La Villette (Maurice Balland)
La Villette est une nouvelle pédérastique de Maurice Balland.
La Cité des Sciences et de l’Industrie, dans le quartier de La Villette, a ouvert ses portes en mars 1986. La première publication de ce récit date de 1990. C’est donc aux environs de 1987-1989 que se situe l’épisode relaté ici (la rue de Flandre évoquée à la fin sera renommée avenue de Flandre en 1994).
Xavier profite des congés de Pâques pour passer ses après-midi au Parc de la Villette, et surtout pour regarder les expositions au Centre des Sciences et de l’Industrie. Le professeur en a parlé en classe, ce qui a éveillé sa curiosité, à la différence de bon nombre de ses camarades qui s’en désintéressèrent totalement. Il est vrai qu’il est parmi les plus âgés en cette classe de cinquième car il est en retard dans ses études, ayant dû renouveler son année. C’est pourquoi ses préoccupations, parfois, ne sont pas celles de ses camarades, étant plus évolué qu’eux sur certains points.
Aujourd’hui, il fait beau. Arrivé au parc par la Porte de Pantin, Xavier ne se hâte pas de le traverser pour aller au C.S.I. Cet ensemble de la Villette, dans l’Est parisien, est encore en chantier et, à chacune de ses venues, il est curieux de voir les transformations à mesure que les travaux avancent. Là, il y a d’énormes terrassements, c’est pour constituer la partie qui sera le jardin, avec des allées, des plantations. Aux limites ont déjà été construits plusieurs de ces sortes d’édifices que l’on appellera des « folies » et qui renfermeront divers services, comme des bars ou des restaurants.
Xavier pour le moment ne s’y retrouve plus. Le chemin habituel a été modifié. Il y a bien des pancartes pour indiquer par où aller, mais il n’arrive pas à s’y reconnaître. Il s’approche d’un panneau et interroge un homme qui se tient devant. Celui-ci, bien gentiment lui montre la route. Il s’engage alors dans la direction qui le conduira vers la Cité des Sciences.
Après quelques pas, il s’aperçoit que l’homme le suit à distance, du moins il en a l’impression. Et il se met à imaginer… « Attendons, se dit-il, je verrai bien… » Mais, en fin de compte, pourquoi cet homme n’aurait-il pas lui aussi l’intention de se rendre au même endroit que lui ? Après tout, les gens sont libres d’aller où ils veulent.
Arrivé à la Cité, l’enfant entre, toujours suivi par le même homme qui ne l’a pas quitté d’une semelle, ayant marché à sa cadence, ralentissant lorsqu’il s’attardait ici où là, pressant le pas quand il reprenait son allure. Xavier est maintenant convaincu, cet homme s’est accroché à lui. Pour s’en faire une certitude, il se dirige vers un écran genre minitel où l’on peut, en tapotant sur des touches, questionner l’appareil et obtenir des renseignements pratiques sur le C.S.I. et les expositions en cours. L’homme s’approche et semble ne pas s’y connaître tellement :
— C’est bien comme cela qu’il faut taper pour avoir le plan ?
— Oui, c’est facile.
Xavier tape sur quelques touches, et voilà le plan. Il explique comment le comprendre. L’homme le remercie, puis s’en va plus loin. « Ah, pense le garçon, c’est par hasard qu’au fond je l’ai retrouvé. Il n’a pas l’air de vouloir continuer à me suivre. Je vais bien voir. » Il se dirige alors vers la boutique où l’on vend divers articles en rapport avec l’atmosphère du C.S.I., gadgets en tous genres, jeux électroniques, maquettes, jouets scientifiques, enfin tout ce qui intéresse les jeunes à l’ère des conquêtes spatiales. « Tiens, tiens, se dit-il, le voilà qui vient d’entrer dans le magasin. » En effet, l’homme est entré et fait le tour des rayons. Il avise devant un comptoir le garçon en train de s’exercer avec un jeu. Il s’approche de lui et regarde, puis lui adresse la parole :
— C’est amusant, cette bille qu’il faut faire circuler à travers des obstacles. Ça n’a pas l’air facile.
