Un papa heureux ! (Maurice Balland)
Un papa heureux ! est une nouvelle pédérastique de Maurice Balland.
En ce bel après-midi de septembre le temps est exceptionnellement beau. Il est vrai que c’est encore l’été. Pour revenir de son travail, au lieu de prendre comme d’ordinaire l’autobus, Lambert a préféré marcher à pied, pour une promenade en quelque sorte. C’est qu’il n’a pas tellement de chemin à faire et il pourra de cette façon passer devant le lycée au moment de la sortie des élèves. Les vacances ne sont pas encore loin et l’on est au tout début de la rentrée scolaire. Il aura plaisir à regarder les jeunes frimousses restées hâlées de soleil et présentant ainsi un charme tout particulier auquel il est spécialement sensible.
Aujourd’hui, il ne fera que les regarder, uniquement pour le plaisir des yeux, et ne s’attardera pas à les dévisager comme les fois où il veut déceler chez les garçons un profil aguichant, ou surtout, en scrutant le corps de l’un ou l’autre, essayer d’y reconnaître les signes révélateurs d’une aptitude amoureuse.
Non, ce n’est plus nécessaire car maintenant Lambert est un papa heureux. Il a eu de sa femme trois rejetons, deux garçons et une fille qui, parvenus à leur adolescence, lui apportent désormais satisfaction. Oh, ce ne fut pas sans peine. S’il s’est marié, il le fit à son corps défendant, pourrait-on dire, car il n’avait aucune propension pour la femme. Il dut tout simplement se conformer à la coutume tout autant que se plier à la volonté de ses parents qu’il n’aurait voulu en aucune façon contrarier. À ce moment-là, d’ailleurs, il était pour le moins incongru de prétendre se mettre en ménage entre hommes, fût-ce même avec un merveilleux garçon comme celui pour lequel il éprouvait un sincère amour peu conforme aux idées reçues et, en plus, de quatre années son cadet alors qu’il avait vingt-cinq ans.
Il faut dire qu’il a toujours ressenti, depuis son enfance, mais surtout plus marqué au début de son adolescence, un attrait pour des garçons plus jeunes que lui. Lorsqu’il dut convoler en justes noces, il se choisit, pour faire le change, une jeune fille apparemment semblable en âge et corpulence à son jeune ami. La venue de l’aîné de ses enfants, une fille, Catherine, le déçut un peu. Mais par la suite, la naissance de jumeaux, Jean et Paul, lui apporta une heureuse compensation. Il vécut dans l’impatience de les voir grandir et devenir de jeunes garçons puis des adolescents pour connaître avec eux les joies expérimentées avec ses camarades d’enfance et surtout l’ami de cœur qu’il n’avait pu conserver.
En attendant, peu attaché à sa femme, et sans cesse attiré par la jeunesse, il chercha à satisfaire son besoin de caresser et d’aimer en des rencontres furtives à défaut de pouvoir amener et entretenir chez lui pour une relation permanente des adolescents complaisants. Il dragua aux sorties des écoles et des terrains de sport, dans les piscines, dans les cinémas, aux alentours des gares, et autres lieux. Il avait repéré un peu partout dans la ville des endroits où se dissimuler avec ses conquêtes d’un moment. Pour des cas plus intéressants il s’était entendu avec certains hôteliers acceptant de lui louer une chambre pour l’après-midi. Sans doute, tout cela n’était que pis-aller, mais que faire autrement dans une société comme la nôtre où les pulsions les plus profondes de la nature ne peuvent, la plupart du temps, s’exprimer ?
Pendant ce temps, les rejetons de Lambert grandirent en passant au travers de la plupart des difficultés de santé habituelles aux enfants dans leur bas âge. Également, leur évolution scolaire fut pratiquement sans histoire. Même si Lambert et sa femme s’aimèrent de convenance, l’atmosphère familiale resta toujours paisible en sorte que le développement de leurs enfants fut harmonieux tant pour leur corps que dans leur esprit. Parvenue à ses quinze ans, Catherine fut une radieuse jeune fille capable de faire tourner la tête à bon nombre de ses camarades de lycée ou de jeunes du quartier. Seul, son père restait insensible à ses charmes. Au contraire, celui-ci n’avait d’yeux que pour les jumeaux atteignant alors leurs treize ans.
Lambert avait tant attendu ce moment que maintenant il brûlait d’impatience de créer entre eux et lui l’intimité qu’il avait jusque là différée. Il les estimait désormais suffisamment prêts psychologiquement et physiquement à des rapprochements de plus en plus sensibles. Il pourrait enfin, tout en restant chez lui, dans la douceur du foyer et sans étonner sa femme, avoir à sa disposition deux jeunes qui se livreraient totalement à lui et en qui il aurait absolue confiance.
