Lettres de Tony Duvert à Jean-Pierre Joecker
Texte précédent : Lettres à René Schérer
Lettres de Tony Duvert à Jean-Pierre Joecker, ami et rédacteur en chef du magazine Masques.
La première a été publiée en octobre 2012 sur le site de masques. Toutes ces lettres sont conservées à la BNF.
Les passages en italique représentent ce qui a été écrit à la main, les passages en romain à ce qui a été tapé à la machine.
Cher Jean-Pierre,
Merci de m’avoir adressé ce premier numéro de Masques[1] ; il m’a enchanté. Sa diversité, son internationalisme le rendent passionnant et neuf. Quelle bonne formule, et comme je souhaite que ça marche !
(Un petit détail ridicule, au passage : l’interview de Baudry m’a tellement révolté que, contrairement à ce que j’avais promis, j’ai renoncé à participer au congrès d’Arcadie…)[2]
Oui, je regrette de ne pas avoir pu travailler assez vite pour vous envoyer à temps le texte promis. Ce n’est peut-être pas plus mal, d’ailleurs, avec ce long compte-rendu sur l’Île qu’il y a au sommaire ; ça aurait fait un peu louche, non ? (Merci de cet article, au fait, il est vraiment agréable — quoiqu’il grossisse un peu mon malheureux livre !)
Peux-tu me dire à quelle date vraiment limite je pourrais vous envoyer qqch. pour le prochain numéro ? Je me suis complètement enfoncé dans la composition de mon nouveau roman, et les loisirs me manquent !
Encore tous mes compliments ; je passe peut-être à Paris dans le courant du mois (ça dépend des questions d’argent qui, en ce moment, sont pendantes) et, bien sûr, je te fais signe. J’aimerais beaucoup rencontrer l’équipe de la revue, s’il lui arrive de se rassembler.
Cher Jean-Pierre,
Merci de m’avoir donné de bonnes nouvelles du prochain numéro de Masques. (Au fait, je suis honteux de ne pas être encore abonné, je crois : mais j’ai eu quelques problèmes financiers ces temps-ci. Ça va passer !)
Je fais tout mon possible pour vous envoyer quelque chose d’ici la mi-août — c’est le délai que tu m’avais indiqué. Je suis écrasé de travail, je n’ai aucune chance de pouvoir quitter ma machine à écrire avant l’an prochain. Mais tant pis, j’aime ça.
Si tu rencontres les gens qui organisent cette université d’été de Marseille, dis-leur mille gentillesses de ma part. Je ne pourrai pas venir et je n’ai même pas pris le temps de m’excuser. Je suis au bagne ! Pas même allé à Paris depuis mars.
Cher Jean-Pierre,
Je suis désolé de t’envoyer ça si tardivement : mais je suis vraiment écrasé de travail. Drôle d’été ! Le texte n’est pas une nouvelle (je n’avais rien au point, finalement, dans ce genre), mais une sorte d’article comme j’en faisais pour Minuit. Si ça convient, tant mieux : sinon, le manuscrit s’appelle reviens (je n’ai pas de double) !
J’espère que ça ne sera pas trop tard pour le n°2 de Masques : en tout cas, cette fois-ci ou pour un autre numéro, je ne tiens — mais très sérieusement — qu’à deux choses : pas de coupures, et pas de coquilles typo. Hum !…
Peut-être que je passerai à Paris vers la mi-septembre ; je serai heureux de te faire signe. Et bon courage pour réussir ce numéro 2.
Cher Jean-Pierre,
Merci d’avoir supporté mon texte ! Mais — pardon de te dire cela si tardivement — un souhait très pressant : je voudrais le retoucher. Je n’ai pas de double. Peux-tu m’en envoyer un ? Je renverrai la version corrigée dans les 48 heures.
