On a commencé par la queue ! (Maurice Balland)
On a commencé par la queue ! est une nouvelle pédérastique de Maurice Balland.
Le personnage du retraité parisien Didier Larue figure également dans la nouvelle Je ressemble à papa !
« On ne se contentait pas de tolérer, on ordonnait à Thèbes l’amour des garçons ; le philosophe de Chéronée (Plutarque) le prescrit pour adoucir les mœurs des jeunes gens. »
La Philosophie dans le boudoir
« Ouf ! C’est à peu près terminé. J’en ai marre ! Je vais faire un petit tour pour me distraire et explorer le quartier. » Didier Larue qui vient de déménager a été fort occupé plusieurs jours durant dans son logement, un modeste deux pièces au pied de la Butte. À peu près satisfait du rangement, il se réserve d’apporter quelques modifications de détail en fonction de ses nouvelles habitudes. Pour l’instant, désirant un peu de répit, il ne voit rien de mieux pour se reposer que de sortir afin de « humer les odeurs de son nouvel environnement ».
Passer du sud au nord de la capitale désoriente quelque peu. Paris est un univers et chaque quartier possède sa physionomie propre. Didier parcourt une rue commerçante et apprécie l’avantage d’avoir à proximité une grande variété de magasins d’alimentation. Plus loin, il parvient à un boulevard très fréquenté. De nombreux lieux d’attraction y sont établis ainsi que des boutiques d’articles de Paris et souvenirs divers attirant les touristes. Didier estime qu’il aura de quoi se distraire et que, même en se bornant à circuler, le spectacle de la rue suffira pour passer le temps et au besoin lui changer les idées à seulement observer le comportement des étrangers achetant des gadgets et souvenirs divers. Il aura d’amusants échantillons de la comédie humaine.
Assez rapidement, Didier s’aperçoit que le boulevard est également fréquenté par des jeunes qu’attirent les cinémas, les disquaires, les magasins de radio et autres articles à l’infini pour tous les goûts. Ils vont en bandes plus ou moins fournies, quelques-uns explorent isolément les lieux. Aujourd’hui ils sont nombreux car on est mercredi, jour de congé scolaire. Habitué durant de longues années à s’occuper de jeunes, Didier les observe avec intérêt et pense qu’à l’occasion il ne lui sera pas difficile d’entrer en contact avec l’un ou l’autre pour susciter un dialogue et se maintenir au courant des préoccupations de la jeunesse actuelle.
Parvenu à l’âge de la retraite, Didier entend ne pas se laisser enfermer dans sa classe d’âge comme l’y pousse la tendance générale qui de plus en plus éloigne de la population active les personnes âgées. Il faut des ruses de Sioux presque si l’on veut échapper à l’isolement auquel conduit l’organisation sociale contemporaine.
D’avoir déménagé — sorte d’exil — pousse Didier Larue à ne pas tarder dans sa recherche de relations, de points d’appui, dans la situation où désormais il se trouve. Ayant connu nombre de déracinements au cours de sa longue carrière, il sait d’expérience qu’il faut du temps et de la patience pour tisser un réseau valable d’amitiés. Il a intérêt donc à ne pas lambiner !
« Oh, le joli garçon ! » L’attention de notre promeneur est délicieusement mise en éveil à la vue d’un jeune arrêté devant un magasin de disques. L’apercevant planté sur le bord du trottoir en attente semble-t-il de quelqu’un, Didier avance sans hâte pour le plaisir d’en admirer le délicat profil, puis, passant devant lui, il le dévisage en face. Il décèle à son regard un intérêt qui, après quelques mètres, le pousse à se retourner pour l’observer encore. Il constate alors que l’adolescent l’a suivi des yeux et se met aussitôt à lui emboîter le pas, son geste ayant été interprété comme une invite. Parvenu à un coin de rue proche, Didier s’arrête avant de traverser et s’assure qu’il a bien été suivi par le garçon. Il le laisse approcher, parvenir à sa hauteur, puis, avec un sourire avenant, lui propose :
— On pourrait aller au square en face pour causer un peu.
N’attendant sans doute que cela, ravi, le jeune accepte, et les voilà côte à côte sur un banc du jardin, tels deux amis venus là pour se reposer. La conversation s’engage d’emblée.
Cet adolescent apparemment sans complexe paraît heureux de s’entretenir avec cet inconnu qui l’écoute tout en scrutant son visage clair à fond sémite avec un nez légèrement arqué, un front dégagé entouré de cheveux légèrement frisés presque noirs assortis aux prunelles très sombres de ses yeux. Ahmed — c’est le nom qu’il s’est donné — est d’origine algérienne mais réside en France depuis sa plus tendre enfance, c’est pourquoi il s’exprime avec aisance en français sans accent apparent. Il vient d’avoir quinze ans, est l’aîné de plusieurs enfants et demeure dans une banlieue proche peuplée de Maghrébins. Mais comme il peut atteindre en quelques stations de métro le boulevard où Didier l’a repéré, il y vient volontiers, assez souvent même, quand il n’a pas classe, pour se promener car « ici, on ne me connaît pas. Je me sens plus libre. Et puis, j’aime parler avec des Français. Je les trouve plus agréables, plus gentils. »
— Ah, oui ! réplique Didier, des gens dans mon genre, compréhensifs, et qui savent te remarquer !
