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Version du 23 mars 2016 à 12:50

Texte précédent : Un romancier du désir

Première partie d'une interview de Tony Duvert par Marc Voline et Guy Hocquenghem, parue dans Libération n° 1532 du 10 avril 1979.


Tony Duvert, 33 ans, est l’un des très rares grands créateurs du roman français contemporain. Son dernier livre, L’Île atlantique, vient de paraître aux éditions de Minuit. Décidément la littérature française moderne est marquée au sceau des amours minoritaires. Dans toute l’œuvre de Duvert, la passion érotique pour les gamins, comme chez Genet la passion homosexuelle, joue un rôle fondateur du texte romanesque. Mais avec L’Île atlantique, la férocité d’un noir pessimisme semble succéder au vert paradis des amours enfantines. Duvert s’en explique ici : durement, pour nous autres lecteurs sentimentaux de ses premiers romans, il parle de l’impossible relation avec l’enfant aimé. Dans la seconde partie de cet entretien il parlera du changement manifeste dans son écriture, de sa volonté de sortir de la marge littéraire dans laquelle il fut enfermé.



Libé : L’Île atlantique est un roman où il y a une coupure très nette entre le monde des adultes et le monde des enfants ; mais il n’y a pas ce qu’il y avait dans tes autres romans, ce pont amoureux entre les deux mondes. Là, ils sont totalement séparés, en guerre même, très violemment, à la façon d’un Signe de piste qui aurait tourné au sang.


T.D. : Il n’y a pas de personnage pédophile dans ce livre. Mais il n’y a personne non plus qui fasse l’amour. Il n’y a pas du tout d’érotisme ; il n’y a pas du tout de relations réussies entre les gens. J’ai éliminé d’abord le pédophile : tous ceux qu’il m’est arrivé de rencontrer jusqu’à présent m’ont paru des gens insupportables, qui étaient peut-être encore pire que les parents et ça tient sans doute à ce que, lorsqu’on parle de perversion, on parle de personnes identifiables ; comme il y a des gros, des maigres, des bossus et des gens qui ne le sont pas, il y a des pédophiles. Or, pour moi, la pédophilie est une culture ; il faut que ce soit une volonté de faire quelque chose de cette relation avec l’enfant. S’il s’agit simplement de dire qu’il est mignon, frais, joli, bon à lécher partout, je suis bien entendu de cet avis, mais ce n’est pas suffisant… Certes, on peut créer des relations sauvages tout à fait personnelles ; mais il n’est pas question de se contenter de relations sauvages si on a affaire à des enfants. Il est indispensable que les relations soient culturelles ; et il est indispensable qu’il se passe quelque chose qui ne soit ni parental, ni pédagogique. Il faut qu’il y ait création d’une civilisation.

Quand j’écrivais par exemple Jonathan, je montrais déjà un pédophile qui ne peut pas établir une véritable relation avec un enfant ; lui, Jonathan a une relation de pure passivité avec l’enfant, il a une espèce de lieu où l’enfant existe, et il ne peut pas faire davantage. Beaucoup de gens auraient voulu un personnage de pédophile plus romantique, plus actif.

Ce qu’on pouvait faire de mieux avec l’enfant, c’était, pour moi, de s’abstenir. Et L’Île Atlantique est encore plus pessimiste.



Il y a quelque chose de frappant dans Jonathan. C’est cette mère qui me paraît le prototype même de la mère moderne. Comme dans L’Île atlantique il y a un certain effacement des pères ; on a très nettement l’impression que le vrai ressort de la répression familiale, c’est la mère.


Absolument. Je vais dire quelque chose de très désagréable : c’est même pas la mère, c’est vraiment la femme que je vise. La femme en tant qu’enseignante, en tant que personne qui a un droit exclusif sur les petits enfants, dans les nurseries, à l’école maternelle, et de façon générale dans toutes les écoles communales (il y a une immense majorité d’institutrices, il n’y a pratiquement pas un mec). On peut dire qu’un enfant jusqu’à l’âge de douze-treize ans ne voit que des femmes ; il vit dans les femmes. Il y a une sorte de matriarcat qui domine l’impubère. Et de ce point de vue là, ce livre, L’Île atlantique, est un livre contre les femmes. Pas du tout un livre antiféministe, bien au contraire : un livre contre les rôles sociaux de la femme. Les rôles sociaux par rapport à l’enfant, par rapport à la famille en général.

Et je ne veux pas qu’on appelle misogynie la guerre contre les fliquesses et contre les kapos femelles, ça n’a aucun rapport…



On ne voit guère d’autres femmes dans tes romans. À part des seins qui tombent et des cotonnades trop serrées, des odeurs de salami…


Ce n’est pas de ma faute si les mères sont presque toujours imbuvables et insupportables… S’il existait un tribunal de Nuremberg pour les crimes de paix, il faudrait y faire passer neuf mères sur dix. Je n’y peux rien.



Tu sais qu’il y a beaucoup de pédophiles qui « s’arrangent » avec les mères ; je veux dire qu’il y a traditionnellement un terrain d’entente avec les mères, celles-ci étant plus ou moins amoureuses du pédophile, et le pédophile, lui, faisant plus ou moins semblant d’entretenir une ambiguïté là-dessus.


Le pédophile qui accepte ce genre de choses est obligé d’accepter tout, il est obligé de trahir l’enfant à longueur de journée. C’est une solution impossible. Il faut toujours montrer patte blanche. Il faut prouver à la mère qu’on est un partenaire digne pour l’enfant, il faut montrer qu’on a des relations avec l’enfant aussi stériles que par exemple une éducatrice. Et c’est dans la mesure où on montre qu’il ne va rien se passer, qu’on va le rendre exactement tel qu’on l’a pris, que la mère veut bien.