Pourquoi ce repentir ? C’est que, surchargé, j’ai écrit ça trop vite, et j’en ai un mauvais souvenir. S’il n’est pas trop tard, pouvons-nous convenir de ceci : si je renvoie la version corrigée à temps, c’est celle-là que Masques imprime. Sinon, vous publiez le texte que vous avez. Oui ?
Enfin, mes plus vifs compliments pour le n°2. Toujours une quantité extravagante de coquilles — impardonnables, franchement, dans un machin trimestriel ! — mais que de bonnes choses ! J’ai été, évidemment, consterné, révolté par les opinions de Nelly etc., qui assimilent la maternité à une sorte de masturbation très gratifiante pour la femme et son godemiché (le gosse). Choqué aussi par un excès de confidences autobios de pédés coincés (vos collaborateurs ?!) qui m’ont fait penser aux pires années d’Arcadie. Il me semble que ces choses-là n’apportent rien à personne. Comme pédéraste[3], j’ai toujours connu, et pour cause, des pédés précoces et hardis, d’une aisance et d’une gentillesse sans façons qui me semble le meilleur de nos mœurs*. Mais puisque, dirait-on, Masques est aux mains de de garçons qui se sont « assumés » très tard et très difficilement… c’est toujours bon à savoir.
Bref, ce que j’aime le plus, c’est l’internationalisme (une vraie transfusion de sang frais pour le triste militantisme français à longue figure), et surtout la présence des femmes homos. C’est un progrès immense, un accord indispensable, une confrontation fabuleusement riche — d’autant qu’elles ont, elles, beaucoup moins de clichés sexuels que nous. Tant pis si l’« enfant » les taquine dans un coin… Ça passera.
Peux-tu m’adresser rapidement le double que je souhaite ? Mille mercis d’avance.
P.S. J’espère absolument que tu auras un bon texte sur la déclaration de Jean-Paul II (« le comportement homosexuel est une malhonnêteté ») ! Sinon, je peux le faire. Mais quel délai ???
* Est-ce un problème de classes sociales ? Masques me semble être trop le reflet d’une homosexualité petite-bourgeoise très mal vécue. Quand on « fait » dans les moins de 16 ans, on découvre tout autre chose. Trouve et interviewe des « pauvres » !… Les pédés de la « classe laborieuse » (dixit le P.C.) sont libres, eux… jusqu’à 16 ans…
Cher Jean-Pierre,
Merci de me répondre à temps, je vais voir si je peux rendre l’article plus clair. Il y a des nœuds !
Côté pape, merci de m’accorder ce joli morceau. Miam ! Je t’envoie à temps (càd. d’ici qqs jours) 3 ou 4 pages comme celles du Narcisse (en longueur). Par contre, Khomeini, je ne peux pas. L’Islam vaut mieux que ce vieil étron. J’en sais trop peu, ça me gène. Donc, pour Masques, champ libre. Je me contenterai du corbeau albinos*. Tirez donc la corneille à barbe** !
Encore merci de cette photocopie si prompte, et si utile.
* [en marge dessin d’une croix]
** [en marge dessin d’un croissant]
Cher Jean-Pierre,
Rien d’essentiel à retoucher, finalement, dans ce Narcisse. Quelques coupures ; je t’envoie les pages correspondantes ; tu serais vraiment aimable de reporter cela sur le manuscrit ou les épreuves.
Quant au pape, mea culpa ! Je n’ai pas pu, et ce n’est même pas de ma faute. Un ami m’avait promis de m’envoyer le texte exact des déclarations de JP.II, coupures du « Monde » etc., texte évidemment indispensable pour ce que je voulais faire. Hélas, je n’ai encore rien reçu. (Dieu merci, le dernier Gai Pied mouche assez bien le curé polonais : c’est toujours ça de pris.)
Encore mille excuses, et mille mercis.
Cher Jean-Pierre,
Je suis consterné d’avoir mis si longtemps à te remercier du soin avec lequel Masques avait publié mon texte (qui m’a paru bien fantaisiste pour le ton, si sérieux, de la revue). Ce Narcisse mis à part, Masques continue de s’améliorer, et je m’émerveille du travail que vous faites. Évidemment, la table ronde manquait… d’angles — mais je suppose que sa nature le veut !
