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{{Citation longue|Un jour qu’ils rentraient le linge propre, Serge désira endosser les habits de Jonathan, et
{{Citation longue|Toutes les eaux sont pourries, tous les champs sont clos ; les prairies sont empoisonnées,
lui proposa les siens.
les chemins sont sales et étroits, et des montagnes de détritus en plastique, carcasses
d’électro-ménager, ferrailles d’automobiles, envahissent les seuls coins d’herbe, les seuls
lopins boisés dont l’accès est ouvert.


Tout nus, ils essayèrent. Le linge de corps posa des problèmes. Jonathan était mince,
Les promenades dans la campagne n’étaient donc pas un plaisir. On circulait entre deux
mais l’enfant était petit : la disproportion ressortait.
barrières, ou on suivait d’interminables tranchées rectilignes au milieu des seigles, des blés,
des maïs. On apercevait, de loin, une rivière : mais ses berges, morcelées en lots de pêche
clôturés, étaient interdites aux promeneurs. Parfois, sur mille mètres de pré nu et sans fleurs,
on voyait sauter un criquet chétif. Pas d’autres insectes que les mouches ; pas d’autres oiseaux
que d’énormes volées de corbeaux, de corneilles braillantes ; pas d’autres rampants que les
rats. Telle était la campagne dans cette région.


Leur déguisement chacun en l’autre fut plus facile avec les chemises et les culottes.
Serge et Jonathan avaient eu vite exploré ce désert barbelé, électrifié, monotone et
Serge fut en clown. Jonathan enfila les bras dans un jean du gamin et se fit deux manches
hostile. Ils avaient renoncé aux amusements champêtres. Le coin où s’élevait leur maison était
avec. En déchirant un peu un pull-over très large que l’enfant portait volontiers, il y passa les
encore le plus vivant, le plus gai, le plus libre qu’ils puissent voir. Alors ils s’occupaient
jambes et le transforma en caleçon. Ce qui apparut à travers le col n’était pas une tête de
sagement chez eux, ou Serge faisait une escapade au village. Il y retrouvait quelques enfants
mioche.
de son âge, surtout à l’épicerie, où était leur quartier général. Là, dans l’arrière-boutique et
dans la cave, avaient lieu des bêtises silencieuses ou bruyantes que Serge ne racontait pas.


Malgré l’inconfort de ces accoutrements, ils s’y jugèrent à l’aise et ne les quittèrent qu’à
Parfois, il y allait dès le matin. Il revenait vers l’heure du déjeuner ; il aurait volontiers
regret.
ramené ses camarades, mais leurs parents refusaient. Il les rejoignait au village après le repas.
Jonathan, qui préférait faire ses achats l’après-midi, le croisait souvent, lui et sa bande. Un
jour de pluie, une course en sac envahit l’épicerie de sacs à patates où gigotaient quatre ou
cinq mioches hilares. Des rayons furent bousculés, des conserves roulèrent. Compère aimable,
le marchand, qui avait donné les sacs, cria un peu mais laissa jouer. D’ailleurs son fils menait
la cavalcade.


Serge s’était entièrement accoutumé à la docilité de Jonathan, et à tout ce qui
Plus tard dans l’été, un car pullman rafla les enfants du village. En effet, la petite
différenciait celui-ci d’un adulte. Désormais, il aurait plutôt vu dans le jeune homme une
municipalité proposait à bas prix les services d’une lointaine colonie de vacances, et cela
espèce de très petit garçon, plus petit que lui, Serge — qui était très doux et très gentil avec
soulageait les femmes. Seuls les adolescents, qui pouvaient aider aux travaux mécaniques,
les petits. Les violences et les provocations habituelles du gamin en étaient souvent
restèrent là. Il n’y eut plus une voix gaie dans les rues, plus une figure fraîche aux fenêtres.
désarmées ; il avait même parfois de la timidité quand il attrapait Jonathan pour faire l’amour.
Serge délaissé se replia sur Jonathan.
Peut-être le violait-il réellement.


Ou être un petit singe contre un grand singe, se réchauffer l’un l’autre, se chatouiller un
Puis les gamins réapparurent. Mais Serge ne s’intéressa plus à eux.}}<br>
peu, se protéger. Ce n’était pas cela, mais Jonathan avait eu cette image et il avait dessiné des
singes heureux. Ils avaient meilleure tête que les vrais, ou qu’un homme.
 
