La casserole au bout de la queue
Texte précédent : Lorsque l’enfant paraît - Les homosexuels puritains
Il s’est passé une chose étrange. Les homos, depuis dix ou quinze ans, ont commencé à renoncer aux vieilles hontes. Fini de raser les murs, fini le rouge au front des pères de famille qu’on surprend à Sodome, finies les joues blêmes et les oreilles cramoisies des curés dont la main, quand elle fait le signe de croix, s’attarde un peu au fils, et même en dessous. (Le fils, mes très chers frères, c’est le nombril). Finies les doléances aux yeux baissés, les arrogances aux ongles vernis, les chattemites venimeuses et les reproches prudents. Fini ce mélange de pipi et d’enfants de chœur, d’Arcadie bienheureuse et de caca bénit, de Chazots en folie et de chastes obèses.
Mais chacun sait l’histoire. Une histoire dont l’âge mérovingien est à peine achevé, quoique nous en soyons plutôt aux rois fainéants (je me demande si je suis clair).
La « sortie » des homos leur préparait, pourtant, une surprise — et c’est l’objet de ma chronique. Quelle surprise ? Celle qu’éprouve un chien qui s’évade de sa niche et qui découvre qu’il a une casserole au bout de la queue. Ou un grelot. Ou un flacon de vitriol.
Quel flacon, quel grelot, quelle casserole ? (J’exagère, avec toutes ces images et ces lenteurs. Aurais-je la vocation de prêcher le carême à Notre-Dame ? Hélas, ça se peut. Tant pis. Aussi bien, nous avons l’exemple d’un, hum, militant homo, une momie hargneuse, qui a entièrement accompli son destin : composer des bulletins paroissiaux intégristes pour les sous-préfectures. Si vous ne devinez pas qui, je vous le dessinerai — mais il faudrait être Daumier.)
Oui, paroissiens de mes deux (ou de celles d’un autre), quand la queue sodomite et bestialitaire de l’homo apparut au soleil, il y avait quelque chose de sale dessus.
Cette saleté ? le pédéraste, le pédophile. Eh oui. On était homos tranquillement, entre moustachus qui préfèrent l’odeur d’aisselles à l’odeur de lait, on fourrait des bites poilues dans des culs poilus, des langues velues sous des couilles velues — et les chauves-à-l’intérieur-du-crâne se juraient un amour éternel.
On oubliait seulement les mineurs. Chacun rayait, d’un coup de queue, les quinze à vingt premières années de sa vie ; et la jeunesse des autres ; et la forme d’amour que tout adulte peut — et devrait — éprouver pour ceux qui ne sont pas adultes.
Suis-je net ? Et ce point de vue est précisément celui des familles. Qui sont, à une majorité écrasante, d’accord pour penser que l’homosexualité est une maladie, un cancer, une chute, dont il faut absolument préserver ou soigner les jeunes prisonniers de l’ordre public — les chères têtes blondes, si vous préférez. Les mineurs. Les hommes, tant et aussi longtemps qu’ils sont écrasés sous la patte des parents, des médecins et des flics. (La sainte Trinité qui remplace désormais celle du catholicisme : Père, Fils et Saint-Esprit.) (Le « Père » symbole des parents, maternité incluse, le « Fils » comme symbole d’une médecine au service des familles et des mœurs ; le « Saint-Esprit », c’est la police, vous aviez déjà compris.)
Mais pourquoi donc les familles, après tant d’années de combat homosexuel, de films, d’articles et d’émissions, de propagande prudente et qui respecte la sensibilité publique, pourquoi les familles restent-elles si hostiles à l’homosexualité, dès que c’est celle de leurs enfants ?
J’ai ma réponse à cette question. Tout ce qu’on a appris, dans les familles, sur l’homochose et depuis quinze ans s’est présenté sous un aspect dégoûtant. Je serais maman, papa, je penserais, moi aussi, que si mon gosse devient homo, il sera un monstre ou un déchet humain.
Risibles, les tantes frisées et pointues, les parlers duchesse, les boutons de manchettes et les bagouzes. Atterrantes, les mièvreries pointure fillette du petit déjeuner entre homos, style :
— Ma chérie, je m’aime.
— Oui, ma chatte, moi je m’adore !