J’avais espéré t’envoyer un texte — hyper-littéraire — sur les travelos, que j’affectionnais beaucoup entre 17 et 20 ans (ils avaient mon âge, au plus, il est vrai). Cette expérience très intime des folles et follettes de 15 à 20 ans me laisse les souvenirs les plus rieurs de mon ancienne vie de pédé. Hélas, pas une minute pour écrire correctement ça. Mon pauvre roman n’en finit plus d’être en retard (je crois qu’il ne paraîtra pas avant l’automne) ; la situation, côté fric, devient critique, et pour cause ; bref, me voilà interdit de récréation, et de travail bénévole.
Bien sûr, si j’ai, par hasard, un petit texte tout prêt et pas trop honteux, je me ferai un plaisir de le proposer à Masques. Veux-tu me tenir au courant des thèmes de vos prochains numéros ?
Cher Jean-Pierre,
Les filles qui ont écrit pour Masques une réponse à mon article ne me donnent pas de coordonnées où leur envoyer ma réponse. La voici. Aurais-tu la gentillesse de la leur transmettre ? — Je crains qu’elle ne les enchante guère, et tu serais peut-être prudent d’en prendre une photocopie avant de la leur communiquer.
À publier dès que possible ? Mille mercis d’avance.
Cher Jean-Pierre,
Merci de tes deux lettres. J’ai bien ri de savoir que Pinard ne voulait plus de ce débat à cause de ma lettre. Que craint-il ? Une paire de gifles ?! Il y a, dirait-on, des gens qui sous-estiment les risques qu’ils prennent quand ils écrivent des âneries malfaisantes…
De toute façon, tu avais deviné juste : je n’aurai pas la liberté d’aller à Paris pour ça. Non seulement mon roman n’en finit plus, mais j’en interromps la rédaction pour écrire un petit pamphlet, intitulé l’Enfance au masculin, et qui est — indirectement, car j’ai mieux à faire que de réfuter des conneries — une réponse à Pinard et Sebbar (ah celle-là !). Je répugne, tu le sais, à tout travail « théorique » sur la pédérastie : je ne pense honnêtement pas que les conditions socio-culturelles qui permettraient de disposer d’un matériau de pensée non orienté soient réunies : le pédé n’est pas libre, l’enfant n’est pas libre non plus, on ne sait rien sur rien, on n’a même que des vécus asservis à l’ordre d’en face. Mais tant pis ; je m’y mets.
Je n’envisage pas d’autre participation au débat en question ; pas le temps, et pas la peine de répéter la même chose sous plusieurs formes. D’autant que le livre sera très bien soutenu, je crois, par l’éditeur, qui, si puritain qu’il soit, a été passablement écœuré par l’imbécillité des Pinard-Sebbar. Le bouquin va donc être très vite achevé et publié.
À part ça, on m’a proposé d’écrire qqs lignes sur ces merdes pour Libé ; j’ai fait un mini-article de mauvaise humeur, destiné à un public non spécialisé. Pas sûr que ça passe, on verra bien.
Voilà où j’en suis. Je suppose que Masques, en s’adressant à ce qu’il y a de groupes pédophiles, pourrait faire le débat que tu souhaites ; je ne sais s’il s’y dira des choses intelligentes, mais en tout cas, ça fera du papier imprimé.
Bien désolé, à cause de ces urgences, de ne pas pouvoir non plus accepter les autres propositions. Mauvaise période ! Ça va passer.
Au fait, j’espère que tu vas faire réellement ces articles sur nos penseurs violés[4]. Tu t’exprimes avec une telle modération que c’est peut-être juste ce qu’il faut — en attendant mieux !
