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| ''[[Quand mourut Jonathan (79)|précédent]]''<br><br> | | ''[[Quand mourut Jonathan (75)|précédent]]''<br><br> |
| {{Citation longue|Jonathan commit un mensonge, peut-être le premier mensonge tactique de sa vie. Il | | {{Citation longue|« Quand j’vais être grand, j’vais faire de la pêche sous-marine. Non, eh, j’vais pas les |
| affirma à Simon qu’il avait parlé de lui à son patron de galerie : le marchand était très
| | tuer ! Moi j’sais bien qu’tu veux pas. Eh, n’empêche, on en mange. Non mais je l’f’rai pas. |
| intéressé, il avait toute confiance dans l’opinion de Jonathan — qui n’abusait certes pas de
| | T’inquiète pas ! |
| son influence —, bref, si Simon avait quelque chose à montrer…
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| C’était bien joué, car Simon, enchanté, jura modestement qu’il n’avait rien, puis ajouta
| | Tu sais, d’abord, on a qu’à plus en manger. Moi j’aime mieux la viande hachée, |
| que peut-être, bientôt… Mais ce fut catastrophique, aussi : car Jonathan n’avait jamais rien
| | r’marque. |
| proposé de tel à Barbara, qui ne se prenait pas pour une demi-peintresse. La femme ne fut pas
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| seulement vexée : elle comprit que Jonathan flattait Simon, et elle devina pourquoi. Elle
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| persifla négligemment ; Simon n’y vit que du feu, mais Jonathan découvrit quelle maladresse
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| il avait commise. Son coup d’essai dans l’art diplomatique était une belle gaffe.
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| Il se consola en pensant que, de toute façon, il était impossible d’apprivoiser Barbara :
| | Non, c’est pour aller sous l’eau ! On a un masque à gaz, tu sais pour l’oxygène. C’est |
| l’aurait-il flattée avec génie qu’il n’aurait pas fait avancer la situation d’un millimètre. Par
| | lourd avec les bouteilles ! Et tu sais pas ? Ils en mettent aussi quand ils vont dans l’Himalaya. |
| contre, il pouvait rallier Simon à sa cause, du moment qu’il ne s’adressait pas à son
| | T’as vu des photos ?… C’est bien si ça sert pour les deux. Moi je l’f’rais bien, les deux ! |
| intelligence. Mais, quand on perd une guerre, s’allier à un autre vaincu ne change pas le
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| rapport de forces.
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| Et ce que les fameuses vacances que Simon et Barbara avaient passées sans leur lardon
| | Tu sais mais c’est dur, faut apprendre vachement longtemps. Y a Cyril, on a dix ans |
| avaient produit et instauré — ça en puait plein l’appartement — c’était bien le règne de
| | pareil, son père il l’a am’né. Il a tout avec les palmes, un masque comme ça. Là où tu respires, |
| Barbara. Domination qui semblait convenir à Simon, mari béat : mais qui rendait dérisoire
| | c’est un machin tu le suces, quoi, t’aspires ! J’ai essayé ! Ça fait d’l’air qui t’rentre ! Ça fait |
| toute alliance avec lui.
| | un peu fort ! Son père il est gentil. Ils s’appellent tous des ploucs, eh, son frangin c’est |
| | Célestin, oh c’est un p’tit, et y a un bébé, enfin leur p’tite sœur, elle c’est Julie ! Comme not’ |
| | chat, tu t’rappelles ? Ben on l’a toujours. Mais il vadrouille. |
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| Durant cette soirée, Jonathan eut des nausées et, parfois, des accès proches de la
| | Alors c’est re-dans la mer. Avec une grosse pieuvre. |
| syncope, en écoutant, en regardant, en voyant Serge là. Il ressentit, à son tour, un désir de
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| meurtre. Le couple idéal sous lequel l’enfant devait vivre était sans reproche ; un patron l’eût
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| aimé ; des gauchistes l’eussent béni ; des psychiatres (sauf quelques ironies acides pour
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| suggérer qu’ils en devinent long) en eussent réchauffé leur cœur de chien. Jonathan but verre
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| sur verre, et disparut : Serge l’épiait, souvent debout, toujours loin d’eux trois, et il avait
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| presque le regard des enfants que Jonathan, l’année d’avant, avait scandalisés dans la
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| campagne.