Ah les drôles d’amants !
Inquiétants, les travelos ; écœurantes, les folles ; équivoques, les barbus. Atroces, les SM. Est-ce que mon fils, un jour, aura pour idéal de prendre des bains de pisse dans un sauna, avant de se faire enfiler des avant-bras culturistes dans le derrière et de se faire poignarder dans un buisson ? C’est ça, être homo ? Quand mon gosse connaît un pédé, c’est ça qu’il risque ?
Vous avouerez qu’il y a de quoi glacer les familles, et pas seulement elles.
Or il se trouve que les pédophiles et pédérastes réunis (société sans but lucratif) sont exactement le contraire de cette image publique, voyante et générale de l’homosexuel. Le pédophile — vous pouvez m’en croire — est invariablement un homme d’aspect neutre, indolore, modéré et décent. Il n’est ni efféminé ni virilisé, il ne se déguise en rien, sauf en homme invisible ; il ne fréquente aucun mauvais lieu, n’attrape aucune maladie, sauf, quelquefois, une timidité vaguement parano (la peur du flic). Il est le modèle même de l’invité du dimanche, on lui donnerait sans confession le bon Dieu en hostie, sinon Jésus en enfance.
Le voilà, propre, orthodoxe, insipide et banal, qui souffre des mille et une caricatures d’homosexualité que les homos adultes-entre-eux répandent dans les mass-media. Lui, il passe pour un sadique ; eux, ils passent pour des monstres. Le voilà, pauvre bonhomme sans qualité, coincé entre les dix ou vingt salauds qui, chaque année, agressent des enfants (il ne l’a jamais fait), et les quelques milliers de pédés fous de leur corps qui représentent, aux yeux des familles, l’homosexualité elle-même.
En termes moins bariolés : les homos se sont dit : les pédés, les pédos nous font chier. Ils ont une sale réputation. Tripoteurs d’enfants. Sadiques. Malades. Malades ! Et tout et tout. On sera jamais libres, et ce sera à cause de ces mecs-là. Quand le mouvement gay prit forme aux États-Unis, par exemple, les membres actifs jurèrent de ne jamais s’en prendre à un « moins de quatorze ans ». À l’époque, ça m’avait indigné : depuis, je suis devenu moins intransigeant.
Le principe, en tout cas, était nettement posé : il y a des homos honorables, qui vivent entre adultes des amours profondes, et il y a des homos (?) effroyables, qui violent les gosses et dont les exploits, qui encombrent les journaux et les tribunaux, desservent l’homosexualité pure et moustachue. Bref, il y a des homos méritants, qui peuvent se présenter, la bouche en cœur et des fleurs à la main, chez les parents de leur « Ami » (majeur), et d’autres homos qui, eux, ne méritent que Cayenne, l’Île du Diable ou le lynchage. Pouah !
Plus condensé encore : l’homophile c’est bon, le pédosexuel, c’est mauvais.
Figurez-vous que je vais exactement inverser cette proposition. Un tour de passe-passe difficile : ne regardez pas trop mes mains, mais suivez-moi bien.
L’affaire de l’amendement Foyer nous a prouvé, une fois de plus, que la répression des amours entre adultes et mineurs était avant tout une lutte anti-homosexuelle. Au Parlement, on n’a pas évoqué les plaisirs entre hommes de cent ans et filles de quinze ans, entre la doyenne du Doubs et son arrière-petite-fille, entre Madame de ***, impotente mais salace, et le gamin de son jardinier. Non : seul problème soulevé, et seul argument décisif : les relations entre un homme et un garçon. Le reste, on le jette aux orties. Il n’y a que l’enculade qui ait du poids : tout autre amour compte pour du beurre. (Façon de parler.)
Autrement dit, les amours entre mineurs et adultes sont épouvantables, quand elles sont homosexuelles et masculines.
Autrement dit, l’homosexuel mâle est épouvantable. Lui seul.
Donc, en bonne logique, le pédophile, le pédéraste, devrait travailler énergiquement, et même agressivement, à se démarquer des « homosexuels », d’une part, et des « sadiques », d’autre part. (cf. Gide et sa haine des « invertis ».)
