Abécédaire malveillant : M

De BoyWiki
Version datée du 23 mai 2016 à 15:41 par Crazysun (discussion | contributions) (Page créée avec « {{Bandeau citation|aligné=droite|d|b]}} ''chapitre précédent : L''<br><br> __TOC__<br> {{Citation longue|<center><big><b>M</b></big></... »)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Il est possible que ce document ne soit pas libre de droits …Si vous possédez des droits sur ce document
et si vous pensez qu’ils ne sont pas respectés,
veuillez le faire savoir à la direction de BoyWiki,
qui mettra fin dès que possible à tout abus avéré.

chapitre précédent : L


M

MANGER


Il me faudrait un estomac d’autruche – une autruche qui se nourrirait des pierres qu’on lui jette. Âpre pitance, mais j’y viens.


MARCHANDISE


Nos libertés individuelles sont choses que nous négocions, et non que nous vivons. Je croirais que la loi nous les reconnaît seulement pour que nous les cédions au plus offrant, sans nous en être autrement servis.

Et il s’agit d’un privilège dont on ne jouit que dans les pays riches. Il n’existe pas au-delà de notre mur d’argent. « Un jour, je pourrai vendre ma liberté, au lieu qu’on me la vole » : c’est la lointaine espérance de cinq milliards d’hommes.


MATIÈRES


On a tort de toujours reprocher aux auteurs à succès leur conformisme enthousiaste, leur putasserie glaireuse, leur couleur de purin.

Après tout, ils ne sont qu’une élite – pour dix millions de lectrices et lecteurs insatiables. Alors, paix aux chieurs de romans : et guerre aux mange-merde !


MATINÉE


Le matin, beaucoup d’hommes qui ont dormi seuls peuvent dire : il y a huit heures que personne n’a souffert à cause de moi. On se remet vaillamment en état d’y remédier : debout.


MAXIMES


Les devises, les maximes qu’on adopte, les proverbes qu’on aime citer sont comme l’empreinte des vides qu’on a : elles informent sur vos faiblesses et vos mauvais desseins, là où vous croyez vous protéger, vous embellir.

Pour devise, Paul Valéry choisissait Je déçois. Jouant sur le mot, il suggère que sa maïeutique vous refroidit, malmène vos illusions, vous impose d’amères vérités. Imposture. Il n’est qu’un mondain obsédé de dominer sèchement, en officier, et d’être applaudi par les dames pour son philosophisme à badine de jonc. C’est sa façon de vouloir plaire. Je déçois : il peint ce blason à triste figure et s’en fait un bouclier contre ceux qui ne l’admireraient pas. Son œuvre entière, sa pensée, sa poétique suent la vanité anxieuse du fort en thème qui verdit à l’idée que son devoir, habile, desséché, arrogant, ne reçoive pas la plus haute note. Rageuse industrie d’eunuque. Mais elle a plu.


MESSE


Comment monsieur le curé peut-il être sûr qu’aucun enfant de chœur ne pisse dans sa burette à vin ? Car il faut se venger, quand on vous a tiré les oreilles. Ou ça remplace le vin qu’on a volé. Ou ça fait rire un camarade.

Mais les bigots avalent n’importe quoi.


MÉDIATISATION


Ce vilain mot mal savant a de bons synonymes que les puristes n’osent pas. Pourquoi ? Exprimez-vous sans honte ! Dites réclame, retape, boniment, commerce, fraude, tapin.


MÉMOIRE


Il n’est pas juste de croire qu’un héros de roman est emprunté par l’écrivain à sa mémoire, ou qu’il est un double secret de l’auteur.

Le texte enfante un personnage en prélevant son germe dans l’esprit du lecteur, comme Dieu créa Ève d’une côte d’Adam.

*

La mémoire n’enregistre jamais machinalement et de façon exhaustive : elle est lacunaire et sélective sur-le-champ. Là où existe un vide archaïque du souvenir, j’étais « absent » et je n’ai rien retenu.

Cette découverte des neurologues achève de ruiner la psychanalyse, qui nous prêta tous les oublis qui lui donnaient raison.

Un cerveau de petit enfant, grenouille ou chat sauvage plutôt qu’archiviste maniaque, s’occupe plus longuement de soi que de non-soi : l’objet principal du cerveau, c’est son corps.