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| Jonathan perdit toute conscience de ce gâchis, jusqu’au moment où il se vit assis dans
| | Tu sais, on en mange, des pieuvres. Y a des boîtes, t’en as des toutes petites, grandes |
| un train qui le ramenait chez lui. Mais pourquoi ? Il ne voulait pas y aller. Pourtant, si.
| | comme ça. Ça pique, à cause de la sauce. On les tue dans l’œil ! Tchaf. |
| Évidemment. Irrémédiablement.
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| Il se rappela que, au voyage d’aller, Serge et lui avaient combiné de maigres plans pour
| | Ça, tu les connais pas. C’est au microscope, mais c’est agrandi. C’est dans l’eau aussi, |
| rester en contact. L’enfant écrirait à Jonathan — qui ne lui répondrait pas, puisque
| | c’est c’qu’i mangent, toutes les bêtes. Sauf les requins, eh ! J’vais en d’mander un microscope |
| inévitablement Barbara détournerait le courrier, et, chose pire, le lirait et y trouverait de quoi
| | à mon père. Tu verras tous les microbes dans la mer. I sont jolis. »}}<br> |
| se confirmer dans ses sentiments. Serge allait faire l’espion : relever les heures de présence et
| | ''{{droite|[[Quand mourut Jonathan (77)|suivant]]}}'' |
| d’absence de ses parents, et tous les autres détails pratiques ; indiquer ses heures de classe (il
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| allait entrer en sixième, dans un lycée fort éloigné de chez lui) ; signaler à Jonathan chaque opportunité de se voir. De son côté, Jonathan déménagerait pour Paris, et tâcherait d’avoir le
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| téléphone. Et d’habiter, par exemple, entre le lycée et la maison de Serge.
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| Le mieux, peut-être, serait de couper tout lien avec les parents du garçonnet (tant pis
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| pour ce que la galerie de Jonathan allait y perdre…). Serge justifierait ses absences en disant
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| qu’il allait chez des copains : il était libre, très libre, ça ne troublerait personne, surtout si la
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| disparition de Jonathan éteignait tout soupçon. Serge, d’ailleurs, saurait montrer qu’il avait
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| totalement oublié le jeune peintre, ce mec chiant.
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| Ces projets avaient un lourd inconvénient : si Jonathan brisait avec les parents de Serge,
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| plus question de vacances ensemble, de vie commune, plus question d’habiter cet autre
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| monde, immense, qu’ils avaient découvert.
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| En vérité, une rupture avec Simon et Barbara était prématurée ; il fallait apprécier de
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| plus près l’intensité des soupçons, des jalousies, des haines de la femme, et la valeur du mari
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| comme complice éventuel. Leur profonde indifférence à Serge — qui ne commençait à les
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| intéresser que lorsqu’il s’éloignait d’eux — était un autre atout précieux.
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| Non : il faudrait les caresser, les endormir, être là, plutôt que le contraire. En tout cas,
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| jusqu’au moment où on serait fixé sur ce qu’on pouvait attendre d’eux, obtenir d’eux — à leur
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| insu.
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| Quant au déménagement de Jonathan, il était impensable dans l’immédiat, faute
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| d’argent. Et il fut obligé d’en parler, dans le train, à Serge, dont les propositions s’appuyaient
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| trop sur la liberté et la richesse supposées du jeune peintre. En comptant au plus serré, et
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| même pour n’occuper à Paris qu’une chambre décente, Jonathan devrait attendre le début de
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| l’année suivante avant de pouvoir abandonner la petite maison. Et il négligeait, dans ses
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| calculs, les impôts qu’il aurait à payer sur sa dernière année de revenus fastes, à présent qu’il
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| n’avait presque plus rien.
