Paysage de fantaisie (15)

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ceux du village ont attaqué la nuit dernière et plusieurs arbres ont brûlé       les intrus ont dessiné partout des têtes de mort à la peinture noire ou au goudron ils ont aussi écrit des gros mots en gros

si la nuit tombe sur la chênaie des bouffées d’air rapide passent à travers les feuilles et le garçon qui a perdu beaucoup de sang reste ligoté nu au tronc d’arbre il est évanoui sous le vent froid du soir

la lumière brille derrière les fenêtres du réfectoire elles ont des carreaux losangiques et plombés des échos rieurs annoncent le repas au château on mangeait à sept heures et demie les garçons rentrent de la piscine vers sept heures ils balancent à la main des serviettes lourdes d’eau ils ont remis quelques vêtements et leur chevelure mouillée a reçu un coup de peigne les dents espacées du peigne tracent des sillons parallèles dans les cheveux courts et trop fins qui se hérissent à mesure que le vent léger les sèche et les rend indociles       ils remontent au château par un chemin en sous-bois et coupé d’escaliers de rondins qui gravissent le coteau séparant les prairies et le parc ils vont par groupes de trois ou quatre ils parlent de ce qu’ils ont fait et certains courent d’un groupe à l’autre en agitant leur serviette

les figures les mains les jambes que l’eau de la rivière a glacées ont une sage pâleur et un air reposé la lumière blafarde du crépuscule se reflète en grisaille sur les visages adoucis de fatigue et la faim donne aux voix des sons creux les garçons atteignent la terrasse de buis située derrière le château et qui domine les forêts la campagne et le fil de la rivière que barre la piscine un rectangle sans relief près duquel trois points colorés ont des gesticulations d’être humain les points traversent la prairie et disparaissent les voix d’enfants se rassemblent une à une dans la vieille construction aux rumeurs accueillantes sa façade sur le val a des tours très hautes des créneaux des fenêtres étroites à lourds meneaux de pierre

il est six heures cinq quand Claude rejoint la piscine il est l’un des derniers qui se baignent il est de mauvaise humeur et les petits garçons ne lui lancent pas d’eau il nage sans plaisir il sort il se rhabille il bouscule Yann en maillot de bain qui voulait lui montrer quelque chose il marche dans l’herbe spongieuse du pré il saute un ruisselet marqué par une ligne de joncs il est sur le terrain de jeu il dédaigne un ballon qui lui frôle les tibias il ne répond pas aux appels il s’engouffre sous les chênes le long d’une sente que les buissons cachent il escalade une côte abrupte et approche du bois où il fait presque nuit il entend des froissements de feuilles derrière lui il se retourne Yann est là

je veux pas te voir fiche le camp vous me cassez les pieds vous tous les mioches va-t’en qu’est-ce que t’as à me suivre partout ?

Yann a continué d’avancer il se tient à deux pas de l’autre et le regarde dans les yeux avec surprise bras ballants la tête très droite

alors ? va-t’en

laisse-moi aller avec toi tu vas à la cabane ?

moi j’y vais pas toi

il était là cet après-midi ? demande Yann       Claude ne répond pas

qu’est-ce qu’il t’a fait ?       Claude reprend sa marche l’enfant le suit à quelques mètres mais sur la pointe des pieds comme s’il respectait le repos d’un malade ils abordent la grande esplanade de chênes après laquelle commence la vraie forêt ils apercevront bientôt Serge ligoté à son arbre ils le libéreront

les écorchures de son sexe ils les examinent et d’un doigt humecté de salive Yann nettoie le sang       son prépuce déchiqueté fait souffrir Serge ils conduisent le gamin nu au château on lui mettra de l’alcool de la pommade un pansement on achèvera de laver le sang qui lui a coulé de l’anus entre les jambes et jusqu’aux chevilles Yann qui a la même taille que Serge lui prête des vêtements Claude devrait venger le blessé mais il s’en moque ce sont ses putains les morpions lui sucent sa jute et lui offrent leurs fesses un peu merdeuses ou bien propres il dit à Serge C’est ta faute fallait pas entrer dans le parc moi maintenant je pourrai plus te voir et Yann qui observe la fiancée répudiée a un serrement de cœur Serge paraît abruti dérouté épuisé il ne comprend rien il répète j’vais rentrer chez moi et il reste assis sur le petit tabouret blanc de l’infirmerie sans se boutonner