— Non, je n’y arrive pas, voulez-vous essayer ?
Le garçon passe le jeu à l’inconnu qui s’évertue mais ne parvient pas à diriger convenablement la bille.
— Vous voyez, dit Xavier, c’est pas coton. J’ai des jeux comme celui-là chez moi, mais ils sont plus faciles. Ou plutôt, je les connais maintenant trop bien, alors j’ai l’habitude et je gagne à tous les coups. Ça devient monotone.
— Tu vas t’acheter celui-ci ?
Xavier répond qu’il n’en a pas l’intention, il réserve ses sous pour des disques de ses chanteurs préférés. Et il en cite quelques-uns qui sont connus de son interlocuteur, ce qui lui fait plaisir. « Il est pas con, se dit-il. Il marchera peut-être, je verrai tout à l’heure. »
Il repose le jeu et, un peu brusquement, il se retourne pour s’en aller laissant en plan l’homme qui ne semble pas s’en étonner et reprend de son côté son chemin à travers la boutique.
Le garçon, sorti du magasin, se dirige alors en un autre endroit du hall vers la librairie où il connaît un emplacement particulièrement intéressant pour satisfaire certaines de ses curiosités. Il entre, va d’abord non loin de l’entrée vers les présentoirs de magazines divers où il en feuillette quelques-uns concernant les chanteurs de rock et y cherche les pages sur ses idoles. Puis, il regarde des périodiques de vidéo pour s’informer sur les nouveaux jeux électroniques. « Ah, le revoilà. » L’homme en effet sans en avoir l’air l’avait suivi et repéré où maintenant il se trouvait. Xavier le laisse approcher. Dès celui-ci arrivé à sa hauteur, il quitte l’endroit et, traversant le magasin, il se dirige droit au fond vers les rayons contenant des ouvrages spécialisés sur des questions très particulières. Sa manœuvre a réussi. En effet, l’homme l’a suivi et bientôt il est à nouveau près de lui, intéressé apparemment au même genre de littérature.
Xavier feuillette un manuel d’information sexuelle, de ceux conçus pour les adolescents depuis qu’il est admis de leur faire des cours sur ce sujet à l’école. Il fait celui qui est captivé par sa lecture, ignorant tout autour de lui. L’homme, également a pris un ouvrage et semble de même s’y intéresser particulièrement. Il tourne et retourne les pages. Pour sûr, il n’y apprend rien, mais s’il s’attarde autant qu’il le peut, c’est sans doute dans l’espoir d’engager la conversation avec le garçon sur un sujet qu’il n’est pas aisé ordinairement d’aborder entre inconnus.
Enfin il se décide :
— C’est intéressant, mais ces livres ne sont pas toujours faciles à comprendre. Qu’est-ce que tu en penses ?
Voilà l’occasion qu’attendait Xavier qui se garde de faire la sourde oreille et répond avec empressement :
— C’est vrai, on a du mal pour tout piger. Regardez ces dessins, c’est trop schématique, ce serait mieux s’il y avait des photos.
— Oui, peut-être, mais il n’y en a pas dans ces genres de livres.
— Ah, on en trouve dans d’autres, lesquels, je n’ai pas l’impression qu’il y en a ici.
— Bien sûr, on ne les trouve que dans des magasins spéciaux.
— Où ça ?
— Oh, là, tu es trop petit.
— Croyez-vous, je ne suis plus un bébé, j’ai treize ans.
— Je m’en serais douté. Tu m’intéresses. Tu voudrais savoir certaines choses. Je pourrais te les dire si tu veux bien. Viens, on va aller s’asseoir dans le hall, il y a un endroit où il n’y a pratiquement personne, on est très bien pour parler.
Xavier suit l’inconnu et tous deux vont s’installer sur un banc situé en effet derrière un grand panneau qui l’isole des allées et venues des visiteurs.
La conversation repart d’abord sur quelques banalités. Mais le garçon, bientôt, la dirige, assuré maintenant d’avoir ferré son gibier.
— C’est vrai qu’il y a des maladies qu’on peut avoir quand on va avec des filles ?
— Bien sûr, c’est pourquoi il faut faire très attention.
