Lorsque l’enfant paraît - La mère et le pédophile
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Tribune de Tony Duvert paru dans Libération nº 1901 du 28 mars 1980.
Une certaine Xavière Gauthier, auteur, enverra une lettre à Libération suite à cet article. Duvert lui répondra dans L’enfant au masculin (chapitre "Mongolienne").
Il est toujours embêtant de faire de la publicité à de mauvais livres. Et le livre de Lapouge et Pinard-Legry, L’enfant et le pédéraste (Seuil), comme celui de Leïla Sebbar, Le pédophile et la maman (Stock) ne sont guère, surtout le premier, que le collationnement critique des positions des « pédérastes intellectuels », plus ou moins truquées à partir d’interviews-pièges (pour Leïla Sebbar) ou du simple découpage malhonnête de citations de leurs livres (Lapouge et Pinard-Legry). Livres de « seconde main », sans aucune information ni accès direct au sujet, l’enfant et ses passions. Il y a néanmoins là un phénomène sociologique : deux grands éditeurs éprouvent le besoin de publier deux livres critiquant des positions presque inconnues du grand public, celles des « pro-pédophiles ». Le fait, enfin, que les auteurs soit une féministe et deux homosexuels « bien-pensants » est révélateur des nouveaux clivages moralistes. Tony Duvert, romancier et essayiste, Prix Médicis, examine aujourd’hui le livre de Leïla Sebbar, et déchaînera demain sa verve contre celui de Lapouge et Pinard-Legry. Signalons enfin que ces articles n’ouvrent en aucun cas le droit à une polémique publicitaire et contiennent toute réponse possible.
Les gosses se suicident, fuguent, tuent au besoin ; l’école est en crise ; la famille, entre son congélateur, ses gifles et sa télé, ne sait plus quoi faire pour maintenir l’enfant dans son home sweet home ; les mineurs délinquants ont droit, en France, à la justice la plus féroce d’Europe ; les enfants de divorcés s’adjugent comme des paquets de linge ; bref, tout va bien. L’ordre règne, et l’Enfance prospère. Dans ce paradis, l’Enfance ne souffre que d’une ombre : les pédérastes, les pédophiles. Voilà la source de tous les malheurs que vivent les gosses. Il fallait dénoncer les criminels qui, braguette ouverte et bonbons à la main, détruisent le paradis de l’école et délabrent l’Éden familial. Les pédérastes ! Car c’était eux (comme dit Ponson du Terrail) ! Si ces monstres n’existaient pas, les petits garçons et les petites filles feraient des rondes en chœur, et chanteraient de jolies chansons sur leurs papas virils, leurs mamans féminines, leurs professeurs pédagogues, leurs psychochoses compréhensifs, leur télévision télévisuelle, et tout le bonheur que l’Homme a créé, tendre, attentif et grave, pour sa précieuse progéniture.
Casser du pédé : c’est l’ingénieux projet qui a inspiré, chez nous, quelques livres récents. Les grands maîtres de la « protection de l’Enfance » sont désormais, depuis que la Dolto préfère le bon dieu, mesdames Leïla Sebbar, Lapouge, Pinard-Legry.
Leïla Sebbar a écrit un livre qu’elle intitule Le pédophile et la maman. Ce livre n’est pas malhonnête, il n’est que stupide et snob. Stupide, parce qu’on dirait que madame Sebbar a pris pour devise cette forte pensée que le général Bigeard a émise, lors du récent débat parlementaire sur la loi Weil : « Rien ne remplace une maman ! », a dit ce grand guerrier. Le rapport entre cette conviction et l’avortement n’est pas évident, mais l’idée est puissante : enfant égale maman.
Leïla Sebbar considère qu’un gosse a un lien nécessaire avec la femme qui l’a pondu : l’idée que la chair de sa chair puisse séduire un pédophile, ou être séduite par lui, la rend malade. Et c’est tout le mérite de son livre : dévoiler la rivalité amoureuse qui existe entre le pédophile — cet étranger venu du dehors et qui plaît — trop facilement — au gosse — et la maman — cette femme qui se sacrifie, corps et biens, à son enfant, et qui, à ce titre, fait ses besoins affectifs dessus, que ça lui plaise ou non. Madame Sebbar dénonce un adultère : quoi, l’Enfant tromperait sa « maman » avec un pédéraste ? Pouah. Que l’enfant sache qu’un pédéraste n’est pas une maman, lui. Il aime les gosses en général, et non pas le sien propre. Il est aimé de l’enfant quand l’enfant — un enfant — veut bien de lui, et non parce qu’il a, cet adulte, un droit sur quelque enfant que ce soit. Quel salaud !
Cependant, madame Sebbar, qui semble militer discrètement pour l’inceste, a raison. Elle a compris qu’il existe cette rivalité amoureuse entre la mère et le pédophile : la mère aime son gosse parce que c’est le sien (les mères n’aiment guère les gosses de la voisine…) ; le pédo aime un gosse, le désire, risque tout pour lui, parce que c’est LUI. Car le pédo croit que cet enfant, c’est quelqu’un. Comme tout le monde. Quelqu’un : un homme. Le pédo prend les enfants pour des adultes. Ce crime est puni de dix ans de prison. Si je dis que la Sebbar a raison, c’est qu’elle débride, dans son style parisien et futile, l’essentiel du problème : un enfant est-il la propriété de sa « maman », ou de la société, ou d’un pédéraste ?
Peut-il exister seul, être autonome ? Est-il seulement capable de ne pas appartenir à quelqu’un ?
Et, au fait, quel adulte oserait prétendre qu’il peut se passer d’autrui ? Mais, si la pensée de madame Sebbar est stupide, c’est qu’elle ose comparer les amours libres et dangereuses du pédophile et de l’enfant, et les amours séquestrées, obligatoires et arrosées d’allocations familiales, de l’enfant et de la « maman ». C’est comme si elle opposait le voleur à la tire, qui risque la prison, et le commerçant patenté, qui ne vole qu’à l’aide des lois. Notre juridiction condamne le vol illégal, et l’amour hors-commerce. Pourquoi madame Sebbar s’inquiète-t-elle des amours que les lois empêchent d’exister ? Elle me fait penser à ces gens qui militent pour la peine de mort, alors que celle-ci n’est pas abolie. Madame Sebbar, avant de casser du pédophile, ayez la charité d’attendre qu’ils puissent vivre.