Le garçon sourit. Il pense avoir été compris car il précise :
— Pour ça, j’évite les Arabes. Ils ne sont pas aussi doux.
— Vraiment ! Tu parles d’expérience, s’exclame Didier sans au fond être tellement étonné ayant subodoré l’intention du garçon dès l’instant qu’il le vit venir derrière lui et le suivre.
Intéressé donc par les propos d’Ahmed, il cherche à le connaître davantage et apprend que cet adolescent se prostitue volontiers quand l’occasion se présente. L’idée lui en est venue après qu’à l’âge de douze ans un type l’ait abordé dans la rue et lui ait proposé de l’emmener chez lui « pour me montrer des choses intéressantes, et il m’a déculotté pour me branler et me sucer. J’ai aimé ça, alors j’ai essayé de trouver d’autres types pour qu’ils me fassent pareil. » Didier convient que ce lui fut aisé grâce à son physique agréable. Doué d’un visage aux traits fins, orné d’un sourire avenant apte à capter le regard de tout attentionné à l’enfance, il ne pouvait que provoquer le coup de foudre chez plus d’un dragueur de « minets ». Lui-même se sent également fort tenté d’inviter ce merveilleux garçon à le suivre jusqu’à son logis.
Mais, voilà ! Pour Didier, ce sera une « première » du genre. De tempérament timide, il se prend à hésiter devant une telle éventualité. À la suite de sa mise à la retraite, et plus encore après son changement de domicile, il devra renoncer à la plupart de ses attaches et en trouver d’autres, c’est sûr, mais commencer par un petit prostitué ne lui sourit guère. À son sens, l’amitié suppose une permanence, une certaine exclusivité. Avec Ahmed, ce ne sera qu’une passade. Lui montrant sa carte d’identité non corrigée encore, pouvant mentir avec vraisemblance, il s’excuse :
— C’est dommage, tu vois, j’habite à l’autre bout de Paris. Ce ne serait pas raisonnable de t’emmener si loin. Je regrette beaucoup. Mais j’ai eu plaisir à parler un peu avec toi. Tu as eu la patience de rester, tu es vraiment sympathique. Je ne juge pas ta façon de faire puisque ça te plaît. Je te souhaite de trouver un type qui te compensera pour le temps que je t’ai fait perdre. Je vais maintenant prendre le métro. Au revoir !
Rentré chez lui, Didier ne put s’empêcher de penser à Ahmed toute la soirée et à se faire des reproches : « Une fois encore, j’ai hésité pour me jeter à l’eau ». Désastreuse habitude ! Certainement ni audacieux ni téméraire, il a toujours posé un à un ses pas en avant, s’assurant de n’encourir aucun risque, et connut de ce fait plus d’occasions manquées que de réussites au cours de son existence. La prudence est mère de sûreté, affirme un proverbe. On pourrait le compléter par : trop de sûreté mène à l’immobilité ! N’est-ce pas sans raison, en revanche, que la fortune sourit aux audacieux ? Familier des décisions à retardement, Didier prend la résolution : « Si je le retrouve, sûr, je ne le raterai pas ! » Oui, mais reverra-t-il Ahmed ?
Huit jours plus tard, Didier arpente à nouveau le boulevard et dévisage soigneusement tout jeune qu’il croise. Reconnaître Ahmed, c’est chercher une aiguille dans une botte de foin ! Après une heure d’attention soutenue, lassé de marcher dans un sens puis dans l’autre, il s’assied sur un banc non loin du square. Son intention, pour une fois, l’a servi car bientôt il remarque un adolescent rôdant dans les parages et qui, l’apercevant, vient s’asseoir près de lui. C’est Ahmed qui, sans ambages, lui propose :
— Si vous voulez bien, on pourrait aller dans le parking.
Un parc à voitures est en effet aménagé sous le square, « mais, avertit le garçon, maintenant il est davantage surveillé, il faudra qu’on fasse bien attention. J’ai repéré un coin où on ne risque rien ».
« Vrai, il est mordu ! » pense Didier. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! Décidé déjà, encouragé donc à agir, tout obstacle levé, il avoue sa menterie et c’est un garçon emballé, gambadant presque qu’il mène à son appartement.
À peine entré, plus rapidement qu’il n’est possible de le décrire, et même de le dire, Ahmed se dépouille de ses vêtements et, totalement à poil, s’étend sur le lit, avide des caresses tant souhaitées de la part d’un « Français ».
— Pas si vite ! Tu vas m’essouffler, dit en riant Didier qui, de toute évidence, ne pouvait rivaliser de vitesse avec son hôte pour se présenter en « tenue » équivalente.
Il ajouta :
— Je n’aime pas me presser. Laisse-moi d’abord t’admirer. Oh ! Que tu es beau !