— Mais comment ?
— C’est difficile à expliquer, mais tu pourrais le demander à tes parents.
— Oh, mes parents ! Vous vous rendez pas compte… Et puis tout à l’heure vous m’avez promis de tout me dire.
Ostensiblement, pour tester autant que tenter son interlocuteur, Xavier porte sa main à sa braguette et fait mine de se gratter comme s’il éprouvait une démangeaison. Il décèle un éclair dans le regard de l’homme :
— Vous savez, explique-t-il, je suis souvent gêné et je ne sais pourquoi ça me démange tout le temps.
— Oh, ce ne doit pas être grand chose, mais que veux-tu que je te dise si je ne vois pas ce que c’est ?
— Oui, vous avez raison. Il faudrait que je puisse vous montrer.
— Pas ici !
— Bien sûr, mais je sais où aller, venez avec moi.
Et il mène l’inconnu vers l’autre extrémité du hall où ils s’engagent dans un couloir très peu fréquenté car il n’y a aucun stand d’exposition de ce côté là. Tout au fond il y a des toilettes pratiquement toujours désertes. Entrés dans l’une des cabines, l’homme se montre impatient de voir ce qui, dans la pensée de Xavier devait certainement fort l’intéresser.
— Fais voir où ça te démange.
Ayant ouvert sa braguette et mis en évidence son organe déjà raidi par le désir, prêt à servir et des plus tentants, le garçon avoua :
— Oh, vous savez, il n’y a rien, je vous ai dit ça pour être sûr que vous m’auriez suivi. Sucez-moi.
L’inconnu, bon prince, et surtout heureux d’avoir un garçon à sa disposition, ne se fit pas prier et lui accorda le plaisir espéré.
— Eh, bien tu es fameux. Pour ton âge, tu jutes bien.
Le garçon, heureux du compliment, fait cependant remarquer :
— Oh, ce ne doit pas être autant que vous, faites voir.
Et l’homme de le laisser agir pour lui extraire sa richesse intime, et à son tour, fait remarquer :
— Tu t’y prends bien. Ma parole, tu as l’habitude.
— Bien sûr, vous n’êtes pas le premier type que j’arrive à mener dans ces chiottes.
— Il y a longtemps que tu fais ça ?
— Oh, non. Depuis un mois, quand un type m’y a mené et m’a fait jouir. J’ai trouvé ça si fortiche que depuis je me fais un mec chaque fois que je viens à la Villette. Donnez-moi cinquante francs, et je m’en vais. Je sortirai seul avant vous. Laissez-moi le temps de m’en aller.
— Tu n’as pas peur de te faire piéger par un flic ?
— Oh, non, vous avez vu, j’y vais très mollo, j’étudie bien mon type pour voir si vraiment il cherche une bitte. C’est quand je l’amène devant les bouquins que j’en suis sûr. Avec vous, ça a marché.
L’homme, émerveillé de tant de rouerie, prit l’enfant en affection et lui fit remarquer qu’un jour ou l’autre il lui arrivera un pépin. Il proposa de l’emmener chez lui et, à l’avenir, de le satisfaire sans risque, quitte à lui donner chaque fois cinquante francs, après tout, cela ne le ruinera pas et il rendra un sérieux service à un garçon au demeurant fort sympathique et tout naturellement taraudé par les besoins du sexe propres à l’âge de l’adolescence et contre lesquels il sera toujours vain de lutter. « Mieux vaut, pensait-il, et c’était sa philosophie depuis qu’il connaissait mieux les jeunes, mieux vaut, en effet, leur donner l’occasion de répondre aux besoins de la nature en canalisant ceux-ci plutôt que de barder notre société d’interdits qui ne font que provoquer des dégâts tant psychologiques que moraux et ne résolvent aucune question. »
Confiant en cet homme qui lui parut bon et disposé à lui assurer son argent de poche, Xavier le suivit dans sa garçonnière, rue de Flandre, non loin de la Villette. Par la suite, il fit par chez lui un crochet avant d’aller au Centre des Sciences et de l’Industrie où désormais il fut uniquement préoccupé de visiter les expositions sur les découvertes du siècle.