Mon maître (Maurice Balland)

De BoyWiki

Mon maître est une nouvelle pédérastique de Maurice Balland.

La catastrophe ferroviaire évoquée dans l’épilogue a réellement eu lieu : le soir du samedi 23 décembre 1933, entre Pomponne et Lagny-sur-Marne (Seine-et-Marne), le rapide Paris-Strasbourg lancé à grande vitesse percuta l’express Paris-Nancy qui avait été contraint de s’arrêter. Cet accident, survenu au début des vacances de Noël, fit plus de deux cent morts (tous passagers de l’express) et trois cents blessés. Maurice Balland était alors âgé de dix-neuf ans.

La mention de ce drame dans une histoire totalement imaginaire serait étrange, car elle n’apporterait rien, ni à l’intrigue, ni à la signification morale. Il est donc possible que ce récit soit pour l’essentiel autobiographique, et que la liaison amoureuse ici décrite ait vraiment eu lieu vers 1928-1932. À noter que le jeune héros de la nouvelle se prénomme Julien — or Jules est le second prénom de Maurice Balland.





MON MAÎTRE




En cette belle soirée de juin, le repas à peine achevé, j’entends par la fenêtre ouverte mes camarades qui m’appellent de la rue pour aller jouer avec eux.

— Ho ! Ho ! Julien ! Tu descends ? On t’attend.

Roland et Jean-Louis sont mes deux meilleurs camarades d’école, dans la même classe, avec qui j’explore ce que notre environnement comporte de curiosités capables d’attirer l’appétit de connaître propre à des garçons de quatorze ans.

Dans les années trente, ce quartier de la capitale n’est pas couvert d’immeubles comme il l’est devenu par la suite. On y trouve encore bon nombre de terrains vagues où jouer tranquillement au ballon. Et surtout quelques chantiers de construction, déserts le soir, incitent à l’exploration et, mieux encore, offrent des recoins idoines où se livrer entre garçons et loin de tout regard indiscret à quelque jeu inavouable.

À l’appel de mes camarades, je me précipite à la fenêtre pour leur lancer un : « J’arrive ! », quand, brusquement, je me ravise et leur crie : « J’ai pas le temps ! J’ai pas fini mes devoirs ». Pourquoi ce revirement subit, ce zèle soudain montré à mon travail scolaire ? Sans doute avais-je songé depuis peu à prendre mes distances avec Roland et Jean-Louis. Alors, voilà l’occasion que ce soir je saisis… Un changement s’opérait en moi et me rendait réticent à m’adonner en leur compagnie aux échanges si agréables que nous avions découverts depuis un moment. Par eux, vers la fin de l’année précédente, j’avais appris sans avoir à le demander ce que je crus alors être tout sur le sexe. C’était arrivé entre nous tout naturellement, pour satisfaire une curiosité qui, anodine au commencement, se fit obsédante à mesure du progrès de notre développement pubertaire.

Aujourd’hui, il m’apparaît évident que de branler ensemble n’a pas grand sens. Nous sommes copains, certes ! Et puis après ? Pouvons-nous dire que nous sommes amis ? Et même, poussant à l’extrême, que nous nous aimons ? Non ! Il y a mieux ! L’autre jour, je leur en ai fait la remarque :

— Les gars ! C’est bien de branler ensemble, et même de se sucer la pine, mais ce n’est pas de l’amour, ça !

— Oh, qu’est-ce que tu nous chantes ? répliqua Roland tandis qu’il entreprenait Jean-Louis, lequel enchaîna :

— Tu sais, tant qu’on n’arrivera pas à se coller une fille entre les cuisses, on ne pourra pas faire autrement si on veut jouir. Tout ce que tu voudras, c’est quand même mieux que de se branler seul.

— C’est sûr, reprit Roland qui ajouta : Je parie que tu as trouvé un mec qui suce mieux que nous. Un grand ? Tu sais, je m’en fous, il n’y a pas que toi à l’école. On restera copains, c’est tout. Tu nous raconteras comment il s’y prend, ton mec.

Roland disait vrai. On restera copains, sans plus de jeux sexuels entre nous, car j’avais trouvé mieux, beaucoup mieux, tellement mieux : un ami. Ah ! C’est une autre histoire.


Depuis le début de l’année, une innovation avait eu lieu à l’école. Un des maîtres, Monsieur Charles Kelmann, était parvenu à convaincre le directeur de l’utilité de faire des « projections cinématographiques de films documentaires ». Il faut dire que si le cinéma commençait à être en vogue, il n’était pas accepté de tous comme actuellement et il fallait beaucoup d’audace pédagogique pour proposer d’en faire à l’école. N’étant pas à une initiative près, homme en avance sur son temps, Monsieur Kelmann avait réussi à imposer une de ses idées chères.

