Lettre de Tony Duvert à Madeleine Chapsal
Texte précédent : Lettres à Michel Longuet
Extraits d’une lettre de Tony Duvert à l’écrivaine et journaliste Madeleine Chapsal, citées dans Retour à Duvert (2015)) de Gilles Sebhan.
Le bonheur à Marrakech n’est pas celui de la drague, de la sauvagerie, de la solitude du «fouteur» ; mais, au contraire, d’une étrange et omniprésente sociabilité du plaisir ; elle vous prend, s’ouvre à vous et vous engloutit. Comment revenir en arrière, réendosser les censures, les froideurs, le quant-à-soi qu’on ignore ici ? C’est une ville dure pourtant, une société dont les inégalités, les misères, les obsessions de profit caricaturent les nôtres au centuple ; mais il reste cette déroutante innocence des gens, leur goût d’être ensemble, une générosité qui met presque mal à l’aise. Bref, je ne suis pas du tout au paradis, mais je n’ai jamais tant vécu et vu vivre.
A Paris, j’avais le mal du pays, de cette ville-ci ; je ne pensais qu’à elle, j’étais d’humeur massacrante, je ne supportais plus personne, j’étais plus hargneux et plus écorché qu’à l’âge ingrat ; seules les lettres de Francesco me rendaient heureux, et peut-être davantage que ne l’aurait pu la présence de leur auteur. De même, à chacun de mes retours ici, lorsque l’avion descendait, virait, et que dans l’angle de son aile ensoleillée j’apercevais la ville, vaste, petite, rustique, verdoyante, bien réunie et ronde au milieu d’une campagne aride, j’éprouvais, jusqu’à en avoir des larmes, plus d’émotion que l’instant d’après, quand je retrouvais ces rues, ces maisons, ce climat et ces hommes. Car je n’étais pas épris d’une ville pour la contempler, mais pour y vivre : je l’oubliais donc à la minute où elle commençait à me faire exister. C’est là le bonheur même que j’en espérais, et qu’elle seule me procura, de tous les lieux que j’ai vus.
Voir aussi
Lettre marocaine
L’amour en visite
Journal d’un innocent
Lettres à Michel Guy et Jérôme Lindon
Notes et références
- ↑ Nous n'avons malheureusement pas pu y participer. Gilles Sebhan est-il l'acquéreur de ces lettres ? Quoi qu'il en soit, espérons qu'elles puissent refaire surface un jour....