Lettre de Tony Duvert à José Manuel Cano López

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Texte précédent : Lettres à Alain Duvert

Lettres de Tony Duvert à son ami le metteur en scène José Manuel Cano López, citée dans Retour à Duvert de Gilles Sebhan (2015).


[08/10/1998]

Cher José,

voilà longtemps que je désire t’écrire : la maladie ne me l’a pas permis. Les troubles cardiaques dont je souffrais ont rendu dangereux que je continue à vivre seul. J’ai quitté Tours en juillet 1994, pour habiter avec ma mère une petite maison de village que nous avons près de Vendôme. Calme absolu. Mon état s’est lentement amélioré, mais celui de ma mère est devenu critique. Elle a perdu son cerveau, dont les petits vaisseaux se sont obstrués un à un : et elle n’a plus rien fait sans mon aide ou ma surveillance. Elle est morte après un bref séjour à l’hôpital, et je m’efforce désormais de reprendre en main tout ce que j’avais dû délaisser. J’avais beaucoup regretté que cette mauvaise santé et mon peu de mobilité (je me promets d’apprendre enfin à conduire) me privent d’assister à vos spectacles, tant j’avais aimé ce que j’avais vu de vous. Pendant trois ans, les PTT ont réacheminé le courrier qu’on m’adressait rue Brctonncau, et j’ai bien reçu vos programmes. La poste n’accomplit pas ce service perpétuellement, et quand j’ai voulu renouveler une quatrième fois, on m’a dit non. Je n’ai donc plus aucune nouvelle de l’Autruche Théâtre. Aussi serais-je heureux que ma nouvelle adresse figure dans votre fichier ad hoc. Cette adresse est rigoureusement confidentielle et je te demande de ne jamais la communiquer à qui que ce soit. Merci.

Voilà quinze ans ou environ, je t’avais donné la permission verbale d’utiliser sur scène le texte des Petits Métiers. Vous étiez alors des débutants faméliques, pitoyables, misérables, lamentables, haillonneux, affamés, assoiffés, seuls au monde et tout ça. Moi, j’étais relativement prospère (quoiqu’un peu assoiffé aussi). Puis la maladie et ses médicaments crétinisants (le genre qu’il ne faut pas prendre si l’on conduit, et pour moi cela signifie : si l’on écrit) m’interdirent toute activité créatrice : je n’ai rien publié depuis neuf ans. À présent je ne prends plus rien, et je retravaille. Je m’occupe même à changer d’éditeur, tant Minuit est hargneux et décrépit. Mais chtt, c’est en cours, et ce sera un gros. De l’autre côté, je constate que ta compagnie est couverte de subventions, semble comporter des permanents rétribués et connaître le succès. Je suis donc outré que vous ayez continué à user et abuser de mes Petits Métiers à votre guise, sans me consulter une seule fois sur ces « montages » et sans me verser le moindre franc de droits d’adaptation et de représentation. L’éditeur, Fata Morgana, est une association sans but lucratif, à qui je n’avais cédé que le droit d’édition : je suis donc seul bénéficiaire des autres droits. Et c’est bien pour cela, vu mon manque total d’âpreté au gain, que je ne vous ai pas encore envoyé d’huissier et d’assignation devant un tribunal. Car vous êtes des voleurs. Damnés rascals ! Tu ne peux pas exciper d’une permission orale vieille de trois lustres pour t’approprier un texte pendant des années. C’est indéfendable. Je ne comprends pas comment un garçon aussi droit, aussi chic, aussi pur que José Cano-Lopez a pu se rendre coupable d’une pareille désinvolture, surtout envers un si merveilleux écrivain. Tu n’aurais piraté que Marguerite Duras, passe encore : mais là !… Cela dépasse toutes les limites du sacrilège, du scélérat, du je-m’en-fichisme. Il est donc vraiment temps, cher José, que tu acquittes ta dette. Il serait avilissant pour nous deux que je doive engager une procédure contre ta compagnie. Restons dans l’amiable : et sache qu’en ce cas je n’ai aucune exigence quant à la somme. Je te laisse seul juge de ce qui te semble équitable et proportionné à vos moyens. Si tu crois ne me devoir qu’un franc symbolique, que la honte en retombe sur ta tête ! J’encadrerai le chèque et je l’offrirai au Musée Mondial de l’Impudence Sanglante. En revanche, je ne saurais endurer plus longtemps que tu fasses le mort : et j’attends un geste immédiat. Inutile de me tartiner du bla-bla : je l’exècre. Non : à ton chéquier, je te prie. Mais que mon improbation fulminante, et que la présente objurgation comminatoire ne m’empêchent pas de vous dire à chacun mon souvenir réellement amical, et mon espoir d’assister à vos nouveaux spectacles, peut-être dès le printemps prochain, si mon livre en cours est fini. Et maintenant, agis !

Amitiés.
Tony.


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Voir aussi

Les petits métiers