La grande salle du rez-de-chaussée qui servait pour la gymnastique et de préau de récréation en cas de pluie fut utilisée pour la circonstance dans le sens de la longueur. Un des murs peint en blanc éclatant en guise d’écran, du côté opposé un appareil de projection placé sur un trépied, des rideaux noirs tendus aux fenêtres avant chaque séance pour assurer l’obscurité, tous les bancs disponibles à l’école amenés là, et voilà une salle de cinéma où, sans confort et dans un léger brouhaha, nous étions heureux de voir des films aux images parfois sautillantes et qui de temps en temps se cassaient en provoquant une atmosphère de foire tandis que l’opérateur se hâtait de coller les bouts rompus de la pellicule.

S’occupant personnellement de la projection, Monsieur Kelmann se tenait assis derrière l’appareil sur une chaise accolée au mur et veillait au déroulement du film, attentif au bruit régulier de cliquetis du mécanisme. Il avait également à l’œil les élèves proches de lui, surtout les grands debout contre le mur du fond car, trop nombreux, les enfants ne pouvaient être tous assis sur les bancs. Dès la première séance je choisis de me tenir au fond non loin de l’appareil, nouveauté pour moi, curieux de le voir fonctionner et intéressé également aux manipulations de l’opérateur. Le maître que j’estimais entre tous, tant m’intéressaient ses cours de sciences, faisait preuve autant qu’en classe de contrôle de soi et de sûreté dans ses gestes. Ici encore se révélaient sur son visage aux traits marqués la fermeté de caractère et l’esprit résolu qui me plaisaient en Monsieur Kelmann.

Mû par le désir d’observer de plus près, je parvins en cours de séance à me faufiler tout contre la chaise de mon maître, à sa droite. S’en aperçut-il ? Vit-il en mon attrait une marque d’admiration et voulut-il me remercier ? Toujours est-il qu’il enserra mes jambes en un geste qui me parut affectueux, sa main me tapotant doucement le genou droit. Il n’entreprit rien d’autre. Pourtant son attitude produisit en moi quelque étonnement puis, naturellement, un brin d’émoi qu’en garçon bien élevé je pris garde de laisser paraître. À la fin de la séance, je répondis par un sourire à celui que m’adressa, par sympathie évidemment envers un de ses meilleurs élèves, Monsieur Kelmann.


Intrigué, curieux, désireux de ce que je n’arrivais pas à définir, dès le début de la séance suivante je pris place tout contre la chaise. Mon maître perçut-il une invite ? Certes ! Sitôt assis, il enserra mes jambes de la même façon. Les tapotements sur les genoux me furent agréables, d’autant que j’avais eu la malice ce jour-là de venir en culotte courte : ce qui ne passa pas inaperçu comme je pus le soupçonner au sourire que dans un rai de lumière issu de l’appareil je vis se dessiner sur les lèvres de mon maître. Quelle intention, rendue réalisable par ma tenue, pouvait bien hanter l’esprit de Monsieur Kelmann ?

Le film rapportait les aventures d’un explorateur à la recherche de traces de la civilisation aztèque dans la forêt mexicaine. Dès les premières images, l’action promettant d’être passionnante, rapidement je ne fis plus attention à la main appliquée sur mon genou, trop appliqué moi-même à fixer les yeux sur l’écran. Parvenu au bord de la forêt, l’explorateur se fraye un passage et s’engage résolument au milieu de la végétation. Dans le même temps, je sens la main me pétrir le genou, puis tâter plus au- dessus. Sur l’écran l’homme progresse péniblement, recule parfois pour s’assurer du contact avec ses compagnons. Également, la main monte doucement, quelque peu incertaine, le long de ma cuisse, puis redescend comme pour s’assurer de ma bienveillante complicité. Les images se succèdent, que je m’efforce de suivre, immobile, anxieux de connaître tant le but recherché par l’explorateur que celui visé par Monsieur Kelmann.

Dans la forêt, l’acharné prospecteur se voit en présence d’une sorte de couloir formé de lianes enchevêtrées, un vrai tunnel dans lequel il s’engage courageusement. La main caressante parvenue au bord de ma culotte hésite un bref instant puis, hardiment, s’introduit sous l’étoffe et monte, comme prise dans une gaine. Tout cela me rend haletant : le mystère qui s’épaissit sur la terre du Mexique, et plus encore les menées obscures dirigées vers mon intimité mise en éveil. Une angoisse me prend aux tripes. Peur de quoi ? Je ne sais trop. Regardant mes camarades proches et constatant leurs yeux fixés en avant sur l’écran, je me rassure : nul d’entre eux, certainement, n’a remarqué le manège de Monsieur Kelmann.

