Sortis du tunnel ! (Maurice Balland)
Sortis du tunnel ! est une nouvelle pédérastique de Maurice Balland.
En forme de sketch…
Éduquer, c’est tenir ouverts les chemins de l’amour.
(Le studio de Matthieu. Assis à sa table, celui-ci tourne les pages d’un album de photos.)
Que de souvenirs liés à ces photos ! Ah, d’abord, voici les plus anciennes… Tous ces garçons fixés dans un moment du temps… Patrick, Xavier, Robert… Quel plaisir j’ai de les revoir… et les autres… Ce charmant Didier !…
(Matthieu pousse un soupir)
… Disparu dans un accident de montagne. Je l’ai connu bien peu, mais beaucoup aimé tant il promettait avec son tempérament impétueux, quelle fougue ! et sa vive intelligence. Dommage qu’une avalanche l’ait emporté au lendemain de ses treize ans !
(Matthieu extrait une photo et l’examine de plus près)
Sa puberté se déclenchait à peine… C’est tout juste si on lui remarquait des poils. Mais sa pine !… Ah !
(Expression d’admiration sur le visage de Matthieu)
Déjà il jouissait intensément, insatiable, c’était un ravissement que de le regarder se branler et de le sucer !
(Il repose la photo)
Dommage ! Oui, dommage ! Voir disparaître un garçon si doué tandis que subsistent tant d’autres qui ne le valent pas !… C’est injuste ! Ça me révolte !
(Coup de poing sur la table)
Enfin, c’est le sort. Que peut-on y faire ? Inutile de se lamenter. Il faut coller au réel, vivre comme on est avec ce qu’on a ! En tout garçon il y a des ressources. Il en est dont on ne sait trop comment ils réagiront puis, à la longue, on s’aperçoit qu’ils sont malins et ont du cœur. À tous on apporte quelque chose : on les aide à s’épanouir et on les rend heureux. C’est indubitable. Après tout, chacun est unique en son genre, et tout l’art consiste à déceler et mettre en œuvre les tendances profondes qui résident en lui. Sitôt parvenu à briser la gangue, on met la perle au jour !
(Matthieu tombe en arrêt devant une page de l’album)
Tiens ! Frank ! En voilà un qu’il m’a fallu deviner. Garçon bizarrement rencontré, dans le métro, fermé d’abord, et qui peu à peu s’est révélé. Maintenant il est un des meilleurs que je connaisse, un des plus attachants. C’est fou comme j’aime le voir chaque fois qu’il vient. Certes, il est grand maintenant… (Geste évasif des mains) … majeur et vacciné ! Et il pense à se marier. Alors, ce n’est plus à moi de le combler. Ça ne fait rien, ce n’est plus cela qui m’attire en lui…
(Son regard se fixe sur l’une des photos)
… il a toujours ces yeux clairs et le regard rieur, ce visage franc et épanoui que je lui connais depuis le jour où enfin nous nous sommes branlés ensemble, et qu’il s’est senti libéré. Il me montre tant de reconnaissance que je l’aime particulièrement car il a beaucoup de cœur. Je l’ai rendu heureux… Pourvu qu’il le reste… Oh ! Pourquoi craindre ? Je suis certain qu’il a su choisir celle qui lui conviendra. Je l’espère…
(Matthieu relève la tête et regarde dans le lointain)
… Me voilà tout chose encore. C’est pareil chaque fois qu’un de « mes » garçons devient adulte, puis se marie. J’éprouve un choc. Est-ce de la jalousie ? Je ne le pense pas. C’est plutôt l’impression que s’échappe une partie de moi-même.
(Geste de la main comme pour balayer une mauvaise idée)
Heureusement que cela ne dure pas ! À point nommé, un autre garçon croise mon chemin et occupe la place devenue vacante : au suivant !
(Geste d’introduction d’un visiteur)
Et voilà Germain, cet autre garçon repéré, lui aussi, dans le métro, qui désormais emplit mes loisirs.
