L’amour en visite (1)

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Chronique de Tony Duvert parue dans Gai Pied n° 30 (septembre1981)


Ouf, l’été s’achève. L’homo-congés-payés rentre à la niche, après avoir ravagé (bien sûr) les braguettes du Tiers-Monde, en sale violeur capitaliste-phallo-misogyne colonialiste qu’il est. Délivrée des pédérastes, la saine jeunesse d’Afrique, d’Asie, d’Amérique Latine, pousse un immense soupir de soulagement et masse avec beaucoup de tendresse et de beurre de yack ses organes génitaux meurtris et ses anus offensés.

Puis elle recompte ses sous, cette jeunesse, et elle prépare, à l’intention des offenseurs qui ont cyniquement laissé leur adresse auxdites victimes, quelque belle lettre catastrophique en français ou en anglais : « Mon père a été écrasé par un énorme serpent, une voiture a mordu ma mère, mon beau-frère a abandonné ma sœur de douze ans avec onze enfants sur les bras, mon petit frère a été enlevé par un passementier obèse et enculeur, on a volé mon slip et mes chaussettes à la bibliothèque pendant que je lisais le Coran, il fait toujours aussi chaud, il n’y a plus de thé à la maison, mon frère il faut m’envoyer un mandat. »

C’est du moins ce que vous affirme l’homo-congés-payés : il ne reçoit que ce genre de lettres-là, il dit :

— Oh là-bas, oui, c’est facile, mais ils sont intéressés. On n’est pas aimé pour soi-même. Ça, jamais, jamais.

Ainsi grince, tout amère, la sale-tante-colonialiste-congés-payés qui, retour de Naples, de Barcelone, de Rio, de Colombo ou de Marrakech, ou de quelques millions d’autres lieux, s’est envoyé en trois semaines exotiques plus de jolis garçons qu’en onze mois de France. Elle a soulagé tout ce qu’elle pouvait de jeunes célibataires de 3 à 33 centimètres (selon les goûts) ; elle a perforé tout ce qu’elle a approché de fesses, depuis la pointure couche-culotte jusqu’au format rugbyman ; elle a rapporté des diapos de ses proies et elle va se branler dessus jusqu’à l’été prochain. Et elle grogne !

Car elle n’a pas trouvé l’amour-toujours. Elle a un mépris absolu, la sale tante, pour les « amours sans lendemain ». Elle ne vous parlera que d’amitié et de grands sentiments : mais elle gaspille ses vacances d’été à courir le saucisson, et elle considère la planète entière comme un immense réservoir de bites où il n’y a pas un être humain. Pas un seul. Y a que des pauvres, et en plus il faut les laver avant de s’en servir. Et les payer ensuite. Le Grand Amour n’habite évidemment pas la culotte en lambeaux de ces « indigènes » qui n’ont pas le sou et qui ne pensent qu’à l’argent.

Ma plaisanterie s’étire. Elle est de très mauvais goût. J’arrête !

Tout le monde a remarqué, ces derniers mois, que la grande presse — Le Monde en tête — se livrait à une campagne anti-homosexuelle d’un genre nouveau, et même audacieux. On s’en est pris à la pédérastie ou la pédophilie des homos en vacances : on a dénoncé l’atroce prostitution de jeunes garçons qui afflige ces pays qu’on visite, l’été, en un coup de charter. Le « fléau social », la pédérastie, se répand comme le choléra grâce aux agences de voyage et à la démocratisation des vacances intercontinentales. Dès qu’il fait beau, l’Europe lâche sur la planète entière ses hordes d’obsédés sexuels, nantis de devises fortes et de faims carnassières. Il faut que cela cesse !

Ainsi, on a accusé les pédés d’exploiter sexuellement la pauvreté des pays pauvres.

Cette énormité reposait sur deux arrière-pensées :

1/ « Prouver » qu’universellement les mineurs ont horreur de s’accoupler à des adultes : s’il y a tant de pays où ils le font, c’est seulement la misère qui les y pousse. Sinon, ça n’existerait jamais, une calamité pareille !

2/ Faire oublier au lecteur que, si ces pays pauvres existent, ils doivent leur indigence aux nations privilégiées qui, telle la France, même socialiste, contribuent obstinément à un ordre économique mondial qui paupérise les trois-quarts de l’humanité.

Joli coup double, en somme. Le beauf qui lit ces journaux vertueux apprend que les pays où l’on meurt de faim souffrent à cause des pédés et non à cause des beaufs.