Tout juste parvenu à quinze ans, Ahmed est grand déjà, presque de la taille de son partenaire, ce qui malgré leur différence d’âge les met en quelque sorte à parité. Élancé, son corps est admirablement proportionné. Seul, un léger allongement des jambes, dû à sa croissance en cours, justifie sa taille sans toutefois lui donner l’air dégingandé qui afflige tant d’adolescents. De race berbère, sa peau est claire, au contentement de Didier qui l’estime « européenne », avec un point de scrupule cependant : « encore un sentiment raciste », qu’aussitôt il refoule car en contrepartie, comme pour tout excuser, son regard est avidement accroché par le sexe du garçon. Ahmed est pourvu d’un « appareil » quasi de dimension adulte bien qu’orné encore d’une toison d’aspect juvénile attestant bien son jeune âge. Sur des couilles glabres, rondes, fermes, volumineuses, est plantée une verge dressée dans l’attente, d’une longueur et d’un calibre des plus adéquats pour des activités fougueuses et diverses.
Ravi d’admiration, sans plus tarder, Didier saisit l’objet qui le fascine et par d’expertes manipulations amène le garçon aux spasmes qui le secouent vivement et le font suffoquer de jouissance. Crispé sur la verge qu’il secoue pour en extraire le maximum de liqueur, les mains gluantes du sperme jaillissant, il éprouve soudain un remords : jamais encore il n’a considéré à ce point un partenaire en pur objet de plaisir. Ses relations sexuelles avec des jeunes ont toujours été l’aboutissement d’une amitié menée aux intimes conclusions. Et voici qu’avec Ahmed, à l’inverse, il se trouve d’emblée au niveau du « contact épidermique » sans préparation affective. Il n’aime pas ce garçon qui lui reste étranger. Pourrait-il l’aimer ?
Laissant Ahmed l’entreprendre à son tour, tandis que le garçon lui suce son « sucre d’orge », Didier se raisonne : « Tout arrive ! Tant qu’on n’est pas mort, il reste possible de connaître des expériences neuves. Ah ! Pourquoi s’enfermer dans des préjugés ? Si maintenant c’est le moyen d’entrer en contact avec la jeunesse… ! Et puis, si je revois encore ce garçon, on pourra à la longue devenir amis. Nous aurons parcouru un chemin inverse. Après tout ! Pourquoi pas ? »
Éprouvant le besoin de se justifier, de jouer quand même à l’ami, il offre un goûter à Ahmed qui, surpris, le regarde avec de grands yeux ronds, sans doute peu habitué à une telle prévenance, puis accepte mis en appétit par la performance qu’il venait d’accomplir : branlé jusqu’à n’en pouvoir supporter davantage. Altéré aussi par les succions qu’il venait de faire.
— Ah, oui, merci ! Ça m’a donné faim et soif. Vous êtes fameux ! Je reviendrai.
Pour sûr, Ahmed se prit d’intérêt pour un partenaire si expérimenté et « gentil » à son goût car Didier, sans difficulté, le repéra à nouveau sur le boulevard, d’autant que le garçon s’approcha dès qu’il le remarqua au loin. Puis, un jour, Ahmed vint spontanément sonner à la porte de l’appartement, « en passant, dit-il, pour voir si son ami était là. » Plus encore, au moment de s’en aller, il refusa le billet qui lui était tendu comme à l’accoutumée :
— Non ! Je suis venu en ami. Je ne vous ferai pas payer.
— Vrai ? Que ça ne t’empêche pas de revenir.
Ahmed revint. Une évolution s’était opérée en lui. Il avait compris l’avantage offert dans une relation permanente estimée par lui plus épanouissante que les rencontres occasionnelles recherchées auparavant dans la prostitution. Heureux de passer de temps en temps ses après-midi chez son ami, l’appartement lui était devenu un havre de paix dans son existence déjà tourmentée. Ses résultats scolaires plutôt médiocres s’expliquaient par l’atmosphère irrespirable chez lui, due aux scènes continuelles entre ses parents.
À nouveau, pour Didier Larue s’établit avec un mineur une amitié fondée sur l’affection mutuelle extériorisée au besoin par des échanges sexuels. Et si, connaissant mieux les goûts d’Ahmed, il lui fit de menus cadeaux habituels en gage d’affection entre amis, ni l’un ni l’autre ne vit là un quelconque « salaire de la peau ».
— Quand j’y pense, dit un jour Didier au cours de caresses mutuelles, on a procédé à l’envers, mais c’est sans importance puisqu’on s’aime bien.
— C’est vrai, on a commencé par la queue, susurra Ahmed, sa tête posée sur l’épaule de son ami et lui parlant dans l’oreille.
— Et on a remonté vers le cœur !
— C’est mieux, on est doublement unis. J’ai eu de la chance de te rencontrer, tu sais me rendre heureux.
Lui caressant les cheveux et le visage, Didier conclut :
— Je ne puis que te souhaiter de le rester. N’oublie pas cependant que ton avenir reste entre tes mains. Nous en reparlerons quand une fille excitera tes appétits.
Cette éventualité s’avérant lointaine, pour l’instant ils s’embrassèrent longuement… Puis se joignirent de corps autant que de cœur en une étreinte qu’ils eussent, si possible, désirée sans fin…