|
|
Ligne 2 : |
Ligne 2 : |
|
| |
|
| ''[[Quand mourut Jonathan (24)|précédent]]''<br><br> | | ''[[Quand mourut Jonathan (24)|précédent]]''<br><br> |
| {{Citation longue|Aux premières pluies, le vieux chien noir de la vieille voisine était devenu impotent. | | {{Citation longue|Si la vieille faisait des crêpes, Serge faisait des pets d’œuf. Cela sentait une odeur |
| Jonathan entendait la vieille crier pendant qu’elle le poussait dehors pour qu’il ne chie pas
| | spéciale, juste celle des pets d’œuf. Le bruit aisé, filé, chantant, rapide, avait aussi une |
| dans la maison. Il peinait à marcher. Il y voyait mal et se cognait en avançant ; ses pattes
| | mélodie particulière. Quand Jonathan assistait à des pets de ce genre, il pensait à des œufs |
| raides ne le portaient plus et s’effondraient sous lui au premier coup que la vieille,
| | durs, puis à de la mayonnaise : et il en préparait le soir. Serge aussi aimait beaucoup la |
| impatientée, lui envoyait dans le cul. Il restait couché à l’abri autant que sa maîtresse y
| | mayonnaise. Il pétait comme un jeune chien, avec surprise.}}<br> |
| consentait. Ce n’était pas assez : il n’était pas question qu’il meure sans que la vieille le lui
| | ''{{droite|[[Quand mourut Jonathan (26)|suivant]]}}'' |
| fasse comprendre — elle qui, encore un peu ingambe, attendait son tour et voulait s’en
| |
| venger.
| |
| | |
| Dans l’humidité de l’automne, le chien acheva de péricliter. La vieille le mettait sur un
| |
| paillasson puis tirait ce paillasson sur son seuil ; elle renversait la bête, qui abandonnait là ses
| |
| déjections. Jonathan voyait cela, et tremblait de douleur.
| |
| | |
| Une fin d’après-midi, parce que la femme était lassée, ou que décidément, pour elle aussi, Serge était parti, ou que l’hiver et sa menace de mort régnaient sur les maisons, elle se
| |
| débarrassa de son chien.
| |
| | |
| Jonathan était au jardin. Il entretenait avec un soin maniaque le petit bassin de Serge, | |
| dont il avait rentré les meubles. Il aperçut, à travers le grillage et les vrilles sèches du liseron
| |
| flétri, la vieille qui tirait son chien par une grosse corde, étrangement longue.
| |
| | |
| Le chien ne marchait plus, il tomba sur le flanc. La vieille le traîna par le cou et lui fit
| |
| tourner l’allée. Ils passèrent de l’autre côté de la maison.
| |
| | |
| Jonathan savait ce qui allait suivre. Chez les commerçants du village, on lui avait déjà
| |
| dit (comme il voyait beaucoup de chiens de chasse ou de garde, et s’enquérait d’eux) que
| |
| l’habitude était de pendre les vieilles bêtes. C’est gratuit et ça ne fait pas mal.
| |
| | |
| D’abord Jonathan resta accroupi, à polir comme un imbécile le petit chenal en
| |
| demi-cercle du bassin vide. Des herbes maigres poussaient au fond, presque dans la journée,
| |
| malgré le froid ; il les arrachait. Seul décor laissé sur l’île, les petits personnages, plantés sur
| |
| leurs jambes d’allumettes, tombaient à cause de la pluie, qui les descellait ; Jonathan les
| |
| replantait. Il hésitait à les rentrer à l’abri ; il préférait encore que les bonshommes pourrissent,
| |
| il craignait trop de voir l’île tout à fait nue. Pendant ce travail, il n’était pas triste. Son
| |
| imagination lui recréait chaque geste, chaque attitude, chaque visage et chaque intonation de
| |
| Serge au jardin : et il s’étonnait d’en avoir tant retenu, car il croyait s’être interdit d’observer
| |
| l’enfant.
| |
| | |
| — Ah bon Dieu ! cria la vieille en revenant du côté où Jonathan pouvait la voir. Ah
| |
| garce ah la charogne ! Bon Dieu Marie de merde !
| |
| | |
| La femme, qui boitait un peu sur sa canne, arracha la bêche du sol et repartit
| |
| pesamment.
| |
| | |
| Terrifié, Jonathan resta un moment à comprendre ce que cela signifiait. Elle n’allait
| |
| évidemment pas creuser une fosse. Non : faute de force dans les bras, elle avait dû échouer à
| |
| pendre sa bête, et elle changeait d’outil.
| |
| | |
| Jonathan se releva tout d’un coup et se précipita sur le chemin. Il entra dans le jardin de
| |
| sa voisine, courut vers les derrières de la maison.
| |
| | |
| C’était trop tard. Ou trop tôt. La femme cassait le cou et le crâne de son chien, couché
| |
| par terre, avec l’angle de la bêche ; elle criait des injures en même temps ; elle se tenait
| |
| penchée de côté sur sa canne, coincée sous le coude. Le chien n’aboyait pas, mais, à chaque
| |
| secousse, il poussait un petit gémissement, tombé de ses poumons chétifs. Un sang rouge
| |
| foncé lui inondait le cou et le crâne, où la peau était fendue de nombreuses lèvres brillantes. Il
| |
| vivait, gémissait, les coups de bêche le secouaient, la vieille hurlait :
| |
| | |
| — Mais tu crèves, mais tu crèves ah carogne mais vas-tu crever oui ?
| |
| | |
| Mais elle tapait mal.
| |
| | |
| Jonathan se jeta sur la bonne femme, lui arracha la bêche des mains et, de toutes ses
| |
| forces, il fit éclater le crâne du vieux chien. Les pattes tremblèrent et se raidirent jusqu’aux
| |
| ongles. La queue bougea plus doucement et retomba sur le sol avec une lenteur désolante. Les
| |
| oreilles noyées de sang partirent en arrière et se fixèrent dans une position de lubricité.
| |
| | |
| Jonathan posa la bêche et, se retournant, il injuria la femme et la bouscula d’un coup de
| |
| bras. Elle tomba sur le cul et cria contre les étrangers, la jeunesse, les races.
| |
| | |
| — Je reviendrai l’enterrer, dit Jonathan, mouillé de larmes et les doigts sales.}}<br>
| |
| ''{{droite|[[Quand mourut Jonathan (26)|suivant : deuxième partie]]}}'' | |
| <center>[[Quand mourut Jonathan|Retour au sommaire]]</center> | | <center>[[Quand mourut Jonathan|Retour au sommaire]]</center> |
| [[Catégorie:Quand mourut Jonathan]] | | [[Catégorie:Quand mourut Jonathan]] |
Il est possible que ce document ne soit pas libre de droits …Si vous possédez des droits sur ce document
et si vous pensez qu’ils ne sont pas respectés,
veuillez le faire savoir à la direction de BoyWiki,
qui mettra fin dès que possible à tout abus avéré.
précédent
Si la vieille faisait des crêpes, Serge faisait des pets d’œuf. Cela sentait une odeur
spéciale, juste celle des pets d’œuf. Le bruit aisé, filé, chantant, rapide, avait aussi une
mélodie particulière. Quand Jonathan assistait à des pets de ce genre, il pensait à des œufs
durs, puis à de la mayonnaise : et il en préparait le soir. Serge aussi aimait beaucoup la
mayonnaise. Il pétait comme un jeune chien, avec surprise.
Retour au sommaire