Cher Jean-Pierre,
Hélas, je continue de travailler avec la même peine et la même lenteur que depuis toujours. Mon malheureux roman aura bien un an de retard sur les engagements que j’avais pris, et je doute qu’on puisse le faire paraître avant janvier. Il faudra que je me prive encore de Goncourt cette année ! Ah là là. Ça arrangerait pourtant bien mes finances — qui sont passées du catastrophique à l’invraisemblable. Mais, après tout, j’aime vivre ainsi ; et, plus je vieillis, plus ça me fait plaisir. Maso, hein.
L’enfant au masculin (titre définitif) sera seulement achevé ces jours-ci ; j’en ai fait un petit livre ultra-personnel, et non pas une « réponse » dans le genre du Bon sexe. Les auteurs mis en cause, en effet, sont de trop menu fretin pour mériter qu’on leur consacre un bouquin. Au moins, Hachette, ça a eu son million d’exemplaires et ses traductions (jusqu’ici, moi, on n’a traduit mon Bon sexe qu’en Espagne !), j’avais à qui parler. Tandis que les Legry-Sebbar… L’idée simplissime que développe, à sa façon, mon Enfant, c’est qu’on ne doit surtout pas séparer homos adultes et homos mineurs — enfants ou ados à comportements homos éventuels — dans les luttes pour ces libertés : car c’est bel et bien dans le dressage du mineur que les hétéros fabriquent de toutes pièces la minorité que nous sommes et que nous ne devrions pas être. Hétérosexualiser de force tous les gosses, puis « laisser vivre » les majeurs homos — çàd. les ex-enfants sur qui ce conditionnement n’a pas pris — c’est évidemment, pour les hétéros, brouiller nos cartes. Mais ce thème (à propos duquel je développe la notion, le concept polémique et sociologique, d’hétérocratie (notion brevetée, ne pas voler tout de suite svp. !)) appelle une infinité de développements que je n’ai pas eu le temps de faire. Voilà pourquoi je me serai contenté d’un petit livre ultra-subjectif, qui a plutôt le caractère d’un manifeste passionnel que d’une-sage-étude-sur. Aussi bien, ces bouquins-là se diffusent et se vendent sur le nom de l’auteur — tant il est difficile de faire avaler des sujets pareils aux libraires. Mais c’est l’avantage, aussi, du book-business ; la sauce fait supporter le poisson. Enfin, on verra.
Je suis toujours très heureux de recevoir tes lettres et de lire Masques ; moins paresseux, moins préoccupé, je te répondrais plus souvent. Ravi d’apprendre que Pinard s’est brouillé avec vous ; il me semble que vous lui aviez laissé la part très belle, et qu’il est mal venu de se plaindre de vous. Surtout quand on pense que les interviews ou réponses du couple en question dépassent en ineptie leur livre même. La dénonciation du « consumérisme » sexuel m’a spécialement fait rire, et leur idée — quel morceau de roi, Flaubert s’en serait fait péter la bedaine de rire ! — que les pédos asservissent les femmes puisque leur goût des enfants sous-entend que les pauvres femmes « doivent » devenir mères ! J’ai croqué ce morceau-là avec une jubilation indicible. Faut-il croire que c’est pour nous que les gens font des gosses ?! Si seulement c’était vrai…
Oui, le témoignage à trois voix[5] que vous avez publié est épatant. Au-delà de son contenu évident, j’en ai admiré les réserves qu’il exprime : « on ne peut pas dire ça… on ne peut pas expliquer, raconter ». Cette difficulté — mettre en langage, le langage nécessairement ennemi de la culture actuelle, l’expérience pédophile — je l’affronte depuis toujours et elle est mon casse-tête d’écrivain. Je m’en sors comme je peux ; j’ai l’impression de produire, moi aussi, des compromis très amers, des échecs successifs. Comment plier leur langage à notre expérience ? Les mots ne sonnent pas de la même façon pour eux et pour nous ; ils ont des connotations extraordinairement différentes selon qu’on est d’un bord ou de l’autre ; on n’en finit plus d’être compris à l’envers. Les misérables bouquins des Pinard-Sebbar en auront donné un sinistre exemple, une preuve lamentable.