Mais ce qui peut être exemplaire comme relation, ce sont les relations dont je parlais dans Le Journal d’un innocent. Et celles-là se passaient, précisément, sans parents. Du moins, sans parents dans le cerveau de l’enfant. L’enfant qui était libre pendant quelques heures ou pendant une nuit, ou pendant quelques nuits, pendant ce temps-là virait complètement sa famille. Il avait deux cultures : une pour le pédo, et une autre pour ses parents. Et les petits Français n’ont pas du tout ça.



Toute « activité pédophilique », toutes les relations amoureuses avec les enfants se passent à l’insu des parents, et y compris de l’enfant parental lui-même. Mais ce qui étonne, c’est la transformation des ruses traditionnelles de pédophilie, en une espèce de déclaration de guerre officielle, à la mère en particulier ; et avec cette violence. Parce que ça va pas très loin de l’appel au meurtre…


La guerre contre les mères, je pense en effet qu’il faut la faire ; qu’il faut s’intéresser à ce côté très particulier de la société contemporaine où les enfants, pendant les douze premières années de leur vie, sont élevés sous vide avec des individus asexués, des espèces de fourmis ouvrières. Et il y a une guerre à mener, non pas contre les femmes en particulier, contre des mères ou contre des mémères, mais simplement une guerre contre les droits culturels exclusifs de la famille, de plus en plus refilés à cette espèce de sous-produit humain en quoi les femmes sont changées. Et je dis que dans la mesure où la vie en société m’intéresse, je souhaiterais que les gens qui vont devenir adultes soient en contact avec des êtres moins infirmes que ceux qu’on a transformés en femmes.



Ce qui aboutit très concrètement à ceci, c’est qu’il faut retirer les enfants aux femmes.


Absolument. En tout cas, il faut empêcher que les femmes aient un droit exclusif sur les enfants, ça c’est sûr. Il ne s’agit même plus qu’il y ait des relations sexuelles ou qu’il n’y en ait pas. Je connais un enfant et si la mère est opposée aux relations que j’ai avec lui, ce n’est pas du tout pour des histoires de bite, c’est avant tout parce que je le lui prends. Pour des histoires de pouvoir, oui.

Autrement dit, elles se prennent une poupée et se la gardent.



Il y a eu une évolution très nette dans ce que tu as écrit dans L’Île atlantique en particulier, mais déjà dans Jonathan, vers la transformation de ce combat contre les mères en tant que pouvoir abusif en une forme de misogynie généralisée. Cette fois-ci, il n’est plus seulement question du pouvoir que la femme exerce sur l’enfant, mais de l’objet femme elle-même en tant qu’elle te dégoûte.


Je suis pas du tout d’accord, c’est complètement faux. Dans L’Île atlantique, j’ai supprimé toute espèce de personnage de pédophile, même d’homosexuel. Tandis que Jonathan montrait une rivalité amoureuse entre un pédo et une mère. Là, je ne montre pas les mères par rapport au pédophile, je les montre par rapport à l’enfant. Je les laisse vraiment en tête à tête. Et les réactions que j’ai observées à la lecture de ce livre montrent que mes mères atroces, mes mères dégoûtantes sont excessivement vraisemblables. Elles le sont d’autant plus que personnellement, en tant qu’écolier, en tant que lycéen, j’en ai connu au kilo (à la tonne peut-être, je sais pas comment il faut dire) et j’ai pas du tout l’impression d’avoir exagéré.



Dans Jonathan par exemple, le père était faible et en quelque sorte un peu à la traîne de la répression maternelle. C’est d’ailleurs une analyse intéressante d’une évolution contemporaine de l’éducation…


L’enfant, dans la mesure où il est de plus en plus entre les mains des femmes, tend à devenir l’objet sexuel de la femme, et on le voit parfaitement bien dans ses habitudes corporelles, dans tout ce qu’on lui apprend. Il tend à devenir une espèce de poupée, de poupée vivante ; mais ceci précisément parce qu’il n’a aucune espèce de relation sociale digne de ce nom.

Les enfants les uns avec les autres se taisent. Les seuls enfants qui ont encore des relations sociales, c’est ceux qui appartiennent à des classes sociales où tout le monde travaille et où on a le droit d’être dans la rue. Alors ceux-là se voient encore un peu les uns les autres, mais c’est déjà dégradé…

Si j’ai éliminé de L’Île atlantique les personnages de pédophiles, j’ai aussi éliminé les relations réussies entre enfants. On n’en voit pas. Je montre que c’est loupé, que ça ne peut pas marcher parce qu’il n’y a pas de modèle culturel pour que ces relations soient réussies.



Dans ton œuvre, d’une série de romans qui ont enchanté notre jeune âge, qui étaient Paysage de fantaisie ou Récidive, on évolue peu à peu vers un climat de plus en plus noir. Ça dévient carrément misanthropique.


Déjà, dans Jonathan, l’adulte accepte tout, le meilleur et la pire, parce que ce gamin que je montre est quand même un peu chiant, pas du tout un gentil enfant pour pédophile. Une des choses qui font que les pédophiles m’agacent, c’est l’enfant stéréotypé qui leur plaît. C’est l’enfant des pubs pour slips dans Elle et dans Marie-Claire. Un premier communiant un peu pervers…


(la suite demain)


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Voir aussi

Journal d'un innoncent
Quand mourut Jonathan
L’île atlantique