En effet, si les homos « connus » n’existaient pas, et si les abus sexuels n’avaient pas lieu, le pédophile homo courant, avec ses milliards de vertus, passerait pour un modèle de citoyen (c’est bien mon cas) et non pour un monstre. La pédérastie serait une sainteté, un exemple que les parents contempleraient en murmurant : « Hélas, je ne suis pas digne ! ».
Oui, à rejet, rejet et demi. Aux homos qui jugent que les pédophiles « salissent » leur cause, je devrais répondre : Non, c’est vous, homos, qui, par l’imbécillité, les ridicules, les délits et les brutalités de vos mœurs, salissez la pédérastie. Vous êtes moches, cons et salauds : quand je connais un gosse, ses parents ont peur qu’un jour il vous ressemble. Alors on me fout à la porte ou on appelle les flics. À cause de vous. Et non à cause de moi. Moi, on ne me « lit » qu’à travers vous.
Ça, c’est bien envoyé. Et, comme la mule du pape, il y a longtemps que je le gardais, ce coup de pied.
Conclusion : à bas les homos, ils sont infects, nous autres pédophiles n’avons rien de commun avec ces pourritures. Nos amours à nous, pédophiles, sont la soixante-dix-septième merveille du monde — la meilleure !
Et pourtant, les pédophiles ne disent rien de pareil. (En fait de merveille, ça c’en est une.) Ils ne « dénoncent » pas les abominations de l’homosexualité entre adultes, ils ne crachent pas non plus à la figure de ceux d’entre eux qui ont commis des délits sexuels (un délit n’est pas une définition d’un homme). Ils — nous — les pédos ne pratiquent pas l’anathème.
Pourquoi ? Hein, pourquoi.
Ah, ce n’est pas malin à deviner. Je suis pédophile ? Eh bien ça veut dire, simplement, que vous, vous autres homos à moustaches, je vous connais et je vous fréquente à l’âge où vous n’avez encore pas un seul poil.
Car tout pédophile pratiquant — je dis bien : pratiquant — découvre le paganisme sexuel de l’enfant. Son égoïsme. Son érotisme facilement malpropre, où le pipi-caca vaut bien celui du Continental (américain) ; ses mièvreries, son narcissisme démesuré ; son sentimentalisme en chewing-gum et en clous (tous formats) ; sa passion du travesti, du cabotinage, des manières, des chichis et des fards ; et la bouleversante pureté de tant d’imperfections. Tous les mythes et tous les mondes, tous les crimes et tous les excès, tous les génies et toutes les saintetés, s’expriment et s’enfantent dans l’amour d’un enfant et d’un adulte.
Puisque je sais cela, comment pourrais-je condamner, chez les adultes, ce qu’il leur reste d’enfance et que les familles appellent monstruosité ? Je serais un pédophile aveugle si je n’apercevais pas, et ne louais pas, dans tous les excès des homos devenus hommes, la part de génie amoureux qu’ils ont héritée de leur propre enfance.
Pour le dire sans lyrisme (parlons plus bas !), un pédophile ne peut regarder qu’avec plaisir, et même avec une pointe d’envie, car ses mœurs à lui sont très sages, les comportements « excessifs » de ces hommes qui, hauts comme trois oranges ou, au contraire, musclés comme une vache bretonne, jouent à quelque chose qui rend moins malheureux et moins bête.
Seules les fausses vertus rendent imbécile et méchant, sèment la souffrance et construisent des prisons. Un talent qu’il faut abandonner aux familles, qui y excellent. Mais pas de ça chez nous !
Ah, on dirait que je crois que la pédérastie rend beau. Je m’expliquerai là-dessus une autre fois.
En tout cas, les pédophiles homos et masculins (je veux bien qu’on m’injurie parce que je dis nous) semblent avoir, malgré l’étroitesse de leurs goûts (moi, j’aime les très grands garçons aussi, mais c’est pas tout le monde !), une idée large, ample, inspirée, lumineuse et ouverte, de ce que l’amour veut dire. Et simplement parce qu’ils connaissent ou ont connu des enfants, certains enfants, et non les moindres. Il serait temps que l’homo de base daigne regarder un peu au-delà de sa moustache ou de son accroche-cœur, et se rende compte qu’on ne naît pas à dix-huit ans.