(Ton allègre pour exprimer sa satisfaction)
Il a tout juste treize ans et jouit comme pas un ! Il est monté comme… ! Je ne vous dis que ça ! Quand je l’ai dans la bouche, elle m’étouffe… Et il suce… Faut voir ça ! Il prend un plaisir immense et vous en procure autant. Jeune encore, mais bâti… au point qu’on lui donne plus que son âge avec sa corpulence, et des poils… une merveille ! Et en plus il se laisse prendre avec une facilité que je n’aurais pas cru… Ordinairement, j’attends qu’un gars soit plus âgé pour l’enfiler. Mais lui, il insiste tant et il est si large déjà que j’y entre comme dans du beurre ! Quelle chance d’avoir rencontré ce garçon ! Il vaudra bien Didier !
(Geste des mains pour exprimer sa joie)
C’est un perpétuel remplacement qui me conserve jeune ! Un merveilleux défilé !
(Il passe une main dans ses cheveux et les ramène en arrière)
Après tout, ce n’est pas à regretter. J’évite ainsi de crouler sous les ans.
(Visage épanoui et souriant)
Je n’ai pas même conscience d’être à l’âge de la retraite… Mes garçons vieillissent, pas moi !
(Il prend un air résolu)
Bon ! Comment est cette Nathalie qui a capté le cœur de Frank et jouit déjà de son corps ? Il m’a promis de l’amener un jour. Je les attends pour ce soir. Il va venir avec elle.
(La sonnerie de la porte d’entrée retentit)
Ah ! Ce doit être eux.
(Il va ouvrir.
Entrent deux jeunes gens)
Frank ! Que je t’embrasse ! Je suis content de te voir, et aussi ta belle ! Bonjour Mademoiselle Nathalie… C’est bien ça ?… Asseyez-vous là.
(Frank et Nathalie s’installent côte à côte sur le canapé.
Matthieu reste debout)
Whisky ? Pernod ?… Whisky, vous avez raison, c’est mieux, ça active la respiration. (Il sert, puis s’adresse à Nathalie)
Nathalie, je suis heureux de te voir. Je te connais déjà, tu sais, Frank m’a tellement parlé de toi. Comme je lui fais confiance, je suis certain qu’il a trouvé en toi la perle qu’il désirait et que tu es la fille qui lui convient. Bien sûr, vous serez heureux tous les deux si, également, il est le garçon à ta mesure.
(Les jeunes gens rient ensemble et se prennent la main)
Tu es sympa ! C’est bien ce que Frank m’a dit. Avant d’annoncer à mes parents notre accord pour vivre ensemble, il a tenu à ce que je vienne d’abord te voir.
Oui ! Tu me connais bien ? Tu sais quels sont mes goûts. Alors, il n’y a que toi pour dire si vraiment j’ai eu la main heureuse avec Nathalie. Dis-moi, qu’en penses-tu ?
Que veux-tu que je te dise ? C’est ton affaire. Ce n’est pas moi qui vivrai avec Nathalie. Alors, mon avis ne changera rien si déjà vous êtes résolus à être ensemble, comme il me paraît.
(Les jeunes gens rient, puis s’embrassent)
Bon ! Je ne puis qu’approuver.
(Il pose une main sur l’épaule de Frank)
Cependant, si tu as suivi mes conseils, tu dois bien savoir si Nathalie répond aux critères que je t’ai indiqués.
(Il fait mine de scruter la jeune fille qui sourit et minaude quelque peu)
Ma foi… elle est jolie et bien balancée…
(Il souligne son jugement d’un geste de la main comme pour jauger le physique de la jeune fille)
… et coquette… (Vivement) Oh ! Ce n’est pas un défaut. Une femme doit plaire ! Et puisque voilà plus de trois mois que vous vous rencontrez, je pense que tu as noté si son rire qui paraît intelligent dénote bien une cervelle judicieuse.
(Ils se mettent tous à rire)
Quant à toi, Nathalie (geste de la main vers elle) je suppose que tu as remarqué combien Frank a du caractère et s’accroche à ses idées. Mais, si au cours de vos discussions, vous avez repéré quelques points de vue communs entre vous, je n’ai pas à m’inquiéter pour l’avenir.
(Il se plante devant eux, les mains sur les hanches)
Et puis, soyons francs ! Puisque vous avez déjà fait l’amour, vous avez expérimenté vos possibilités d’accord. Et là, à ce que je sais, ça me semble positif. C’est merveilleux ! Pourquoi faudrait-il vous arrêter en si bon chemin ?