Yann descend au réfectoire il épluche une tablette de chocolat et il en propose autour de lui tout le monde prend place aux petites tables ils croquent le chocolat noir en attendant le premier plat il y a d’abord de la soupe et des cochonnailles ils boivent de l’eau et de la bière ou du vin un peu coupé chacun a ses deux carafons Yann mange sa soupe en tortillant les fesses parce qu’il se penche à gauche et à droite pour rire dans la figure de ses voisins et l’humidité de ses cheveux le joyeux bavardage la soupe qu’il avale et son derrière qu’il remue tandis que ses pieds balancent sous le petit banc lui font son plaisir de dîner

la soupe à quoi

derrière les carreaux le ciel bleu gris s’efface et une nuit sans étoiles vient coller aux fenêtres l’animation des garçons dans la salle est plus grande les conversations plus rapides les chocs d’assiettes et de couverts plus bruyants les plafonniers brûlent et étincellent comme de vrais feux la cabane au bord de la forêt est vide le petit s’était complètement recroquevillé dans un coin pour admirer la pièce basse aux parois de branchage comme s’il n’y était pas il mesurait tout l’espace enclos le sol balayé face à lui et il s’exalta à l’idée de diviser la cabane en entrée et en chambre il y aura une cloison une porte à rideau il y aura une souche et deux nattes de jonc comme meubles dans l’entrée et dans la chambre il mettra un lit beaucoup de feuilles une autre natte mais très longue plus deux ou trois vieux draps pliés par-dessus pour faire doux il explique à Dédette elle veut bien elle a même un coussin de kapok et un grand morceau de plastique à peine crevé il le placera sur le toit ce sera encore plus étanche il chipe deux bougies en passant et deux verres un flacon une boîte d’allumettes une cuiller à café il cherche aussi un miroir un cendrier une clochette de vache il se rappelle qu’il y en avait une où ça dans l’appentis du garage là où sont leurs clous et leur ficelle

profiter du soleil pour transpirer torse nu sous les feuillages de Tété la cabane s’achève Claude aide l’enfant puisque c’est pour eux deux les mollets et les fesses de Yann à quatre pattes dépassent de la porte il est penché vers l’intérieur il creuse un trou c’est la cave elle aura les dimensions d’une énorme boîte à biscuits qui attend là métal bleu orné de volutes jaunes ils y rangeront leurs larcins ils devront chaparder beaucoup de choses à la cuisine et à l’épicerie ils achèteront plutôt des journaux des images d’aventures qu’on feuillette allongé sur sa natte en mangeant des anchois de la réglisse et des haricots rouges

après la cochonnaille on leur apporte des soles un gros morceau de beurre sur chacune et ceux qui refusent le poisson du vendredi ont de la viande hachée cuite avec un œuf à cheval Yann mange des deux il ne tient pas tellement au poisson mais il aime le beurre citronné qui fond et les petites pommes de terre dorées sauf le persil qui les décore et qu’il racle du bout de son couteau sa carafe est vide il boit toujours comme un trou il ne touche pas au vin il se lève en tenant la carafe d’une main il va la remplir dans la cuisine l’eau froide des robinets du château vient d’une citerne souterraine qu’alimente le puits Yann demande s’il n’aura pas un deuxième hamburger et des petites patates la paysanne s’écrie Sainte Vierge il a le ver solitaire cet enfant-là et du pain mange du pain un peu donc ! mais j’en ai mangé Yann n’est ni maigre ni gros son corps est bien bâti très svelte et légèrement potelé comme celui des garçons de dix ans ses jolies formes aux mouvements vifs sont pleines d’appétit il pose la carafe embuée qui lui mouille les doigts il chipote la sole refroidie il attend le deuxième hamburger il tire le chocolat de sa poche il croque la moitié d’un rang il découvre aussi un vieux petit-beurre oublié il le mâche dans le chocolat de sa bouche

les deux femmes ont perdu leur journée à gratter les inscriptions des garnements sur les murs les enfants du château réunis autour de Jacques organisent une expédition punitive ils rédigent un défi l’enveloppe porte un faux blason colorié Gérard sera le messager il descend au village et remet la lettre à René avec un air sévère       René lit le défi puis il déclare gravement Ce soir neuf heures on y sera       la bataille aura lieu le long de la rivière au-delà du manoir abandonné Jacky et René comptent et arment leurs effectifs

le saladier de laitue pour six Yann se sert presque tout il engloutit de grandes feuilles fraîches et bombées vert pâle brillantes d’huile il aspire chiffonne déchire et ça craque les autres le traitent de veau vache cochon couvée et le cœur de salade trop vinaigré et poivré fait tousser l’enfant il imagina d’installer un étage dans la cabane ce serait une sorte de mezzanine au-dessus du lit on y monterait à l’aide d’une échelle miniature et il y aurait un second lit une cachette il faudrait inventer quoi cacher