À propos d’un dossier sur la pédophilie, connais-tu celui que le machin pédophile belge a récemment produit ? Il est excessivement raisonnable et reprend, avec un courage résigné, tous les poncifs et les préjugés qui règnent, afin de les combattre. C’est très bien fait, très convaincant, un peu mou. Ce serait sûrement utile de faire connaître ça en France. — Si tu ne l’as pas, préviens, je te l’envoie (ou, si tu es en fonds, achète-le leur, ça les arrangera sûrement !).
Malheureusement non, je n’aurai pas une minute pour écrire cette présentation d’Augiéras que tu me proposes de faire. J’aurais bien voulu, mais c’est du travail qui demande une préparation sérieuse, des lectures et relectures, bref, un sacré boulot que je ne peux pas envisager de faire dans les délais que tu m’indiques. D’autant qu’Augiéras présente la grosse difficulté d’être un écrivain sans thèmes, sans pensée, un type assez « cucul », qui doit toute sa valeur à son écriture, sa sensibilité, ses milliards de nuances. Pas question de faire gros quand on parle de lui ; il y faut toutes les précautions, les finesses qu’appellerait, par exemple, une étude sur James ou Woolf.
Bruno Roy[6] t’a parlé de moi parce qu’il avait été question que j’écrive une préface pour sa réédition du Voyage[7], projet qui n’a pas abouti. — À propos de préface, j’en prépare une pour le premier livre de Denis Jampen, que les Ed. de Minuit vont publier peut-être cet automne, et que j’avais « découvert » — c’était alors un jeune Suisse de dix-huit ans — quand je « dirigeais » Minuit. Je t’en parlerai quand on se verra (je vais bien finir par aller à Paris !) ; ce qu’il fait est splendide, de langue et de sens ; je pourrais te passer le manuscrit si tu voulais envisager la publication d’extraits dans Masques. Très utile pour un débutant ! Petit inconvénient (?) : c’est de l’homographie très hard. — L’auteur, lui, que je n’ai pas vu depuis quatre ou cinq ans et avec qui je ne m’entends pas du tout (aucunes relations, on n’arrive même pas à s’écrire) est le plus froid, le plus pétrifié, le plus coincé que j’aie jamais vu. Le contraire de ce qu’il écrit. Il était extrêmement joli garçon, mais l’alcool et les joints (quantités invraisemblables) ne l’auront guère arrangé. Les petits Suisses blonds à peau blanche sont fragiles comme des roses !
Donc, je me réjouis que vous fassiez un dossier Augiéras, mais impossible d’y collaborer. Tu as peut-être vu que, côté Gai Pied, je n’arrive à publier que des mots croisés ! Et encore, c’est parce que j’en ai, depuis le temps que le jeu m’amuse, une chemise remplie à ras bord.
Tiens, j’en reviens aux Belges. J’ai reçu de là-bas un copieux paquet d’œuvres d’un jeune photographe d’enfants (nus ou peu) qui me paraît faire du travail splendide. Il y a là-dedans des choses assez décentes (çàd. sans quéquettes ni fesses… !) pour être publiées facilement. Si tu as envie de le contacter, je te le recommande chaleureusement. Je pense faire, s’il accepte de prendre le genre de photos qu’il me faudrait, un bouquin très luxueux avec lui. Vieux projet que mon éditeur avait accepté depuis longtemps. Reste à le réaliser ; deux ans ?
Voilà. Encore merci de me servir si gentiment Masques, dont j’attends très impatiemment les prochains travaux. (Au fait, quand vous vous serez débarrassés de la débile Nelly, vous serez encore plus lisibles. Quelle effarante connerie ! On dirait (le savais-tu) que le féminisme sert à certaines pour déguiser les pires préjugés de petite-bourgeoise coincée que la liberté des femmes — la vraie liberté — rend absolument malade de haine. Quel paquet de merde, celle-là).
