Abécédaire malveillant : G

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G

GAGNE-PAIN


Tout salaire mérite travail, du moins un petit peu.


GARÇONS


Jeune fille de famille prudhommesque, sous Napoléon III :

— Père, hélez un sergent de ville, le monsieur en noir m’a regardée ! Hiiiiiiii !

Jeune garçon de famille beauf’, cent vingt ans après :

— M’man ! Appelle un flic ! Y a un type qui m’mate ! Hiiiiiiii !

*

Dans un groupe de jeunes garçons, le « chef » doit être à la fois créatif et orthodoxe : avoir des idées que les autres n’ont pas mais qu’ils approuveront et qui produiront un résultat concret, évaluable, indiscuté. Cela fait du chef l’esclave des normes. Son goût du pouvoir l’établit en une dépendance que les dominés ne connaissent pas. Eux seuls ont droit à l’hérésie.

*

Majesté du jeune garçon. À douze ans, on a douze ans, âge absolu. À quatorze ans, puberté faite et enfance abolie, on n’a plus qu’un an ou deux. Un ou deux ans d’adolescence. Et beaucoup d’hommes en restent là pour la vie, et se jugent supérieurs aux impubères.

*

On répète, à l’éloge des filles, qu’elles sont mûres bien avant les garçons.

Certes. Quand on a élevé côte à côte un bébé chimpanzé et un bébé humain, le singe a grandi et progressé beaucoup plus vite. À un an il dansait, il chantait, il savait déjà lire. – Mais quelles danses, quelles chansons, mais quels livres ! Aucun garçon n’en voudrait.

*

Plus que par les chromosomes, on se reproduit en influençant, en modelant, en favorisant ou en combattant autrui. Un talent qu’on a parfois dès l’enfance. Des gamins peuvent séduire, agir sur vous, délabrer vos savoirs, vous imposer leur monde, être copiés : ils se multiplient déjà.

*

Je deviens citoyen du monde quand j’apprends, saisi de rêverie, qu’il naît sur terre

trente-neuf millions de garçons chaque année. Je vois une aube, un arc-en-ciel. Tous sont beaux, à coup sûr, tous me parlent avec plaisir : et leur nombre me convaincrait déjà de vivre trente-neuf siècles.


GAUDEAMUS


Par analogie avec les miséricordes des stalles d’église, consoles qui soutenaient par-derrière les chanoines debout, on pourrait appeler les godemichés, comme ils manquent d’un nom moderne agréable, des patiences.


GENTIL


Les aréopages du Pur Esprit en ont ainsi jugé : il faut écrire gentil, ça se vend mieux.

Serait-ce que les méchants n’achètent pas de livres ?

Au contraire : il n’y a qu’eux. Mais ils détestent se reconnaître dans leurs lectures. Plus on est âpre, vachard, cynique, rapace, plus on se gorge de romans sucrés. Hitler, Staline, Mussolini, Salazar, Franco n’aimaient que l’opérette mièvre et la chansonnette tire-larmes.


GÉRONTOCRATIE


L’électorat français va compter un nombre critique de personnes âgées. Elles aiment voter, cela distrait leur ennui : et la plupart votent à droite – ou pire.

Un pouvoir politique qu’aura couronné le cortège claudicant des veuves dominera la France au XXIe siècle. Triompheront les démagogues qui annoncent aux vieilles plein de bonbons et de docteurs chez elles, plein de police et de punitions chez les autres. Une peuplade conservatrice écervelée, influençable vers le mal comme ne l’est pas un enfant de sept ans, rendra inhabitable le pays où travaillent ce peu de citoyens de qui dépend l’argent des retraités, la vie des inactifs.

L’habitude des politiciens est de laisser pourrir les problèmes dont la solution compromettrait leur popularité – ce qu’ils appellent les dossiers sensibles. On risque donc de voir une guerre des âges, sournoise, puante, affreuse, avec ses manifestations, ses haines, ses grèves, ses insultes et ses morts.

Le remède serait de modifier le code électoral selon ce principe : on vote si on travaille. On pourrait voter dès douze ou dès quinze ans : au matin de la retraite, en revanche, on restituerait sa carte d’électeur.

Sinon, comment se nomme un territoire où l’on voit « les morts gouverner les vivants » ?


GRAND


Les grands hommes sont des enfants de trois ans qui ont eu la force d’imposer leur folie.

*

Le « monumental » ne se borne pas aux arcs de triomphe et aux pompes militaires : on a aussi détourné des chefs-d’œuvre composés malgré les imbéciles mais qui, quelques décennies ou quelques siècles après, en viennent à incarner l’idée pompeuse et imbécile de la « grandeur ».


GRIS


Les animaux gris ravagent la planète : rat, souris, moineau, mouche, moustique, homme occidental.


GUILLOTINE


Oui, quelle barbarie était la peine de mort – quand on sait maintenant détruire un homme en le gardant debout sur les pattes de derrière, capable de manger à la gamelle, de travailler en atelier, de regarder la télé, de se masturber, de déféquer dans la cuvette prévue à cet usage.

Les morts-vivants ont remplacé les guillotinés : du coup, on en aura cent fois davantage.

*

On dit qu’il faut rétablir la peine de mort contre les assassins d’enfants[1].

Mais ces assassins n’existeraient pas si, jadis, charmants petits garçons, ils avaient été violés et assassinés avant de grandir.

Vous voulez couper les têtes après que les assassinats ont lieu. Quel laxisme !

Non. Guillotinez dès aujourd’hui tous les garçonnets. Ainsi vous empêcherez peut-être qu’apparaissent ces hommes qui tueraient les enfants de demain.


  1. Est-ce pour couper le cou à sept cents pères ou mères de France chaque année ?


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