Quand mourut Jonathan (19)

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De l’arrosage, Serge en était venu à jardiner. Il avait désherbé un coin de terrain, contre le grillage, il l’avait gratté, ratissé, et il avait cherché de quoi le garnir. Il déterrait des herbes et des fleurs sauvages, des arbres nouveau-nés, il les replantait dans son rectangle et inondait ce jardin, qui mourait. Ce n’était pas la saison où l’on plante.

Mais il ne se décourageait pas. Le matin, il rendait visite à ses travaux. Il observait les plantes molles, leurs têtes qui tombaient, leurs corolles fripées ; il n’osait pas les arracher pour en mettre des fraîches. Il leur parlait gentiment, il soulevait dans sa main les tiges pendantes, il disait :

— Toi t’es pas morte, j’te laisse !

et ajoutait pour lui-même, devant une autre qui séchait :

— Elle là c’est foutu, ben demain.

Tout fleurissait partout. Seul le jardinet de Serge agonisait, et évoquait moins la stérilité d’un hiver que ces dessus de poubelle où l’on entasse les bouquets flétris.

Le bassin, lui aussi, évoluait. Serge y fit flotter des navires de son artisanat. Il l’enrichit d’une sorte de chenal qui, à la façon d’un échangeur d’autoroute, accomplissait une grande boucle partant du bassin et y revenant. Cela formait donc une île, que Serge peupla d’habitants et de petits bosquets. Ces bosquets étaient des branchettes coupées qu’il renouvelait. Les habitants étaient construits de noisettes, d’allumettes, de glands brunis de l’autre année, ou très petits et verts, arrachés aux chênes du voisinage. Ainsi naquit un peuple tout nu, qui promenait de beaux ventres en olive. Et il y eut des vaches, beaucoup de vaches à queue raide : le tiers d’allumette qu’il leur piquait aux fesses.

L’île était jolie et elle prospéra, grâce aux allumettes encore. Jonathan en acheta une quantité de grosses boîtes, et on colla des maisons, des bancs, des cabanes, on les coloria, on fabriqua des gens à mettre dessus, dedans, à la porte. Serge creusa une piscine au milieu de son île : un trou rectangulaire où il logea une demi-boîte en plastique rigide qui avait contenu des cartes de correspondance. On mit un peu de bleu dans l’eau, et des baigneurs bronzés en gland pourri flottèrent dessus.

Un des rivages de l’île eut aussi, plus tard, une plage aménagée, avec ses parasols et son sable en pente.

Une butte ornementée de mousses reçut un moulin à vent, dont les ailes en carton étaient fichées dans une noix qui pivotait en haut d’une tour d’allumettes. Les coups de vent à ras du sol agissaient sur cette voilure qui, écoutée de près, faisait un vrombissement.

Des chemins, des escaliers, des places furent dessinés, et balayés soigneusement. Enfin Jonathan installa des éclairages, branchés sur une pile de ménage et qu’on allumait le soir. Alors les arbres, les sentiers, les maisons semblaient vivre, le petit peuple végétal était plein d’intentions, et on aurait voulu habiter là.


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