Le dossier pédophile belge : « S’aimer entre enfants et adultes », publication du G.E.P., Infor-homosexualité, 281 chaussée d’Ixelles, 1050 Bruxelles. (C’est 100 F., mais belges ou français ? Je l’ai eu gratis !)
Le photographe : [nom et adresse]. (J’oubliais de préciser qu’il fait aussi (je n’en ai pas vu) des petites filles. Miam !?)
Cher Jean-Pierre,
Oui, j’avais bien reçu ta bonne lettre de cet été. Et j’ai profité égoïstement du plaisir qu’elle me faisait pour ne pas te répondre ! Veux-tu me le pardonner ?
L’enquête sur écrivains-et-homochose : un reproche. Il n’y a ni Peyrefitte ni Matzneff dans ta liste d’auteurs sollicités (entre autres) : lacune à combler, non ? Je ne te dis pas ça pour la « valeur littéraire » des mecs en question : mais le Roger est le seul pédé-de-gares qu’il y ait en France, et quant à Matzneff, il ne s’est pas encore sorti d’avoir osé plaider pour la pédérastie à la TV il y a deux ou trois ans. Ce n’est tout de même pas rien, non. Car ces militantismes, il me semble, valent un million de fois les nôtres.
J’essaierai de l’envoyer, d’ici la fin du mois, une petite réponse à ton enquête[8], ça ne me plaît pas beaucoup, et je suis horriblement privé de loisirs ; mais ce ne sont pas des raisons de se taire, je sais bien. Il paraît que les auteurs adorent s’expliquer. Quelle foutue corvée !
Mon Enfant au masculin, j’aurai les premiers exemplaires à la fin du mois, à ce qu’on me dit : et, bien sûr, je t’en proposerai un. — Soit dit au passage, je crois (il m’a fallu énormément de relectures pour oser le penser) que c’est le meilleur livre que j’aie jamais fait. Les représentants de la Sodis[9] (qui distribue Minuit) l’ont jugé exécrable et, à ce qu’on me dit, semblent résolus à le boycotter. Et pour cause ! Ce n’est pas un plaidoyer pro-pédo, mais un réquisitoire anti-hétéro. Facile à caser auprès des libraires, c’est sûr…
J’ai été déçu que Masques, après avoir promis un travail de fond (qu’inaugurait admirablement cet entretien de mère d’enfant-à-amant-pédo) sur la pédophilie, soit terriblement silencieux sur ce sujet dans son dernier numéro. Est-ce à dire que l’homosexualité du mineur n’est pas un sujet accessible aux militants purs et durs ? Ça commence à me faire chier, cette prudence.
Je serai à Paris, en fin de compte, d’ici environ quinze jours. Juste pour te faire lire mon Enfant. J’espère qu’on se verra, et que tu le verras, et que tu l’adopteras !
Pour ce qui est de Denis Jampen, il continue à être en train d’hésiter : publier son livre ou non ? Le bouquin a des défauts (très supportables !) et… et… Donc, de mon côté, j’attends ce qu’il décidera.
Cher Jean-Pierre,
Oui, j’avais bien reçu ta bonne lettre de cet été ; elle m’avait fait beaucoup de plaisir, et ce projet de maison d’édition homo[10] me réjouit extrêmement.
Moi, j’étais simplement (comme d’habitude) écrabouillé de travail et de corvées. Mais je commence à en voir la fin — provisoire. Et j’aurai probablement, d’ici un mois au plus, une gentille petite période de semi-repos. Il sera temps !
Je suis confus, mais je n’ai pas un instant pour répondre à l’enquête de Masques dans les délais que tu indiques. Le problème posé, d’ailleurs, est plutôt « académique » et ne m’inspire pas énormément !… Mille pardons.