(Les jeunes gens s’enserrent fortement, exprimant leur passion commune. Ils s’embrassent sur la bouche)
Bon, ça va ! Je n’ai pas besoin d’un dessin !
Ça ! Tu as raison ! Frank sait faire l’amour. C’est toi qui lui as appris. Eh bien ! Tu es fortiche ! Parce que de tous les gars que je me suis faits, il est le seul qui a su s’y prendre et me combler du premier coup. C’est pourquoi j’ai tenu à le revoir, et maintenant, je le garde ! Tu seras d’accord ?
Bravo ! Je sais, Frank m’a tout raconté.
(Il s’adresse au garçon)
Tu te souviens comme tu étais fier le jour où tu m’en as parlé ?
Ah, oui ! C’était la première fois que je couchais avec une fille. Je m’en rappellerai toujours. Ça a été fantastique ! Heureusement que tu m’avais prévenu et montré comment faire. Et puis, Nathalie a été épatante, elle aussi. Elle savait s’y prendre.
Oh ! C’est ma tante Angèle qui m’a appris. Mais ça ne suffit pas si le mec est con et ne sait pas s’y prendre. Dès que Frank m’a parlé dans le métro, j’ai pensé qu’avec lui j’aurais ce je n’arrivais pas à trouver avec d’autres.
C’est vrai ! C’est dans le métro que vous vous êtes rencontrés.
Le métro me porte chance !
La chance ! Encore doit-on favoriser le sort. Le hasard provoque des rencontres, c’est sûr, mais il faut donner un coup de pouce si on veut se revoir, et puis que ça marche !
Oui, bien sûr ! Un jour, j’ai remarqué Nathalie assise sur un banc. Pourquoi ? Va savoir ! Elle est restée sans bouger et a laissé passer la rame. Alors, j’ai fait pareil et me suis assis à côté d’elle… Je lui ai demandé l’heure pour dire quelque chose. On a causé. Je ne sais plus de quoi on a parlé. C’est drôle. Mais quand elle a dit qu’elle venait là tous les jours à la même heure, sans hésiter, je lui ai proposé de la revoir le lendemain.
Oui, on s’est retrouvés ainsi plusieurs jours. J’étais vachement heureuse. Je ne sais pas pourquoi, mais c’était enfin un gars qui parlait sans dire de conneries. Il m’écoutait.
C’est vrai, ce qu’elle disait m’intéressait. Et puis, je la consolais de ses emmerdes à son bureau et à la maison. En plus, comme elle pensait que trop de mecs étaient cons, ça m’a plu de me sentir plus malin que les autres. Un jour elle m’a dit qu’elle n’en trouvait pas qui savaient faire l’amour.
(Vivement et comme heureux de ce qu’il entend)
Et tu lui as proposé d’essayer avec elle.
Oui ! J’ai osé. Tu sais, c’est parce que tu m’as aidé à surmonter ma timidité que je me suis décidé comme ça et que je l’ai invitée à venir à la maison la semaine où mes parents se sont absentés. On a pu être seuls tous les deux.
Ah, ça ! Je t’assure, c’était la première fois que je me trouvais avec un gars sensas ! (elle embrasse Frank)
Oui, je comprends, et ça ne m’étonne pas.
(Applaudissant)
Vive le métro qui vous a mis sur les rails du bonheur !
Vive le métro ! C’est là aussi que je t’ai rencontré. Ça a été une chance pour moi !
Ah ! Mais… c’est vrai ! On a eu ensemble le même scénario que toi avec Nathalie.
Mais, alors ! C’est sans doute pourquoi j’ai eu la même idée !
C’est possible. En tout cas, je me souviendrai toujours de ce 25 janvier où je t’ai remarqué sur le quai. Pourquoi ? Va savoir ! Un joli garçon de douze-treize ans assis et qui laisse passer les rames. Je m’assieds près de lui par curiosité et lui demande l’heure pour dire quelque chose. On a entamé une conversation.
