Quand mourut Jonathan (22)

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Un jour qu’ils rentraient le linge propre, Serge désira endosser les habits de Jonathan, et lui proposa les siens.

Tout nus, ils essayèrent. Le linge de corps posa des problèmes. Jonathan était mince, mais l’enfant était petit : la disproportion ressortait.

Leur déguisement chacun en l’autre fut plus facile avec les chemises et les culottes. Serge fut en clown. Jonathan enfila les bras dans un jean du gamin et se fit deux manches avec. En déchirant un peu un pull-over très large que l’enfant portait volontiers, il y passa les jambes et le transforma en caleçon. Ce qui apparut à travers le col n’était pas une tête de mioche.

Malgré l’inconfort de ces accoutrements, ils s’y jugèrent à l’aise et ne les quittèrent qu’à regret.

Serge s’était entièrement accoutumé à la docilité de Jonathan, et à tout ce qui différenciait celui-ci d’un adulte. Désormais, il aurait plutôt vu dans le jeune homme une espèce de très petit garçon, plus petit que lui, Serge — qui était très doux et très gentil avec les petits. Les violences et les provocations habituelles du gamin en étaient souvent désarmées ; il avait même parfois de la timidité quand il attrapait Jonathan pour faire l’amour. Peut-être le violait-il réellement.

Ou être un petit singe contre un grand singe, se réchauffer l’un l’autre, se chatouiller un peu, se protéger. Ce n’était pas cela, mais Jonathan avait eu cette image et il avait dessiné des singes heureux. Ils avaient meilleure tête que les vrais, ou qu’un homme.

Jonathan travaillait beaucoup, sans y penser. Il occupait ainsi les heures que Serge préférait passer ailleurs. Dès que l’enfant le quittait, Jonathan prenait son pinceau ; dès que l’enfant revenait, il le déposait et oubliait la toile en cours. Ces moments de solitude n’appartenaient plus à sa vie ; ce qu’il y accomplissait l’indifférait.

Simplement, comme une ménagère, pendant que ses morveux sont à l’école, en profite et leur tricote des hardes, Jonathan remplissait de peinture les toiles qu’il avait à fournir par contrat. Il était en retard ; les mois d’été suffirent à le mettre en avance. Jamais il ne peignit en méditant et regardant si peu son œuvre, en ayant moins de projets, moins d’ambition, moins de soucis critiques. Ces machins-là lui plaisaient, oui ; ça n’était pas dur à faire ; ça ne l’ennuyait pas trop ; ça n’était pas grand-chose ; le marchand serait content.

La présence de Serge ne déterminait donc chez Jonathan aucune volonté de création, aucun désir d’expression : simplement l’aisance et la fécondité d’un ouvrier solide. Parfois, il jugeait que ses nouvelles toiles étaient belles, meilleures que les précédentes. Il s’en moquait. Il n’avait pas besoin de s’estimer. Le lieu commun selon lequel on s’accomplit dans une œuvre lui faisait hausser les épaules. Tout ce qui est collectif est borné, tout ce qui est solitaire est nul : entre ces deux convictions, Jonathan aurait eu peine à entretenir un amour d’être artiste.

Il était pressé d’avoir fini et de ranger cet outillage idiot. On admirerait peut-être sa marchandise, mais il n’estimait pas le public des beaux-arts. Passer déjà cinq minutes avec un connaisseur lui remplissait tout le dos de frissons de colère. Il aimait les bonnes gens, c’est-à-dire personne ; et il souffrait d’être apprécié par des cliques auxquelles il n’aurait pas consenti un crachat.


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