Le dehors s’apprend par prélèvements rapides, méfiants, curieux, suivis de digestions interminables, crâne fermé. Comme, pendant ces opérations prodigieuses, l’enfant bouge, parle, est avec vous, semble participer au vécu général, son huis clos est inapparent. Mais lui n’enregistre rien de ce que votre esprit filme : nous n’avons d’univers en commun qu’à l’issue d’un long dressage qui, pour lui, n’est pas fait. Ici, le petit est somnambule : il agit en rêve – sauf cinq minutes de présence réelle, émiettées en mille réveils le long du jour. À jamais seule avec soi, l’intelligence est noire.


MENTIR


Les frimeurs me déconcertent : simuler, c’est renoncer à être. Comment tricher, comment mentir ? Non, je ne joue pas les purs : si j’avais trois vies, j’en mentirais bien deux.

*

Nous appelons mensonges ceux que nous commettons par accident, pour tromper autrui, ou gagner de l’argent, ou échapper à mille douleurs. Mais nos certitudes, nos candeurs, nos familles, nos souvenirs, nos chagrins, nos croyances, les drames mal écrits où nous enrôlons nos intimes – ces foutaises, je les appelle moi : je vous demande de les appeler moi.


MISANTHROPE


Immense satisfaction qu’il montre à être insatisfait du genre humain. Confiance en soi avec laquelle il doute de tout. Rien ni personne n’est assez bien pour lui : sauf lui.

*

Certain misanthrope dit haïr l’Homme en général, mais aimer chaque homme en particulier.

C’est beaucoup trop haïr – il connaît tous les peuples ? – et s’estimer bien trop. Qui est assez supérieur aux autres pour oser dire : « Tu es homme, mais je te le pardonne et je t’aime malgré tout ? »

Ce misanthrope joue donc à être Dieu. Modestie très répandue chez les moralistes, même incroyants. Et ils écrivent cela avec l’idée qu’on les jugera humbles et bons.


MODÉRATION


Qu’est-ce qu’un homme modérément intelligent ? Un idiot. Modérément honnête ? Un escroc. Modérément beau, il est vilain. Modérément savant, il est ignare. Modérément poli, c’est un goujat. Modérément sobre, c’est un ivrogne. S’il vous aime modérément, il vous hait. S’il travaille modérément, il ne fait rien.

Les modérés ont des mœurs outrancières.


MOYEN ÂGE


Les politiques aiment évoquer les malheurs d’antan pour se flatter des progrès accomplis avant-hier. Mais ils détestent qu’on parle du malheur actuel et du progrès qu’il faut bâtir aujourd’hui. Le passé leur sert de repoussoir : à dîner, ils ont raconté à leurs enfants les disettes du Moyen Âge, parce qu’il fallait manger une soupe à la grimace.


MUSIQUE


Laideur, passivité, incompétence, contentement poli et creux du public estudiantin des concerts classiques pas chers ou gratuits. Boudins mal léchés, binoclards sans queue ni tête, jeunes vieilles demoiselles plâtrées de poussière : quel dépotoir !

*

La musique en France n’a que sept plaies : l’enseignement, la presse, la radio, les mélomanes, le business, neuf interprètes et neuf compositeurs sur dix. Sinon, c’est entièrement bien.

Personne ne ferait un si grand compliment à notre littérature.

*

Belle note de Busoni sur Mozart : Ses solutions sont aussi des énigmes.

Mais tout l’art du monde désire être ainsi.

*

Pianiste est un métier qu’ont envahi les invertis à dents de rat, les séminaristes tortueux, les curés sentencieux, les femmes à poigne, les pions chaussés d’écrase-merde, les asiatiques robotisés et les vieillards poussifs. On joue très mal : lenteur, lourdeur, brutalité, simplisme, prétention, déclamation, didactisme, indigence, frousse, verbosité, patouille. Mille façons d’éviter la partition qu’on fait entendre, et d’infliger la sienne – un chapelet de bruits bourgeois.

Ces messieurs et ces dames achèvent le travail des œuvres là où ils devraient l’entreprendre : ils ne nous livrent que des brouillons. Et tous jouent la même chose. Deux siècles de merveilles sont réduits à une pincée d’ouvrages massifs, que ces redites ont rendus insupportables. Morceaux obligés qui – des Variations Goldberg à Gaspard de la nuit – sont comme des grimaces de rivalité fracassante que les pianistes s’adressent mutuellement :

— Moi aussi je peux jouer ça ! – Moi aussi ! – Moi aussi ! – Moi aussi ! – Moi aussi ! – hurlent ces macaques dactylomanes en se jetant au museau leurs débris de chefs-d’œuvre, comme des singes querelleurs, aux Indes, la bouse des vaches sacrées.


Retour au sommaire