Abécédaire malveillant : D

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D

DANGER


Que les faibles sont donc dangereux, par leur affreuse passion de se grouper derrière les imbéciles !


DEMAIN


Il y a peu de progrès : sous ce drapeau éclatant, on ne sait guère que réparer quelques erreurs d’hier et préparer aveuglément celles de demain.


DEVENIR


Le médiocre ne se corrige d’un défaut qu’en adoptant un défaut pire : l’ignorant devient pédant, le timide devient péremptoire, le sceptique devient bigot, le pudibond s’exhibe, le constipé coule, le célibataire épouse.


DICTIONNAIRE


Le petit Lafrousse illustré, le dico qui a peur pour nous : celui où un lycéen ne trouve aucun des mots sales qu’il connaît. Il en fera des graffiti sans orthographe, c’est malin.


DIES IRAE


Les dieux grecs égaraient l’homme – un innocent qui leur devait ses vices et ses crimes. Tendresse de cette mythologie.

Le dieu chrétien, lui, outre qu’il nomme péchés vingt actes qui ne nuisent à personne, a créé des hommes qu’il abandonne à un mal qu’il punit et punira encore. Le Bien passe par le châtiment général de l’humanité et la rage de son dieu. On nous présente cette légende horrible comme une consolation, une révélation et un idéal auquel il faut convertir la planète.


DIRE


Pourquoi oppose-t-on la fiction et le récit vécu ? Leur écriture exige le même art de mentir, et la même véracité.

Car, si le roman ne s’alimente qu’à la mémoire des hommes, l’histoire vécue n’est rien sans l’imagination qui inventera, mot après mot, comment la raconter. Si vous n’avez qu’un passé original, du vocabulaire, de la grammaire et de la probité, vos mémoires seront plats, vos essais ennuieront, vos vérités resteront dans leur encre, muettes et molles à jamais. Ces petites sottes n’attirent que bien stylées – adroitement fardées, et dressées à remuer naïvement le croupion. La lecture est une nécrophile qui veut l’illusion du vivant.


DOCTEURS


Ce vieil auteur populaire, qui se vante à tout bout de champ d’être « un p’tit gars de la communale », lui (comme s’il était universellement déshonorant d’avoir poursuivi des études et d’écrire des livres quand même), se flatte, une minute après, qu’« on » lui consacre « des » thèses de doctorat.

Faudrait savoir, pépé. C’est bien ou c’est pas bien, les études ?

Au fait, si t’avais poussé plus loin que ton certif’, les thésards tu saurais quels frimeurs c’est et tu leur pisserais à la rondelle. On te bluffe comme un puceau, old-timer. Tu serais pas un peu enflure, des fois ?


DOS


Au Moyen Âge et jusqu’au XVe siècle, on a appelé la sodomie le délit de l’épine. Peu importait le sexe et l’âge de ce dos : l’Église n’en voulait qu’aux trous du cul – ces diables. Le sacrilège était de faire l’amour par l’envers du corps.

Les religions abrahamiques sont les seules du monde qui persécutent à la fois les deux anneaux masculins : prépuce, anus. Ces sauvages croient déféminiser ainsi le corps mâle.

En renonçant à la circoncision, le christianisme paraît moins barbare : mais il est pire que le judaïsme ou l’islam, car il étend sa persécution à la sexualité tout entière. L’idéal du chrétien est l’eunuque. Saint Paul déjà ne coupe plus les prépuces : il exige davantage – la queue et les oreilles.

Je vois que de voluptueux jeunes garçons d’Italie se masturbent dans leur prépuce et ne s’exercent pas à l’abaisser : il adhère au gland, il semble atteint de phimosis. En réalité, il est comme un vagin secret, toujours à la disposition du membre égoïste qui s’y caressera.


DOULEUR


Actualité cruelle, révolutions, séismes, famines, exécutions, tortures, assassinats, boucheries d’enfants, accidents spectaculaires, infirmités hideuses, sénilité, maladies, chômage, vermine, enterrements. Comme on se plaît à la vue des souffrances d’autrui ! Elle nous confère une légèreté d’oiseau. Leur désespoir nous console, leurs drames nous apaisent, leur décrépitude nous rajeunit, leur laideur nous affine le museau, leur boiterie nous fait danser, leur misère nous allume au ventre un soleil. Aux malheurs de l’homme je goûte une vivifiante ivresse que je ne m’avoue pas.

Ce bonheur est si nécessaire, si universel – toute culture l’a d’ailleurs pratiqué – il pacifie tellement ceux qui en jouissent, que c’est d’un moralisme inepte d’en priver, à la télévision ou ailleurs, la jeunesse, l’enfance, les « faibles ». Ils en ont besoin plus que personne. Voir la violence du monde rend plus doux que subir la violence du censeur.


DRESSAGE


Père et mère inconscients reprochent à leur enfant ce défaut, ce vice, cette habitude qu’il a forcément reçu d’eux, soit par l’hérédité, soit par l’exemple.

Mais comme il est doux de contraindre votre semblable à devenir meilleur que vous !

*

Dans nos conversations, ce garçon qui eut un père sévère – et, je crois, névropathe – multiplie les tortillements, les repentirs, se fait des objections, se coupe de parenthèses, s’accable de ricanements qui soulignent que ce mot, cette idée sont un peu… mais ça n’a pas le sens, n’implique pas le sous-entendu que, bien sûr… Il se garde à gauche, il se garde à droite, et dessous, et dessus, et dedans, il pare à coups de regards alarmés, de mots chevauchés, de gestes nerveux, les attaques incessantes dont son propre discours se hérisse tout seul.

Oui, c’est à son père qu’il parle, c’est avec lui qu’il se bat. Il m’ignore, il a vu une culotte et maintenant il souffre et il a peur. On croirait un rat de laboratoire, dressé dans une boîte de Skinner qu’aurait agencée un fou. On libère le pauvre animal sur une table nue : il s’imagine encore prisonnier du labyrinthe et, dans la terreur des chocs électriques, il poursuit ses parcours contorsionnés, ses sursauts, ses retours, ses explorations anxieuses d’impasses, de couloirs, de dangers qu’il n’y a plus.


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