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| Serge n’eut pas l’air de trouver trop longs ces trois mois de patience. Il fit la liste des
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| congés scolaires de cette période : il dit qu’il demanderait à son père pour aller chez Jonathan
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| chaque fois. Il était sûr d’y arriver — puisque, après tout, c’est ce qu’il avait réussi à obtenir
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| déjà, cet été.
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| Jonathan n’y croyait pas trop, lui : l’enfant sous-estimait les circonstances et surestimait,
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| à la fois, son pouvoir propre et celui de son père. Jonathan fut persuadé que Serge
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| déchanterait bientôt ; il se garda, cependant, de le dire.
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| En tout cas, leur conspiration en était là. Maintenant, ils étaient séparés. La vraie guerre
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| commençait — cette guerre que Jonathan savait, obscurément, perdue, mais que l’enfant était
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| sûr de gagner. Jonathan se rappela que, lui aussi, il avait eu, vingt ans plus tôt, une énergie
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| aussi ardente et aveugle : et, lui aussi, en pure perte. On peut lutter contre des hommes, de
| |
| simples hommes : on ne lutte pas contre des personnages, contre des rôles, car il y a une
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| société entière derrière eux. Et on n’apprend cela ni rapidement, ni de bon cœur. Jonathan le
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| savait, Serge l’ignorait ; Jonathan voulait bien, à cause de cet enfant entier, oublier son
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| savoir ; mais il sentait trop, en même temps, que cela ne changeait rien aux choses.}}<br>
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| ''{{droite|[[Quand mourut Jonathan (81)|suivant]]}}'' | |
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« Quand j’vais être grand, j’vais faire de la pêche sous-marine. Non, eh, j’vais pas les
tuer ! Moi j’sais bien qu’tu veux pas. Eh, n’empêche, on en mange. Non mais je l’f’rai pas.
T’inquiète pas !
Tu sais, d’abord, on a qu’à plus en manger. Moi j’aime mieux la viande hachée,
r’marque.
Non, c’est pour aller sous l’eau ! On a un masque à gaz, tu sais pour l’oxygène. C’est
lourd avec les bouteilles ! Et tu sais pas ? Ils en mettent aussi quand ils vont dans l’Himalaya.
T’as vu des photos ?… C’est bien si ça sert pour les deux. Moi je l’f’rais bien, les deux !
Tu sais mais c’est dur, faut apprendre vachement longtemps. Y a Cyril, on a dix ans
pareil, son père il l’a am’né. Il a tout avec les palmes, un masque comme ça. Là où tu respires,
c’est un machin tu le suces, quoi, t’aspires ! J’ai essayé ! Ça fait d’l’air qui t’rentre ! Ça fait
un peu fort ! Son père il est gentil. Ils s’appellent tous des ploucs, eh, son frangin c’est
Célestin, oh c’est un p’tit, et y a un bébé, enfin leur p’tite sœur, elle c’est Julie ! Comme not’
chat, tu t’rappelles ? Ben on l’a toujours. Mais il vadrouille.
Alors c’est re-dans la mer. Avec une grosse pieuvre.
Tu sais, on en mange, des pieuvres. Y a des boîtes, t’en as des toutes petites, grandes
comme ça. Ça pique, à cause de la sauce. On les tue dans l’œil ! Tchaf.
Ça, tu les connais pas. C’est au microscope, mais c’est agrandi. C’est dans l’eau aussi,
c’est c’qu’i mangent, toutes les bêtes. Sauf les requins, eh ! J’vais en d’mander un microscope
à mon père. Tu verras tous les microbes dans la mer. I sont jolis. »
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