C’est toujours nous qu’on a tort, et pendant ce temps-là les hétéros (qui ne tripotent, eux, que leurs propres gosses : cf. statistiques sur les viols d’enfants, papa-fifille) s’offriront en toute bonne conscience ces mêmes voyages tiers-mondistes — hôtels climatisés, piscines aseptisées, cuisiné « française », artisanat local, le tout produit par des millions de mioches des deux sexes qui travailleront douze heures par jour et qu’on paye d’un rien de soupe et de beaucoup de gifles. Mais qu’importe ? Ces enfants-là, au moins, ils ne se « prostituent » pas, ils ne sont pas « tombés » jusque là : ils « vendent leur force de travail », simplement… C’est tout de même plus propre !

Étrange, singulier, admirable journalisme. Si français. Je veux dire : si poujadiste, si habile à absoudre les vrais salauds et à désigner des boucs émissaires. Le grand journalisme français ? Un art de lécher le cul du public dans le sens du poil.

Et il en a, du poil aux fesses, ce public-là ! Et rêche, et pâteux de rancir, merde et sueur mêlées, sur le siège des « assis » — depuis Rimbaud, ce n’est plus une chaise de paille, c’est un fauteuil Conforama ou Levitan. On y pourrit beaucoup plus vite, la tête (?) emmaillotée de colique qui mijote. Foutre que j’aime les Français !

En tout cas, l’« ENFANT », une fois de plus, aura servi à faire casser du pédé. Des enfants, l’an dernier, il en est mort quinze millions dans le monde. Morts de faim. Et non pas de « traumatisme sexuel ». Ce qui, certes, n’empêche aucun hétéro de dîner, et aucun pédé de bander. Ce qui n’empêche pas, non plus, que chaque année, sur cette terre, la « paix » poujadiste est deux fois plus meurtrière (s’il s’agit d’enfants) ou neuf fois plus (s’il s’agit de tout le monde) que l’holocauste anti-juif de la guerre hitlérienne en 5 ans. Vive la paix !…

Oh, bien sûr, ce n’est pas un argument pour disculper les pédés d’être, comme je le disais en commençant, des sales tantes colonialistes etc. C’est juste histoire de dire que la presse hétéro préfère dénoncer la petite chiure à nos coins d’œil que la montagne de merde qui coule de son gros cul planétariste philanthropique, Gauloises-Ricard.

Mon vocabulaire tourne à la Père Duchesne, je rougis. Je n’écris pas pour des sans-culottes ! J’aurais dû me contenter du langage christique : la paille et la poutre. (Mais je me connais : dans quel trou je les aurais logées, celles-là ?)

Si mon aimable lecteur, mon aimable lectrice, et les garçonnets aux yeux un peu cernés qui volent le Gai Pied à leur papa, ont supporté jusqu’ici les sinuosités très curieuses de ma pensée, ils vont cueillir la récompense de leur effort : une conclusion implacablement logique, comme il en faut écrire quand on veut laisser croire à ses lecteurs qu’ils sont intelligents. Pas de bonne philosophie sans ce petit coup de langue affectueux dans les yeux intrigués du lecteur attentif.

Il m’a semblé que je haïssais aussi énergiquement les gens qui condamnent la pédérastie « colonialiste », les gens qui la pratiquent, et quelquefois même ceux qui la subissent. J’ai donc pensé qu’en cinq ou six chroniques, j’arriverais à expliquer un peu ce sentiment ; voire à explorer de près ce que signifie l’amour fou entre hommes qui ne se ressemblent pas. C’est réellement le seul amour que j’aime ; dès que je me vois un point commun avec quelqu’un, j’en débande — aimer si peu ses semblables, si violemment aimer ses « contraires », ce n’est pas très « homophile ». Tant pis.

Et qu’est-ce, au juste, qu’un homme « différent » ? Beaucoup d’entre nous ne s’intéressent qu’à ceux qui leur ressemblent en toutes choses. Mais leur ressemblent-ils autant qu’ils se le figurent ? Et ceux qui sont comme moi, tombés amoureux d’un autre peuple, d’une autre culture, d’une autre langue, ont-ils fait autre chose que découvrir enfin leur propre identité, leur être véritable, et, si longtemps après leur naissance civile, leur terre natale ? Car nous sommes nés très loin des cuisses de nos mères.


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Voir aussi

Lettre à Madeleine Chapsal
Lettres à Michel Guy et Jérôme Lindon
Journal d’un innocent