Jonathan travaillait beaucoup, sans y penser. Il occupait ainsi les heures que Serge
préférait passer ailleurs. Dès que l’enfant le quittait, Jonathan prenait son pinceau ; dès que
l’enfant revenait, il le déposait et oubliait la toile en cours. Ces moments de solitude
n’appartenaient plus à sa vie ; ce qu’il y accomplissait l’indifférait.
 
Simplement, comme une ménagère, pendant que ses morveux sont à l’école, en profite
et leur tricote des hardes, Jonathan remplissait de peinture les toiles qu’il avait à fournir par
contrat. Il était en retard ; les mois d’été suffirent à le mettre en avance. Jamais il ne peignit en
méditant et regardant si peu son œuvre, en ayant moins de projets, moins d’ambition, moins de soucis critiques. Ces machins-là lui plaisaient, oui ; ça n’était pas dur à faire ; ça ne
l’ennuyait pas trop ; ça n’était pas grand-chose ; le marchand serait content.
 
La présence de Serge ne déterminait donc chez Jonathan aucune volonté de création,
aucun désir d’expression : simplement l’aisance et la fécondité d’un ouvrier solide. Parfois, il
jugeait que ses nouvelles toiles étaient belles, meilleures que les précédentes. Il s’en moquait.
Il n’avait pas besoin de s’estimer. Le lieu commun selon lequel on s’accomplit dans une
œuvre lui faisait hausser les épaules. Tout ce qui est collectif est borné, tout ce qui est solitaire
est nul : entre ces deux convictions, Jonathan aurait eu peine à entretenir un amour d’être
artiste.
 
Il était pressé d’avoir fini et de ranger cet outillage idiot. On admirerait peut-être sa
marchandise, mais il n’estimait pas le public des beaux-arts. Passer déjà cinq minutes avec un
connaisseur lui remplissait tout le dos de frissons de colère. Il aimait les bonnes gens,
c’est-à-dire personne ; et il souffrait d’être apprécié par des cliques auxquelles il n’aurait pas
consenti un crachat.}}<br>
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Toutes les eaux sont pourries, tous les champs sont clos ; les prairies sont empoisonnées, les chemins sont sales et étroits, et des montagnes de détritus en plastique, carcasses d’électro-ménager, ferrailles d’automobiles, envahissent les seuls coins d’herbe, les seuls lopins boisés dont l’accès est ouvert.

Les promenades dans la campagne n’étaient donc pas un plaisir. On circulait entre deux barrières, ou on suivait d’interminables tranchées rectilignes au milieu des seigles, des blés, des maïs. On apercevait, de loin, une rivière : mais ses berges, morcelées en lots de pêche clôturés, étaient interdites aux promeneurs. Parfois, sur mille mètres de pré nu et sans fleurs, on voyait sauter un criquet chétif. Pas d’autres insectes que les mouches ; pas d’autres oiseaux que d’énormes volées de corbeaux, de corneilles braillantes ; pas d’autres rampants que les rats. Telle était la campagne dans cette région.

Serge et Jonathan avaient eu vite exploré ce désert barbelé, électrifié, monotone et hostile. Ils avaient renoncé aux amusements champêtres. Le coin où s’élevait leur maison était encore le plus vivant, le plus gai, le plus libre qu’ils puissent voir. Alors ils s’occupaient sagement chez eux, ou Serge faisait une escapade au village. Il y retrouvait quelques enfants de son âge, surtout à l’épicerie, où était leur quartier général. Là, dans l’arrière-boutique et dans la cave, avaient lieu des bêtises silencieuses ou bruyantes que Serge ne racontait pas.

Parfois, il y allait dès le matin. Il revenait vers l’heure du déjeuner ; il aurait volontiers ramené ses camarades, mais leurs parents refusaient. Il les rejoignait au village après le repas. Jonathan, qui préférait faire ses achats l’après-midi, le croisait souvent, lui et sa bande. Un jour de pluie, une course en sac envahit l’épicerie de sacs à patates où gigotaient quatre ou cinq mioches hilares. Des rayons furent bousculés, des conserves roulèrent. Compère aimable, le marchand, qui avait donné les sacs, cria un peu mais laissa jouer. D’ailleurs son fils menait la cavalcade.

Plus tard dans l’été, un car pullman rafla les enfants du village. En effet, la petite municipalité proposait à bas prix les services d’une lointaine colonie de vacances, et cela soulageait les femmes. Seuls les adolescents, qui pouvaient aider aux travaux mécaniques, restèrent là. Il n’y eut plus une voix gaie dans les rues, plus une figure fraîche aux fenêtres. Serge délaissé se replia sur Jonathan.

Puis les gamins réapparurent. Mais Serge ne s’intéressa plus à eux.


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