il ne combattra pas ce soir les grands ont décidé d’être peu nombreux mais tous très forts les petits sont pris trop vite pas la peine de s’encombrer et les grands prétendent que Yann n’a pas encore l’âge d’être grand ils sont sûrs de gagner ils ont toujours battu ceux du village

avec le château on pourrait faire un vrai siège dit Bob

tu dérailles c’est ceux qui sont dehors qui assiègent corrige Claude nous on serait les assiégés puisqu’on est dedans

on est pas obligé on sortirait       les murs n’étaient pas assez solides pour supporter l’étage Claude coupa quatre grosses branches droites qui serviraient de pilier elles furent plantées en rectangle il n’y eut plus qu’à clouer un cadre dessus et l’étage qui se trouvait à un mètre du sol fut achevé il n’avait pas de plancher Yann y tendit un drap ça ferait hamac le fromage blanc à la crème se mange poudré de sucre on s’enfourne des montagnes pâteuses et laiteuses on se les roule plein la bouche et on se les projette dans la gorge par petits jets de déglutition Yann pense que c’est le plus agréable il pose sa cuiller il bavarde il se lèche les lèvres il gloutonne à nouveau       les grands ont achevé le vin du réfectoire Gérard rapporte une carafe rouge foncé il cligne de l’œil Celui-là il est pur c’est réservé aux hommes       ils ignorent que le vin est très bon ils s’enivrent la guerre est commencée

Claude reste maussade les singeries de Yann l’agacent il aura plaisir à cogner il y a des ordres défense d’avoir un couteau défense de casser les bras défense de matraquer avec la tête des marteaux n’utiliser que le manche il ne faut pas que les parents des culs-terreux portent plainte Visez la bite ils iront pas le raconter répète Jacky       les éclairs au café ne sont pas assez fourrés de crème pâtissière Yann n’en mange qu’un et il se précipite sur les œufs à la neige ce n’est pas la neige qu’il préfère il se verse plusieurs verres de belle crème jaune liquide et vanillée

t’as un ventre comme Dédette

j’en ai pas un ventre       Yann soulève son maillot jusqu’aux tétins les autres voient son petit devant blanc et sans bosse

tu le rentres

je le rentre pas       il tape dessus pour prouver et les claques sèches et mates lui disent qu’il dîne bien

peut-être mais ton cul il est gros

non pas mon cul et tu Tas même pas vu

attends i va t’enlever son froc

et alors ? demande Yann supérieur       les guerriers au dortoir achèvent leurs préparatifs Jacky expose ses idées de stratégie ils partiront vers huit heures et demie parce que les ennemis vont sûrement s’embusquer derrière les arbres de la rivière et Jacky et ses braves les surprendront avant qu’ils soient prêts on fera des prisonniers on les rassemblera dans la maison en ruine Yann voudrait les surveiller

non t’as pas douze ans t’iras pas

je suis aussi grand que toi je parie que je te bats si on se bat

écrase       Yann qui parlait pour rire se tait et le capitaine reprend ses explications

l’étage crève dès que Yann y monte il déchire le drap et entraîne le cadre de branches il n’y a plus qu’à recommencer ils volent des planches à la scierie l’espace entre la mezzanine et le toit de la cabane atteint cinquante ou soixante centimètres c’est une niche on s’y glisse on s’y aplatit

on peut pas s’enculer en haut remarque Claude on se cognera le crâne braoum

si si on se met de côté

comment

facile couche-toi comme moi Yann s’allonge en chien de fusil sur la natte de l’entrée mais Claude ne l’imite pas Yann se contente d’esquisser la forme d’un corps devant lui et il se relève Peuh ce serait moche dit Claude j’aime mieux à plat ventre

le dortoir où patiente une douzaine de bambins semble vide après le départ des guerriers Yann s’ennuie et propose qu’ils aillent dans le jardin il s’arrange avec trois des moins petits ils joueront aux sept familles-déshabillage et les autres à la chandelle

il multiplie les étagères les cloisons les recoins il menuise un coffre-placard près de la porte il découpe un œil-de-bœuf que fermera un mouchoir il bâtit fiévreusement une abside carrée qui prolongera sa chambre dont la paroi sera percée d’un trou à ras du sol là on ne tient que replié en boule C’est pour mon chien dit Yann il est le chien quand Claude veut bien sourire