Malheureusement, il sentit une certaine réticence de la part de ses garçons, en même temps que dans sa conscience une sorte de barrière morale s’éleva, reste de ce qu’il avait appris autrefois au catéchisme. C’était un péché que de se livrer aux délices amoureux entre parents et enfants. Le spectre de l’inceste sanctionné par les peines de l’enfer. Sans doute y avait-il pensé depuis longtemps et s’était-il efforcé de passer outre à cet inconvénient n’y voyant qu’un risque posthume, l’enfer étant relégué dans le monde futur. En était-il de même pour ses enfants ? Leur mère, conformiste sur ce point, avait voulu les inscrire au catéchisme pour les voir faire leur Profession de foi. Lambert ne s’étonna pas de leur réticence et il se fit fort de réduire leur opposition et de les amener doucement à la réalisation de ses désirs. Mais les choses apparemment simples ne le furent pas en réalité car surgit une autre difficulté dont il avait mésestimé l’importance faute d’une suffisante information. C’est qu’il existe un risque autrement plus grave lorsqu’une relation intime s’établit entre un père et ses enfants mineurs. C’est le délit qualifié d’inceste par le code pénal et sanctionné de lourdes peines. C’est autre chose que l’inceste sur le plan moral ou religieux précipitant dans l’enfer, si bien que la perspective d’une peine de prison se trouve être d’une autre consistance, s’avère particulièrement dangereuse dès ce bas monde et, par le fait même, est hautement dissuasive. Comme on le voit, une prohibition issue d’absurdes préceptes prétendus divins, ne disparaît pas nécessairement avec le progrès de l’athéisme, mais se voit relayée et rendue plus contraignante par d’ineptes lois humaines contenues dans de stupides codes. En raison de l’adage affirmant que nul n’est censé ignorer la loi, bon nombre de gens au cœur paisible et aimant se trouvent malgré eux singulièrement limités dans leurs activités qui autrement ne porteraient préjudice à personne.
L’espérance de Lambert tombant ainsi brutalement, son caractère s’assombrit. Plus ses garçons grandissaient et se développaient corporellement en leur période pubertaire et progressaient vers l’adolescence, plus leur père se montrait morose et même irascible, comme s’il les supportait de moins en moins. Sa femme ne s’en formalisa pas car depuis longtemps il l’avait délaissée après lui avoir accordé le minimum nécessaire de relations sexuelles pour assurer deux maternités. Elle avait trouvé compensation ailleurs et s’était constitué une cour d’amants. Seuls les enfants s’inquiétèrent de la santé de leur père, même Catherine qui pourtant lui reprochait sa froideur, et en cherchèrent la raison.
Il y avait longtemps que les jumeaux, à l’insu de leurs parents, et parfois sous le regard bienveillant de leur sœur, se livraient entre eux à des découvertes intimes sur leurs corps et aux recherches du plaisir qu’on doit normalement en attendre. Pareillement, avec plusieurs camarades du lycée, ou des copains du quartier, dissimulés où ils le pouvaient, ils perfectionnaient leurs connaissances relatives au sexe et à toutes les ressources que l’on en peut raisonnablement tirer. Ils savaient également qu’avec des adultes complaisants, il était possible d’en apprendre davantage, et surtout de jouir de façons plus inédites encore. Malgré leur soif d’apprendre et les aiguillons du sexe propre à leur âge, Jean et Paul n’avaient jamais osé demander à leur père de leur apporter certains compléments d’information ni de leur procurer une connaissance expérimentale directe. Pourtant la curiosité ne leur manquait pas et ils auraient peut-être accepté une proposition venant de leur père s’il s’était montré disposé à leur faire constater de visu les particularités d’un sexe adulte et en quoi il est plus important que celui d’un garçon. Mais aucune invite en ce sens ne vint de leur paternel dont pourtant ils avaient deviné un attrait à leur égard avant qu’il ne tombât dans une certaine morosité.
Plus intuitive, Catherine eut quelque idée de la cause du changement d’humeur de Lambert, ce dont elle fit part à ses frères.
Et de leur expliquer : « Je sais, leur dit-elle, qu’il n’est pas attiré par les femmes, je le ressens très bien, et s’il s’est marié, c’est parce qu’il n’a pas pu faire autrement. Notre mère ne l’intéresse pas. » Elle ajouta : « Il y a longtemps que j’ai deviné qu’il ne peut faire l’amour qu’avec des hommes, et je parierai plutôt que ce doit être avec des garçons. »
Les jumeaux ne furent pas long à comprendre. Jean répliqua :
— J’ai pigé. Il voudrait branler avec des gars, et ça lui manque, mais il n’ose pas avec nous, c’est pourquoi il devient neurasthénique.
Paul acquiesça :
— D’accord. Pourtant, je n’oserais pas lui demander d’aller avec lui, je me vois mal branler avec mon père. Qu’est-ce qu’on pourrait faire ?
Catherine proposa :
— Mais si vous lui ameniez des garçons, cela lui fera du bien et il retrouvera sa bonne humeur.
Les jumeaux trouvèrent la solution géniale autant que pour eux avantageuse, puisqu’elle leur permettrait également d’amener leurs copains dans leur chambre. Ils s’entendirent pour trier sur le volet les meilleurs d’entre eux, à leurs yeux capables de satisfaire leur père, et de les faire venir à la maison pour les mettre à sa disposition. En fils attentionnés ils lui amenèrent les instruments du bonheur qu’eux-mêmes étaient dans l’impossibilité de lui procurer.
Et voilà comment Lambert à nouveau retrouva sa raison de vivre et reconnut comment ses enfants en fin de compte lui avaient accordé une totale satisfaction. S’il avait à un moment regretté le mariage et de n’avoir pu à l’époque cohabiter avec son ami, il admit que la vie en fin de compte ne l’avait pas frustré puisque pour le moment il pouvait plusieurs fois par semaine, selon les caprices des emplois du temps de chacun, avoir à sa disposition des adolescents tous charmants et sûrs soigneusement triés et amenés par ses rejetons. Peu importa alors que ceux-ci lui fussent intouchables en raison de l’interdit légal autant que moral de l’inceste. À tout prendre, cet obstacle n’en fut pas un et servit de bon prétexte à ses fils avisés pour justifier leur comportement et lui assurer le moyen d’être comblé dans des relations amoureuses conformes aux aspirations profondes de son être. C’est ainsi que tout bonnement, en fils aimants, ils firent de lui un papa heureux.