le même plaisir et, las, j’abandonnai la partie après des manipulations longues et étudiées.

Je procédai par surprise, ralentissant pour reprendre avec vigueur, puis je variai la position de mes doigts, rien n’y fit. J’étais vaincu dans tous les sens du terme.

Mon bras me faisait réellement mal, j’eus de la peine à poser ma main à plat sur la poitrine de mon maître tant mes doigts s’étaient crispés. Quelques minutes passèrent, son sexe diminua en volume, puis se réduisit, comme si rien ne s’était passé. Le gourou s’éveilla alors et dit :

— Chela, cette première leçon n’est-elle pas à retenir ? Je t’ai laissé faire sur une partie de moi-même dont j’étais seul maître. Je sais que, de nouveau, tu ne pus retenir ta semence alors que tu fis tout pour tenter de faire épancher la mienne. Je n’étais pas disposé à la laisser sourdre pour te prouver ce que je t’ai déjà dit. Une autre fois, peut-être tenterons-nous quelque autre démonstration.

J’étais penaud et confus tout ensemble.

— Gourou bien-aimé, j’avais cru que vous me laissiez faire parce que vous y éprouviez du plaisir ; je sentais sous mes doigts que vous n’étiez pas indifférent, cela me laissa croire que je pouvais…

— Non, Chela, je t’ai laissé mon membre dans la condition où je l’avais moi-même volontairement provoqué. J’accomplissais par la pensée un pèlerinage à quelque temple du Sud. Je projetai même de nous y rendre un jour. Et puis je récitais des « shabam » (prières) oublieux que quelque partie de mon corps fût l’objet d’attentions particulières.

Le soir venu, nous devions reprendre cet inquiétant sujet.

— Chela, me dit-il encore, j’ai concentré ma volonté sur ce sexe pour te faire comprendre tout en te procurant quelque satisfaction. Tu as éprouvé une sensation plus intimement personnelle sans m’en faire éprouver aucune, simplement parce que je le voulus ainsi. De masser ma jambe pendant des heures ne la fera pas marcher si je ne le veux point. Il suffit de dompter la sensualité pour la diriger comme on l’entend.

— Mais alors, Gourou bien-aimé, vous pourriez faire jaillir votre semence à volonté, même sans…

— Nalla (certes), la faim ne doit cependant pas commander à l’appétit. Si je peux manger et si je veux manger, je peux aussi jeûner quand je le veux. Je te prouverai cela demain même si tu le désires. Rappelle-toi toujours que lorsque le laisser-aller s’insinue dans la moindre de nos actions il endort la volonté et fait place au désir.

La nuit se passa d’une façon moins tumultueuse que la précédente. Je fus cependant incommodé par un rêve. De nouveau le « Taureau » déguisé cette fois sous les traits du maître, m’apparaissait nanti d’une verge monstrueuse que je portais d’abord dans mes bras, puis sur laquelle je me plaçais à califourchon, la frappant de mes mains comme on frappe le col d’une monture. Enfin, c’était une formidable éruption, comme s’il s’agissait du jaillissement de la mer de lait dans notre épopée de Mahabharata.

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Source

  • Narayana : roman tantrique / Narayana Nair ; traduit du tamil par Jaimouny et A. P. – [Paris] : Jérôme Martineau, cop. 1968 (Turin : Sargraf, novembre 1969). – 176 p. : couv. ill. ; 22 × 13 cm.
    P. 15-43.

Articles connexes

Notes et références

  1. La division du texte en six parties est réalisée ici de façon arbitraire et pour des raisons de commodité propres à BoyWiki. Elle ne figure pas dans l’œuvre originale.