ça me plairait une petite tour

un mirador un très très haut dit Claude

oh oui

ça va être dur attends je cherche un copain       la tour fut aussi haute que deux garçons et demi on y était comme à un poste de vigie et Yann pirate signalait les navires qui loin dans la houle des arbres voguaient à l’horizon

la lune s’est levée les lanternes et les fenêtres ouvertes du château éclairent les pelouses à massifs de spirées rouge cramoisi et de genêts d’Espagne Yann se rappelle Serge et les rendez-vous secrets il est jaloux il n’aime plus autant Claude il demande madame Potard à François assis sur l’herbe près de lui Je l’ai pas m’ame Pétard dit François On aurait dû faire un pot dit Bob il y a Denis celui qui pompe Jacques à la douche tous les matins agenouillé pendant que le grand lui savonne les tifs François lui réclame le père Cornichon Denis a le père il le donne François veut la mère aussi Non j’ai plus de cornichons si l’autre n’a pas la carte qu’on lui demande on perd et on retire un vêtement la nuit est douce Yann demande madame Potard à Denis qui répond non Yann doit ôter sa deuxième chaussette il est pieds nus à présent

la fille Tirebouchon ?

enlève ta culotte j’l’ai pas

mais c’est personne qui l’a

sais rien enlève ta culotte

mince dit François qui obéit Yann n’est que torse nu il bande il chatouille son voisin en slip Qu’est-ce que j’ai chaud tiens Nini passe-moi le fils Dutrou       on entend crier Chandelle ! à l’autre bout de la pelouse

eh c’est pas à toi de jouer c’est à moi je veux le grand-père Veaugras

ai pas enlève ton pull boh i triche il a deux pulls

oh les gars moi j’ai toute la famille Biroute crie François j’remets mon froc

montre-la-nous d’abord

il remplaça le mouchoir de la fenêtre par un vrai carreau il suspendit sa clochette à l’entrée et enfin leur nom Yann et Claude sur une écorce peinte en blanc       il traça parmi les feuilles autour de la cabane une allée qu’il déblaya du pied l’allée zigzaguait comme celle d’une maison-champignon de dessin animé elle mesurait dix-huit pas qu’il parcourait cinquante fois aller retour il allait chez lui il partait de chez lui mais lorsque Claude était là Yann ne jouait plus qu’au châtelain au petit frère et à l’amiral

il creusa un chenal pour ses bateaux le long du chemin il y consacra plusieurs jours il puisait à la piscine une eau que la terre du chenal absorbait en deux ou trois heures le temps de voyager au long cours surtout à moteur

il ajouta un bassin qui serait le port il l’aménagea il taillait des entrepôts dans des boîtes à chaussures il y eut des grues de meccano et une gare dont les lampes s’allumaient il y eut un train un ranch des autos des cavaliers des soucoupes volantes tous les garçons ramenaient leurs jouets autour du bassin ils dédaignaient le parc et la rivière pour ce rond d’eau boueuse aux écumes de café au lait

les joueurs de chandelle changent de jeu On fait une course à la brouette vous venez pas ?

on a pas fini les familles

oh dit Bob non une course à trois jambes d’accord ?

ouais ouais oui

on se met ensemble hein François ? dit Yann qui suit son idée fixe les joueurs se groupent deux à deux et chaque couple s’attache cheville gauche de l’un contre cheville droite de l’autre avec un mouchoir une ceinture une chemise tortillée

les premiers arrivés là où y a le truc ils gagnent ! Bob montre l’arceau de lattes vertes de la roseraie et les coureurs entravés partent ils s’écroulent dans la pénombre ils sautillent ils se relèvent en se faisant tomber ils traversent avant le but une allée de gravillons et des couples à trois pattes se meurtrissent les mains et les genoux

on arrête maintenant on joue à chat coupé ou on rentre ?

chat coupé

non encore une course

on rentre

j’ai pas sommeil

si

moi il fait trop nuit je me couche

là-haut on aurait qu’à jouer au voyage en Chine

oh oui on y joue

non ça prendra pas tout le monde le connaît

il sait pas lui toi François t’y as déjà joué ?

non c’est quoi ?

au poil allez on rentre

les garçons du village vaincus et prisonniers avaient été poussés en file jusqu’aux jeunes frênes et aux sorbiers qui ombrent la rivière près du pont ils furent déshabillés complètement par Tannée du château puis ficelés bras en croix chacun aux branches basses d’un arbre et les paysans qui descendent pêcher sous la pluie à l’aube découvrent avec stupeur cette forêt de christs en chaussettes


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