Quand mourut Jonathan (39)
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Il y eut un bruit de moto devant la porte. Jonathan l’entendit de sa chambre. Le motard klaxonna, et la machine fit silence. Quelqu’un appela Jonathan.
Quand le jeune peintre apparut dans le jardin, le motard avait retiré ses gants, son casque, ouvert son blouson, et il franchissait la porte de grillage. C’était Simon. Serge n’était pas avec lui,
Si, Serge est là : sur le chemin, un garçon, visage tourné vers la moto, défait les courroies d’une valise de luxe, assez petite, qui est accrochée à l’arrière. Un grand sac de sport, bleu, au cordon très effiloché, est déjà posé contre une roue.
Un garçon long de jambes et de cou, long et souple comme une fille, un garçon, quelqu’un des villes et des immeubles.
Jonathan regarda cet inconnu sans oser se montrer. Ce n’était pas Serge. Son cou, ses avant-bras brillants, avaient une teinte différente, blanche, délicate. Ses cheveux descendaient sur la nuque et bouclaient vaguement. Son dos était étiré, et ses épaules un peu maigres. Il semblait très soigné.
Jonathan toucha à peine la main de Simon, rentra avec lui dans la cuisine, et ne parvint pas à sourire. L’idée que Serge, d’ici quelques secondes, allait être là, passerait cette porte, avec ses nouveaux cheveux, sa nouvelle taille, sa nouvelle démarche où les épaules, les hanches, les mains, avaient une nouvelle place, remplit Jonathan de terreur.
Il n’avait pas vu Simon depuis au moins deux ans ; curieusement, les lettres qu’ils avaient échangées avaient établi entre eux une familiarité, une sympathie qui n’existait pas avant. Et Simon, homme marié désormais, en paraissait moins bête et moins falot. Il goûta le vin blanc. Il était exalté d’avoir monté le petit chemin à moto. Et deux heures et demie depuis Paris.
— Est-ce qu’on a le droit de rouler avec… dit Jonathan, imaginant Serge assis derrière son père sur la moto.
— Oh je sais pas. Tu sais… De toute façon il a pris le train lui, moi je l’ai pris à la gare, on n’a fait que les huit kilomètres tous les deux. Huit kilomètres du patelin ! T’habites vraiment pas loin toi !… Non, il adore ça la moto, on en fait un peu le dimanche, il aurait bien fait tout le voyage comme ça. Ben c’est pas faisable avec tous les bagages. Maintenant, si c’est autorisé, moi, je te dis… Je sais pas.
Et Serge entra. Il ne baissa pas les yeux : il sembla cependant éviter de regarder Jonathan. Il lui serra la main d’une main absente. Puis il posa sur la table un énorme casque de motard, vert brillant, décoré de brisques blanches et rouges, à visière fumée, à jugulaire de flic.
Il s’assit nonchalamment près de son père. Il était détendu, avec un vague sourire léger, un sourire de fierté légère et vague, rien. Jonathan fut stupéfait de sa beauté, ou de ce qu’il jugea tel. Mais pourquoi lui, Serge ? Cette beauté était en trop — et cet air de jeunesse, ce visage aérien, trop limpide, que n’ont pas les petits enfants.
Plus grand, plus haut, mais moins dense. Désincarné. Diaphane. Jonathan se sentit défait, boursouflé, marqué de maladie et de solitude. Il détournait les yeux, il était sûr de n’avoir plus de regard, seulement deux choses sales, fatiguées et usées, qui n’expriment rien, qui épient honteusement.
Il présenta du whisky, du coca. Simon accueillit l’alcool et s’exclama. Ses avant-bras avaient beaucoup gonflé ; il avait de la graisse à la taille.
— Tiens, va ranger tes affaires, dit-il à Serge. Le garçon obéit instantanément et disparut avec la valise de luxe et le vieux sac de sport.
Cela surprenait Jonathan de voir Serge obéir : ou plutôt de voir Simon commander si aisément, si naturellement, en patron bonasse, à un être qui eût dû l’intimider, l’impressionner, le rendre muet de crainte, d’humilité, d’admiration.
— Il n’a pas tellement grandi, pensa Jonathan. C’est l’impression du début, parce qu’il a changé de proportions, de formes.
Mais les pas dans l’escalier allaient vite. Serge montait les marches deux à deux, malgré son fardeau. Là-haut, le silence fut complet : on aurait dû entendre l’armoire craquer.
— Il n’a pas vu le lit en bas, se dit Jonathan. Ou alors il l’a vu, mais il ne sait pas si c’est pour lui. Il hésite, il ne défait pas ses trucs. Cette valise de jeune cadre. Quand son père sera parti, il redescendra tout.
— Je n’oserai jamais habiter avec ce gosse, pensa-t-il encore. Je ne pourrai pas. Je ne peux pas.
Simon semblait très satisfait de la vie.