Mes craintes surmontées, désireux de la suite, ne voyant pas de raison pour contrecarrer la manœuvre de mon maître, je me tiens coi et sagement le laisse agir. Voilà que, tout à coup, sur la forêt, éclate un orage qui oblige l’explorateur à suspendre sa recherche. Un éclair au travers des frondaisons zèbre l’écran. Immédiatement, la main interrompt sa progression et s’échappe de ma culotte. C’est que, dans la salle, la lumière vient également de se faire : la bobine ayant terminé son déroulement, l’opérateur s’était brusquement levé pour la remplacer. C’est le suspense ! L’homme de l’écran sera-t-il foudroyé ? Non pas ! L’histoire serait sans suite… Et la main ? Revenu à sa place, que fera Monsieur Kelmann ?

En s’asseyant, rassuré de constater que je n’avais pas bougé, mon maître m’adresse un large sourire puis, l’obscurité à nouveau établie, reprend sa prospection exactement au point où elle avait été interrompue. Sur l’écran, l’orage passé, l’explorateur de même reprend sa marche et, après avoir franchi avec succès une ultime barrière formée de végétaux imbriqués, découvre le monument qu’il avait espéré trouver. Sitôt atteint, satisfait et heureux, il s’empresse de le palper de ses mains. C’est une stèle monolithique dressée verticalement sur un socle en forme de sphère aplatie. « Drôle ! me dis-je, ébahi. Ça ressemble à … ! » Pour sûr, une telle équivalence surgit spontanément en mon esprit car, parallèlement à la succession des images, la main fureteuse avait franchi l’obstacle opposé par mon caleçon puis était parvenue à mes couilles rebondies, en avait tâté la fermeté, et enfin avait saisi ma verge raide à se rompre dont, à présent, elle évalue en tâtonnant les dimensions. À juger de l’expression d’heureuse surprise que dans la pénombre je vois sur son visage, mon maître est ravi de constater à quel point je suis sexuellement développé. Ce qui m’emplit d’un immense contentement, bien plus même, de gratitude pour être l’objet d’une si flatteuse appréciation. Alors que mon maître achève son investigation en fourrageant à plaisir dans ma toison fournie, j’ai conscience d’être jugé « sur pièce » et non plus simplement noté au gré de mon rendement scolaire. Il me semble qu’enfin j’émerge de la masse de mes camarades et suis considéré en mon être total : me voilà « personnalisé ». La séance terminée, au moment de quitter la salle, mon regard brillant de désir croisa celui radieux et avide de Monsieur Kelmann.


Il va sans dire qu’à chaque séance je pris l’habitude de laisser mon maître exercer ses privautés à mon égard en toute liberté et sécurité. Par une sorte de convention tacite établie entre nous, rien dans notre comportement en classe ou ailleurs ne vint trahir auprès de quiconque le point d’intimité auquel nous étions parvenus. Cependant, nous ne pouvions en rester là, c’était par trop éventuel et rudimentaire. Monsieur Kelmann prit un jour l’audace de m’inviter chez lui, ce que mes parents acceptèrent avec empressement : qu’un professeur se proposât d’assurer mes succès scolaires comblait leurs ambitions à mon sujet.

Foin alors des branlettes en compagnie de Roland et de Jean-Louis ! Ce me parut une rigolade en comparaison de ce que m’offrit Charles. Dès que je le vis nu, je fus ébloui. Grand et svelte, bien découplé, viril à souhait, magnifiquement pourvu en organes sexuels, il me parut un dieu et emporta ma dévotion. Fervent dès lors à mon idole, je n’eus que l’envie de lui devenir exactement semblable. Adonné à ses étreintes, je connus, de mains expertes, les secrets du plaisir sans cesse renouvelé. Je pus en outre expérimenter le bonheur que procure la relation amoureuse.


Hélas ! Pourquoi était-il écrit dans les astres que cette félicité ne pouvait durer ? Maudit soit le jour fatal où Charles prit le train pour aller passer quelques jours de congé chez ses vieux parents et périt dans la catastrophe du Paris-Strasbourg qui à l’époque défraya la chronique tant elle fit de victimes. Parmi elles, celui qui, excellent maître, déposa en mon esprit le savoir scolaire, mais plus encore fut un prodigieux éducateur, authentique « pédagogue », ayant réussi à disposer mon corps aux délices de la volupté et à ouvrir mon cœur aux arcanes de l’amour.

Ce passé est maintenant bien lointain mais, profondément marqué en mon esprit et mon corps par ces presque trois années de merveilleuse intimité, jamais je ne l’ai oublié. Toujours, assurément, il restera gravé en ma mémoire et jusqu’à mes derniers instants je verrai des yeux de mon cœur le visage au sourire avenant et radieux de Monsieur Charles Kelmann, mon maître.


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