Oui. Je me rappelle aussi, bien que je ne sache plus de quoi on a parlé. Ça n’a pas d’importance. Mais, j’ai été content de te revoir le lendemain. Je m’étais demandé si tu allais revenir. Je n’y comptais pas trop, mais je me suis dit : « on ne sait jamais ! »
En effet. Tu avais dit que tu ne te pressais pas de rentrer à la maison et qu’en revenant de l’école tu restais là à attendre. Alors, je me suis arrangé pour passer tous les jours à peu près à la même heure afin de te retrouver à cette station. J’ai eu raison, puisque nous avons pu nous voir souvent et même presque régulièrement.
Je me souviens que je t’ai attendu chaque après-midi avec impatience et la crainte que tu ne viennes plus. Tu m’étais sympathique et j’aimais causer avec toi. Je sentais que tu pouvais me comprendre.
(un index pointé en l’air, d’un air de remontrance)
Oui, mais tu as été long avant de me confier ton problème. J’ai eu de la persévérance. Enfin, tu m’as raconté tes emmerdes, pourquoi tu séchais des cours et préférais rester assis dans le métro à regarder les gens passer. C’était ta seule distraction.
Jusqu’au jour où tu m’as payé le cinéma.
C’est vrai. Mais seulement les mercredis et à la condition que tu ne sèches plus les cours.
Ça m’a rendu un fameux service. D’abord, j’ai eu la paix à la maison, et puis je me suis mis à travailler en classe pour te faire plaisir.
Oh, ça ! Pour me faire plaisir, tu as trouvé autre chose.
C’était normal, on ne pouvait pas se voir comme ça que sur des bancs du métro ou au cinéma.
Évidemment. Mais je ne t’ai emmené chez moi que lorsque j’ai été certain de tes sentiments.
(Il regarde Nathalie, inquiet de ses réactions)
Oui, c’est quand j’ai voulu qu’on se branle ensemble. Tu ne peux pas te faire une idée, mais à partir de ce jour-là j’ai été heureux comme jamais.
Et avec toi, ça continuera, j’espère. Prends la relève et fais maintenant mon boulot. À propos, tu n’es pas vexée de savoir que j’ai joui avant toi avec ton fiancé ?
Il n’y a pas de secret entre nous. Il m’a dit comment tu l’as formé. C’est une réussite. Merci, puisque j’en profite. Et maintenant, tu as le droit de voir comment tu as fait du bon boulot. On va faire l’amour devant toi. Tu veux bien Frank ?
(Elle se lève et se dirige vers le lit)
Bien sûr ! Je n’ai jamais rien caché à Matthieu. Il verra que j’ai été un bon élève.
Bon, ça va ! Je vous crois (il les repousse vers le canapé). Gardez ça pour vous, c’est votre intimité. Je vous la laisse ! Je lutte contre les tabous, c’est vrai, mais j’admets encore celui-là. J’ai confiance, vous êtes suffisamment libérés.
Et quand j’y pense…
… c’est grâce au métro…
Oui ! Quel paradoxe ! C’est grâce au métro que vous êtes sortis du tunnel des préjugés. Et maintenant, je vous souhaite de rouler en pleine lumière sur des rails neufs dans le train du bonheur.
Oh, que c’est joliment dit ! Et toi, que vas-tu faire ? Ne reste pas seul.
(Levant la main droite à hauteur du visage, et avec un air mystérieux)
Oh ! Sois sans crainte. Il y a tant de monde à faire sortir du tunnel.
(D’une voix claire et d’un ton assuré)
Tiens, il y a deux mois, j’ai repéré un charmant garçon de treize ans à la Bastille. Il passait son ennui assis non loin des vestiges de la forteresse qui sont sur le quai de la ligne 5. On a causé. Tout naturellement, pour dire quelque chose, j’ai branché sur la Révolution. Ça l’a intéressé. Eh bien ! Maintenant, on est bons copains et, crois-moi, il a vite compris la révolution des mœurs…
(Geste de branler)
Je t’assure, il est déjà fortiche ! Donc, ne t’inquiète pas pour moi, la relève est faite avec Germain.
(Il claque sa langue et ses doigts)
Tant que j’aurai la santé, je serai à la disposition de la jeunesse pour la conduire au bonheur dans la liberté.
(Il sert du whisky.
Ensemble, Matthieu, Frank et Nathalie trinquent, se souhaitant mutuellement santé et bonheur.)