Mon petit essai est prêt, il va paraître d’ici qqs jours, je crois. Je ne m’en mêlerai pas et je ne quitterai pas Tours pour ça. D’après les premières réactions (représentants de la Sodis, libraires…), on s’attend d’ailleurs à un boycott pur et simple. Il paraît que le livre est plus brutal que je ne l’imaginais ; ils sont bien fragiles, ces gens-là. Enfin, tant pis, c’est écrit et voilà déjà longtemps que je n’y pense plus. — Si Minuit ne te l’envoie pas (je ne m’occupe même pas du service de presse) préviens-moi, bien sûr, je m’en chargerai.
À bientôt, j’espère, des nouvelles moins négatives (j’aimerais bien pondre un nouveau texte pour Masques, sur tel ou tel sujet brûlant)
Cher Jean-Pierre,
Décidément, je deviens distrait. Avant-hier (?), je mettais un peu mes affaires en ordre, et je suis tombé sur un début de lettre qui t’était destiné. Bravement, je l’ai repris, et je te l’ai envoyé. J’avais totalement publié que j’avais déjà, en fait, terminé cette lettre et que je te l’avais adressée ! Chose que ta réponse — à coup sûr très, très inattendue, d’autant que je n’ai pas le moindre souvenir de ce que j’ai pu te dire et que tu commentes… — m’apprend aujourd’hui. Ma pauvre cervelle a bien besoin de repos (non, je ne dis pas : de maison de repos !). Enfin pardonne-moi, j’irai bientôt un peu mieux.
Mais que t’ai-je écrit, avant-hier, au fait ? Je ne sais plus trop non plus. Je passe douze à quinze heures par jour sur mon petit roman, et pour le reste mon crâne est une vraie passoire. (Figure-toi que j’avais même oublié de signer le contrat du livre, chose que mon éditeur me rappelle gentiment ces jours-ci.)
En tout cas, je te confirme que je ne peux pas — pas même cérébralement, je le crains ! — répondre à l’enquête de Masques. En revanche, je pondrai probablement un texte inédit que je vous proposerai d’ici… je ne sais quand, mais avant la fin de l’année sûrement.
Je suis heureux de savoir que tu as pu jeter un coup d’œil sur l’Enfant, et que l’ouvrage a plu à Alain Sanzio[11]. Cependant, c’est un livre d’humeur personnelle, et non un catéchisme ou un manifeste « au nom » des homos ou pédos : j’ai l’habitude de ne parler que pour moi, et j’y mets, j’espère, un ton qui le montre clairement. Donc, n’hésitez surtout pas, à Masques, à m’écorcher vif si vous le jugez bon. Je ne suis pas Pinard, moi, et rien ne me fâchera !
Cher Jean-Pierre,
Merci de ton excellente lettre. J’essaie de te répondre dans trois quatre jours — je suis plus que jamais écrasé de (bon) travail + (grosses) conneries qui me bouffent toutes mes forces. Ah, la vie d’artiste ! — J’essaie de t’envoyer les quelques pages que tu as la gentillesse de me demander à propos de Genet : vu l’épouvantable manque de temps, je me contenterai d’un petit laïus à propos du texte archi-con de Bataille sur Genet dans « la Littérature et le Mal ». Préviens-moi d’urgence si ce projet recoupe une autre collaboration, que je puisse changer mon fusil d’épaule.
Cher Jean-Pierre,
Ci-joint le texte sur Genet. Tu vas sans doute le recevoir trop tard pour pouvoir l’intégrer à Masques. Je l’envoie quand même, puisque c’était promis. Tu imagines que ça m’a vraiment été impossible de l’écrire plus tôt. J’ai un calendrier de cinglé !
Cher Jean-Pierre,
Je te réponds toujours aussi vite… Il ne faut pas trop m’en vouloir. Entre les problèmes de fric, de travail, de santé et de vie intime, je suis comme un bout de (mauvaise) viande dans un congélateur : pas facile de survivre. Et ma disponibilité en souffre.
Tu avais été très gentil de me demander qqch. pour le numéro que Masques préparait sur la pédophilie. Au départ, j’aurais préféré ne pas intervenir (toujours les mêmes qui causent, tu connais le reproche, et il est justifié, en somme). Je déteste tellement tenir le crachoir que j’ai même refusé (poliment) une interviouze que Le Matin me demandait pour son dossier sur la Famille. C’est te dire combien je suis vertueux, dans le genre pas encombrant. (Hum).
Maintenant — et tandis que j’ai tellement de petites peines que je n’arrive même plus à fournir au Gai Pied ma chronique chaque mois — je pense que j’aurais pu te proposer un texte pour ce Masques-là. Un texte anti… Enfin, un texte anti beaucoup de choses ! Anti-pédophile, notamment.
Parce qu’il y a un sacré ménage à faire.
Mais je pense qu’il est trop tard pour ce numéro. Si je me trompe, veux-tu être assez gentil pour me prévenir vite (exemple : un télégramme de trois mots), ce texte sera fait sur-le-champ.
Je suis ravi, changeons de sujet, de ce que Personna[12]
publie. Et les projets que tu m’as annoncés me plaisent autant. Est-ce que l’affaire de la trans. de Marseille[13] est celle,
admirable, où, je crois, 500 mères (des vraies, des biologiques !) avaient signé une pétition pour qu’elle
puisse garder son gosse « volé » ? — Mais s’il faut se faire couper le zizi pour que des mamans signent
pour vous… Gros soupirs.
Mes gros malheurs, eux, me rendent toujours aussi incapable de trouver la liberté, le minimum de bien-être, qui me permettraient de faire, entre autres, un petit tour à Paris. Pas vu la ville à Chirac depuis plus de deux ans. Ce n’est pas que la ville à Jean Royer soit un paradis : mais, au moins, je peux m’y terrer en attendant que ça aille moins mal. Vivent les trous ! (Mais si !)
Voir aussi
Idée sur Narcisse
Idée sur Narcisse (droit de réponse)
Bataille contre Genet
Lorsque l’enfant paraît - Les homosexuels puritains
Le bon sexe illustré
L’enfant au masculin
Notes et références
- ↑ Mai 1979
- ↑ Entretien avec André Baudry, fondateur de l’association Arcadie, pour les 25 ans de cette dernière, dans Masques n° 1. Il y déclare que « La majorité du peuple français est persuadée que les homosexuels aiment les enfants, les adolescents, les violent, couchent avec eux dans n’importe quelles conditions. Alors pourquoi exhiber certains aspects de l’homosexualité qu’un certain nombre de gens est incapable de comprendre d’ailleurs ? ».
- ↑ Correction dans la marge : (pédophile !)
- ↑ Le livre de Lapouge et Pinard-Legry commence par le récit du viol que l’un des deux aurait subi enfant. Duvert dénonce cette histoire comme une supercherie dans L’enfant au masculin.
- ↑ Le garçon, son amant, et sa mère… Entretien paru dans Masques n°5, dans le cadre d’un dossier sur la pédophilie, où la parole est également donné au camp « anti » (Sebbar, Pinard-Legry et Lapouge) et aux pédophiles du GRED.
- ↑ Directeur des éditions Fata Morgana, qui ont publié deux livres de Duvert.
- ↑ le Voyage des morts, de François Augiéras, réédité par Fata Morgana.
- ↑ Enquête sur « la vie en intérieur », parue dans le n°7 (hiver 80-81
- ↑ Société de distribution de livres
- ↑ Persona, fondée par l’équipe de Masques
- ↑ Collaboarteur de Masques. C'est à son initiative que les archives de la revue ont été confiées à la BNF.
- ↑ Ajouté en marge pour s’excuser de la faute sur Persona : oh, pardon !
- ↑ Une prostituée (femme), enceinte et ne souhaitant pas d’enfant avait accouché sous le nom d’une amie et collègue transsexuelle qui en voulait un…